MON DROIT À LA DIGNITÉ


Ci dessous un extrait de mon livre « L’autre mur » paru en Janvier 2024, consacré à l’affaire qui m’a opposée à Jacques Trentesaux, rédacteur en Chef de Médiacités, pendant la campagne municipale de Lille en 2020.

Chapitre 4

MES CONVICTIONS

La campagne des municipales de 2020 n’a pas seulement été marquée par les violences et entachée de traficotages électoraux par l’équipe en place. Elle a été aussi polluée par d’immondes rumeurs, sur ma vie privée, ma moralité, mes mœurs, notre supposé train de vie. Cette bataille-là fût la plus éprouvante, la plus avilissante. Bien que sordide, elle revêt un intérêt particulier, car elle est emblématique du huis-clos politique local, des dérives du système, de sa consanguinité et d’un état d’esprit basé sur des procédés qui ne cessent que si on les combat. Ce volet abject, sur lequel il me coûte d’écrire, est indispensable toutefois si l’on veut appréhender dans sa globalité comment fonctionne notre politique locale en France. D’ailleurs, à leur époque, Pierre Mauroy puis Martine Aubry ont eux aussi, à Lille, fait les frais de rumeurs abjectes. Ce chapitre m’oblige à évoquer des calomnies relayées à mon sujet, ou sur mon mari. 

Même si c’est désagréable, là-dessus aussi je veux être absolument transparente. Et, ce qu’on qualifie communément de « boules puantes » n’est pas un sujet annexe à la politique, il est hélas au cœur d’une certaine approche politique, putride, là encore, préjudiciable à la démocratie et au choix éclairé des électeurs. Il est délicat à aborder d’abord, parce que sur ces sujets, les victimes sont tentées de se taire pour s’épargner la honte. Toutes les victimes de calomnies connaissent trop bien cette terrible phrase « il n’y a pas de fumée sans feu », et même lorsque des rumeurs sont infondées, on a envie de les taire à jamais et de les oublier pour l’éternité. Ce silence arrange bien les auteurs de ces mensonges, je préfère donc les évoquer. Et parce qu’aucune campagne électorale ne devrait jamais être souillée par les rumeurs, j’espère que mon témoignage calmera des ardeurs. Il est délicat d’en parler aussi parce qu’il est quasiment impossible de combattre les rumeurs, de désigner sans ambiguïté leurs auteurs, de prouver leurs agissements, les moments précis où elles ont démarré, les endroits clé où elles se sont propagées. C’est pour cela que ce poison est si efficace, dévastateur et qu’il continue de prospérer. Un peu désarmée, la justice est souvent à l’inverse inefficace dans la guerre contre les «on dit», la caractérisation des infractions et l’évaluation des préjudices. Je veux raconter ce que j’ai vécu, traversé, avec mon ressenti, car c’est à mes yeux un thème central de cet ouvrage. Comme tous ceux qui témoignent de traumatismes, je le fais aussi dans l’espoir de faire bouger les mentalités, de susciter les débats, et afin que la honte change de camp.  

A l’été 2019, lorsque je me lance dans la bataille des municipales, je me sens prête. J’ai été investie par le parti, j’ai un vrai projet, bâti collectivement avec une équipe enthousiaste, et nourri par de multiples échanges avec les citoyens. Je sais qu’il me fera beaucoup apprendre, que le chemin sera long, éreintant et que les coups pleuvront. Je n’ai pas encore l’expérience de ce genre de combat, c’est ma première élection, mais je sais que mon programme est solide, crédible, nous avons travaillé dur. Je me suis préparée car c’est dans mon caractère, mon ADN même. Je ne peux pas m’investir dans un projet sans préparation, sans travail. Je crois dans l’effort, la méritocratie. 

Je me doute bien que je commettrai des erreurs, des maladresses, c’est inévitable, mais j’ai la conviction que ce manque d’expérience dans ce genre d’élections où le renouvellement de la classe politique est difficile, rare, sera aussi un atout. J’incarne la nouveauté, un vrai courant alternatif. Et si mon programme est le fruit d’un gros travail, ce n’est pas une feuille de route cadenassée dont j’entends faire la lecture du haut de mes certitudes. 

Je veux alors que mon projet se nourrisse des échanges avec les citoyens, je veux convaincre bien sûr mais, aussi être à l’écoute des préoccupations, ouverte, accessible, connectée aux réalités des électeurs. Je me sens prête car j’ai le goût du dialogue sans démagogie et l’expérience de la pédagogie. Ce que je porte est en rupture, sur le fond comme sur la forme, avec le programme de la municipalité en place, désormais coupée des citoyens, sourde à leurs préoccupations, et qui ne fait même plus l’effort de les associer à la réflexion sur le destin de la ville, et ne soucie plus de l’adéquation de ses projets avec les attentes des Lillois. J’ai fait partie, en coulisses, de ce système désormais à bout de souffle, qui décide en vase clos, de ce qui est bon pour la collectivité. Combien de fois ai-je entendu des élus de la majorité nous expliquer un refus de subvention à une association en assénant : “on fait ce qu’on veut avec notre argent !”.

J’incarne un renouveau, pas seulement parce que je suis, comme on dit, une tête nouvelle dans ces foires d’empoigne, mais parce mon expérience passée, ma connaissance du pouvoir en place, de ses atouts et surtout de ses travers, me permettent de prétendre incarner un changement profond, d’autres pratiques et un nouvel état d’esprit. J’ai conscience qu’il ne s’agit pas uniquement de brandir l’étendard de la nouveauté, dont le concept peut s’avérer creux ou superficiel, et ne doit jamais se limiter à des slogans du genre : «sortez les sortants», négatifs et réducteurs. Je veux incarner un élan, avec un état d’esprit créatif, des idées nouvelles, un ton différent. Un vrai projet qui ne se résume pas à des habits neufs portés par de nouveaux visages.

J’ai en tête que la nouveauté est éphémère et qu’on peut être une saveur du moment dont le parfum s’évanouira bientôt. Ce que je veux incarner, c’est donc une alternance sérieuse, durable ; une véritable contre-proposition. Je suis novice dans l’exercice et je suis fière de ne pas avoir l’expérience des coups bas et des petits arrangements entre amis, fière de ne pas être usée et désabusée par des années de pouvoir, ou d’abus de pouvoir ; fière d’être totalement inexpérimentée en matière de combines, de barbouzeries, d’arrangements cyniques. Ce sont des domaines dans lesquels je revendique non seulement mon manque de savoir-faire mais aussi dans lesquels je ne souhaite acquérir aucune compétence. 

Si je me sens prête, c’est aussi parce que j’ai cette équipe dévouée, imaginative, soudée, dont j’ai parlé. Nous avons travaillé inlassablement pour préparer la campagne, des journées à rallonge épuisantes mais stimulantes, de 6h30 à minuit, y compris les weekends. Je ne porte pas seule le projet, c’est un travail d’équipe, imaginé sans frictions ni tensions, dans une formidable effervescence. Je ne redoute pas, au contraire, de recruter des personnes plus compétentes que moi sur bien des sujets. Sans cette humilité, on n’apprend pas, on ne se perfectionne pas. La combinaison des talents est primordiale.  

A mes yeux, mener une campagne requiert les compétences d’un bon manager. Si je suis novice dans le combat politique, j’ai une vraie expérience du management. A la mairie de Lille mais surtout à la SNCF où les managers, qui ne sont jamais coupés du terrain, ne sont pas les simples exécutants de décisions arbitraires mais les rouages essentiels d’un corpus au service du public, connecté au réel, qui ont des comptes à rendre, des résultats à atteindre ; avec des missions dont l’ampleur nécessite la collaboration effective des agents. Ils doivent partager un récit commun, une vision, pouvoir y contribuer et se mettre au service d’un projet, et non l’inverse, comme c’est trop souvent le cas chez ceux qu’on appelle les barons de la politique. Je crois que chaque élu devrait être formé au management avant de prétendre exercer un mandat. Cette expérience de manager a été ma force lorsque tout a démarré, car elle m’a incitée naturellement à m’appuyer sur les forces des autres, leur complémentarité. 

Quand la campagne démarre, je ne redoute pas non plus de faire appel à des gens inexpérimentés, motivés et compétents, et que la politique n’intéressait pas ou plus. Le mouvement est ouvert à tous les enthousiasmes, toutes les bonnes volontés. C’est un parti pris. Il n’y a pas de barrage à l’entrée. Tous les talents peuvent nous rejoindre même s’ils ne font partie d’aucun cercle, d’aucun réseau, même s’ils ne sont pas «capés» ou rodés à l’exercice. Pour incarner concrètement la rupture et le renouveau, il est essentiel de créer cet appel d’air, en bâtissant un mouvement qui accueille sans mépris, ni préjugés, tous ceux qui ont la sensation de pouvoir contribuer au succès d’un projet qui fait écho à leurs espoirs, leurs idéaux. Cette fraîcheur, c’est notre force. Le cynisme n’a pas sa place dans l’aventure. Là encore, il ne s’agit pas d’affichage. Je suis convaincue que la vie politique locale meurt à petit feu de l’entre-soi. Le mouvement doit représenter les habitants dans leur pluralité, leur redonner goût dans le participatif, la co-construction, les débats constructifs, la noblesse de l’engagement. 

Tournée vers l’avenir, je n’oublie rien du passé. Ma campagne sera celle d’une équipe, au service de tous, pas celle d’un clan qui ne décide qu’en petit comité lors d’obscurs conciliabules. Pour moi qui suis restée des années dans les coulisses d’un système municipal de plus en plus sclérosé, distant, voire sectaire ; cet état d’esprit voulu par le parti m’enchante. Cette volonté d’ouverture régénère l’engagement politique et bouscule les anciens clivages. Quand la mayonnaise prend, notre effort est récompensé par l’incroyable énergie que vous recevez en retour. Nombreux parmi ceux qui nous rejoignent se sentaient exclus de ce club fermé qu’est la politique lilloise, ou tout bonnement ignorés. Lorsqu’on ouvre les portes, on prend le risque de se tromper, mais ce risque, très relatif, en vaut la chandelle. Malgré quelques inévitables erreurs de casting, une petite «armée» se constitue dans une parfaite alchimie, forte de ses différences et avec un objectif commun : l’intérêt général et l’amour de Lille. 

Tous les partis jurent être au service de cet intérêt général, mais dans les faits, ils privilégient souvent leur «chapelle», leurs “clients”, les intérêts partisans, les profils idéologiquement compatibles et les projets en ligne avec leurs dogmes. Je ne leur reproche évidemment pas d’avoir un ancrage ou des opinions mais d’avoir privilégié le communautarisme de pensées, l’esprit de bande et la gestion de boutique au détriment d’une réflexion plus large, plus inclusive, sur le vivre ensemble. Je me suis engagée parce que je ne me retrouvais pas dans cette conception usée de la politique, qui consiste, une fois les promesses envolées, à tout verrouiller. Notre socle est solide. Nos valeurs sont claires : dialogue, transparence, respect, partage, tolérance. Le racisme, la haine, la violence, la recherche de bouc-émissaires, la diabolisation des minorités ou des adversaires n’ont pas leur place dans notre mouvement. Il s’agit de fédérer, pas d’exclure ; et ce pour porter un projet qui s’adresse à toutes les composantes de la société, à tous les Lillois. Ce rejet du clientélisme et des travers qui vont avec, suscite forcément de l’agacement, de l’inquiétude chez nos rivaux ; parfois des railleries ou de la condescendance. Et bientôt l’hostilité crasse. En réaction à cette nouvelle approche que j’entends incarner, et porter haut, certains concoctent très vite dans quelques arrière-cuisines, des recettes putrides pour me discréditer. Ces « boules puantes », emblèmes d’une vieille politique rance avec laquelle je veux précisément rompre. Je n’ai pas songé un instant à recruter dans mon équipe quelqu’un pour défendre ma réputation privée car je ne soupçonne pas qu’elle va être ciblée. De mon côté, je n’envisage à aucun moment, d’évoquer même en cachotterie, des aspects de la vie privée de mes concurrents ou d’inventer des histoires sur ce domaine sacré. Je suis donc à mille lieues des coups tordus et sur ce terrain-là, je ne suis pas préparée. Je suis totalement accaparée par notre projet. 

