L’autre mur, Chapitre 2
LE GRAND SAUT
13 février 2020. Je marche d’un pas pressé rue Gambetta, dans le centre de Lille. Je cours presque. Mon cœur bat la chamade. Roland Lescure, qui deviendra deux ans plus tard Ministre délégué chargé de l’industrie, est à mes côtés. Nous sommes en « fuite ». Alors ambassadeur “La république En Marche”, Roland Lescure est venu soutenir ma campagne municipale, la première bataille électorale de ma vie. Nous rejoignons mon QG, situé heureusement tout près sur cette rue Gambetta. Quelques secondes auparavant, nous avons dû quitter précipitamment un incubateur de start-ups, envahi par des manifestants haineux. Ce n’est pas la première fois que je croise ces excités qui attaquent en meute. J’ai essuyé à maintes reprises leurs insultes, leurs menaces. Certains de ces extrémistes en sont presque venus aux mains avec des membres de mon équipe. Quelques-uns m’ont bousculée.
Cette campagne municipale est un baptême du feu au sens littéral du terme. Le climat est incandescent. De nature pourtant optimiste, je me demande si je pourrai finir la campagne, tellement les provocations s’intensifient. Le 1er tour, si loin, si proche, est programmé un mois plus tard, le 15 mars. J’essaye de chasser les pensées négatives. Il faut tenir, coûte que coûte ; ne rien lâcher. Avec mon équipe, nous n’avons pas essuyé les calomnies, les quolibets, les insultes pendant de si longs mois pour renoncer maintenant.
Nous avons accueilli tant d’espoirs, tant d’encouragements de citoyens, et les militants se donnent tellement. Oui, il faut tenir. Je sais que j’irai jusqu’au bout. Ce que je ne sais pas, c’est si je pourrai continuer à faire des réunions publiques, à aller à la rencontre des gens, à faire campagne quoi. Nous ne sommes pas en Amérique latine dans les années 70, nous sommes en France, à Lille. Mais l’ambiance est irrespirable et je redoute que ne survienne un drame.
Dans les instants qui suivent cette échappée d’un bâtiment avec Roland, les émotions se bousculent dans ma tête. La peur et la colère surtout. Roland Lescure est mon hôte. Je crains pour la sécurité de notre invité. Car, je n’en doute pas, nos assaillants n’en resteront pas là. La police est alertée.
Un sentiment d’injustice m’envahit. Je suis lilloise, candidate désignée à une élection démocratique dans l’une des plus grandes villes de France, la plus belle de toutes à mes yeux. Je ne suis pas « parachutée », ma désignation n’est pas contestée, mon programme est innovant mais pas sulfureux, j’avance avec fougue mais dans les clous. Je suis une candidate en tous points légitime. En vertu de la loi, j’ai le droit de m’exprimer, de me déplacer comme bon me semble, de rencontrer les habitants, bref, de faire campagne. Pourtant, ce jour-là, j’ai le sentiment d’être persona non grata. Je ne peux plus déambuler sereinement dans Lille. Des groupuscules d’extrême-gauche veulent me chasser des lieux où je tiens des réunions publiques et m’empêcher d’accéder à certains quartiers. La LFI lilloise, dont le leader, Julien Poix, a d’ailleurs justifié cette violence en la rapprochant de celle qu’il qualifie de « violence du gouvernement », un peu comme si finalement nous l’avions bien mérité ! Intolérable. Je suis sur mes terres. Lille est ma ville. Celle où j’habite depuis l’enfance, où j’ai grandi avec mes parents et mes sœurs rue du maire André, dans le centre. La ville où j’ai fait mes études de l’École Michelet à la Faculté de Médecine ; la ville où j’ai appris la danse classique au Conservatoire ; la ville où j’habite et où je me sens chez moi, depuis toujours. J’y réside, j’y ai mes amis, j’y paie des impôts.
Cette ville, j’ai même eu l’honneur de la servir, dans le cabinet de Pierre Mauroy d’abord ; puis auprès de Martine Aubry ensuite, dont j’ai été la directrice de cabinet. Ce 13 février 2020, je suis une concurrente de Martine Aubry puisque je brigue sa succession au poste de maire. Elle est une adversaire, pas une ennemie. Tous les autres candidats de cette campagne municipale, lancée officiellement le 1er septembre 2019, sont des adversaires, pas des ennemis. Je les combats, avec pugnacité, mais je les respecte. Et je respecte bien sûr leur électorat, j’espère même convaincre le plus grand nombre de se rallier à mon projet baptisé « Faire Respirer Lille ». J’espère convaincre aussi certains parmi ceux, si nombreux, qui ne votent plus. Le principal reproche qu’on me fait ne concerne pas mon programme. Ma candidature suscite des haines car je suis estampillée « macroniste ». Tête de liste du mouvement de la majorité présidentielle à Lille, j’ai été investie démocratiquement par LREM en juillet 2019, plusieurs mois après avoir rejoint le mouvement du Président.
Lors de mon audition pour l’investiture à Paris, quelques mois auparavant, j’avais croisé brièvement Roland Lescure, que je connais peu et à qui, légitimement, j’espère faire bonne impression lorsque je l’accueille sur mes terres. Je veux qu’il ressente l’enthousiasme des militants ; qu’il mesure le travail accompli avec mon équipe en un temps record ; qu’il constate la dynamique qui nous porte. Face à Martine Aubry, grandissime favorite, nos chances de l’emporter sont minces. Mais notre percée est spectaculaire et je ne peux m’empêcher de penser qu’avec quelques mois de plus, nous serions les favoris. Je me suis d’abord lancée en 2018 auprès de Christophe Itier. Ensemble, après quelques mois de pré-campagne, nous avons décidé que c’est moi qui annoncerai ma candidature pour Lille. Autour de nous, un noyau dur s’est constitué rapidement, formé notamment de responsables associatifs impliqués résolument dans la vie de la cité.
Ce noyau dur, au démarrage, début 2018, est constitué de Christophe Itier et moi, puis d’Ingrid Brulant, qui est aujourd’hui conseillère municipale, et de Mélanie L. Elles étaient les deux co-présidentes de l’association des parents d’élèves qui s’était opposée à Martine Aubry sur les rythmes scolaires, et les cours imposés le samedi. Nous sommes rejoints ensuite par Richard Vanlerberghe, directeur d’une agence de communication très investi dans la lutte contre l’exclusion, la cheffe d’entreprise Sophie Nikula, Marie Libert chargée de la RSE dans une mutuelle, Thierry Cardinael un spécialiste de l’économie sociale et solidaire, et Thierry Fouquet, impliqué dans l’accompagnement du handicap. L’équipe grossit doucement jusqu’en septembre 2019, avec d’anciens socialistes comme Gilles Pargneaux, député Européen, Frédéric Marchand, sénateur du Nord, Bernard Charles, ancien adjoint de Martine Aubry, et Dominique Bailly, qui a même été un temps mon directeur de campagne. Nous avions aussi rallié des personnalités de la société civile comme Thomas Werquin, urbaniste et docteur en économie, déjà bien identifié comme une opposition constructive et crédible à la municipalité. J’ai eu aussi la chance d’être rejointe par Alexis Massart, ancien élu lillois de droite, qui a apporté son expérience en sciences politiques et son réseau au projet.
Après le retrait de Christophe Itier, qui a décidé en octobre 2019 de se concentrer sur sa mission nationale, j’ai donc mené les troupes : 60, 70, bientôt, 150, 200 personnes. Je n’avais jamais piloté une campagne. Nous ne partions pas de zéro car plusieurs membres de l’équipe avaient une expérience politique. Mais il nous fallait tout inventer : un programme, une liste, une organisation, une communication, un plan de bataille. Heureusement, le groupe réuni autour de moi est solide et il porte toutes les thématiques de la ville.
Notre mouvement est neuf, il est personnifié par de nombreux nouveaux visages et la « tête de gondole » que je suis, était quasiment inconnue des Lillois. Dans une contrée où le PS règne en maître depuis une éternité, nous avons dû faire notre place. Nous avons dû trouver un local, recruter des militants, des soutiens. La débauche d’énergie a payé.
Quelques mois après les premiers échanges d’une micro-équipe inspirante et inspirée, nous sommes une véritable petite armée à l’assaut d’une mairie transformée en camp retranché par Martine Aubry. Elle y pilote d’une main de fer sa campagne et n’y reçoit plus depuis longtemps les quidams et les acteurs de la société civile.
Le parti « En marche » nous soutient depuis le début mais LREM est logiquement très peu implantée dans les territoires, après 2 ans d’existence seulement. La politique locale, bastion des seigneuries, représente un vrai défi pour un parti nouveau. Cela ne nous décourage nullement. Si LREM n’a pas d’ancrage historique, elle ne laisse toutefois personne indifférent. Cette offre politique encore récente suscite violences et passion. Contrairement aux autres partis, le nôtre provoque des réactions épidermiques, surtout à l’extrême-gauche comme chez les écolos qui à Lille sont assez “verts-rouges”. Elle fait l’objet d’agressions, de menaces envers ceux qui portent ses couleurs. Particulièrement dans les villes où l’ultra-gauche compte de nombreuses troupes radicales et actives. C’est le cas de Lille.
Ce 13 février 2020 au matin, lorsque je l’accueille à la gare, j’espère donc que Roland Lescure sera séduit par notre énergie, notre rigueur, notre esprit d’équipe. De toutes les forces en course à Lille, nous sommes les plus neuves, et j’aime à croire que nous avons un supplément d’âme. J’attends aussi de celui que je considère comme une haute personnalité, des conseils. Plus j’apprends et plus je suis avide d’apprendre. Sa venue est une aubaine. Il a une expérience que je n’ai pas. élu député en 2017, il a été nommé l’année suivante Rapporteur du projet de loi relatif à la transformation et la croissances des entreprises (Pacte), et il est depuis juillet 2019, président de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée. Son soutien est précieux et marque la confiance du mouvement dans cette campagne.
