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L’OBS : pourquoi Martine Aubry s’accroche à son siège

LE CLIN D’ŒIL DE SERGE RAFFY.

La maire de la capitale du Nord va-t-elle effectuer le mandat de trop ? Ses rivaux évoquent perfidement une forme de « gaudinisation » de l’ancienne ministre de Lionel Jospin. En 2020, elle atteindra les 19 ans de mandat. Peut-elle battre le record du maire de Marseille, 25 ans ?

Martine Aubry va-t-elle devenir le Jean-Claude Gaudin du Nord ? En annonçant sa candidature à la mairie de Lille pour un quatrième mandat, elle pourrait bien tenter de battre le record du maire de Marseille, en poste depuis près de 25 ans dans la ville de Notre Dame de la Garde. Pour l’heure, l’ancienne ministre de Lionel Jospin n’en est qu’à 19 ans de présence sur le trône du beffroi lillois. Un sacré record pour une femme qui, quand elle était à la tête du Parti socialiste avait bataillé dur pour imposer une règle interne qui imposait aux édiles socialistes de ne pas dépasser trois mandatures.

A l’époque, elle luttait avec une conviction rugueuse contre les baronnies locales, contre ces roitelets territoriaux indéboulonnables, élus à vie, favorisant le clientélisme, les clans, les affidés et les petites combines. Il fallait aérer le parti, en finir avec les caciques et autres petits marquis des territoires.

Logiquement, celle que certains surnomment la « dame de fer », tant elle reste arcboutée sur ses convictions contre vents et marées, aurait dû annoncer son retrait de la scène lilloise, après dix-neuf ans de gestion de la ville. Mais, elle l’a avoué au quotidien La Voix du Nord, les vents et les marées lui imposent de rester sur le navire.

Une rivale qui aurait pu être son héritière

Son argument pour faire mieux que Jean-Claude Gaudin ? Un capitaine ne déserte pas en pleine tempête. Un classique du genre. Et qui mieux qu’elle peut se maintenir aux manettes de la ville ? Franchement, elle aurait préféré laisser la place à un, ou une, dauphine, mais aucun nom ne lui est venu à l’esprit. Madame la maire est donc contrainte de s’accrocher à son fauteuil.

Un ou une dauphine ? Elle avait bien un nom : Violette Spillebout, son ancienne directrice de cabinet. Une perle, cette Violette. Efficace, bosseuse, arrondissant les angles avec les élus souvent irrités par les méthodes autoritaires de la patronne. Toujours disponible, maîtrisant les dossiers, elle était plus aubryste que Martine elle-même. Un cas d’école. Elle aurait pu être son héritière. Hélas, en 2014, la bonne lélève a pris la poudre d’escampette, s’éloignant au galop de sa « marraine », ne supportant plus le caractère cassant, un brin paranoïaque, de celle que des élus socialistes surnomment « la Murène », fameuse anguille marine, aux dents acérées, toujours sur la défensive. Violette refusa d’être sur les listes de son ancien mentor. Un petit camouflet, à l’époque.

Déjà à cette date, Martine Aubry avait annoncé à ses administrés qu’elle effectuait son dernier mandat et, qu’en 2020, elle partirait sous d’autres cieux. Après tout, en 2020, âgée de soixante dix ans, elle méritait bien un peu de tranquillité. Et puis, surgit, au coin du bois, son ancien « chaperon », celle qu’elle considérait comme sa filleule politique, pour certains, ou sa dame de compagnie, pour d’autres. Et, comble de l’horreur, Violette la discrète a opéré sa mue. Investie par le parti d’Emmanuel Macron à la mairie de la capitale du Nord, la femme de l’ombre est devenue une dure en politique.

Aux côtés de la « maire tape dur », la « gamine » a beaucoup appris. Elle connaît Lille et ses banlieues comme sa poche. Depuis des mois, la candidate LREM laboure méthodiquement, et quotidiennement, le terrain.

Martine Aubry découvre que le petit papillon a pris son envol et que les sondages la prennent très au sérieux. Abandonner la ville à celle « qu’elle a faite », et, par ricochet, à ce président de la République qu’elle abomine ? Pas question. D’autant que, dans son propre camp, les défections et les doutes affleurent. La petite musique du «mandat de trop » court les ruelles lilloises. Pourquoi cette volte face, contraire à tous ses principes, au risque d’une «gaudinisation » de la fonction ?

Le danger, pour celle qui fut une grande ministre socialiste, n’est pas mince. Il aura le mérite de nous offrir une dramaturgie digne de la capitale des Flandres. Un « Tu quoque, mi fili » au féminin…

Serge Raffy pour L’OBS, le 30 novembre 2019