Peu après mon investiture, la dizaine de personnes qui constituait le premier noyau dur de mon équipe, a participé, avec moi, en juin 2018, à un séminaire avec l’agence THAG du brillant communiquant Gonzague Lefebvre. Nous avons évalué mes forces et mes faiblesses, avec lucidité. Lors de cet atelier de travail, sorte de moment de vérité, ont émergé le nom du mouvement « Faire Respirer Lille », la photo de campagne, son slogan. Ces décisions communes ont été fluides, presque évidentes, car elles s’appuyaient sur l’essence du projet. Ce dernier était solide, cohérent, inspiré, et partagé par tous. Ce que nous n’abordons pas, ce sont ces coups bas. Je suis prête mais pas à ça. Pourtant, je reçois quelques signaux inquiétants depuis un moment déjà mais je veux croire que le fond du débat l’emportera tout. Et puis, je n’ai pas une imagination suffisamment tordue pour concevoir le niveau de bassesse des calomnies à venir. Je m’attends à des coups, certains à la limite du fair-play, mais pas des comportements orduriers. Là-dessus j’ai pêché par naïveté. 

Durant de cet atelier, comme lors de tous les groupes de travail qui ont précédé, nous n’avons pas de temps à perdre à cogiter dans une mauvaise énergie sur de possibles manœuvres adverses. Nous sommes focalisés sur notre propre programme, ce qu’il est nécessaire de construire ; ce que nous pouvons inventer, améliorer. Nous avons bien sûr des angles d’attaque sur les projets concurrents et la politique de la ville, ce serait une faute de ne pas s’être préparés à un combat loyal et musclé.

LA MAMAN ET LA PUTAIN

Faute de m’y être préparée, l’entreprise de démolition que fomentent certains adversaires, va être une véritable déflagration. J’ai eu un avant-goût des coups bas, avec l’accusation d’avoir inventé une fonction dans le cabinet de Pierre Mauroy, on m’a rapporté des paroles peu aimables de Martine Aubry et je sais que cette dernière a la Maison de la Photo dans le collimateur. Mais je reste sereine. 

Je sais que je vais devoir rétorquer sur ma supposée incompétence, puisque c’est ma première campagne, sur les accusations de traîtrise envers les socialistes ; ou encore sur les positions de mon mari Olivier, critique envers Martine Aubry. Je me doute, puisque ça suinte déjà, que l’on va me reprocher d’être en campagne pour régler des comptes de la Maison de la photographie. Une femme ne pouvant évidemment, pour certains esprits étriqués, n’être que l’idiote utile ou le bras armé de son «homme» lorsqu’elle se lance en politique, je me prépare à être questionnée sur mes rapports détériorés avec celle dont j’ai été directrice de cabinet, et mes motivations à l’affronter politiquement désormais. 

J’ai la chance d’avoir un mari moderne, qui ne prend pas ombrage de l’ambition de sa femme, qui ne lui reproche pas de délaisser ses enfants pour faire carrière et qui, au fond, a accepté par avance l’idée de prendre des coups. Lui non plus n’imaginait pas toutefois la violence des attaques. Nous les avons vécues ensemble. Il est mon premier supporter, jamais complaisant mais crucial. Nous les avons aussi vécues de concert parce que notre couple a été l’objet d’attaques dégradantes, bien souvent en dessous de la ceinture. Ces attaques-là, je ne m’y attendais vraiment pas. Mon mari a payé et continue de payer au prix fort sa liberté de parole et mon engagement politique. 

Ce que je peux dire sur le sujet en lien avec ce début de campagne sur laquelle s’abattront bientôt les boules puantes, c’est que si je me sens prête alors, c’est aussi grâce à lui. Il m’encourage, me conseille, car après tout, qui me connaît mieux que lui ; mais surtout, il me soutient dans ma démarche alors qu’elle pourrait le contrarier. Je vais être souvent absente, accaparée par la campagne, et notre vie sera forcément chamboulée. Cela peut sembler évident qu’une femme puisse tout aussi facilement se lancer en politique qu’un homme de nos jours. Et pourtant. Une femme, une mère, qui plus est dans un temps fort de sa vie active, ne s’embarque pas à la légère. Les temps ont changé, notamment avec la parité, mais les places de maires de grandes villes, de députés, de ministres, ont souvent été l’apanage des hommes. Il suffit de se pencher sur un passé pas si lointain. Ne jamais oublier. Toutes les femmes politiques ont en tête ces images de Simone Veil, seule face à des hommes parfois insultants, menaçants, pour défendre sa loi sur l’IVG. Ou ont encore en mémoire les titres moqueurs, les quolibets qui ont scandé le court passage d’Edith Cresson à Matignon. Nous n’en sommes plus là, heureusement, mais lorsqu’une femme s’engage en politique, cela reste tout sauf anodin. Et la misogynie demeure hélas une arme toujours redoutable. 

Assez vite dans la campagne, des rumeurs circulent, sans que je le sache encore, sur mon couple, sur nos mœurs supposées : des “parties fines”, des virées dans des clubs érotiques belges, l’échangisme… tous les clichés y passent. Nous serions des notables libertins, indignes de respect ou d’estime. Des qualifications  qui souillent à jamais ceux qui les professent mais qui éclaboussent et blessent forcément leurs victimes. Le but est bien sûr de mettre hors-jeu l’adversaire en discréditant non pas ses idées mais son mode de vie présumé. Il y a quelque chose de désespérant mais aussi de désespéré dans ces méthodes de voyous. A défaut d’être certains d’être suffisamment éloquents, convaincants, crédibles, dans un duel à la loyale, il s’agit de se débarrasser de concurrents en les «tuant» socialement. En l’espèce, ce n’est plus seulement la candidate qui est visée mais la femme, son couple. Au début, les bruits sont diffus. Il me revient parfois que j’aurais des mœurs dissolues, par des proches mais c’est rare, et bien vague. Les choses vont rapidement se préciser. 

Le cauchemar a vraiment démarré le 22 juin 2018. Alors que je tiens un point presse à la galerie La Collégiale à Moulins, Jacques Trentesaux, le rédacteur en chef du site d’investigation Médiacités, logiquement convié à l’événement, semble avoir fait le déplacement pour m’écouter parler de la vie culturelle de Lille, thème du point presse. Mais c’est tout autre chose qui titille sa curiosité. A la fin du point presse, il vient vers moi et me glisse à l’oreille «Vous devriez vous méfier de Martine Aubry. Beaucoup de choses se disent sur vous. Que vos béquilles (j’étais blessée à l’époque, ndlr), ne sont qu’une mascarade pour profiter d’indemnités de handicap. Que vous êtes en campagne en bénéficiant d’un emploi fictif à la SNCF, faites attention. Vous êtes une personne brillante, intrigante, je m’intéresse à votre parcours. Il y aussi des rumeurs sur votre vie privée, vos mœurs, vos pratiques.» La totale. 

Avertissement ? Conseil ? Menace ? Cette manière pour le moins troublante de m’aborder me sidère. J’ai bien conscience que Martine Aubry, dont j’ai été directrice de cabinet, ne me porte pas dans son cœur et ne me fait pas une bonne publicité. Ni à mon mari Olivier, à qui la municipalité a coupé les subventions de l’association qu’il dirige. Je sais son hostilité, sa rancune, envers celle qui n’était autrefois qu’une simple collaboratrice inoffensive. Mais qu’un journaliste m’aborde pour me mettre en garde et évoquer ma vie privée, des pratiques, des mœurs, des on-dit qu’il lie à la mairie, me stupéfait. Ce n’est pas simplement le fait qu’il m’en parle puisqu’il pourrait vouloir dénoncer auprès de moi le coup tordu d’adversaires, mais la manière, le ton énigmatique, les sous-entendus, les menaces sous-jacentes. Tout est angoissant dans son approche. 

Pour qui sait décoder ce genre de langage, il ne me dit pas simplement de me méfier, il me fait comprendre qu’il sait, qu’il a des «infos» et qu’il cherche. Je suis face à un “journaliste”, pas à un conseiller, je devine qu’il a un autre but que de jouer les bons samaritains. Je ne peux ignorer qu’il est à la tête d’un journal d’investigation connu pour révéler des scandales. Abasourdie par son comportement, je ne sais quoi rétorquer à ce journaliste qui évoque des rumeurs sur ma vie privée. Le court échange est dégradant. 

Entre 2018 et 2019, Monsieur Trentesaux est venu régulièrement à mes points presse, il a aussi échangé avec mon mari Olivier, lors d’un café qu’il a sollicité en 2018. Il lui fait savoir que je “l’intéresse, qu’il y a du mystère dans notre vie”, et précise qu’il va me demander rendez-vous… Le mystère, la rumeur à nouveau. De ce nouvel échange malsain, j’ai retenu qu’un journaliste d’investigation, que j’intéressais donc beaucoup, était particulièrement curieux de rumeurs sur mon passé, nébuleuses et sans lien avec ma campagne. Les phrases sont lâchées par-ci, par-là. Je suis choquée et je ne réalise pas encore que ces choses sont dites de manière plus explicites dans des cercles lillois. 

Il ne s’agit plus uniquement de me mettre en garde contre des procédés de Martine Aubry ; il s’agit de ma moralité, de mon mode de vie. Le journaliste distille bientôt auprès de mon entourage des allusions sur mes «mœurs dissolues», et des révélations à venir. Le terme dissolu, grotesque, a cet avantage pratique que chacun peut y associer tout et n’importe quoi en fonction de sa morale. Pour un homme, on en déduit parfois qu’il est Don Juan, séducteur, pour une femme, même si c’est vague, c’est forcément plus préoccupant. L’explication de texte, je l’aurais plus tard quand les rumeurs me reviendront progressivement aux oreilles : par dissolu, il faut comprendre, l’adultère, les “parties fines”, et la pornographie. Bref, tout y est. Et comme cela concerne aussi notre couple, c’est un «crime» en bande organisée. Dans un grand sac poubelle, cohabitent donc l’infidélité et l’échangisme, ce qui n’est pas cohérent mais ce n’est pas le but. La Maison de la photo, à qui je consacrerai un passage plus loin, abrite nécessairement certaines de ces soirées libertines organisées de concert par l’homme et sa femme adultère. Ce grand n’importe quoi, on aimerait pouvoir en rire, tellement c’est ridicule, mais il m’a donné la nausée. Cela m’a littéralement rendue malade. Je ne candidatais pas à une béatification mais imaginer que des électeurs ou mes enfants pouvaient avoir cette image de moi m’était insupportable. C’est faux mais s’en s’insurger ne soulage guère sur le moment, et laisse cette sensation terrible d’exercer un jugement moral sans pitié sur des pratiques libertines. Je suis alors contre mon gré entraînée sur un terrain malaisant, humiliant, sans aucun rapport avec la campagne, avec ce sentiment dégueulasse de devoir me justifier, prouver ma vertu.   

Même s’il s’en est défendu plus tard, Jacques Trentesaux mène donc une enquête de moralité, basée sur des on-dit, principalement diffusés par lui-même, dans cette quête obscène. Il est réputé avoir des sources, il côtoie de près ou de loin tous les politiques locaux, il fait donc, à mes yeux, planer la menace d’un scandale privé, qu’il ne fait que propager pour en savoir plus. Il distille ces bruits auprès de membres de mon équipe avec cet argument imparable : il enquête. Il ne “propage pas”, non il “recoupe”, il “vérifie”, il faut donc bien qu’il en parle. Et “ce n’est pas de gaieté de cœur”. Il persiste à justifier cette curiosité malsaine et s’insurge quand il lui est reproché de propager des rumeurs. Il enquête. Sur quoi, pour qui, dans quel but ? 

Je m’interroge. Avec qui d’autres ce journaliste qui a pour habitude de causer en off avec tout le «gratin» de Lille, évoque-t-il donc ma vie privée ? Qu’est-ce qui le motive à s’entêter alors qu’un article tomberait sous le coup de la loi ? Aucun autre journaliste n’osera se comporter ainsi. Lui ne relâche pas la pression. Je me sens traquée, harcelée, et même jugée pour de prétendus comportements volages. Pour moi, cette quête se résume ainsi : suis-je ou non une trainée ? Et donc, digne de représenter Lille ou pas. Nausées sur nausées. Je chasse les pensées coupables et conserve, peu ou prou, ma manière d’être avec les gens, conviviale, souriante. J’espère que tout cela va se calmer et je sais que cela ne doit pas me distraire. Je ne dois en tout cas rien afficher de mes tourments.  