Lorsqu’il sort de la gare, je l’attends au volant de ma vieille Toyota Yaris. Il grimpe, peinant à caser ses jambes dans l’habitacle. Il est très grand et doit se contorsionner. Il me salue chaleureusement, sans cérémonie. Je le conduis à ma permanence qui n’est qu’à quelques minutes de route. Je le remercie d’être là car je le sais débordé. Curieux de notre aventure locale, il ne nous prend pas de haut, bien au contraire. Je suis en campagne depuis plusieurs mois déjà et je ne le sais pas encore mais cette longue course d’obstacles va se prolonger jusqu’en juin à cause de la pandémie COVID qui plane au loin. Ma campagne suscite un vrai enthousiasme, certains militants croient même à l’impossible : conquérir la mairie occupée depuis 2001 par Martine Aubry. Cette campagne suscite aussi une hostilité incroyable. Pas par le nombre des agitateurs mais par la virulence des attaques et le niveau de décibels. Je ne m’y suis toujours pas faite, mais j’ai bien dû m’en accommoder. Ces violences, -attaques de ma permanence, intrusion de gros bras dans mes meetings, jets de canettes sur moi ou mes militants-, ne sont heureusement pas quotidiennes. Elles surgissent par vagues successives et à mesure que l’élection approche, elles montent en intensité. La tension extrême qui règne dans le pays depuis le mouvement des gilets jaunes, touche particulièrement Lille. Ceux qui nous menacent sont toujours les mêmes : les black blocks et les antifas. Des jeunes, et moins jeunes, têtes dissimulées par des capuches. La veille de la venue de Roland Lescure, une centaine de perturbateurs ont débarqué à ma réunion publique organisée à la Chambre des métiers de Lille, pour la saborder. On est dans un climat de tension c’est sûr. Quelques semaines avant, nous avions eu un épisode violent dans un “Lundi Ouvert” au café le “W” dans le quartier de Wazemmes, avec une vingtaine de militants extrémistes LFI très menaçants, et sur une autre date, dans la communes associée d’Hellemmes, au café “Le Polder”,la façade avait été taguée et dégradée à cause de ma venue annoncée.
Comme je refuse de me terrer et que nous avons organisé méthodiquement la visite, j’avance. Nous faisons au mieux. L’essentiel de la journée se déroulera à la permanence et dans un bâtiment situé à proximité. La permanence est relativement épargnée. Elle n’a pas subi d’attaques depuis longtemps. Ici, je nous pense donc en sécurité. Centrale, elle peut être secourue rapidement. Pour dire vrai, je n’envisage pas le pire. De plus, la venue de ce soutien national, qui vient pour une séance de travail, n’est pas couverte par la presse car c’est un événement militant. Les violences n’accaparent pas toutes mes pensées, je dois logiquement me concentrer sur la campagne, les sujets de fond, la logistique. Je suis en train de boucler mes programmes, mes professions de foi et mes bulletins de vote.
Roland Lescure a à cœur de m’aider dans cette dernière ligne droite. Cet homme de contact va pouvoir échanger avec les militants de terrain. Il ne sait pas encore, et moi non plus, ce qui l’attend. J’évoque avec lui cette campagne, pas toujours de tout repos, mais j’insiste sur cette dynamique qui dépasse mes espérances. Les violences sont un sujet qui ne lui est pas étranger puisque quelques mois plus tôt, il a été désigné comme Co-rapporteur d’une mission parlementaire visant à évaluer le coût des violences, des dégâts et des blocages engendrés par les manifestation du mouvement des gilets jaunes. Le plus gros de l’orage est passé. Mais les élections ont réactivé les radicaux d’extrême gauche qui avaient parasité le mouvement.
Malgré des épisodes violents, nous n’avons eu de cesse de battre le pavé. Avec succès. Nos soutiens ne viennent pas à Lille pour tenter de sauver une campagne moribonde et enlisée. Dans cette dernière ligne droite avant le 1er tour du 15 mars, chaque soutien de poids compte. C’est grâce au collectif, à l’énergie positive qui émane de la campagne, que nous pouvons caresser l’espoir de nous qualifier. « L’union fait la force » est bien plus qu’une devise pour nous. C’est notre mantra. Le parti « En Marche » n’a pas encore 3 ans d’existence, ce court CV, nous force à l’humilité et encourage l’entraide, le partage d’expérience. Roland Lescure me connait peu mais il sait d’où je viens. Il connaît mon parcours et sait que même si je suis nouvelle en politique, je ne suis pas surgie de nulle part, ni sans expérience du leadership ou de la conduite de projets.
Les nouveaux candidats dont je fais partie, n’ont pas l’expérience du combat électoral, et ne sont pas, pour reprendre Jean-Luc Godard, «des professionnels de la profession». Cependant, ils incarnent un nouveau choix, une alternative aux sempiternelles têtes d’affiche recyclées par les partis depuis des années. J’ai l’avantage, même si j’étais quasiment inconnue il y a encore peu, d’avoir contribué à mettre en œuvre des politiques publiques, de savoir organiser des événements, de bien connaître les arcanes de la politique locale, ses rouages. En revanche, j’ai le sentiment d’avoir beaucoup à apprendre. Je me sens pour le moins perfectible, et si je connais mes forces, je sais aussi que je suis, en quelque sorte, en apprentissage. Auprès de Martine Aubry, je n’avais participé que sur un des pans des campagnes. J’avais animé des groupes de travail de la société civile pour écrire les idées innovantes du programme municipal pour les élections. Un gros investissement d’animation et d’écriture, mais pas de technique d’organisation des campagnes. Je n’ai travaillé ni sur leur aspect juridique, ni sur leur financement, ni sur leur stratégie.
Ce 13 février 2020, pour la venue de Roland Lescure, je convie plusieurs militants comme Michel Coursil, conseiller de quartier à Lille, affairé à lancer un média sur la culture africaine, Sophie Nikula, une des fidèles de la campagne, membre de l’association des Femmes chefs d’entreprise, ou encore Richard Vanlerberghe, le directeur d’une agence de communication, très investi dans la lutte contre l’exclusion. Ingrid Brulant, ma directrice de campagne, est également présente ainsi que quelques autres militants, comme Jérôme Turpin, chargé de l’accueil à la permanence. Jérôme comme les autres avaient accompagné mon aventure depuis le début, dans les premiers groupes de travail constitués avec Christophe Itier.
La journée s’annonce studieuse. Nous évoquons un temps fort, la visite dans l’après-midi, de « La Grappe », situé tout près au 75 rue Léon Gambetta. « La Grappe » est un espace de coworking collaboratif qui permet à des entreprises et à des entrepreneurs spécialisés dans le développement durable de se rencontrer et de bénéficier d’un accompagnement. Ce lieu abrite notamment une coopérative belge nommée Smart, récemment implantée à Lille, qui accompagne des artistes et souhaite se développer. Une visite a été programmée avec eux par ma petite équipe. Roland Lescure, qui aime rencontrer et conseiller des entrepreneurs, se réjouit de cet échange.
Avant cela, une réunion de travail est organisée à la permanence. Nous sommes assis autour de la grande tablée, où nous avons l’habitude de nous réunir avec l’équipe, souvent tard le soir, pour échanger sur l’organisation, les sujets brûlants, des initiatives, des idées, des ajustements à apporter… Roland Lescure est venu sans garde du corps, et c’est dans un local non verrouillé que nous débutons la réunion.
La permanence est composée d’une unique grande pièce au rez-de-chaussée, nous sommes exposés en vitrine. On peut nous voir de l’extérieur du « bocal », et nous, nous avons un panorama sur la rue. Au début, tout est calme. Quelques passants, des riverains… Concentrés sur nos tâches, nous ne faisons pas attention au va-et-vient. Mais bientôt un homme à capuche se poste devant la vitrine. Impossible à ignorer, il nous adresse des gestes menaçants, obscènes. Il est bientôt rejoint par un autre, puis un autre… Rapidement, ils sont plus d’une dizaine. Ils ne nous veulent, c’est évident, aucun bien, mais se contentent, jusque-là de s’agglutiner à la vitre. Je demande toutefois à Jérôme de fermer la porte à clé puis j’explique à Roland qu’il va nous falloir faire attention. J’en reconnais certains, et le port de la capuche marque leur appartenance à un groupe d’antifas. Très vite, les perturbateurs sont entre 30 et 40, ils sont très agités et nous observent comme des animaux curieux. Ce sont quasiment tous des hommes. La police est prévenue. Dans une séquence un peu absurde, nous faisons mine de travailler autour de cette table, comme si de rien n’était. Il faut éviter toute provocation, en espérant un passage express de leur part.
Même s’il est impossible de se concentrer, nous faisons semblant de deviser sur de grands projets. Les indésirables s’incrustent et commencent à donner de la voix. Ils se mettent bientôt à hurler des slogans anti-Macron, ils nous hurlent de « dégager ». Nous nous sentons coincés et l’air devient irrespirable. La police mettra entre 10 et 20 minutes à intervenir, je ne sais plus exactement, mais cela me parait interminable. A travers la vitre nous voyons ces visages mangés par les capuches, déformés par la colère. Des mains frappent la vitre de plus en plus fort. Piégés dans la permanence, une simple paroi de verre nous sépare d’eux. Ils cognent, hurlent.
Nous assistons, impuissants, à un déchaînement de haine. Certains menacent de s’en prendre à nous physiquement. L’effet de groupe crée une vive escalade. Cette permanence où nous avons passé tant de bons moments avec mon équipe, ressemble désormais à une souricière. Dans une ambiance claustrophobique, Roland m’assure que ça va aller. Il reste souriant. Sa gentillesse réconforte. Élégant, il m’assure que ce n’est pas grave.
Le bruit est tel qu’il ne nous est pas possible de nous entendre.
Cette fois, nous nous sentons vraiment menacés. Les coups sur la vitre deviennent insoutenables. Quelques-uns la frappent avec leur bâton. Tiendra-t-elle le choc d’ici l’arrivée de la police ? Celle-ci finit par arriver et le groupuscule se disperse. La vitrine a tenu bon. Nous en sommes quittes pour une belle frayeur.
Alors que nous nous remettons de ces émotions, une question s’impose. Faut-il maintenir la visite à « La Grappe », située à 50 mètres du local ? Nous y avons rendez-vous à 14H30. La police est partie. Les extrémistes ne semblent plus être là mais nous ignorons s’ils se sont regroupés pas très loin avec l’intention de récidiver. Finalement, nous décidons d’y aller. C’est juste à côté et nous ne voulons pas céder face aux intimidations.
La visite chez l’incubateur n’est pas improvisée. Nous avons rendez-vous avec l’équipe du projet Smart, mais ce n’est que l’une des sociétés qui occupent les locaux de « La Grappe ». C’est un local d’entreprise avec une entrée et au fond un ascenseur, avec sur la gauche un escalier. Le rendez-vous est au premier étage, nous prenons donc cet escalier. Lorsque nous arrivons, l’accueil est glacial. Les autres micro-entreprises, elles, ne sont pas au courant et ne nous attendent pas.
Dans ce grand open-space, quelques personnes, installées à des postes de travail, nous regardent d’un sale œil. Après 5 mois de campagne, on me reconnaît assez aisément. Quelque chose ne tourne pas rond. Nous ressentons une petite agitation. Certains employés murmurent entre eux, d’autres appellent sur leur portable. Qui ? J’ai un mauvais pressentiment. Cet accueil froid, ces regards, ce bruissement, tout cela ne présage rien de bon.
En terrain miné on développe une sorte d’instinct. Je pressens le danger, et je partage mon ressenti à Roland Lescure. Quitte à ce qu’il me prenne pour une folle ou une parano, je lui dis qu’il faut partir très vite. Il me fait confiance et me suit dans l’ascenseur. Nous le prenons car on entend le son grandissant des pas empressés d’un comité d’accueil surprise. On entend bientôt leurs voix. On ressent leur excitation. Ce sont sans doute les mêmes qui ont assailli le local un peu plus tôt. Ou leurs « frères d’armes », d’autres antifas prévenus de l’intérieur. Grâce à l’ascenseur nous ne les croisons pas dans l’escalier qu’ils empruntent, mais nous les entendons gravir à toute vitesse les marches en vociférant.
Nous sortons du bâtiment et marchons d’un pas pressé. Nous nous réfugions dans le local où nous étions assiégés deux heures plus tôt. C’est le « refuge » le plus proche. Nous fermons à clé discrètement. La scène qui m’a le plus marquée c’est celle-là : être enfermée dans mon local, recluse. Je suis dépitée. A nouveau, Roland sait trouver des mots qui apaisent. On finit par se dire, un peu désabusés, que c’est ça la politique. Puis, on se rassure mutuellement en se disant que c’est un épiphénomène, que ce n’est pas que ça une campagne. Qu’il ne faut pas se décourager pour autant. Cette fois, les perturbateurs ne reviennent pas mais ils ont gâché la journée.
Lorsqu’il repart, je ne sais pas encore que nous nous retrouverons deux ans après, à Lille, lui Ministre, moi députée, pour d’heureuses retrouvailles sur une cause qui donne tout son sens à nos engagements respectifs. J’en parlerai plus tard.
LA MEILLEURE FAÇON DE MARCHER
Depuis mon entrée en politique, moins de deux ans plus tôt, j’ai tracté sur les marchés, multiplié les réunions, les points presse, j’ai distribué des tracts dans les boîtes aux lettres, sillonné les quartiers, j’y ai pris le plus souvent un plaisir fou, mais l’expérience ça ne s’invente pas. Je dois tout apprendre en vitesse accélérée. Ma chance, c’est que j’apprends vite. Et j’aime déléguer. Je me sens à ma place. Au niveau. Surtout, je conduis cette campagne en restant fidèle à mon tempérament. Je ne fais pas semblant de maîtriser des sujets que je connais peu, je ne prends pas les gens de haut, je ne promets pas tout et n’importe quoi. J’écoute, je m’informe, je creuse. Je crois plus que tout en la rigueur. C’est une qualité que j’ai cultivée dans les cours de danse classique. La danse est une école de la vie. Et une excellente préparation pour une carrière politique. On y apprend la discipline, la répétition, le travail. On progresse dans la souffrance, l’abnégation ; on sourit, même dans l’effort ; on chute parfois et on se relève aussitôt. La danse requiert de la patience, de l’abnégation, et on ne peut s’améliorer qu’en serrant les dents. La danse est indissociable de l’effort et de la persévérance si on prétend placer la barre haut. Malgré un talent naturel, une danseuse ne deviendra jamais une étoile sans labeur, sans cadre. Plus généralement, je suis convaincue qu’on ne réussit pas sans travail. C’est la valeur la plus juste, la plus méritocratique. C’est celle qui peut rebattre toutes les cartes : l’origine sociale, le réseau, le piston, le hasard, la chance, le culot…
J’ai dansé durant de longues années, à Clermont-Ferrand, d’abord où j’ai passé une partie de mon enfance, puis à Lille, au Conservatoire. Là, un professeur particulièrement autoritaire était réputé pour humilier les danseuses. Autre époque, autres mœurs. Il nous terrorisait littéralement. J’allais en cours la peur au ventre. Il n’acceptait aucun moment de faiblesse, ne voulait pas entendre parler de souffrance ; il nous criait dessus et évidemment, nous le détestions. Il ne m’a pas dégoûtée de la danse pour autant. Ses cours impitoyables, où il nous agressait verbalement, m’ont peut-être préparée à la violence de cette campagne. J’ai continué à danser pendant des années après le conservatoire mais j’ai dû arrêter lorsque j’ai été victime de la grave blessure au mollet en novembre 2016. C’est sévèrement handicapée et souvent coincée chez moi, que j’ai suivi la campagne présidentielle de 2017, et que pour la première fois, en suivant la campagne d’Emmanuel Macron, j’ai eu envie de m’engager. Je n’avais hélas pu assister à son rassemblement au Zénith de Lille en janvier 2017 à cause de ma blessure. Un grand regret alors, car j’avais hâte de découvrir en « vrai » l’homme qui secouait littéralement la politique, qui lui insufflait une nouvelle impulsion, un énergie positive contagieuse, avec une audace inédite.
MACRON, LILLE ET LES GAUFRES
Emmanuel Macron, je l’ai rencontré pour la première fois à Paris bien plus tard, le 18 septembre 2019, peu après le démarrage officiel des municipales. Mon ami l’entrepreneur Mongi Zidi, Coordinateur chevronné de la French Tech de Lille, m’avait invitée à assister à un grand rassemblement organisé à l’Élysée, mettant à l’honneur les startups, les licornes et toute la fine fleur de la technologie française, la « French tech ». Plusieurs autres entrepreneurs lillois étaient présents avec Mongi, notamment une autre de mes connaissances, Gilles Lechantre, PDG de Cooptalis, devenu un ami. J’accompagnais avec fierté ces entrepreneurs locaux qui portent haut les couleurs de la tech lilloise. C’est grâce à Mongi que j’avais décroché le fameux badge de cette soirée très courue. Je connaissais Mongi depuis des années. Patron d’Archimède, une société de logiciels de signature électronique et de simplification administrative, c’est un as du secteur, un passionné, avec une très forte fibre sociale.
Installé dans le quartier populaire du Faubourg de Béthune, il faisait énormément pour insérer les jeunes du quartier, en les recrutant et en les formant. Nous avions travaillé ensemble sur le projet Lille, ville de la solidarité, lorsque j’étais directrice de cabinet de Martine Aubry, et j’avais été frappée par sa générosité, sa spontanéité et sa verve. Mongi Zidi est un fonceur qui n’a pas froid aux yeux. Nous étions dans le grand salon de l’Élysée, au milieu d’une foule de plusieurs centaines de personnes, lorsqu’après le discours d’Emmanuel Macron, il m’a entraînée avec le groupe d’entrepreneurs locaux pour remettre un coffret géant de gaufres de chez Meert au Président. Ce dernier était évidemment très entouré. L’atteindre ce soir-là n’était pas chose aisée.
N’ayant pas un tempérament de groupie, je cours très rarement derrière des personnalités pour les saluer. Mais, c’était un privilège de pouvoir le rencontrer en personne et de me présenter à lui. Cette opération amusante visait à attirer l’attention sur la tech lilloise avec un cadeau en forme de clin d’œil. C’est dans le sillage de Mongi, dont la carrure est imposante et protectrice, que j’ai pu me frayer un chemin jusqu’à Emmanuel Macron, une boîte de gaufres sous le bras. Je l’ai donc salué pour la première fois, en lui témoignant mon respect. Avec un large sourire, il m’a alors serré la main, il nous a parlé avec un ton naturel et direct, s’est approché de moi et m’a glissé : « Je sais qui vous êtes, Violette et je compte sur vous. Ramenez-moi Lille ». Une façon de me motiver encore plus dans cette aventure des municipales, entourée et forte de ces paroles encourageantes.
J’ai retrouvé Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2022, alors que j’étais coordinatrice de sa campagne pour le Nord. Il était venu dans le bassin minier où il a participé à un immense bain de foule. Emmanuel Macron suscite les passions. S’il est souvent l’objet d’attaques violentes, et par ricochet ses soutiens, il est aussi extrêmement populaire. C’est un homme de contact, qui aime se mêler aux gens. Le soir, alors que nous participions à un dîner organisé avec les élus Renaissance, ex-En Marche, du Nord, dont Gérald Darmanin, Emmanuel Macron a passé près de 2 heures au milieu de la foule, à serrer des mains, à dialoguer, à se prêter au jeu des selfies.
Lorsqu’il nous a rejoint à l’intérieur du restaurant, je garde cette image de lui debout sur une chaise, en train de faire un discours vibrant, nullement découragé par la chaleur infernale qui régnait dans ce modeste établissement bondé. Je l’avais raté au Zénith de Lille, mais j’avais la chance d’assister à ce meeting particulier. C’est un orateur hors-pair, inspirant, dont l’énergie est contagieuse. L’image était unique. Je peux témoigner qu’il ne mouille pas uniquement la chemise sous l’objectif des caméras. L’ambiance était effervescente. J’étais cette fois impliquée tout autrement dans une campagne électorale, comme relai et soutien de celle du Président. Un moment privilégié, fascinant à observer. Nous nous sommes croisés rapidement ce soir-là mais je garde un souvenir marquant de cet épisode. J’espère qu’il viendra au plus tard lors des municipales de 2026. Et cette fois, dans la foulée, j’espère bien que nous lui «ramènerons» Lille.