Je le crois profondément, c’est la femme qui était visée, en tant que femme. Mœurs légères, comportements volages, exhibitionnisme, la vieille panoplie de sorcière et de catin a été ressortie sans honte, à l’orée de l’année 2020, pour déstabiliser ma campagne, assécher mes soutiens, salir ma réputation, celle de mon mari, de mon couple, et indirectement tous les électeurs, dont le vote serait nécessairement dégoûtant. Condamnée, pour reprendre le titre d’un film célèbre, à être «La maman ou la putain», j’endosse alors bien malgré moi le rôle de catin à l’initiative, et tout à la joie morbide, de certains adversaires, qui, me rapporte-t-on, mettent en cause avec délice ma moralité. Sous le manteau, bien entendu. Ou en aparté à mon mari, qui est au mieux, cet homme marié à une fille bien légère, ou bien le complice de ses frasques, voire l’instigateur de sa débauche. Si je suis victime d’un vrai sexisme, il n’est pas épargné non plus. Surtout parce qu’il souffre pour moi. Il n’est pas candidat et la réputation de cochon tue rarement un homme. Ce qui le préoccupe avant tout, c’est moi. Je dors mal, je suis anxieuse et ça m’affecte. Notre vie est contrariée parce que l’histoire ne retombe pas, au contraire. Elle va durer tout au long de la campagne. Et Jacques Trentesaux remettra le sujet sur le tapis à de maintes reprises auprès de mon entourage ou de notables lillois. 

A mes yeux, en menant cette pseudo-enquête sur ma vie intime, Jacques Trentesaux a été l’un des principaux vecteurs de cette rumeur. Sous couvert de faire la lumière sur une question privée, il a amplifié ces calomnies sur ma moralité, en s’abritant abusivement derrière sa panoplie d’investigateur. Je peux comprendre, par exemple, qu’un journaliste s’intéresse à un élu homophobe dont la vie privée démentirait un discours électoral offensant contre la communauté LGBT, ou encore le récit de la violence misogyne, dans le privé, d’un parangon de vertu se présentant publiquement comme un ardent défenseur des droits des femmes. Et encore, ces enquêtes exigent à mes yeux un impératif absolu d’évoquer l’intime, et ce dans le respect de la présomption d’innocence, car ce qui touche à la vie privée est sacré, lorsqu’elle ne contrevient pas à la loi.  

La seule autre dérogation admissible doit revêtir un intérêt public indéniable et porter sur des faits indiscutables. Dans mon cas, je ne donne de leçon de morale à personne, je ne m’occupe pas de la vie privée des autres ; mon programme ne comporte rien qui porte atteinte à la vie privée des citoyens, je n’invite pas les journalistes à me suivre à la messe et mon projet, mon mouvement, insiste depuis sa création sur le respect de la vie privée, des orientations sexuelles, la lutte contres discriminations, la tolérance. Bref, rien ne justifie d’être mise sur le gril sur de prétendues «mœurs dissolues». En outre, le journaliste n’évoque rien d’illégal, le scandale heurterait uniquement la morale, pas le droit, et aucun lien n’est fait entre ces dites «mœurs dissolues» et un sujet d’intérêt public. Quant aux faits, ils se résument à du qu’en dira-t-on. Les sources, qu’il doit protéger, s’appellent toutes «On». Je ne fréquente pas Monsieur Trentesaux mais le sujet de son «enquête» reste omniprésent. Des proches m’en parlent, embarrassés. Il se dit que… 

Même si une rumeur est relativement confidentielle, elle constitue une épée de Damoclès, l’entourage n’a encore rien vu mais peut à tout moment découvrir cette fake news. Vos amis, vos enfants, mais aussi vos employeurs, vos collègues, les décideurs, les électeurs, peuvent être contaminés. J’aurais peut-être tu tout ça si la rumeur ne m’était pas revenue incessamment, en supplice chinois. Si elle n’avait pas porté le risque d’entacher ma crédibilité et ma réputation locale. Si elle n’avait pas réellement nuit à toute mon énergie pour faire campagne.

LE POIDS DES MOTS, LE CHOC DES PHOTOS

Pendant des mois, je me sens donc souillée, observée, jugée, sans aucune raison valable. Pour moi, ce genre de «journalisme» était essentiellement l’apanage de tabloïds ou de sites complotistes, auquel je n’associais évidemment pas Médiacités. Cette affaire sordide a fini par me faire cauchemarder, à cause de sa bassesse et parce qu’elle a duré, avec à chaque fois de nouveaux «rebondissements». Ainsi, en octobre 2019, mon ami Christophe Itier me fait part de son inquiétude alors que nous prenons un café à Paris près de la gare du Nord. Christophe, l’air grave, m’annonce que Jacques Trentesaux, lui encore, s’apprête à révéler des photos de moi, des clichés pornographiques dont tout le monde parlerait à Lille, en particulier à l’Université Catholique et chez les commerçants du centre. Le choc est violent. Il ne s’agit plus uniquement de mœurs dissolues, mais de clichés pornographiques. Et je réalise que beaucoup autour de moi éprouvent de la compassion pour moi et tous sont scandalisés. 

La calomnie pourrait se matérialiser : des photos, objets de maintes conversations, avec la menace imminente de leur divulgation. Christophe, qui connaît la dureté du combat politique pour l’avoir éprouvée, veut m’éviter de découvrir au dernier moment des photos privées. Beaucoup, sans doute, croient en leur existence. C’est un peu la panique car ces images seraient de nature à détruire ma réputation et mon avenir politique. Ce n’est pas de la paranoïa mais le verdict quasi-unanime. Ces photos sont le début de ma fin. 

Dans ces moments-là, même si on se sait «irréprochable», on se sent obligé de démentir, quasiment de s’excuser pour ces incidents. On s’en veut d’avoir malgré soi mis des proches dans l’inconfort. On a envie de hurler mais c’est ainsi. Mes amis, comme Christophe, croient dans ma parole, mais je n’ai que ça, ma parole. Et je ne peux pas l’utiliser publiquement, au risque d’aggraver les choses. Même si les photos n’existent pas, pour le public au courant de la rumeur, le doute est là. On se sent impuissant, terrassé. Et on ne s’angoisse pas que pour soi, on endosse alors personnellement la responsabilité d’un possible fiasco général. Une campagne est en jeu. Un projet, une équipe, une élection. Il ne s’agit pas uniquement de sa propre réputation mais de celle du parti. Et puis, je redoute la manipulation. 

Ces photos n’existent pas mais peut-être que des photomontages existent. Pour atteindre le Président Georges Pompidou, c’est sa femme Claude, qui a été victime de l’une des pires barbouzeries de la Ve République : des clichés truqués la montrant dans une soirée “entre adultes”, dont le tout-Paris parlait sous cape. Je crains un montage réalisé avec des outils numériques plus performants que du temps de la présidence Pompidou. Je pense à mes filles. Mêmes trafiquées, ces photos seraient dévastatrices, dégradantes. Et quand bien même elles ne sortiraient pas, la rumeur grandissante sur leur existence, pouvaient atteindre mes enfants, ma famille, mes amis puisqu’elles faisaient causer dans Lille. 

Je ne suis plus une candidate à qui on demande légitimement des comptes sur ses idées, leur intérêt, leur faisabilité, leur financement, mais une femme qui doit prouver son honorabilité. C’est une violence inouïe, difficilement imaginable. Ce n’est plus du combat politique.

L’enthousiasme de mon équipe, l’élan populaire de ma candidature, me donnent heureusement la force d’avancer. Je crois que la colère aussi décuple ma motivation. Des discussions avec des Lillois confirment hélas les propos de Christophe. Le bruit court. Aborder le sujet est à chaque fois éprouvant, cruel, mais il faut en avoir le cœur net. Des commerçants que des membres de mon équipe connaissent personnellement, reconnaissent, embarrassés, lorsqu’il leur est demandé sans plus d’explication s’ils ont eu vent de rumeurs à mon sujet, avoir entendu parler de clichés pornographiques. Pas tous, mais suffisamment pour réaliser que la rumeur n’est plus confidentielle. Jacques Trentesaux ne ménage pas sa peine, il aborde le sujet avec «l’establishment» de Lille, le portant à la connaissance de certains interlocuteurs qui n’en savaient rien jusque-là. C’est eux qui me font part de sa curiosité.  

Son «enquête» a un effet viral. Les commères passent les plats. Des opposants se chargent de colporter avec délice cette «boule puante». D’autres sont informés à leur grand désarroi. Des personnalités politiques de premier plan m’alertent. Des élus ont connaissance de la rumeur : Thierry Pauchet et François Kinget. Certains témoigneront d’ailleurs de façon précise quand j’en ai eu besoin. Ils se gardent bien de répandre cette infamie mais ils me préviennent à leur tour. La pression monte. J’évolue désormais dans un monde où cette rumeur me précède ou me suit, où que j’aille. Je me sens cernée, impuissante face à cet ennemi volatile. Je ne peux pas la dénoncer avec fracas auprès des Lillois, personne n’ose la relayer publiquement, aucun journal ne l’évoque ; elle effectue son travail de sape dans l’ombre et si j’en parle, je lui fais de la publicité. 

Je n’ai à m’excuser de rien, à m’expliquer de rien. Pourtant, le sentiment d’humiliation ne me quitte pas. Ma campagne, malgré la calomnie, conserve ce bel élan évoqué plus tôt. Je suis touchée, pas coulée. Il faut tenir. Je ne déserte pas le terrain, je suis en mission, mais la pression est incessante. Je ne peux pas me résoudre à ne rien faire. Ne supportant plus cette opération de démolition, et comme son nom revient sans cesse, j’envoie à Jacques Trentesaux un SMS le 9 janvier 2020. Je lui intime de cesser de propager cette calomnie dégradante qui me mine et atteint ma réputation. Mon mari reçoit un appel de l’un de ses amis : « Olivier, je tiens à te prévenir. Ça circule partout dans Lille. Jacques Trentesaux détient des photos, des photos compromettantes de Violette, elles vont sortir, il faut vous préparer, je suis désolé, c’est terrible. La carrière de Violette est finie ». RIP. A un moins d’un mois du premier tour, des proches sincèrement affligés prononcent mon éloge funèbre. Une sorte de compte à rebours morbide est lancé. Il ne s’agit plus que d’une affaire d’heures, de jours. C’est le sujet invisible et muet de la campagne. Publiquement, il n’est jamais évoqué. En privé, c’est un sujet qui devient tendance. Quand chantent les corbeaux… 

Oui, j’ai pêché par naïveté en sous-estimant alors la violence des attaques en politique. Je préfère mille fois la naïveté au cynisme. Je préfère paraître naïve dans un monde politique où la morgue est parfois un brevet de compétence, en particulier pour de vieux briscards d’un ancien monde que plus rien ne surprend, que rien ne choque. Pour ceux-là, non seulement il faut s’accommoder du système, mais, dans une inversion inquiétante des valeurs, avoir la capacité à accepter l’inacceptable, voire s’en accommoder, est la preuve qu’on a la carapace pour le job.  

Combien de fois entend-on, encore, y compris sur des plateaux de télé, que la politique est un univers impitoyable qui exige une sacrée carapace. Et que la violence y est telle que seuls y survivent ceux qui ont les armures les plus épaisses. Ce constat est désespérant, alors même que les électeurs réclament à corps et à cri de l’écoute et de l’empathie. Les briscards de la politique ont, dit-on, le cuir épais, la cuirasse tannée et autres clichés du même genre. A la vérité, ils sont déconnectés. Et ils sont morts de trouille à l’idée de perdre leur pouvoir. Et pour certains, tout est bon pour le garder. Y compris calomnier. 

L’EFFET PAPILLON

Parfois élus depuis des décennies, ces politiciens revenus de tout, en ont perdu jusqu’à la capacité de s’indigner des pires coups fourrés, sauf dans des mises en scène théâtrales. Pour eux, les coups bas font partie du jeu. Et lorsque l’on s’offense des dérives, ils font savoir en aparté autour d’eux, sur le ton de la confidence, qu’il faut être bien sensible, bien susceptible, et même fragile, pour faire du tapage pour pas grand-chose. Ainsi, va le monde. Je pense que c’est précisément cette morgue qui tue la politique. La victime de calomnies, renvoyée implicitement à de l’hystérie, se retrouve à devoir expliquer en quoi, précisément, ce qu’elle a traversé est terrible, d’autant plus qu’il est difficile de prouver qui est à l’origine des malveillances. A quoi bon faire tant de bruit ? La victime, assurément, surréagit. Elle n’avait peut-être pas la carrure… Cette posture tacite jamais franchement assumée est d’autant plus désespérante qu’elle décourage les moins cyniques à se lancer. Les électeurs se lamentent de voir leurs représentants de tous bords être déconnectés. Leurs élus n’éprouvent pas ce qu’ils ressentent, disent-ils, ne comprennent pas ce qu’ils traversent… Pour côtoyer beaucoup d’entre eux, je peux affirmer que la majorité des élus ne sont pas déconnectés. Mais le vieux système qui recourt aux barbouzeries n’a pas rendu son dernier souffle et continue à prospérer en certains endroits. A Lille, notamment. Et ces vieilles pratiques continuent d’animer la politique, de la décrédibiliser, de la fossiliser. Lorsque plus tard, lors d’un procès que je détaillerais plus loin, Jacques Trentesaux s’est expliqué, il a notamment soutenu que j’avais pris cette histoire trop à cœur, que j’en avais fait une obsession. En résumé, moi j’étais obsédée, alors que lui cherchait désespérément la vérité. Mais quelle vérité à part ses obsessions à lui ? 

Mi-février 2020, Jacques Trentesaux assiste ainsi au point presse de présentation de ma liste au bar le Quartier Libre, près de la Citadelle de Lille. Après mon départ, il entreprend cette fois ma directrice de campagne, Ingrid Brulant. Il la lance sur les prétendus scandales qui me menacent. Il lui dit qu’il y a “des choses dures qui vont sortir” et lui affirme même détenir des photos pornographiques me concernant ! Des questions et des dires qui résonnent comme des menaces à mots couverts. Il dira plus tard qu’elle a mal compris, puisqu’il n’a jamais détenu de quelconques photos de moi, mais ma vie privée est bien au cœur de la discussion. 

Catastrophée, Ingrid nous rejoint ce jour-là juste après cet échange, dans un restaurant indien où nous déjeunions avec Olivier et Nicolas Lebas. La voilà directrice d’une campagne qui risque de voler en éclats à cause de ces « choses » qui vont sortir. Pour moi il s’agit d’un véritable harcèlement, c’est ce que je ressens dans ma chair. Des élus, des proches, des membres de l’équipe évoquent auprès de moi, dans ce qui est devenu un interminable feuilleton, ce journaliste qui les cuisine sur mes mœurs ou celle de mon couple. 

Le lendemain, le climat devient irrespirable, lorsque la vie privée de Benjamin Griveaux, candidat En Marche à la mairie de Paris, est torpillée par une vidéo de nature sexuelle, certes authentique, mais obtenue à la suite d’un traquenard. J’ai la nausée. La politique caniveau fait les gros titres. Benjamin Griveaux jette l’éponge. La rumeur me concernant prend une autre dimension. Après la capitale, un nouveau scandale menace-t-il l’une des plus grandes villes de France ? L’affaire Griveaux, commentée partout, va-t-elle décupler l’intérêt sur les rumeurs dont je suis victime ? La popularité des articles sur l’ancien ministre va-t-elle pousser Jacques Trentesaux ou d’autres apprentis sorciers à franchir la ligne rouge pour faire du buzz ? Même avec tous les conditionnels d’usage, l’évocation de photos pornographiques dans un article serait cataclysmique, pour ma vie, pour ma campagne. Cette deuxième quinzaine de février est littéralement suffocante.  

Le 4 mars 2020, le ton monte encore. Et rappelons que nous sommes à 15 jours du premier tour, avec une pression incroyable et bien d’autres priorités. Jacques Trentesaux revient à la charge. Il contacte Ingrid Brulant, toute honte bue, pour obtenir un entretien de sa part. Le thème : «les dossiers sensibles sur les candidats (les boules puantes)». Lors de cet échange tendu il lui dit détenir ces photos qu’on lui avait promises. Et, bonne âme, assure qu’il ne publiera rien mais que «on voit bien ce que ça donne, genre vous voyez comme dans le cas Griveaux». Si le langage est vaseux, le message est clair. C’est lui qui a le pouvoir. Il exerce une emprise, il a un levier. Mais pour faire quoi ? Obtenir des informations en échange de sa mansuétude dans une sorte de troc ? Cherche-t-il une façon de transformer ce ragot impubliable en un article «putaclics» sur l’affaire elle-même incluant ma réaction outrée ? Cherche-t-il tout simplement à me tourmenter parce que je ne lui reviens pas ou parce que je suis macroniste ? De multiples scénarios tournent dans ma tête. Abrité derrière la déontologie concernant la publication, il déplace le sujet, à la façon d’une thèse, sur le thème des boules puantes qui pourrait ainsi lui permettre d’évoquer des choses qui se disent, en s’en offusquant. Recueillir ma réaction serait sans doute le gage d’une enquête rondement menée. Quel que soit son projet et ses arrière-pensées, sa démarche m’écœure une nouvelle fois. D’autant qu’Ingrid Brulant, déstabilisée, m’explique son désarroi et son inquiétude. Jacques Trentesaux, durant les deux entretiens qu’il a eus avec elle, en seul à seul, ne s’intéressait qu’à une chose : mes mœurs selon lui critiquables, et ces soi-disant photos. Il les détient mais fera bouclier. En revanche, il est temps de parler. A vomir. 

C’est la première campagne d’Ingrid, et il va s’en dire que ce billard à quinze bandes du journaliste chevronné la dépasse totalement. Elle qui est solide, précise, courageuse, perd pied. Je suis moi-aussi incapable de savoir alors ce qu’il cherche précisément. Il détiendrait des photos qu’il compte pourtant ne jamais publier ; il a voulu m’alerter des coups adverses mais c’est lui qui peut diffuser ou pas des informations susceptibles de m’abattre ; il dénonce les coups tordus du système Aubry mais s’acharne à fouiller les égouts. J’ai découvert qu’il a fait le même type d’entretiens avec plusieurs autres membres de mon équipe, qui n’avaient pas osé m’en parler. Même s’ils n’y croyaient pas, beaucoup autour de moi, par prévenance, pour préserver mon moral et ma capacité au combat, n’ont pas osé me rapporter cette rumeur dégueulasse. Je suis convaincue aujourd’hui que si j’ai pu faire campagne jusqu’au bout, avec succès, c’est parce que j’ai brisé le silence. J’ai pu compter sur le soutien si précieux de mon mari Olivier, et grâce aux liens que j’avais tissé avec mon équipe, j’ai osé mettre les pieds dans le plat. Ce sujet n’était pas tabou. Il faisait partie de notre réalité et devait nous inciter à défendre nos valeurs avec d’autant plus d’ardeur.  

Je sais que Jacques Trentesaux n’a été que l’instrument, zélé, d’une rumeur qu’on lui a opportunément refilée aux détours d’une conversation. Et cette rumeur obscène, on sait bien sûr d’où elle vient exactement puisque tous les témoins me citent l’énergie avec laquelle Martine Aubry s’est démenée pour salir ma réputation à chaque occasion. Je pense qu’il a cru à cette rumeur et s’est acharné à en faire quelque chose, croyant tenir un scandale qu’il ne pouvait pas exploiter tel quel. Je crois aussi que ce scoop fantasmé a fini par l’obséder. Je ne saurais jamais vraiment ce qui l’a animé, ce que je sais en revanche avec certitude, c’est la violence qu’il a infligée. Qu’il ait été utilisé ou pas, la déontologie, et tout simplement la décence, aurait dû l’amener à jeter cette histoire à la poubelle. Jusqu’au bout pourtant, il défendra sans argument irréfutable, l’intérêt professionnel de cette curiosité malsaine. 

Alors que le scrutin approche, la rumeur tourne chez les décideurs, dans des réseaux influents, dans les bureaux de la mairie, d’où elle est partie, et même dans les rédactions, comme à La Voix du Nord. Par décence et j’imagine, par déontologie, aucun journaliste de La Voix du Nord ne m’a jamais interrogée là-dessus. 

Le mensonge est d’autant plus retors qu’il touche à la moralité. Dans un mélange de misogynie et de lâcheté, censé susciter au mieux le ricanement, au pire l’infamie, vous êtes dépossédée de votre dignité. Une méthode réactionnaire, obscène, réellement pornographique, qui vise à vous « tuer » par la honte. Tout est à vomir : le mensonge du coup monté, le puritanisme sur lequel il doit prospérer, sa diffusion en sourdine et cette idée que, forcément, il doit bien y avoir du vrai là-dedans.

Durant cette période, je me sens salie, souillée. Je traverse ce que vivent tant de victimes. Je croise désormais des gens, avec qui je ne vais pas évoquer le sujet, sans savoir s’ils savent. Ma révolte est un cri muré, qui me ronge de l’intérieur. Je ne vais pas le hurler sur les toits. Je suis condamnée à subir. Le rythme intense de la campagne m’oblige heureusement à me focaliser sur l’essentiel. Mais le mal est fait. Même si la majorité des Lillois en ignore tout, le microcosme, comme on dit, est au courant. 

Dans une ville comme Lille où la municipalité privilégie les décisions en circuit fermé, ce microcosme pèse d’un poids colossal. Il peut faire et défaire des candidats qui ont besoin de soutiens, de relais, de visages emblématiques. La rumeur n’a même pas besoin de se diffuser à grande échelle pour affaiblir une candidature. Alors que les candidats d’opposition livrent déjà un combat déséquilibré face à la maire sortante qui dispose de sa notoriété et de moyens colossaux, je suis percutée par la calomnie, et avec elle le risque de faire fuir des soutiens essentiels. Je ne veux pas vivre dans la peur, il faut que ça s’arrête.  

« TOUS AZIMUTS »

Face à ces attaques sexistes, je décide de tenter le tout pour le tout. Il faut limiter au maximum les dégâts. Je dois confronter celui qui évoque sans cesse cette rumeur. A la date symbolique du 8 mars 2020, journée de la femme, je lui adresse un mail pour tenter de « mettre un coup d’arrêt à ses pratiques ». J’écris à l’homme, l’être humain, autant qu’au journaliste. Je demande à le rencontrer au plus vite. Nous devons avoir une explication face-à-face. Même si son attitude me répugne, je dois lui expliquer le mal qu’il fait ; il doit l’entendre de ma bouche. Je veux tenter d’en appeler à son humanité mais aussi lui montrer ma détermination. Il est obstiné, moi aussi. Je veux que ça cesse, qu’il arrête. Si jamais il n’entendait pas mon désarroi, il doit aussi être convaincu que je n’en resterais pas là. Face à ce genre d’évènement, il est extrêmement difficile de savoir quelle décision adopter. Il n’existe aucune bonne solution. On fait comme on peut, avec qui on est, pour arrêter tout cela. 

Un rendez-vous est organisé en présence d’Ingrid Brulant l’après-midi du 12 mars au café La P’tite Pause, rue Gambetta à Lille. J’étais très stressée, inquiète. J’avais préparé ce rendez-vous, mais il s’est malgré tout mal passé. L’échange a duré 30 minutes. Assez vite, je pose mon portable sur la table, pour enregistrer la conversation. Ras-le-bol des rumeurs, des on-dit qui s’évaporent, des propos rapportés. Il doit assumer ses paroles, j’en veux une trace. Mon exaspération, ma fébrilité, ne contribuent pas à alléger l’atmosphère, mais donnent un aperçu de l’état dans lequel cette histoire me met. Au-delà des civilités, c’est sur le fond que je veux engager la discussion. Elle a vite dégénéré. 

Loin de désarmer, Jacques Trentesaux tente de se justifier de ses agissements et persiste dans ses allégations sexistes. Agacé d’être interrogé, mis sur le gril à son tour, celui dont la spécialité est de passer les autres à la question, s’énerve et finit par avouer qu’il ne détient pas de photographies pornographiques. Ce sujet qui l’intéresse tant.  Il reconnaît en revanche sans honte qu’il cherche à les obtenir et qu’il fait effectivement des entretiens dans Lille à ce sujet. Pas de mea-culpa, pas d’excuses, pas de trêve. Il n’a pas les photos mais sa traque continue. Pis, dans une explication contorsionnée, il assure que sa démarche est légitime. Ce sujet qui l’intéressait tant, il finit par l’esquiver, ce n’est plus ce qui lui importe au premier chef. Il bifurque sur la Maison de la photographie, association culturelle que mon mari Olivier a fondée et dirige depuis 20 ans.  

Dans les pires conditions qui soient, je suis sommée de répondre sur les activités de mon époux. Je ne suis pas là pour ça, je me méfie forcément de lui, et je vois même dans sa façon de procéder une forme de chantage déguisé. Je lui dis de voir cela directement avec Olivier et lui demande à nouveau de cesser de diffuser des allégations diffamatoires. Je suis en boucle, lui aussi. La discussion tourne court. Je ressens un profond malaise à l’issue de cet échange glacial. Sur le plan humain autant que journalistique, c’est une rencontre catastrophique. J’ai tenté de lui expliquer que c’était du harcèlement, que j’en souffrais, que c’était une attaque personnelle violente, que cela nuisait à ma famille, à mes enfants. Rien n’y a fait. Aucun argument n’a permis de le faire changer de position. Ma tentative a échoué. 