Lors de la première rencontre avec Emmanuel Macron, j’avais été sincèrement touchée par ses mots. Son encouragement était un témoignage de confiance et de respect. Je n’ai pas ramené Lille à l’époque, mais j’ai réalisé un gros score, bien au-delà des prévisions. L’entrain populaire avait joué un rôle déterminant. Comme Emmanuel Macron, nombre de Lillois que j’ai croisés durant ma première campagne m’ont encouragée, dit leur confiance. L’enthousiasme est un carburant fondamental et je peux dire que je n’ai jamais été à court d’essence. Les témoignages de soutien des Lillois, ont porté ma campagne du début à la fin. C’est une expérience indélébile. Cette affection qu’on vous témoigne, ces espoirs qu’on porte en vous sont un énorme privilège qui vous incite à donner encore davantage.
Dans cet élan de soutien, j’ai aussi reçu de l’aide concrète pour élargir mes connaissances, mieux appréhender les différents acteurs de la société civile, avoir de nouveaux contacts. Je pense à tous ceux qui, dans les quartiers de Lille, ont organisé chez eux des “réunions d’appartement” avec leurs amis ou leurs voisins, pour leur faire découvrir la candidate challengeuse que j’étais. Parmi eux, Prune Richmond, très engagée dans mon collectif, a organisé maintes soirées chez elle pour me présenter à des chefs d’entreprises, des responsables d’associations, des personnalités lilloises. Elle a animé une campagne de dons, auprès de donateurs qui ont été essentiels pour organiser notre parcours électoral “Faire Respirer Lille”. La campagne a baigné aussi dans ces ondes positives, ces éclats de chaleur ; elle a été l’occasion de rencontres inoubliables, chaleureuses, émouvantes. Une campagne est une aventure humaine incomparable, une leçon de vie, d’humanité. Je ne pourrais jamais oublier les multiples moments d’euphorie lors de réunions publiques emplies de ferveur.
Toutes les premières fois sont inoubliables. Et cette première campagne a été un des moments les plus forts de ma vie, par son humanité, sa puissance d’âme, l’intimité rare qu’elle m’a permis de créer avec ceux que je me proposais de représenter. Ce fût, malgré les embûches, un exercice de grande proximité, et un grand moment de vérité sur le quotidien des gens, leurs rêves et leurs réalités. Cette connexion aux autres était en droite ligne avec ma façon d’être au quotidien, mon besoin d’ancrage dans la société, mais cette campagne a été, étant donné son échelle, sa durée, une aventure d’une intensité inédite. Une campagne est épuisante mais sa dimension humaine vous donne une force d’une ampleur insoupçonnée, une énergie transcendante, qui vous nourrit du début à la fin.
Les attentes, les espoirs, sont une pression saine pour qui aime les défis. J’aime les défis. Il n’y a rien d’écrasant à porter les espoirs des électeurs, cela donne au contraire des ailes. Il ne faut pas se lancer dans une élection avec la peur de décevoir, car c’est à mes yeux une conception égocentrée du combat électoral. Il faut redouter de ne pas se battre assez, de ne pas se donner à la mesure de ce que l’on attend de vous. En campagne, cette pression ne me tétanise pas, elle me pousse au contraire à me dépasser.
DE BRUIT ET DE FUREUR
Si cette campagne a été inoubliable, parfois même touchée par la grâce, je ne peux pas occulter la violence qui l’a accompagnée. Ce serait faire l’autruche, manipuler la réalité, enjoliver les faits. Surtout, ne pas l’évoquer reviendrait à passer à côté de l’un de ses grands enseignements. Je pourrai écrire des paragraphes entiers, à la manière d’un feel good story, sur tout ce qui nous a souri et dont je peux me féliciter. Ce n’est pas l’angle de l’ouvrage. Ce qui m’intéresse, c’est d’abord d’aller aussi au cœur de défaillances démocratiques pour proposer de les corriger, et ainsi d’enrichir mon programme de rupture, par ce que j’ai appris en campagne, puis comme députée.
Ces défaillances démocratiques sont des faits de société : violences, fake news, abus de pouvoir… Je le répéterai tout au long du livre, il n’y aucune fatalité et je suis même optimiste. A condition de prendre les problèmes à bras le corps, de ne pas glisser la poussière sous le tapis. Toutes les grandes prises de conscience susceptibles de faire évoluer les choses, nécessitent au préalable de briser des tabous et de mettre des mots sur les maux, de refuser le déni. Et de tirer les leçons.
L’optimisme ne consiste pas, selon moi, à édulcorer la réalité, ou minimiser les problèmes. L’optimisme réside au contraire dans notre capacité collective à analyser ce qui ne tourne pas rond, pour passer ensuite à l’action. Ces élections municipales ont soulevé plusieurs problèmes de fond, symptomatiques d’un malaise démocratique plus général, et qui ne se sont hélas pas démentis depuis. Comme je ne prétends pas faire ici une thèse sur l’ensemble de la classe politique française, je veux contribuer aux débats sur nos institutions, notamment locales, en parlant de ce que je connais le mieux. Ce que j’ai vécu. Mon expérience. Je ne crois pas à l’approche empirique consistant à prendre les choses par l’autre bout en théorisant une politique virtuelle qui s’appliquerait à toutes choses. Je crois au contraire dans la faculté des responsables politiques à esquisser des solutions par la connaissance et la pratique des sujets qu’ils souhaitent porter, par leur proximité avec ces sujets, par nature ou par exploration, bref, je pense qu’on ne change ce que ce que l’on comprend, que ce que l’on connaît, ce qu’on a appris, intégré, retenu. C’est en tout cas ma démarche, le sens de mon engagement. De ces élections municipales, je retiens aussi grandement ce qui n’était déjà pas une anecdote et qui est depuis devenu un fléau : la violence en politique, contre les élus et contre les institutions.
Cette violence s’est traduite dans les actes et dans les mots. La brutalité de certaines phrases, les expressions choisies, contribuent à abaisser le niveau et à entretenir un climat délétère. Les responsables politiques doivent absolument bannir les termes guerriers, barbares, en particulier lors des campagnes électorales, périodes passionnées et passionnelles s’il en est, où la dignité ne peut pas être bradée. Affaire d’exemplarité. De décence. Ces attaques viennent parfois d’où on ne les attend pas. Ainsi, Valérie Petit, députée de la LREM depuis 2017, et prétendante à l’investiture du parti présidentiel pour les municipales, fit preuve d’une certaine inélégance lorsqu’en mars 2019, nous sommes en concurrence pour cette investiture. C’est la campagne avant la campagne. On se lance tôt pour bâtir un projet ambitieux mais l’on est certain de pouvoir le défendre au nom d’un mouvement quand celui-ci vous investit. Cette période, sorte de primaire, est un peu une bataille sur deux fronts : interne et externe. Logiquement, l’affrontement interne, même vif, impose, à l’égard des militants, une certaine tenue. Valérie Petit choisit de sortir l’artillerie lourde. Dans tous les sens du mot. Elle prédit, rien moins que la dissolution de mon collectif politique “LilleC”. Un journaliste présent à sa conférence de presse titrera “Valérie Petit prédit la disparition façon vitriol de l’équipe de Violette Spillebout”. Des mots sidérants.
Elle dit dans l’”Opinion” vouloir me mettre un “dunk” pour me stopper dans mon ascension. Alors que nous faisons à priori partie du même camp, elle promet une opération nettoyage façon puzzle, faisant du sous-Audiard pour évoquer mon sort. Ce n’est plus un affrontement musclé, c’est incendiaire, irresponsable. Tout ce qui est excessif est insignifiant. C’est vrai sur un plan philosophique mais pas forcément dans la réalité. Valérie Petit a ainsi contribué à alimenter un climat sous tension. Et a affaibli la cohésion du mouvement par ses excès. Elle avait la possibilité d’être cinglante, d’avoir des mots durs, percutants. Elle a choisi d’être injurieuse, alors même que nous étions au fond deux collègues en rivalité pour un même poste, au service de la même entité. Cela n’aurait été qu’un dérapage regrettable si elle n’avait pas multiplié les provocations. Elle a fini par rejoindre l’équipe des Républicains, menée par le Sénateur Marc-Philippe Daubresse, et l’ancien leader de l’opposition lilloise Thierry Pauchet.
Un trio surprenant, qui finalement ne dépassera pas la barre des 8% au premier tour. Normalement, dans une lutte pour l’investiture interne, les perdants s’engagent à soutenir celle ou celui désigné à l’arrivée. Davantage que de la simple courtoisie, c’est un pilier démocratique, comme l’est la transition pacifique du pouvoir, il s’agit de témoigner de son respect du processus démocratique, des règles du jeu et donc des électeurs. Je me suis engagée à la soutenir si elle emportait cette investiture pour les municipales. Elle aussi avait signé la charte de LREM, mais s’en est affranchie une fois son investiture rejetée. Mauvaise perdante, malgré un processus à la régulière, elle a véritablement commencé à se discréditer à ce moment-là aux yeux des dirigeants du mouvement et des militants. C’est aussi à ce moment-là; que face à l’adversité, j’ai reçu le soutien précieux de certains parlementaires du Nord influents, qui sont ensuite restés à mes côtés pendant toute la campagne : je pense à Frédéric Marchand, alors sénateur, et aux députés Christophe Di Pompeo et à Laurent Pietraszewski, qui aux côtés de Christophe Itier et Delphine Garnier, responsables de LaREM Nord, se sont mobilisés pour soutenir LilleC, devenu ensuite Faire Respirer Lille.
Ces attaques d’une adversaire au final peu crédible n’entamaient en rien ma détermination, et j’ai poursuivi la campagne dans un état d’esprit déterminé et intense, un peu comme celui d’une compétition sportive.