En ce mois de mars 2020, le poison de la rumeur ne se dissipe pas. Mais un autre virus, bien plus dangereux, se propage, la pandémie du coronavirus, qui pousse les autorités à reculer les élections à fin juin. Le vote prévu à l’origine le 15 mars a été jugé trop risqué. 

Une drôle de campagne commence. La gravité de la pandémie, dont on sait si peu de choses, ne laisse aucune place aux états d’âme. Advienne que pourra. Je décide que ce journaliste n’assistera plus à mes points presse. La gravité de la période, le caractère exceptionnel de cette campagne suspendue à la situation sanitaire, accapare mon esprit et mon temps. Il faut se réorganiser, s’adapter, surveiller l’évolution de ce virus sur la santé des citoyens. La campagne est entre parenthèses, confinement oblige. On ne croise quasiment personne, on ne serre plus de mains, les réunions publiques sont annulées et les échanges avec l’équipe se font désormais uniquement en visio. Le sujet du COVID est évidemment au cœur de ces discussions par écrans interposés. La rumeur reste confinée. 

Sachant qu’il ne sera plus le bienvenu à mes points de presse, Jacques Trentesaux prend la liberté de m’appeler le 29 avril. Il me laisse alors un message très virulent. Outré d’être mis de côté, il menace : «Ce n’est pas dans votre intérêt, ça finira par se savoir et ça se retournera contre vous…». Il ajoute qu’il maintient ses enquêtes «tous azimuts» sur ma personne. C’est une déclaration de guerre. Près de deux ans après ses premières insinuations, au point presse de Moulins, il promet donc d’y aller «tous azimuts». Deux ans durant lesquels il n’aura quasiment rien écrit sur moi, à l’exception notable d’un article publié le 29 mai, un mois avant le 2d tour, intitulé «Municipales à Lille : les vraies raisons du divorce Aubry-Spillebout». 

Il n’y est pas question de la rumeur, mais le «tous azimuts» prend tout son sens. Les journalistes sont libres de choisir leurs sujets, leurs angles, le ton de leurs récits. Je n’ai rien à dire sur le choix de traiter les différends entre Martine Aubry et moi, les raisons de la rupture, voire les «vraies raisons», titre plus alléchant, plus accrocheur. Cependant, je suis consternée de lire que le rédacteur en chef de Médiacités, fidèle à la promesse de son message téléphonique, n’hésite pas à s’en prendre à mon mari Olivier pour m’atteindre. L’article est une attaque en règle contre la Maison de la Photographie qu’Olivier a fondée et dirige depuis 1997. Une institution culturelle renommée qui n’a plus la faveur des subventions municipales depuis que je suis devenue une opposante politique. 

C’est un vrai sujet, et je trouve normal que les journalistes puissent s’intéresser à ce qui est un lieu culturel, ayant bénéficié d’un soutien en argent public. Je peux aussi parfaitement comprendre que cette association puisse être auscultée au regard de ma relation dégradée avec Martine Aubry. Pour tout dire, j’aurais même aimé une véritable investigation sur les vraies raisons de l’acharnement de la majorité municipale contre la Maison de la photo, diabolisée lorsque je me suis jetée dans le combat politique. Le sujet n’est pas tabou ! Il est digne d’une enquête. D’une véritable enquête, menée avec partialité et déontologie.

Au minimum, un article équilibré, rigoureux. Vu l’état de mes relations avec Jacques Trentesaux et certaines de ses sources à la mairie, je n’avais aucune raison d’avoir confiance dans ce que ce média pourrait écrire sur le sujet. Je n’ai pas été déçue. L’article est violemment à charge et le journaliste évoque notre rencontre du mois de mars, sollicitée par moi au sujet de la rumeur, comme un «échange tendu» qui aurait porté sur ce «divorce» avec Martine Aubry, et ce, écrit-il, à son initiative. Un magicien. 

Écœurée, je publie un droit de réponse le 9 juin sur mon site. Je rectifie en expliquant que notre rencontre portait sur «des insinuations et affirmations douteuses, honteuses, à caractère sexuel, que Monsieur Trentesaux avait formulées à mon encontre, en utilisant des prétextes d’enquêtes journalistiques pour obtenir des entretiens, à plusieurs occasions et auprès de plusieurs personnes à Lille». J’y précise que deux mois et demi après cette rencontre, il m’a recontactée par mail le 26 mai, me laissant 48H pour répondre à ses questions. Il précise : «Les questions étant précises et ne nécessitant pas de grands développements, j’ai considéré qu’un délai de 48 heures était suffisant». Il est le maître des horloges. Aux lecteurs, il laisse à penser que nous avons évoqué le sujet dès le mois de mars, et que j’ai eu tout loisir, ou Olivier, d’y répliquer. 

Entre ces deux dates, il n’a rien demandé, mais dit avoir parlé à 20 contacts. Nous sommes en période électorale et ses contacts disent tous la version de la mairie. Des contre-vérités proférées depuis des mois, sur de prétendues malversations, et qui me sont revenues aux oreilles de multiples fois. L’équipe municipale n’a eu visiblement de cesse de dénigrer cette association qu’elle aidait autrefois. Le fait que je sois une adversaire politique est évidemment un pur hasard. Comme la date de l’arrêt des subventions annuelles à la Maison de la photo, en 2018, comme par hasard, l’année de mon entrée en politique aux côtés de Christophe Itier. 

Ce qui se dit à la mairie, c’est que cette association, déjà punie par l’arrêt des subventions, et dans laquelle Olivier a consacré avec passion un temps fou et un travail acharné serait source d’enrichissement personnel. Nous étions pourtant propriétaires depuis longtemps de cette friche désaffectée dans le quartier de Fives, et nous y avons accueilli le projet culturel, faute d’avoir obtenu un local municipal pour le développer. Cela était connu de toutes les collectivités et validé chaque année par ses partenaires. Ce projet était exemplaire puisqu’il a doté la ville d’un équipement culturel d’envergure nationale, dans un quartier prioritaire politique de la ville, sans que mairie ou Région n’aient eu à débourser de subvention d’investissement.

Alors même que tout est légal et que c’est l’oeuvre d’une vie, il est écrit que la Maison de la photo est «une affaire de famille» (sic), que «les comptes de l’association laissent à désirer, et le fléchage des dépenses est imprécis». Il n’est jamais écrit en revanche que les comptes sont réalisés par un expert-comptable, certifiés par un commissaire aux comptes, et que la structure a, à sa demande, été auditée deux fois par le Cabinet Deloitte en 2007 et 2017. Ses comptes sont transmis chaque année de façon obligatoire, comme pour toutes les associations subventionnées, aux collectivités territoriales qui y apportent leur concours. 

A défaut d’être dépeint comme un couple aux mœurs dissolues, nous sommes donc un couple à la tête d’une «affaire de famille» suspecte. Si je n’avais pas enduré toutes ces insinuations sur mes mœurs, j’y aurais vu qu’un article bâclé et à charge, mais quand je le découvre, son auteur n’a plus depuis longtemps le bénéfice du doute. Je suspecte un article revanchard nourri par quelques gorges profondes de la mairie, qui veulent m’atteindre avant l’élection. Et le timing de sa publication est pour tout dire parfait. Le fond, lui, tient au mieux de l’à peu près. Le lecteur peut déduire que si je m’oppose à Martine Aubry, ce n’est pas ce que sa politique et ses méthodes d’exercice du pouvoir me déplaisent, non, ce ne peut-être que parce que Martine Aubry s’en prend à mon mari et à son association. Et pour de bonnes raisons puisque ce serait louche. J’ai pris du «galon» : je ne suis plus la fille légère, mais l’épouse vengeresse, complice d’un homme qui ne sait pas gérer sérieusement son projet culturel. 

Mon passif avec le directeur de Médiacités m’a éclairée sur ses méthodes. Je réponds donc sur mon site à toutes les accusations. J’écris, au sujet d’une plus-value que «l’évaluation du prix de cession du bâtiment initialement voué à la démolition, à dire d’expert nommé par le Tribunal de Lille, plutôt que selon le chiffrage du Domaine, n’a jamais fait l’objet de la moindre contestation» et que «le caractère déficitaire de l’exercice 2016 de la structure, prétendument évalué à -174.000 € en 2016, est tout aussi fantaisiste puisqu’au 31/12/2016, le compte de résultat 2016 présentait un déficit d’à peine 12.444 €». Tous les éléments cités par Jacques Trentesaux sont tirés d’une note transmise par Martine Aubry, lors de leur rendez-vous, qui souhaitait absolument un article à charge. Elle s’est bien gardée de lui transmettre également une analyse juridique rédigée par un avocat spécialiste en droit pénal Maître Jean-Yves Moyart, qui vient contredire toutes les accusations, en soulignant que «le cas de la situation de son mari ne pose aucun problème juridique particulier» et que tout était «normal». Si le journaliste avait déontologiquement sollicité notre réponse en contradictoire, nous aurions pu lui communiquer ce document, qui infirmait toutes les spéculations de Martine Aubry. J’insiste sur ce point, car cette note a été réalisée à l’époque par un avocat qui fait référence dans le monde judiciaire. Jean-Yves Moyart, appelé Maître Mô, décédé depuis, y avait osé remettre en cause les analyses téléguidées de la mairie contre la Maison de la Photographie.

L’article est paru et a produit son petit buzz, je ne peux pas faire grand-chose. Mais, c’est une affaire d’honneur, je réponds point par point à ces questions auxquelles nous étions sommés de répondre en 48H par celui qui faisait une fixette sur mes mœurs. Même si la Maison de la photographie a bien été l’objet de tensions entre Martine Aubry et moi, car s’il n’était pas question de l’avantager, elle n’avait pas à pâtir de mon engagement, et cet article réducteur et mensonger est à mes yeux le point d’orgue d’une campagne de déstabilisation. Le papier passe totalement à côté du sujet de mes motivations politiques. Sauf à vouloir absolument faire un article à charge à un mois du second tour des municipales, comment en 2020 un journaliste peut-il encore écrire un papier sans effectuer de contradictoire ? Je n’interviens pas en école de journalisme, mais ça me semble pourtant la moindre des exigences.

Les vraies raisons, c’est qu’il ne s’agit pas d’une affaire personnelle, mais au contraire d’un exemple emblématique, parmi tant d’autres, de la gestion des subventions aux associations par la maire de Lille : du clientélisme local. On attribue une subvention pour obtenir un soutien, on retire une subvention en rétorsion à un opposant. S’il ne s’était agi que de la Maison de la Photographie, j’aurais eu bien peu de carburant et d’arguments pour défendre un programme de rupture. S’il ne s’était agi que de cela, j’aurais choisi un autre nom que «Faire Respirer Lille» pour notre liste, je n’aurais pas mis l’écologie, le dialogue, les rythmes scolaires, le problème de la circulation, des parkings, des travaux ou la lutte contre la pauvreté au cœur du projet. Et si j’avais tant tenu à favoriser la Maison de la photo, il aurait été sans conteste plus malin de ma part de rester dans les petits papiers de Martine Aubry, de ne rien contester de ses décisions et de demander à mon mari d’applaudir des deux mains la politique de la maire ou au moins de ne pas la critiquer. Je ne le ferai jamais. Il est libre de ses engagements, de ses idées. 

Les «vraies raisons» exposées par Jacques Trentesaux ne tiennent guère debout, et ce qui m’interroge moi, ce sont les vraies conditions dans lesquelles il a fait son article, les vraies sources. Ces «vraies raisons» sont à mes yeux l’ersatz de l’affaire des soi-disant vraies photos.  

Le pire dans ce que j’ai vécu comme un harcèlement, c’est paradoxalement cette promesse de ne rien publier. Ce journaliste a trop de métier pour savoir que publier des photos portant atteinte à la vie privée, même truquées, lui aurait irrémédiablement valu une condamnation judiciaire, et une mise au banc des médias sérieux. Je n’ai vu aucune déontologie dans cette promesse de ne rien publier. Pour moi, cette attitude ne servait qu’à m’envoyer un message sur le contrôle qu’il était en mesure d’exercer sur ma campagne, une sorte d’emprise à grand renfort de bluff, d’intimidations et de menaces. Je ne mets pas sur le même plan les rumeurs intolérables sur ma vie et l’article plus que discutable sur la Maison de la photo. Mais il n’est pas difficile de comprendre que j’y vois un cousinage dans la calomnie.