Plusieurs mois après mon grave accident au mollet, l’élection m’a d’ailleurs obligée à reprendre intensément le sport. J’ai même pris un temps quelques séances particulières de yoga et renforcement musculaire avec Olivier Bartlinski, coach lillois et fan de Macron au passage, qui m’a permis de reprendre l’entraînement sans faire de bêtise et de nouvel accident. Plus tard dans la campagne, notre collaboration m’a inspirée pour animer des séances sport-santé à la Citadelle, manière originale de faire campagne sur ces thèmes en en faisant soi-même. Je n’oublie pas mes premières passions pour la danse et le fitness, dans les clubs de gym lillois, là où j’ai commencé ma vie professionnelle et où j’ai rencontré mon mari. La campagne est un marathon qui se court à une vitesse effrénée. Il faut être rapide, endurant, avoir d’excellents réflexes. Et surtout être dur au mal. C’est aussi une course d’obstacles. Depuis le top-départ, ils ont été nombreux.
Cette campagne municipale, je l’ai abordée avec humilité, consciente de certaines carences. Mais j’ai travaillé inlassablement pour être au niveau. Toute mon équipe a travaillé. Et contrairement au professeur de danse tyrannique de ma jeunesse, j’aime les ambiances harmonieuses. L’idéal à mes yeux, est d’arriver à l’excellence dans un climat respectueux et valorisant. De concilier exigence et plaisir. Le travail n’est pas une punition, une corvée, qu’on organise à coups de cravache. Je me permets d’être exigeante avec mon équipe parce que je leur garantis en échange un cadre épanouissant, galvanisant.
Avec les personnalités d’En Marche qui viennent nous soutenir, je crois partager la valeur travail. Nous savons que ce courant regroupe des sensibilités différentes et qu’il respecte cette pluralité. Que cette élection est avant tout une bagarre locale. Que nous sommes attachés aux spécificités territoriales de chaque élection. A Lille, il s’agit de se faire une place, aux côtés d’une gauche en déclin, mais toujours puissante, et les forces morcelées de l’opposition. Pour se faire cette place, nous avons bossé inlassablement. En rassemblant. A Lille, Roland Lescure, Emmanuelle Wargon, Stanislas Guérini, Gabriel Attal ont tous été les artisans de l’orchestration de la diversité du mouvement « En Marche » sous une bannière forte, garante de valeurs cohérentes, notre “Faire Respirer Lille”. Ils viennent prêter main forte, avec générosité et bienveillance. J’espère que tous ceux qui viendront me soutenir à Lille seront touchés par notre accueil, qu’on leur fera bonne impression, que leur venue sera mémorable, pour les militants et pour eux. Dans notre si chaleureuse permanence de campagne, rue Léon Gambetta une rue commerçante et traditionnelle du Lille historique.
J’ai choisi d’implanter le QG ici car c’est une rue très symbolique pour les Lillois, et pour moi. Je l’ai choisi pour des raisons stratégiques d’exposition, au croisement de la rue Solférino, près du Théâtre Sébastopol. Mais aussi des raisons « sentimentales ». C’est cette rue que j’empruntais petite pour aller faire les courses au Prisunic avec ma grand-mère, qui habitait tout près, rue Barthélémy Delespaul. Le Prisunic, qui n’existe plus aujourd’hui, remplacé par la Poste, était un magasin symbole de cette rue Gambetta, j’aime en garder le souvenir.
Je souhaitais être installée au cœur de Lille, près des deux grandes rues traversantes qui parcourent la ville et face au square Ratisbonne, endroit historique convivial, avec ses beaux arbres et son petit café. Notre liste s’appelle « Faire respirer Lille », et je souhaite que le cadre environnant reflète notre état d’esprit : un vrai lieu de vie, à visage humain, au carrefour de grands axes qui irriguent toute la cité. Un lieu de défi, celui qui consiste à conjuguer la modernité et la tradition, à réinventer des secteurs dont l’activité économique s’essouffle, à cause notamment d’une circulation automobile cauchemardesque et d’une bétonisation sans âme. Cette permanence est pour mon équipe et moi un symbole du vivre ensemble, du lien social, de la diversité, au cœur d’un quartier mixte.
Nous y menons de nombreuses réunions, nos comités de campagne du lundi midi, nos petits-déjeuners du samedi matin, et nous y accueillons régulièrement nos soutiens. La visite de Roland Lescure en février 2020, largement chahutée, me marque mais ne m’arrête pas. Ces événements sont imprévisibles, sporadiques.
Le répit est hélas bref. Quatre jours plus tard, au café l’Oxford, à Wazemmes, une vingtaine de manifestants montent à l’étage du café pour perturber à nouveau une de mes réunions. Le groupe d’extrême gauche « Lille insurgée » avait publié peu avant, sur Facebook, la liste de mes événements publics. Une invitation à peine voilée à y rendre de déplaisantes visites.
Ce jour-là, j’arrive seule à l’avance pour une séance des “lundis ouverts” : un café citoyen où j’invite les gens tous les lundis soir dans un bar pour échanger. Je m’installe à 18H dans un café qui a accepté ma présence, impatiente de discuter avec des citoyens, conviés à 18H30. Les précédents « Lundis ouverts », s’étaient bien passés, les gens étaient venus à ma rencontre, sans se faire chahuter. Aucune inscription n’est requise, fidèle à son nom, l’évènement est accessible à tous. Mais le climat s’est tendu en fin de campagne, et ce « Lundi ouvert », allait être celui de tous les dérapages. Je suis à l’étage, en train de préparer, lorsque Jean-Marie, un membre de mon équipe, me rejoint. Il est là pour ma sécurité aussi. Au cas où. Quelques minutes plus tard, une dizaine d’hommes, encapuchonnés ou cagoulés, pénètrent dans le café, et se dirigent vers moi : « on vient parce que on veut vous dire que vous ne restez pas ici ».
Je tente de discuter calmement en expliquant que j’ai réservé l’étage du bar, que j’ai le droit d’être là. Ils sont même les bienvenus pour discuter des municipales, à condition d’être respectueux. J’ai voulu un événement ouvert à tous, s’ils laissent tomber l’agressivité, nous pouvons discuter, débattre. L’un d’eux rétorque cette phrase trop souvent entendue lors de la campagne : « non tu t’en vas ». Le tutoiement peut sembler anecdotique mais c’est en l’espèce un signe de mépris. Le ton ne laisse pas de doute. La phrase est reprise en chœur.
Je refuse de partir et je leur propose de s’installer au fond pour écouter. Je veux éviter d’appeler la police et j’en appelle au dialogue. Je me heurte à un mur. « Hors de question ». Et à nouveau, ils exigent que je parte. Puis, ils s’avancent vers nous. Face à plus de dix gars, Jean-Marie ne fait logiquement pas le poids. Il ne parvient pas à les calmer. C’est un petit espace, ils sont à quelques centimètres de moi. Ils ne me touchent pas, mais les paroles sont si odieuses, si menaçantes, que je n’ai pas d’autre choix que de partir. Durant cet échange, ils ne développent pas d’arguments, l’unique message est « tu te casses » et des injures. Lorsque je pars, certains me collent physiquement. Puis ils me suivent. Nous ne pouvons pas repartir à bord de ma voiture. C’est l’hiver, il fait nuit. J’appelle la police et à son arrivée, je retourne à ma voiture. Ils ont gagné.
Une autre fois, à la Voisinnerie, toujours à Wazemmes, j’organise une conférence de presse sur la solidarité, sur l’interdiction des plastiques dans les cantines et un projet sur la cantine bio et durable. Je m’en souviens bien parce que Richard Ramos, le député MoDem, porteur des lois “zéro nitrite” était venu exprès pour lancer le volet alimentation du programme Faire Respirer Lille. Là encore, une vingtaine d’hommes réussissent à faire capoter la réunion. Il s’agit d’empêcher une candidate de s’exprimer, de circuler.
En fin de campagne, en particulier après l’attaque de la permanence, je m’attends à devoir annuler les événements dont j’ai été obligée de limiter le nombre. Constat amer. Depuis 5 mois, j’ai arrêté de travailler, je suis en congés sans solde, j’ai mis ma carrière à la SNCF entre parenthèses. Ma vie sociale aussi. Ce sont des mois de sacrifice et je donne sans compter. C’est normal et personne ne m’a forcée à me présenter. Je suis exaltée par cette aventure. Mais je ne supporte pas cette violence. Et ce populisme qui désigne les politiques comme des privilégiés. Je sacrifie mon salaire, je vois moins ma famille, je ne touche pas un centime personnellement, tous les frais sont engagés dans la campagne. J’ai droit au respect. Au mieux, à l’indifférence. Mais l’agitation ne cesse pas. La vitrine de notre local est brisée.
Je m’inquiète pour la suite. Depuis des mois, je ne peux plus bouger sans être régulièrement menacée, parfois physiquement, sans être insultée, suivie, chahutée, bloquée. On me somme d’annuler des meetings, on les perturbe. Des manifestants hurlent pour couvrir ma voix ou torpiller les débats que j’organise ; ils tentent d’intimider mes sympathisants ; d’imposer des zones de non-droit. Dans ma propre ville, ces agitateurs me décrètent indésirable. Surtout, à mesure que le premier tour approche, l’hostilité gagne en intensité.
Ils se proclament anti-fascistes, mais reproduisent les mêmes méthodes d’intimidation du parti nazi à ses débuts. Et jamais ils n’auront menacé des candidats d’extrême-droite.
CES ENTRAVES À LA PROXIMITÉ
Ce genre de scènes, de violences, où l’expression politique est entravée, je les avais vues dans des films ou des documentaires, mais à des milliers de kilomètres, dans des régimes autoritaires, des démocraties balbutiantes ou chancelantes. Nous sommes en France, berceau de la démocratie, nous sommes en 2020, et cette première campagne, qui suscite pourtant un élan populaire, est l’objet d’un harcèlement constant. Pour moi, ces actions constituent une entrave à la liberté de réunion et d’expression.
Ces perturbateurs contestent mon droit à faire campagne. Plus grave, ils tentent d’empêcher mes électeurs de se réunir, de m’entendre, et donc d’exercer pleinement leurs droits. Ce n’est pas moi qui suis visée, c’est la démocratie. L’effet sournois de ces manifestations violentes est de distiller la peur. Le climat délétère dissuade de nombreux citoyens de rejoindre des rendez-vous publics. Il m’oblige à revoir ma feuille de route, et à déserter parfois, à grand regret, certains endroits de la cité, faute de pouvoir y garantir la sécurité de mon équipe, de mes militants et des curieux, qui viennent parfois à ma rencontre avec leurs enfants.
Je suis candidate à la mairie de la ville, pour représenter tous les Lillois ; je représente un parti républicain, mon programme est républicain, mais l’ultra gauche veut m’interdire de participer au débat démocratique. Des méthodes brutales et autoritaires perpétrées pourtant par des individus autoproclamés… opposants aux fascismes. Cruelle ironie.
Les membres les plus fanatiques, dont le but est de faire régner la terreur, sont une minorité mais malgré leur faible représentativité, et une radicalité qui ne reflètent en rien les valeurs de l’écrasante majorité des citoyens, leurs opérations coup de poing réussissent à semer le désordre et fausser le jeu. La grande perdante, c’est l’élection. Je suis un dommage collatéral.
Le message envoyé par ces ultras est dévastateur car, j’en suis convaincue, il découragera assurément des talents et des bonnes volontés de rejoindre un univers politique déjà asséché par un système local recroquevillé sur lui-même, verrouillé, et où les nouveaux entrants n’ont quasiment que des coups à prendre. Ces évènements ne sont pas anecdotiques. Ils sont au contraire, préoccupants.
Je n’ai pas les moyens de faire surveiller en permanence notre QG. Une nuit de protection coûte 200 euros. Le budget est serré et la dépense n’entre donc pas dans les frais de campagne. Je ne devrais pas avoir à m’inquiéter pour un local électoral dans une démocratie. Je considère une permanence électorale comme une sorte de sanctuaire. C’est un lieu d’accueil public, ouvert à tous les habitants, quelles que soient leurs opinions. Ils peuvent venir s’y informer, y laisser des doléances, y témoigner de leurs problèmes quotidiens. Une publicité récente ironise sur ce monde où on peine à trouver des interlocuteurs. Un consommateur, renvoyé à des sites web, à des numéros de plateformes délocalisées, y parcourt une ville sans âme en quête d’espaces où il pourra être entendu, reçu, par des êtres humains. Inlassablement, il répète tout haut « Y a quelqu’un ? ». Cette publicité maline pour une banque surfe, évidemment dans un but commercial, sur le sentiment qu’ont les citoyens d’évoluer dans un monde désincarné où ils échouent à trouver des responsables à qui parler, et même à les identifier. Cette publicité résonne avec son temps car ce sentiment est très répandu, et souvent justifié.
Depuis toujours, les permanences électorales ont pour but d’incarner les mouvements politiques. Elles sont des vitrines, mais surtout des espaces à la portée de tous, accessibles à tous. En Belgique, notamment, les principaux partis étaient autrefois présents dans les districts, à travers les Maisons de quartier, comme à Anvers, et ce, pour entretenir un lien constant entre les élus et les citoyens. Ces « guichets » n’étaient pas dénués d’arrière-pensées électorales, et seuls les gros partis pouvaient se les offrir, ce qui leur donnait un avantage indéniable. Les socialistes flamands ont progressivement déserté ces lieux citoyens, bientôt investis par l’extrême droite. Cette dernière avait compris qu’en occupant ces lieux de proximité qu’elle pourrait créer du lien et faire prospérer ses idées nauséabondes. En France, l’extrême-droite a également compris l’intérêt d’aller prospecter dans des quartiers populaires délaissés par les partis traditionnels, d’aller frapper aux portes dans des immeubles où les politiques ne vont plus. La proximité est un enjeu fondamental pour la démocratie. Les partis républicains ont trop déserté le terrain. A tort ou à raison, ils paraissent lointains, coupés du réel.
Une permanence, surtout en période d’élections, c’est un lieu en prise avec la société, installé au beau milieu du cadre de vie quotidien. C’est un endroit où les citoyens sont chez eux, où ils peuvent exprimer leurs attentes, raconter leurs difficultés, dire leur ras-le-bol, ou suggérer des idées. C’est un lieu d’information, mais aussi, pour certains, un lieu de rencontres, de réunion. Pour toutes ces raisons, une permanence électorale est un lieu sacré de la démocratie.
Dans l’idéal, il faudrait des Maisons citoyennes, maillant tout un territoire local et qui y accueilleraient tous les partis. C’est une piste à explorer.
Nombre de citoyens se sont détournés de la politique car la politique s’est éloignée d’eux. En revanche, on ne doit pas être nostalgique d’une époque où seuls les partis richement dotés pratiquaient la politique de proximité monopolistique à des fins clientélistes. Face à l’abstention, au sentiment d’abandon, nous devons réfléchir à la façon de réinventer la proximité en politique, dans la pluralité. Cela peut passer par des subventions pour garantir à tous les partis une présence étendue dans les territoires.
Les mairies ont ce rôle crucial de proximité et d’accueil. Mais elles ne sont pas un terrain neutre et dans les métropoles, la concentration des services altère cette notion de proximité. Il faudrait peut-être imaginer demain des mairies qui ne sont plus simplement de gigantesques monuments abritant des services centralisés, mais une ensemble coordonnée de lieux, de cellules, plus proches des habitants. Nous devons faire preuve d’imagination pour multiplier les passerelles entre partis et citoyens. La raison est évidente : de plus en plus de français ne votent plus. La politique, pour eux, est une chose abstraite, déconnectée, voire suspecte.
Aujourd’hui, le monde politique doit impérativement réinventer, dans une démarche collective, son lien de proximité aux citoyens. La condition sine qua non de cette réflexion est le souci de pluralité. Les partis doivent imaginer la place de la politique dans l’espace public et pas seulement celle de leurs « boutiques ». Grâce aux réseaux sociaux, les programmes des partis sont plus accessibles, on peut d’un clic interpeller un élu ou un candidat, partager ses projets, faire circuler son agenda. Mais ce progrès ne remplace pas le contact direct, l’interaction humaine. Un parti doit être personnifié, proche, incarné.
En cela, l’existence d’une permanence locale me paraissait primordiale. Avant le début de la campagne de 2020, malgré l’existence de nouveaux moyens de communication, je n’envisageais pas de faire sans. L’inauguration devait même être un événement.
Nouvelle opposante, je n’avais, contrairement à mes concurrents, aucun espace à ma disposition. C’est un handicap car un nouvel entrant doit tout bâtir. Cela a un coût, et demande de l’énergie. Mais l’aventure nous a motivés. Lorsque nous avons trouvé le local rue Gambetta, il a fallu tout aménager. Le collectif n’est pas un vain mot. Les membres de l’équipe, des militants, ont amené du mobilier : bureau, matériel de bureau, frigo, armoire et de la vaisselle. La générosité fût telle que nous n’avons pas tout utilisé. Décoration intérieure et habillage de façade, tout a été fait avec soin et dans un temps record.
Notre noyau dur est pluriel, à l’image de Lille. Des jeunes, des anciens, des étudiants, des actifs, des cadres, des précaires… tous mû par un même désir de changement. En travaillant en équipe, on crée une synergie, une dynamique qui transcende les limites des capacités individuelles. Chaque membre apporte ses talents uniques, ses idées et son expérience pour nourrir le projet. Le travail collectif ne se limite pas à une simple répartition des tâches, il englobe un sentiment d’appartenance à quelque chose de plus grand que soi. Désormais, cette équipe soudée a un QG. C’est grâce à cet esprit collectif que nous avons pu tenir les délais et proposer un lieu d’accueil digne de ce nom.
Le 24 août 2019, je récupérais les clefs, et une semaine plus tard, au jour dit, tout était prêt pour accueillir des gens en permanence et organiser des événements, des réunions. C’est alors un vrai tournant. Nous disposons d’une existence physique, un enracinement. Notre engagement se matérialise. Nous sommes visibles, ancrés. On peut facilement nous trouver.
Dès le départ, nous songeons à ce à quoi le local doit ressembler. Ce lieu doit être hospitalier, pratique, il doit permettre de phosphorer, débattre, et accueillir tous les esprits curieux de nos idées. A l’accueil, j’avais embauché Jérôme Turpin que j’ai déjà évoqué. Il reçoit le public avec Michel Gabriel, un jeune septuagénaire, tout aussi dévoué. La permanence, grâce à eux aussi, est un lieu ouvert, convivial. Pas de caméra de surveillance, ni rideaux de fer. Nous n’en avions ni l’envie ni les moyens, et nous voulions un lieu ouvert, pas un bunker. Nous entretenons l’espoir, vite douché, que l’endroit sera respecté, au nom de la pluralité du débat et des sacro-saintes valeurs démocratiques.
Dès avant l’ouverture, prévu le 1er septembre, jour de lancement de la campagne officielle, le programme est calé : la permanence sera ouverte au public en journée et nous servira de QG de campagne le soir, pour adapter, peaufiner, enrichir la stratégie. Et recenser le matériel : affiches, tracts, banderoles… On y refera le monde, enfin Lille, et on y organisera des apéros. Un temps de convivialité, ouvert à tous, est prévu les samedis matin. Ce rendez-vous rassemblera près de 150 militants actifs en moyenne. Le local, comme nous l’espérions alors, sera bel et bien un endroit de rencontres, un espace chaleureux, humain, effervescent. Nous y avons accueilli quantité de curieux. Mais aussi, hélas, reçu la visite de spécimens belliqueux.
Nous avons trouvé ce grand local commercial vide de 60 m2, emblème de la crise des commerces qui avait frappé la rue Gambetta. Un endroit de plain-pied, décloisonné, avec une grande vitre, un pas de porte… Un local pas trop éloigné du quartier de Wazemmes, que j’avais préféré éviter à cause des risques de casse et de violence, l’extrême gauche étant très active dans ce quartier. La casse, je n’y ai pourtant pas échappé. Si nous ne sommes pas allés à Wazemmes, l’extrême gauche, elle, est venue à nous. Et très vite : dès l’inauguration du local le 1er septembre 2019. Et même l’avant-veille. En catimini… Le ton a été donné d’emblée.