INTUITU PERSONAE

Plus qu’exaspérée, je décide de porter plainte. Cela exigera de l’énergie, du temps, des frais, mais je ne vois pas d’autre issue. Le 16 mai, je dépose une première plainte contre Jacques Trentesaux. Je m’y résous alors même que je ne veux pas gaspiller mon énergie, me laisser happer par cette histoire, et je sais que poursuivre un journaliste qui n’a rien publié est délicat. C’est même un crève-cœur. Et qui sait si ma démarche ne va pas aggraver la situation, susciter des rétorsions ? Qu’importe, je n’en peux plus. 

Je pense être forte, j’ai traversé, comme tous, des épreuves dans ma vie, j’ai été plus épargnée que tant d’autres, mais j’ai évidemment connu l’adversité. Si je chéris par-dessus tout le respect des autres, je ne crains pas les joutes et même mes adversaires les plus hostiles reconnaissent ma combativité. J’ai choisi le combat politique, je ne le regrette vraiment pas. Je m’y sens parfaitement à ma place. Surtout pas pour y perpétuer les travers mais bien changer les choses. Je ne suis pas indifférente aux coups tordus, pas insensible à la douleur, à l’injustice ou désespérément fataliste. Je ne le serai jamais. Cette campagne municipale m’a indignée par bien des aspects. 

Pourtant, elle ne m’a ni découragée, ni blasée. Elle n’a pas érodé ma capacité d’indignation, ni altéré ma détermination. Elle ne m’a pas formatée, bien au contraire, elle a décuplé le sens de mon engagement. J’ai beaucoup appris. Cette campagne m’a parfois fait souffrir parce que sa violence a été inouïe. Cette violence aurait pu me terrasser. Certains de mes adversaires ont obtenu le résultat strictement inverse à celui qu’ils recherchaient. Je suis debout, déterminée. Ma sensibilité est intacte, mon empathie en sort renforcée. Si les électeurs attendent à juste titre de la force et du caractère de la part de ceux qui les représentent, ils veulent aussi pouvoir s’identifier à des êtres humains, sensibles aux injustices et qui ont le devoir de les dénoncer et de les combattre. Certaines situations personnelles vécues par les élus portent en elles des problématiques universelles et leur réaction face à ces dérives à valeur d’exemplarité. Au diable le silence, qui est le meilleur allié de la calomnie. 

Dans le combat politique, on conserve le choix des armes. Je suis fière d’avoir fait face, sans m’être abaissée au même niveau de conduite que certains de mes adversaires. J’aime cette phrase célèbre de Michelle Obama, qui, attaquée de toutes parts, sur sa probité, sa race, sa sexualité et même son genre, a répondu «quand ils s’abaissent, nous nous élevons». Tout sauf une reddition mais un refus explicite de tomber dans ce qu’on pourrait appeler le côté obscur du combat politique, cette tentation de répliquer avec les mêmes « boules puantes ». Ce tourbillon a décuplé mon idéal de justice et ma conviction qu’il ne faut pas transiger avec le mépris ou le manque de respect. 

Face aux attaques, il existe une solution, malheureusement terrible pour la démocratie, consistant à laisser tomber pour s’épargner de nouveaux coups. Chaque semaine, des politiques intègres lâchent la rampe. Ainsi, plus d’un millier de maires ont quitté leur fonction ces dernières années à cause d’attaques personnelles, de menaces, des violences que j’évoquais plus tôt. Il ne s’agit nullement de désertion car ce choix de quitter la politique, strictement personnel, est toujours respectable. Dans les moments les plus durs, je ne cacherai pas que l’envie de tout laisser tomber m’a sérieusement effleuré l’esprit. Pour moi, pour ma famille. 

Contrairement aux idées reçues, et j’en pointerai plusieurs dans cet ouvrage, les élus ne sont pas des nantis ou des opportunistes attirés par l’appât du gain. Beaucoup pourraient gagner infiniment mieux leur vie dans le privé et, quitte à froisser un peu, leur tâche est difficile, parfois ingrate, et leur image s’est tellement dégradée que l’habit n’est toujours pas si facile à porter. Contrairement aux idées reçues, tous les élus ne sont pas assoiffés de pouvoir. J’en connais de tous bords qui s’engagent sincèrement dans l’espoir d’améliorer la vie des autres. Me concernant, ce n’est pas l’attrait du pouvoir qui a guidé ma démarche. J’ai de l’ambition, je l’assume, mais c’est précisément l’abus de pouvoir et l’envie de l’exercer autrement qui a motivé un engagement presque tardif. Mon parcours, marqué par un éloignement puis une rupture avec un système obsolète, résulte d’un constat que cette campagne a totalement validé. Je me suis engagée parce que je souhaite viscéralement rompre avec le mépris, l’entre-soi, les réseaux, les renvois d’ascenseur, le clanisme, le clientélisme, les décisions prises par et pour un microcosme, l’intimidation, et ces coups bas auxquels je consacre ces pages. La campagne municipale de 2020 a conforté le sens et la portée de mon engagement. Elle m’a préparée, éclairée, inspirée.

Dans les milieux civilisés, où l’on vit avec son temps, la vieille tambouille d’une classe politique préhistorique ne devrait plus avoir sa place. Pourtant, ces méthodes glauques ont toujours cours à Lille, mais aussi dans d’autres villes rongées par les procédés indignes qui ont détourné tant de citoyens des urnes et alimenté l’insupportable slogan «tous pourris». Ceux qui tentent d’abattre ainsi leurs opposants minent la démocratie, en dévoyant de la pire façon les règles du jeu. 

La démocratie est l’autre grande victime de ce poison puisque tous ceux qui entendent ces rumeurs savent que demain, la cible sera peut-être eux. De quoi décourager bien des candidatures. Les électeurs, qui ne savent pas forcément ce qui se joue en coulisses, sont quant à eux les potentiels dindons d’une triste farce. Heureusement, la maturité de beaucoup a limité les dégâts. Ces obscénités ne les influencent pas et ils vivent dans leurs époques quand certains de leurs élus en sont restés à l’âge de pierre. Mais pour d’autres, ces rumeurs incarnent cette politique dépassée qu’ils exècrent. Ils n’y croient pas ou n’en ont cure mais le climat les éloigne de la politique. Impossible de quantifier l’impact des rumeurs. Avec 21%, malgré une ambiance post gilets-jaunes et une défiance envers la «macronie», j’ai réalisé un des plus beaux scores de la majorité présidentielle dans une grande ville. 

J’ai eu l’honneur de représenter des citoyens. Même dans les moments difficiles, je n’ai jamais perdu de vue que c’est aussi un privilège de porter les idées, les attentes ou les espoirs des électeurs.  Ce privilège n’implique pas de tout encaisser. Au contraire, il oblige à réagir. A me battre sur les valeurs que j’ai promis aux Lillois de défendre. 

TRAÎNÉE DANS LA BOUE

À la suite de ma plainte, il m’a fallu témoigner au commissariat. Les victimes savent l’épreuve que c’est. J’ai dû détailler cette histoire, évoquer mon intimité, répondre à des questions qui me mettaient mal à l’aise, me justifier. Car il faut bien sûr appuyer sa démarche. C’est humiliant, traumatisant. Le Tribunal m’a déboutée faute d’éléments suffisamment «caractérisés», et a classé sans suite après son enquête. Il faut dire ici que le parquet avait qualifié les faits de “chantage”, certainement à cause des entretiens obtenus sous la pression de dévoiler des photos secrètes. Mais cette qualification, que je n’ai pas choisie, s’est heurtée à un mur, celui d’un système judiciaire débordé, noyé même. Pourtant, les policiers en charge de l’enquête ont travaillé avec précision, intégrité et sérieux. Ils ont tout fait pour récolter les éléments factuels suffisants. Cette décision de classement sans suite par le procureur de Lille m’a meurtrie. La justice déçoit souvent les victimes de chantage, de harcèlement, de calomnie, qui peinent à rassembler les éléments pour faire condamner. Je ne regrette pas ma démarche. J’ai réagi. Il faut toujours ne rien lâcher, déposer plainte, suivre son dossier. Sur mon dossier, j’ai même déposé une autre plainte avec constitution de partie civile, pour harcèlement sexuel cette fois, parce que c’est ainsi que j’avais ressenti ces allusions incessantes à des fantasmes. A la barre, début juin 2023, j’ai craqué et pleuré en faisant le récit de ces mois interminables ou j’étais sous pression. J’aurais aimé ne pas pleurer, m’en tenir au texte que j’avais écrit. Évoquer devant 3 juges qui vous regardent en surplomb, des clichés pornographiques ou des mœurs dissolues, je m’en serais volontiers passé. Je n’étais plus une responsable politique à ce moment-là, mais une femme meurtrie.

L’avocat de la défense Maître Filola, qui a sans élégance mis en cause la sincérité de ma souffrance a embrayé sur la censure. C’était assez habile, vu le contexte, et pourtant tellement déplacé. Je ne poursuivais pas la presse mais un homme que je considérais comme un harceleur. Jacques Trentesaux n’incarne pas la presse, il n’est pas son représentant, encore moins son étendard. Il en va du journalisme comme de la politique et de toutes les professions. Tous ceux qui l’exercent ne se ressemblent pas, n’ont pas forcément les mêmes agissements, les mêmes valeurs. Je déteste faire l’amalgame des médias, comme j’ai en horreur l’amalgame qui est fait des politiques. J’aurais fait trop d’honneur à Jacques Trentesaux en l’assimilant à la presse, aux médias. 

Son avocat a défendu Jacques Trentesaux comme s’il défendait toute sa profession à travers lui. Le grand mot de «procédure bâillon» était lâché. La démarche d’une candidate traînée dans la boue était donc assimilée à l’une de ces procédures détestables pratiquées le plus souvent par des multinationales pour étouffer abusivement des scandales ou des affaires d’état. En droit, c’est une pratique judiciaire sciemment mise en œuvre pour intimider, limiter la liberté d’expression, et dissuader des associations, des ONG, des syndicats ou des médias de s’exprimer dans des débats publics. 

Bref, alors même que je lui demandais des comptes à la suite de menaces sur ma vie privée, on me reprochait de vouloir le faire taire en utilisant la justice pour l’intimider. Pour ce qui est de lui faire passer l’envie d’aborder de façon scabreuse ma supposée vie privée, en effet j’espère bien l’en dissuader. En revanche, entendre invoquer cet argument, qui protège nombre de lanceurs d’alerte et dont les cas les plus emblématiques concernent des actions de grands groupes comme Bolloré ou Vinci, qui ont réclamé des millions d’euros sur des enquêtes sur du travail forcé ou du trafic de déchets, c’est stupéfiant. 

Les mots ont un sens. Ce péril pour les médias, je fais partie des députés qui le dénoncent et montent au front sur le sujet. Il ne concerne jamais des calomnies, des rumeurs ou la vie privée, il est une arme utilisée sciemment pour enterrer une véritable investigation. Je n’avais rien à cacher, la rumeur avait tourné, et il n’y avait aucune enquête publiable susceptible d’être enterrée sur le sujet. Cet argument a ajouté à mon indignation. Pour avoir suivi des affaires dans lesquelles des enquêtes d’intérêt public ont été entravées ou empêchées par de grands groupes sur des investissements bancaires, l’attribution de marchés publics ou des scandales sanitaires, je trouvais proprement indécent que Jacques Trentesaux puisse s’abriter derrière ces procédures extravagantes, en s’érigeant en symbole d’une presse martyrisée, en victime de grands pouvoirs qui chercheraient à tuer la liberté d’expression. Ce message était très clair. 

Dans la France post 49-3, où l’on reproche à la «Macronie» de vouloir museler les débats, ma démarche ne pouvait être qu’une censure politique. Je ne pouvais pas être une femme trainée dans la boue, mais uniquement une macroniste qui en voudrait à la presse, la liberté d’expression. Des propos indignes. 

A la barre, Jacques Trentesaux, toujours «droit» dans ses bottes a donc parlé d’une obsession que j’aurais sur cette histoire. Il n’a pas dit le mot hystérique c’est vrai, mais tout en reconnaissant avoir évoqué les photos, les rumeurs, il a estimé que c’est moi qui, en gros, en faisait tout une histoire. J’étais au fond, le problème dans cette affaire. Il comprenait que j’avais pu mal vivre tout ça, mais, j’interprète, si j’avais pris tout cela avec plus de philosophie, il n’y aurait pas eu d’affaire. Et puis, il n’avait pas publié quoi que ce soit. Pour son avocat, puisqu’il avait été attaqué plusieurs fois par d’autres, et qu’il avait gagné ses procès, c’est lui qui était victime d’acharnement. Et j’étais un peu la goutte d’eau. Il fallait non seulement le relaxer mais me condamner à lui verser une indemnité. L’affaire était politique et, en évoquant le climat général, il a demandé justice pour la presse.   

Jacques Trentesaux avait quant à lui terminé sa prise de parole avec des trémolos, en disant au tribunal que le matin il avait dit à sa femme et sa fille qu’il saurait bientôt s’il était un harceleur sexuel, comme je le lui reprochais. La messe était dite le concernant, il était la victime, et même s’il a été incapable d’expliquer sérieusement pourquoi il cherchait des photos qu’il n’aurait jamais utilisées, il a souligné que je surréagissais, puis expliqué l’impact de ma procédure sur sa vie. Lui se posait en victime de toute l’histoire.

Je n’osais pas penser que le tribunal suivrait les demandes de son avocat, tellement cela me semblait grotesque… Et pourtant, les juges l’ont non seulement relaxé mais ils m’ont condamnée à l’indemniser. Cette décision, je ne l’accepte pas, j’ai d’ailleurs fait appel. Jacques Trentesaux s’en est vite gargarisé sur son site web. Cela fût un autre moment insupportable de cette histoire. 

Le titre de son article “Condamnée par la justice, la députée macroniste Violette Spillebout calomnie le directeur de Médiacités”  illustre certaines méthodes journalistiques, les méthodes d’une presse qui cherche à faire du sensationnel pour faire du clic. Ici, Jacques Trentesaux choisit d’écrire lui-même un article le concernant, utilise la 3ème personne du singulier et assène un titre racoleur et mensonger.

Peu importe qu’il ait eu la chance d’être relaxé dans un dossier graveleux qu’il a lui-même monté et fait prospérer au gré de ses intérêts et perversions, il aurait pu choisir de faire profil bas. Non, il choisit la surenchère en titrant sur ma condamnation, contrairement aux autres confrères ayant traité le sujet. Il sait pertinemment que son titre est abusif puisque, puisque j’ai interjeté appel. 

J’ignore s’il y croit lui-même, mais sa recherche d’informations dignes d’un tabloïd, sur la vie privée de quelqu’un et de prétendues photos pornos de mon passé, n’a rien d’une enquête digne de ce nom et lui réclamer des comptes n’est en rien une procédure bâillon. Il sait que s’il avait été condamné sur cette affaire, il n’aurait pas été empêché d’enquêter sur moi sur d’autres sujets ne relevant pas de la vie privée. Il aurait été dissuadé de colporter des ragots, pas d’exercer déontologiquement son métier de journaliste, d’investiguer. Je vais laisser la justice suivre son cours sur cette affaire mais ce que je peux dire d’une manière plus générale, c’est que la justice déçoit si souvent les victimes de toutes sortes, que je ne peux pas me plaindre d’être un cas isolé. Ce qui n’est pas banal en revanche, c’est cet argument de procédure bâillon repris par le tribunal en l’espèce. 

Cette décision, rendue alors que les journalistes du JDD se battaient contre leur nouvelle direction et que la presse, fébrile, s’angoisse de l’absence de garanties d’indépendance vis-à-vis de leurs actionnaires ou de la concentration des médias. Elle est tombée fort à propos pour Jacques Trentesaux qui en a fait un emblème d’une presse opprimée. Si ce n’était pas révoltant, ce serait risible. Lui-même ne peut pas croire sérieusement que sa curiosité persistante sur de pseudos coucheries ou d’imaginaires photos érotiques est emblématique d’une liberté d’expression forte et inaliénable. Ce qui m’horripile intensément, c’est son instrumentalisation de la liberté de la presse. Il a profité de l’inquiétude légitime des journalistes sur leur droit à informer, leur souci d’indépendance, pour faire l’amalgame entre leurs préoccupations sérieuses et son journalisme de chambre à coucher. 

J’irai au bout, et que justice me soit rendue ou pas à l’arrivée, j’ai fait ce qui me semblait juste et salutaire. Je ne regrette pas. Demander des comptes n’a pas été vain, demander réparation n’a pas été vain. J’ai pu exprimer mon désarroi et dire mon indignation. J’ai la conviction d’avoir eu raison de réagir. D’avoir envoyé un message, sur le respect de la vie privée. A bon entendeur.

Car je dénonce ici une certaine forme de «journalisme», qui ne peut prospérer, dans l’espoir de clics ou de buzz, que par la loi du silence. Aucun élu ne souhaite se retrouver dans le collimateur d’un journal, pas moi plus qu’une autre. Mais la crainte d’une sorte de «contrôle fiscal» médiatique, d’une campagne de rétorsion ou de dénigrement systématique, ne doit pas contraindre au silence. Cette peur de fâcher un journal influent est malsain pour la démocratie. Lorsque j’ai sollicité le témoignage de personnes qui m’avaient informée des dérives de Médiacités, beaucoup ont préféré se taire de peur de s’en faire l’ennemi. C’est justement parce que je soutiens ardemment une presse indépendante du pouvoir, que je crois primordial de dénoncer les liens malsains qui peuvent exister entre des élus puissants et les acteurs médiatiques. 

Il est inquiétant que des gens renoncent à déballer des pratiques inadmissibles, de peur d’être accusés de s’en prendre à une sacro-sainte liberté de la presse, intouchable, et qu’on assassinerait, en dénonçant simplement des manques de déontologie. Comme je l’ai raconté plus tôt, j’ai été frappée par cette peur d’acteurs associatifs, économiques ou culturels, de froisser la mairie de Lille, d’être blacklistés, punis pour crime de « lèse-majesté ». J’ai été frappée aussi par cette angoisse d’être en mauvais termes avec la presse locale, due en grande partie au faible nombre de médias qu’il faudrait donc ménager, y compris face à un comportement intolérable. Parce que je sais les médias, en proie à la crise économique, plus fragiles que la maire d’une grande ville ayant tous les leviers pour agir, j’en veux bien davantage à ceux qui utilisent cette presse sciemment, de façon directe ou indirecte, pour fragiliser une élection, et donc un vote. Ce vieux système, ce vieux monde, clientéliste et étriqué, asphyxie la démocratie.

Combattre ces pratiques est donc un devoir, notamment pour protéger ceux qui font bien leur travail. Et de quelles autres armes disposons-nous dans un état de droit sinon la justice ? Même si, et les citoyens le savent tellement bien, il est souvent difficile d’obtenir justice et réparation, et qu’il est même tentant de laisser faire ou de baisser les bras tant les procédures peuvent être longues et onéreuses, j’ai décidé de contre-attaquer sur le terrain légal. Qu’importe les remarques de détracteurs qui me diront procédurière, je préfère le terrain du droit aux marécages des coups tordus. Je ne prends aucun plaisir à saisir la justice. C’est épuisant, ruineux, et le résultat est souvent décevant. Mais la démarche en elle-même est viscéralement politique. Et citoyenne. Lorsque j’engage des poursuites c’est dans l’espoir de gagner.

Le simple fait de se rebeller est en soi une victoire. C’est un message envoyé sur sa détermination à ne pas se laisser piétiner, un symbole de vigilance et de résilience. C’est aussi ma responsabilité. Quelle élue serais-je si je me targuais de défendre les administrés alors que je renonçais moi-même à me battre par peur du on-dit ou à cause des efforts que cela demande ? Lorsque des citoyens évoquent avec moi la lenteur de la justice, son coût, l’épreuve que peuvent constituer la démarche de se rendre dans un commissariat, de témoigner devant un tribunal, la difficulté d’obtenir réparation, je sais exactement de quoi ils me parlent, par quoi ils passent ou sont passés. J’estime, vis-à-vis de beaucoup, être privilégiée. Parce qu’ils n’ont pas les moyens, pas, ou plus l’énergie de se défendre. Dans ma position, et en conformité avec les valeurs que je porte, je dois montrer l’exemple et prouver ma détermination à engager des batailles. 

Toutes les victimes n’ont pas les moyens matériels d’entreprendre cette démarche souvent essentielle pour la résilience. 

Je comprends plus que jamais toutes ces femmes qui sont victimes de violences psychologiques ou physiques, qui ont le courage de porter plainte, et sont effondrées quand la justice les lâche. La justice ne doit pas être sourde aux maux qui accablent notre société, mais plutôt agir comme une force corrective. Les affaires de harcèlement, de façon générale, sont bien sûr délicates à traiter car il s’agit souvent de paroles contre paroles, ou de pressions insidieuses. Pour autant, les victimes ne doivent pas être découragées à agir. Même si les plaintes n’aboutissent pas, le fait de se rebeller est une victoire vis-à-vis de soi-même, sur ses peurs. Ce n’est pas un acte vain. Chaque réaction individuelle contribue à alimenter une force collective qui concourt à modifier la société. Trop d’affaires sont classées faute de temps, de moyens et parfois de volonté. Mais la société évolue, souvent avant la justice. Chaque fois qu’une victime se manifeste, elle contribue à rendre moins acceptable les comportements répréhensibles. Les plaintes ne sont pas forcément entendues mais elles entament la tranquillité des harceleurs. 

En sortant de l’audience, alors que je prenais un café sur la place face au tribunal, et que j’étais encore chamboulée par le procès, le propriétaire du café, avec un sourire, m’a dit qu’il m’avait trouvée bien à la télé la veille. Petit message de réconfort bienvenu. Il m’a demandé si tout se passait bien et je lui ai dit que cette journée n’était pas la plus simple, que je venais de témoigner contre un journaliste, sur des rumeurs. Illico, l’air contrit, il m’a lancé « Ah oui, cette histoire de photos pornos… ». Cinq ans après, les gens ont la mémoire plus longue que Jacques Trentesaux. Et ma famille aussi, qui en a énormément souffert.

J’ai décidé de porter une proposition de loi transpartisane pour renforcer les sanctions pénales et la protection des élus, des candidats et de leurs familles, pour faire en sorte que le classement sans suite des nombreuses plaintes des élus devienne une exception, et que toute atteinte à la vie privée, y compris en ligne soit poursuivies par la justice. Je veux être également attentive, comme élue de la Nation, concernant les atteintes à l’intimité de tous les citoyens. Elles se multiplient notamment sur les réseaux sociaux où des sociétés se spécialisent dans l’e-réputation personnelle, ou réputation électronique des particuliers. Je serai vigilante à l’Assemblée sur toutes les questions d’atteinte à la réputation des personnes. 

LA MACHINE INFERNALE

Réagir est tout sauf anodin. Quand une femme ou un homme politique décide de pourfendre la rumeur, il le fait pour son honneur mais aussi celui de la politique. L’ancien maire de Toulouse, Dominique Baudis, cible en 2003 d’une campagne infâme portant sur une affaire imaginaire liée au tueur en série Patrice Alègre, s’est battu non seulement pour sa réputation mais aussi contre des méthodes, politiques, médiatiques, judiciaires, qui tirent toute la société vers le bas et dégradent la démocratie. Cette affaire d’une gravité extrême a eu des conséquences sur sa vie, sa santé. C’est le degré ultime de la dégueulasserie. Mais les ressorts sont les mêmes : la volonté de nuire, les attaques personnelles, la mise en cause des mœurs, la diabolisation du notable. Un flux insaisissable, parfum nauséabond diffus, qui empoisonne l’atmosphère et contre lequel les victimes, tel Don Quichotte, se battent contre des moulins à vent. 

Lorsque Dominique Baudis s’est résolu à se défendre sur le plateau d’un JT, il transpirait. L’exercice était forcément un supplice mais rapidement certains en déduisirent que s’il transpirait, c’est qu’il était coupable. Forcément coupable. Dominique Baudis a toutefois eu mille fois raison de se battre. La vérité l’a emporté. Cette affaire glaçante est exemplaire car elle a obligé la société à s’interroger sur ses démons. Pour les médias, ce fût l’occasion d’une indispensable introspection. Il ne faut pas attendre que la calomnie atteigne ce paroxysme pour porter le fer. Car si cette affaire a pu exister, c’est parce que des digues avaient sauté ; le seuil de tolérance à la violence avait dangereusement augmenté et les attaques, y compris sur l’intime, s’étaient insidieusement banalisées. 

Il faut réagir chaque fois que la vie personnelle est injustement mise en cause, chaque fois qu’un bûcher est dressé pour tuer politiquement un adversaire en manipulant sa vie privée. Il faut combattre ces corbeaux qui ne manquent pas de revenir à l’attaque lorsque l’occasion se présente. L’affaire Baudis a été exemplaire par ce qu’elle a nous poussés collectivement à nous interroger sur nos valeurs, sur le voyeurisme, le complotisme, sur les nouveaux maux de l’époque que sont la course au clic, la recherche du buzz mais aussi sur des fléaux ancestraux : les coups bas politiques, le puritanisme exacerbé et la pulsion de lynchage. Hélas, cet épisode n’a pas marqué un coup d’arrêt aux dérives. Son autre enseignement c’est que ce combat n’est jamais gagné, quelle que soit l’onde de choc. 