EN TENSION PERMANENTE
Le vendredi 30 août 2019, vers minuit, mon mari Olivier, qui m’aide à surveiller mes messages sur les réseaux sociaux afin que je réponde à tout le monde, me signale un message sur Messenger. C’est celui d’une voisine du local. Elle habite juste en face. On ne la connait pas mais elle veut nous alerter. Elle assiste à une scène qui la choque et dont elle prend des photos. En pleine nuit, un petit groupe obstrue la vitrine de ma permanence avec de vieux meubles et de lourds matelas. Ils empilent un maximum d’objets lourds susceptibles de faire céder la vitre et de nous empêcher d’accéder au local.
Je ne suis locataire des lieux que depuis une poignée de jours et certains tentent déjà de le dégrader. Le message est limpide : je ne suis pas la bienvenue. Ma candidature indispose. Ces individus, qui portent tous une capuche, et les groupuscules auxquels ils appartiennent, se dresseront sur ma route. Ce local ne m’appartient pas, il appartient à tous les Lillois. Il est loué, comme les locaux de tous les partis, grâce à de l’argent public. De tout cela, ils n’ont cure.
Murer un lieu de débats, c’est déprimant, révoltant. Et je m’inquiète pour la vitrine et les dégâts qui risquent d’être occasionnés. Nous allons sur place, en pleine nuit, pour éviter les dégradations et réagir vite, en faisant dégager ces objets. La police est prévenue. Les individus ne peuvent pas être identifiés. Les capuches dissimulent à dessein les visages. Ces capuches noires sont un indice éloquent, ce sont celles que portent systématiquement les antifas qui ont détourné et pourri le mouvement des gilets jaunes. Pas question de se laisser abattre. Les traces de leur passage sont vite balayées.
Grâce à cette action des antifas, nous avons toutefois «recruté» une militante de plus : Marie Noël, cette voisine vigilante et responsable, que je ne connaissais pas. Elle s’est engagée auprès de nous jusqu’à figurer sur ma liste. Si les incivilités ou agressions ont parfois découragé des Lillois de participer à des manifestations publiques, par crainte de débordements, elles ont aussi encouragé des citoyens exaspérés à nous rejoindre. Cette animosité a également renforcé les liens avec les militants. Les épreuves nous ont unis, et ont nourri encore davantage notre souci de bienveillance. Chacun se préoccupait de la sécurité des autres, de leur bien-être. A cette agressivité extérieure, nous avons opposé durant toute la campagne notre solidarité.
A l’inauguration de notre local de campagne le 1er septembre, nous avons reçu un invité d’honneur, Stanislas Guérini, qui s’est déplacé pour l’inauguration. Convivial, énergique, le député de Paris était le délégué général de LREM. C’est un fédérateur. Il a lancé plus tôt en cette année 2019, la consultation interne en vue d’une révision des statuts du parti, avec pour objectif, notamment, de décentraliser le mouvement. C’est l’un des initiateurs du mouvement. Sa présence est plus que symbolique.
Stan Guérini croit profondément dans l’union, la nécessité de bâtir des ponts, de dialoguer et d’additionner les forces. Il est là pour nous aider à prendre la lumière, et pour témoigner le soutien sans ambiguïté du parti. Il est un trait d’union entre la province et Paris, entre la direction du mouvement et les élus de terrain, les candidats, leurs militants. Toute l’équipe l’attend donc avec enthousiasme et excitation. Sa venue suscite aussi l’intérêt des médias.
Ce jour d’inauguration, après un long travail en coulisses, est un jour de célébration. Nous fêtons une naissance, le début officiel d’une campagne, qui, je le sais, ne sera pas un long fleuve tranquille. Ce moment doit nous ressembler, être positif, généreux, porteur de sens. Il doit être inclusif ; donner le ton d’emblée. A l’approche du coup de feu, je ressens l’excitation du grand démarrage mais aussi une forme de pression. Je sais ma capacité à organiser des événements, j’en ai orchestré de nombreux lorsque j’étais directrice de cabinet. Je sais aussi qu’on ne peut pas se planter au démarrage. Nous devons réussir notre entrée.
Après l’épisode de la barricade, il me faut toutefois tirer les leçons. De toute évidence, il faut faire surveiller le local, au moins la veille de l’inauguration. La permanence, avec sa vitre très large, est hyper exposée. Sa force est aussi son talon d’Achille. Le hic, c’est que, comme je l’ai expliqué, rien n’est prévu dans le code électoral en matière de sécurité. C’est même un non-sujet. Les frais risquent d’être retoqués lors de l’examen des comptes de campagne. Qu’importe, je ne peux pas prendre de risque avant un événement aussi fondateur.
Le danger est d’autant plus grand que la mythique Braderie de Lille se déroule le jour du lancement officiel de la campagne. Courue par les Lillois, elle attire aussi des visiteurs de toute la France, et même de l’étranger. Les grands rassemblements peuvent susciter quelques débordements. Nous décidons d’embaucher un agent de sécurité la veille de l’arrivée de Stanislas Guérini. Si tout est cassé avant l’inauguration, c’est mort. La fête sera gâchée, notre lancement public se transformera en fait divers, les militants seront dépités. Stanislas Guérini ne peut pas tenir un discours devant une vitrine brisée, bâchée, ou recouverte de tags injurieux. Nous recrutons donc un agent d’une société privée pour veiller sur le local. Grâce à sa présence, aucun incident ne survient. La Braderie présente quelques inconvénients mais c’est aussi une opportunité. Nous démarrons alors que la ferveur populaire gagne la ville. C’est l’occasion de prolonger notre inauguration par un tour dans la Braderie, de nous inscrire dans un moment de communion, festif. Nous ne ferons pas seulement un happening en vase-clos, nous irons au contact de la population. Et en tant qu’hôte, je veux associer notre invité à cette véritable institution dont les origines remontent au XIIe siècle.
Jour J. Une nouvelle aventure démarre. Ce grand moment se déroule dans la ferveur. Il y a foule, l’ambiance est à la liesse. Cette inauguration, c’est aussi l’occasion d’afficher notre détermination. Nous nous lançons avec l’esprit de conquête. Nous ne sommes pas là pour faire de la figuration ; nous serons force de propositions, combative, obstinée. C’est un jour émouvant. Un jour de fierté. Après des mois de travail, dans l’ombre, de potron-minet à minuit, week-ends et jours fériés compris, nous sommes identifiables, incontournables.
Nous avons enfin “pignon sur rue”. Cette permanence symbolise aussi l’implantation dans une ville où la maire, Martine Aubry, a choisi de ne pas prendre de local de campagne, préférant rester « planquée » dans son hôtel de ville. Elle ne descend pas dans la rue, à portée d’engueulade, comme on dit, et entend faire campagne au-dessus de la mêlée, en utilisant l’écrin unique que constitue la mairie. Les Verts, eux, utilisent pour leur campagne leur local de groupe municipal puisqu’ils ont déjà des élus, ce qui n’est pas notre cas. Les Républicains, enfin, font trio, avec Marc Philippe Daubresse, Valérie Petit et Thierry Pauchet et disposent d’un local de campagne grâce aux moyens historiques des Républicains. Notre implantation a été un véritable défi, faute d’ancrage, de moyens et d’une « machine » déjà bien huilée localement. L’inauguration de notre local a ce goût incomparable des premières fois, celui de l’aventure des pionniers, des défricheurs.
Mon état d’esprit ce jour-là est déjà celui d’une cheffe de famille, fière de notre énergie collective, et désireuse d’élargir au maximum cette famille. Nous sommes challengers, donnés loin du podium, mais cette énergie déjà débordante nous donne le sentiment de pouvoir déplacer des montagnes.
Stanislas Guérini s’investit totalement dans cette inauguration. Il discute avec les militants, avec des passants. Puis, tradition oblige, coupe le ruban avant de faire un discours optimiste et conquérant devant un bel attroupement. Le moment est euphorique. Puis nous nous dirigeons, en chœur, vers la Braderie. Prudents, nous avons prévenu la police mais l’insouciance prévaut. Il s’agit de profiter du moment présent, de transmettre à ceux que nous croiserons cette pensée positive, notre envie de construire, de convaincre.
Alors que nous arrivons Porte de Paris, face à la mairie, là où les associations et les organisations politiques ont leurs stands, les insultes démarrent soudain et les projectiles pleuvent : des œufs, des tomates et même des canettes. Je reçois un des projectiles, qui heureusement ne me blesse pas. Des radicaux organisent le tollé. Je fais mon entrée dans la campagne dans une atmosphère de lynchage. Je suis dépitée. Cette Braderie, que j’ai arpentée si souvent, j’y ai toute ma place. Tous les partis y sont présents, avec des stands réunis dans le secteur réservé aux associations, et dans une ambiance bon enfant. Je devrais pouvoir y circuler à ma guise.
A ce moment, c’est l’instinct de survie qui dicte notre réaction. Nous sommes vraiment menacés d’être agressés et on nous lance des objets potentiellement dangereux. Cet instinct de survie consiste à fermer toutes les écoutilles pour se focaliser sur l’entourage, en particulier les plus fragiles. Dans la confusion, on s’assure que personne n’est blessé, puis on essaie de se réfugier dans un endroit protégé. Là, on respire à nouveau et il y a comme un moment de déconnexion avec la réalité. Un moment irréel.
Ce dont j’ai le souvenir le plus vivace, c’est qu’une petite foule d’individus organisés a préparé ce traquenard. Lorsque nous arrivons, ils attendent ce moment, ils sont en place. Certains portent des capuches. Quand les choses ont commencé à dégénérer, Stan Guérini, homme de dialogue, a essayé un peu de discuter avec eux mais ils étaient si menaçants qu’il est vite devenu évident que ça ne servait à rien. Avec ces radicaux haineux, le dialogue est impossible.
Je ne suis pas la cible principale, puisque je n’ai pas encore eu le temps de me faire un nom. Je suis à leurs yeux ce symbole désincarné, ce stéréotype à qui on accole les préjugés et les clichés. La vraie cible est Stanislas Guérini, et par-delà sa personne, le mouvement dont il est le DG. Lui aussi est un emblème, un défouloir. Les agresseurs n’essaient pas de le convaincre, ou à l’inverse d’infléchir ses idées. L’échange est unilatéral et le seul message est celui de la haine, du rejet. L’image qui doit imprégner les esprits est celle de l’infamie. Celle d’un homme ridiculisé, humilié. Et d’une candidate impopulaire, illégitime.