Il ne faut jamais oublier, jamais baisser la garde, ni dédramatiser ou relativiser la gravité des atteintes à la vie privée. Au contraire, la multiplication des fake news qui peuvent prospérer grâce aux réseaux sociaux, avec leur lot d’injures, d’insinuations, prouve que ce combat est plus que jamais d’actualité. Mon expérience personnelle a renforcé ma détermination à agir, comme députée, contre cette désinformation ; cette lutte est l’un de mes chevaux de bataille dont je parlerai plus loin. Parce que des réputations sont jetées en pâtures mais aussi parce que l’auditeur, le lecteur de ces calomnies, est la victime en bout de chaîne de l’intox. C’est évidemment lui la vraie cible. Ces mensonges finissent de désespérer des citoyens parfois en recherche d’exutoire, ils altèrent leur jugement, détériorent leur lien à la politique, abîment la cohésion sociale. Cette réalité alternative prospère au détriment de l’information éclairée du citoyen, qui est au final méprisé, manipulé. 

Souvent, et alors même que la société s’est libérée du vieil ordre moral, ces mensonges portent sur les mœurs. Pour discréditer politiquement, on s’en prend aux préférences sexuelles, du coup stigmatisées, à des pratiques sexuelles, voire au genre. Cette chasse aux sorcières de Salem, version numérique, a atteint une ampleur sans précédent aux Etats-Unis, où l’ex-candidate à la l’élection présidentielle américaine de 2016, Hillary Clinton, a été accusée de toutes les turpitudes. Ce n’est pas son programme qui était visé, mais sa personne ou plutôt son double maléfique créé par ses opposants, une entité sans âme qui irait jusqu’à boire le sang des enfants. 

Dans la calomnie, les fake news, la victime est déshumanisée. Et c’est avec les vieux profils de paria qu’on la dépouille de sa dignité. Pour les femmes, la traînée demeure cette paria ultime qui ne doit susciter zéro compassion, car, voyez son comportement, elle l’a bien cherché. Variante de cette misogynie, le «procès» en féminité. Si elle n’est pas une femme infréquentable, elle est un homme. Comme Michelle Obama avant elle, Brigitte Macron a dû se défendre d’être un homme à la suite de rumeurs propagées de loin en loin par l’extrême droite. L’objectif est à chaque fois le même, si la victime, supposée amorale, ment sur son intimité, alors elle ment sur tout le reste. Comme dans la marche de la honte de la série très politique Game of Thrones, où l’une des héroïnes est obligée de traverser nue sous les crachats et les cris «honte» lancée par une foule chauffée à blanc, une élue aux mœurs dissolue n’a plus droit à la dignité. 

En mai 2022, Courrier International publiait un article intitulé «Des sextapes pour discréditer des femmes politiques», avec des exemples venant du monde entier. Il ne faut pas sous-estimer, banaliser la dimension misogyne des attaques sur les mœurs, ni hélas, leur efficacité auprès de l’électorat très conservateur. Car, une femme politique attaquée sur sa morale est implicitement sommée de se ranger du côté de la morale pour s’exonérer de ce qu’on lui reproche. En clamant son «innocence», puisque c’est faux, elle est de facto invitée à condamner des modes de vie en s’y dissociant. C’est pernicieux, grave. 

De nos jours, encore, les femmes politiques peuvent redouter deux insultes suprêmes : la dépravation et l’hystérie, indémodable travers féminin. Il est vrai, et l’exemple de Benjamin Griveaux en atteste, que les hommes ne sont plus épargnés. Ce n’est pas rassurant, au contraire, sur la santé de la démocratie. Pour les hommes, souvent, c’est la virilité qui est attaquée. La pensée rétrograde est la meilleure alliée de la calomnie. Et parfois, c’est le couple qui est vilipendé. 

Dans le cas d’Hillary Clinton, déjà jugée complice des infidélités de son mari, elle a été dépeinte en 2020 comme une débauchée qui avec son mari, aurait participé à l’organisation d’un esclavage sexuel de mineurs, l’abjecte thèse du « Pizzagate », maintes fois débunkée et qui continue pourtant à tourner. Il faut que la démocratie soit bien abîmée, pour que des thèses aussi extrêmes fleurissent. 

De manière regrettable, les dévoiements de la liberté d’expression d’une certaine Amérique, paranoïaque et puritaine, s’exportent chez nous par les réseaux sociaux. La France, qui concilie liberté d’informer et respect de la vie privée, doit absolument résister à cette désinformation. A côté des réseaux sociaux, la rumeur à l’ancienne, davantage dans la tradition du «Corbeau» d’Henri-Georges Clouzot, a de beaux restes, mon expérience en est la preuve. La rumeur est balancée anonymement dans le réseau citoyen, où le bouche à oreille fait ses basses œuvres. 

Pris en otage, les électeurs sont manipulés pour véhiculer la calomnie. Certains, heurtés moralement, relayent de bonne foi ce qu’ils pensent être une de ces choses qu’on leur cache, des photos pornographiques en l’occurrence. Pour beaucoup, plus sages que les instigateurs de la rumeur, l’histoire, si tentée qu’elle soit vraie, est hors-sujet, déplacée, puisqu’il n’y aurait rien d’illégal. Mais dans une bagarre politique, toutes les voix comptent. Et les vautours misent sur cet électorat conservateur qui s’en offusquera. Si elle a fait ça, qu’a-t-elle pu faire d’autre ? Et même si ce n’est pas si grave, ce genre de personne, avec ce passé-là, est-elle la plus à même de nous représenter ? Le poison est distillé. Et sert de porte d’entrée à d’autres calomnies, qui ne seront pas si étonnantes aux yeux de certains, puisque que la candidate aurait jadis versé dans la pornographie. 

Ces méthodes surfent sur les plus bas instincts et s’ils en disent in fine plus long sur l’esprit dérangé de leurs auteurs, elles restent des armes redoutables. Je ne veux pas banaliser cette histoire. Je ne veux pas avoir honte de la raconter, ou de la dénoncer. Je ne veux pas dédramatiser ce genre de pratiques. Je veux les éradiquer. 

J’ai bien conscience que dénoncer la rumeur vous expose au risque de la propager ; ce fameux effet Streisand des réseaux sociaux, qui revient comme un boomerang dans le visage de la victime. D’ailleurs, j’ai trouvé innommable le tweet du comparse de Jacques Trentesaux, le journaliste lillois Alexandre Lenoir, qui a évoqué cet effet Streisand en suggérant que je ne cherchais que le “Buz, Bad buzz, Burk”. On est en plein dans le sujet ! En attaquant une photo dévoilant sa propriété privée, la chanteuse Barbra Streisand a donné une résonance à une information relativement confidentielle mais qui la heurtait. Le mini-scoop est alors devenu sujet d’actualité et l’exemple sert souvent à railler ceux qui, en dénonçant une atteinte à la vie privée ou une calomnie, concourent à sa diffusion. 

Cette théorie, qui peut s’entendre, est perverse car la victime est au fond coupable. C’est le refrain de l’arroseur-arrosé. Il faut bien sûr y réfléchir à deux fois avant de donner un écho à une contre-vérité. Et ce célèbre exemple résume bien le piège pour la victime. Cet effet boomerang, tous les politiques l’ont en tête lorsqu’il s’agit de s’exprimer ou pas sur une information malveillante circulant sur eux à bas bruit. Il est sage de ne pas faire soi-même la publicité de ce qui nous cause un dommage encore relatif, pour éviter d’en faire ce qu’on appelle un buzz

Je dois préciser que ce journaliste, Alexandre Lenoir, bien solidaire de son patron, était par ailleurs le compagnon d’une colistière, devenue conseillère déléguée de Martine Aubry en 2020 ; au mépris d’une élémentaire déontologie qui envisage le déport du journaliste dans un tel cas de proximité (ainsi que l’impose la charte de certains journaux comme Mediapart par exemple), il était pourtant préposé à la campagne municipale lilloise dans le journal de son mentor, en particulier des articles sur les comptes de campagne ou le clash entre les Verts et Martine Aubry.  

Revenons sur la rumeur. Ceux qui lancent ces rumeurs misent précisément sur le silence de la victime, qui tétanisée à l’idée de répandre l’infamie, ne pourra que la boucler. C’est leur pari. Les plus tordus insinueront même que c’est la victime elle-même qui est en partie responsable du dommage puisqu’elle en a parlé. Quand on est confronté à la calomnie, on souhaite que le cauchemar s’arrête au plus vite, on redoute la propagation du mensonge et donc, évidemment, l’un des premiers réflexes est de ne surtout pas en rajouter. Ensuite, il s’agit de pragmatisme. Si plus personne ne vous en parle, si vos proches ignorent tout, si l’écrasante majorité des électeurs ne sont pas au courant, vous ne dites rien, avec cette peur que la calomnie finisse par se répandre et blesser vos proches. Si le mal est fait, dénoncer une rumeur, quitte à la propager peut être non seulement cathartique mais l’occasion d’envoyer un avertissement, un message. Vous ne ferez pas peur. C’est le message que je souhaite envoyer.

A LA SOURCE

Finalement dans cet épisode,  celle qui est à l’origine de tout cela, Martine Aubry, n’aura jamais été inquiétée, malgré le fait que  Jacques  Trentesaux ait reconnu à l’audience avoir certainement été manipulé par elle et son cabinet.

Si j’en veux à Jacques Trentesaux, je considère qu’il n’est pas l’unique protagoniste, et sans doute pas le principal. Chacun est responsable de ses actes ; toutefois on ne m’enlèvera pas de l’idée qu’il a été utile à des adversaires politiques qui avaient besoin de relais. Des adversaires qui se servent des médias, sans qu’il y ait nécessairement concertation entre eux, pour diffuser ces boules puantes. Une phrase lâchée par ci, par-là, dont l’origine est attribuée à d’autres, une que l’on dit en OFF, donc sous le sceau du secret en réalité, dans l’espoir que la confidence soit reprise. Comme tous les politiques, ce OFF je le pratique parfois pour éclairer un événement sur lequel je ne souhaite pas que mon nom soit utilisé pour m’associer à une polémique. Jamais pour calomnier. 

En résumé : à qui profite le crime ? C’est Jacques Trentesaux lui-même qui a donné le premier indice lorsqu’il m’a mis en garde contre la mairie qui colportait sur moi des horreurs, lors du point presse culture en 2018. Puis il a lui-même dévoilé ses sources : dans un article de Médiacités daté du 29 mai 2020 (pour rappel un mois avant le second tour des municipales), il écrivait : « Martine Aubry, qui était en froid avec Médiacités depuis de longs mois en raison d’articles, selon elle, erronés et partiaux, nous a joint spontanément par téléphone le 11 mars (pour rappel 4 jour avant le premier tour des municipales) lorsqu’elle a appris que nous enquêtions sur le sujet – NDLR Violette et Olivier Spillebout. « Nous avons décidé d’être plus gentil avec vous », a-t-elle indiqué en entamant la conversation ».

Je ne suis pas enquêteur, ni magistrat et ce n’est pas à moi de conclure, mais cette histoire, loin de m’avoir donné l’envie de couper les ailes à la presse ou de la censurer, a décuplé ma conviction qu’il faudrait au contraire couper totalement le cordon entre ces deux pouvoirs qui n’ont pas de services mutuels à se rendre, ni d’alliance clandestine à sceller en coulisses. A mes yeux, cette affaire a mis en lumière les eaux troubles, boueuses, dans lesquelles pataugent ensemble certains journalistes et certains politiques qui s’utilisent mutuellement pour le pire. 

On m’a conseillé de prendre la précaution de ne pas désigner les responsables de ces rumeurs sans employer le conditionnel. Mais j’assume ; j’ai suffisamment de preuves. Je veux m’en tenir aux faits et chacun pourra se faire son opinion. Ma religion à moi est faite. Je crois à la confidence de Jacques Trentesaux, je devais donc me méfier de la mairie. Et à de multiples occasions, on m’a rapporté que cette rumeur en régalait certains dans les bureaux municipaux. Je sais aussi que le « bunker » de la mairie, a abreuvé d’autres journalistes d’histoires sur un achat immobilier à Miami, destination forcément sulfureuse, fille du vice et bling-bling où nous ne pouvions évidemment que malverser sur du trafic d’art avec des pays de l’Est. 

12 septembre 2024