Lorsque nous sommes face à eux, je suis frappée par cette haine. Ils ne me connaissent pas, ils ignorent mes valeurs, et pourtant ils me jugent. Réduite à mon étiquette politique, je suis une créature forcément maléfique. A ce moment-là, je me sais interchangeable à leurs yeux. Je ne suis plus une personne mais un simple étendard qu’on peut piétiner. Stanislas Guérini, encore bien davantage que moi, est un personnage archétypal qu’il faut dégommer. Ils ne sont que quelques dizaines mais c’est suffisant pour semer le chaos. Pour ces extrémistes, nous sommes uniquement des symboles, soldats d’un camp ennemi, que l’on peut agresser avec d’autant moins d’état d’âme, qu’une longue entreprise de déshumanisation leur a ôté toute âme.
Avec Stanislas Guérini, nous sommes donc exfiltrés par des policiers. Triste scène dans une démocratie.Dans cet espace de réunion, de vivre ensemble, on était en droit d’espérer une certaine civilité. Des interpellations vives, pourquoi pas, des discussions un peu houleuses, mais pas ça. Dans la Braderie, qui est un emblème d’échange, d’accueil, où la ville s’ouvre au monde entier, sans ostracisme, La France Insoumise, déjà, abritait en son stand un jeu de massacre “chamboule-tout” avec le visage d’Emmanuel Macron, mais aussi des principaux opposants à LFI dans cette élection : Aubry, Baly, Spillebout. Un signal déplorable. La tradition républicaine veut que les responsables politiques viennent saluer leurs adversaires devant ces stands. Pas seulement par usage. Mais pour illustrer que la bataille, même féroce, ne doit jamais menacer la notion supérieure du vivre ensemble, pierre angulaire de notre société. C’est un moment de bascule. Victime de calomnies, dont je parlerai plus tard, j’avais aussi été insultée parfois. Mais rien de comparable.
Face aux violences, je ne me sens pas invincible, dire le contraire serait un mensonge. Mais ça ne me fera jamais renoncer. En quittant la Braderie, j’étais choquée. Mais il ne m’est pas venu une seule seconde à l’esprit de reculer. Cette agression était l’œuvre d’une trentaine de personnes en mode commando. Malgré le danger que représentent ces groupuscules, on ne doit jamais oublier quelle infime part de la société ils représentent. Ce nombre limité explique parfois la virulence de leurs attaques. Elles sont inversement proportionnelles à leur représentativité.
Ces violences sont aussi l’expression d’une impuissance à fédérer en masse. Les conséquences demeurent problématiques car des commandos éparpillés peuvent perturber ou interrompre un événement. Et même provoquer un drame. Les grandes foules protestataires ne basculent jamais dans la violence. Leur nombre est le message. Elles sont hélas de plus en plus noyautées par ces commandos radicaux, qui se fondent lâchement dans la multitude. Lors de cette Braderie, ce sont des centaines de gens qui n’ont pas crié, pas injurié, pas lancé d’objets. Ils ne partagent pas tous mes idées, ne soutiennent pas tous la majorité mais ils respectent le cadre civilisé du combat électoral. Je ne dois pas l’oublier. Et eux aussi pâtissent des agissements de cette minorité lorsque le débat est confisqué, tronqué et que l’agora devient insécure.
Le jour du lancement de ma campagne, le ton est donc donné. On sait à quoi il va falloir s’attendre. On sait que ça va être difficile. Je comprends que les coups n’ont pas fini de pleuvoir. Une fois l’agitation retombée, nous avons continué à parcourir la Braderie avec Stan Guérini, et avec l’ensemble de mon groupe, des militants, des citoyens. La réponse immédiate donnée à ces agissements est capitale. La terre n’a pas arrêté de tourner, la peur n’a pas gagné, la campagne démarre, le débat aura lieu. Surtout, l’enthousiasme ne retombe pas. Nous terminons la visite avec un traditionnel moules-frites devant la Gare Lille Flandres, plat indissociable de l’événement. Nos états d’âme sont secondaires, on ne se laisse pas abattre, c’est que doivent retenir à cet instant les citoyens. Il ne s’agit pas ici de dédramatiser, une plainte sera déposée, mais tout simplement d’avancer. Stan Guérini est reparti en fin de journée. L’épisode violent n’aura duré qu’un quart d’heure.
Stan Guérini sera présent, attentionné, tout au long de la campagne, me soutenant après chaque nouvelle violence, m’encourageant incessamment à défendre mon projet avec détermination, tête haute. Son soutien va bien au-delà de cette visite le jour de l’inauguration de mon local de campagne. Il avait déjà accompagné ma campagne avant son démarrage. Nous avons développé depuis une relation confiante, chaleureuse, et même d’amitié. Il a toujours répondu présent lorsque j’avais besoin de lui et il sait pouvoir compter indéfectiblement sur moi. Deux mois après les municipales, en juillet 2020, c’est lui qui m’a nommée au Burex, le bureau exécutif du mouvement, un vrai témoignage de confiance. Lors de mon élection à l’Assemblée Nationale en 2022, il a été parmi les premiers à me féliciter et, avec Aurore Bergé, à m’y accueillir, m’y guider, puisqu’il étaitdéputé depuis 2017, réélu en juin 2022, un mois après avoir été nommé Ministre de la Transformation et de la Fonction publique par Elisabeth Borne. Nous avons toujours maintenu le contact, et j’ai une totale confiance en lui. Cette confiance est véritablement née lorsque, durant la campagne des municipales, il m’avait aidé à faire taire un bad buzz.
Ironie du sort, alors que lors des violences, le mot « macroniste » m’était balancé à la figure comme une injure, je fus aussi taxée de non-macronisme, dans un article au titre sans ambiguïté « Violette Spillebout ne se reconnaît “pas du tout” en candidate macroniste ». La raison, c’est que lors d’un point presse, à la suite d’une question du journaliste de l’AFP sur l’absence d’une photo d’Emmanuel Macron dans mon QG de campagne, j’avais répondu que cela ne m’avait pas traversé l’esprit, c’était une élection locale, je la menais clairement au sein du mouvement présidentiel et je n’aimais pas le culte de la personnalité. Je soutenais pleinement le Président, son projet, je me retrouvais dans les valeurs qu’il portait, sa redéfinition des clivages, mais je ne voyais pas la nécessité d’accrocher son portrait dans mon local. Je trouvais à l’époque réducteur d’être appelée « macroniste » qui semble désigner les fidèles d’un gourou. J’avais expliqué aussi, alors que la presse constatait visiblement que certains candidats partout en France, se gardaient de mettre en avant Emmanuel Macron sur leurs documents de campagne, que ce n’était pas mon cas et que si je n’allais pas le mentionner dans chaque tweet, je citais régulièrement le nom d’Emmanuel Macron et j’utilisais volontiers le logo du mouvement présidentiel sur tous nos documents de campagne. Bref, je n’avais pas le macronisme honteux, loin de là, et m’étant engagée dans un mouvement prônant une nouvelle façon de faire de la politique, je n’avais pas songé à orner le local de cette élection locale d’un poster du Président. Mon engagement dans le parti d’Emmanuel Macron était sans ambiguïté, cela n’avait échappé à personne, tout particulièrement à mes opposants les plus radicaux qui n’ont cessé de le rappeler avec hargne. Rappelons aussi que Faire Respirer Lille était un collectif rassemblé au-delà des étiquettes politiques, et que beaucoup de ses membres s’engageaient pour Lille et pour moi, pas pour un parti. De ces propos est donc sortie une dépêche AFP titrant que je ne me sentais pas macroniste, ce qui, bien sûr, allait se répercuter dans toute la presse et causer des remous, surtout en interne finalement. J’ai pu compter tout spécialement sur Stanislas Guérini dans ce moment difficile. Car ça la fichait mal. L’article, qui est vite repris, donnait le sentiment que je me désolidarisais du Président et de son mouvement, une aubaine pour les opposants, et un coup dur pour mon parti.
Les téléphones ont évidemment vite chauffé, et c’est avec un certain émoi que ces propos hors contexte étaient accueillis au siège d’En Marche. J’étais appelée tard le soir par Hélène Hamelle, alors directrice de la communication de la LREM, préoccupée légitimement par les conséquences de cet article. Je n’ai pas été houspillée ni critiquée, il s’agissait d’éclaircir les choses et de rétablir la vérité de mes propos. Je me suis sentie soutenue avant tout, par Stan Guérini et son équipe, professionnelle, habituée à gérer des crises. J’ai immédiatement démenti sur X, ex Twitter, et rédigé une lettre à l’ensemble des militants pour dire mon engagement fidèle auprès d’Emmanuel Macron. L’aide de Stan Guérini a été plus que précieuse lors de cet épisode. Il comprenait parfaitement ce que j’avais vraiment voulu dire, il me faisait confiance et il m’a aidée à rédiger ma réponse. Interrogé dès le lendemain de l’article, lors d’une matinale radio, il m’avait défendue d’emblée avec éloquence et sans réserve. Cette « affaire », qui me plaçait dans une position délicate, s’est vite tassée grâce à son tact, sa bienveillance, mais aussi au démenti du sens donné à mes propos par une journaliste du Monde, Laurie Moniez, qui était présente au déjeuner, et qui, témoin, a rectifié sur Twitter ce qui avait été dit par moi puis mal retranscrit par l’AFP. Ce que je retiens de cet épisode, c’est la dérive possible des médias, surtout de ceux qui n’étaient pas présents à mon déjeuner de presse : la Voix du Nord ce jour-là n’avait pas souhaité venir, et s’est pourtant empressée de relayer le titrage de l’AFP, sans vérifier les faits, et de raconter l’histoire tout autrement en parlant de “recadrage” par LAREM. C’était pourtant tout sauf un recadrage, c’était un soutien dans la crise, dont je me souviens parfaitement et avec fierté. Une crise initiée par un journaliste de l’AFP avec lequel j’ai eu l’occasion de m’expliquer ensuite, et qui a reconnu sa légèreté. Heureusement que la journaliste du Monde a rétabli la vérité, car cet épisode aurait laissé des traces plus difficiles à oublier. Belle expérience sur le sujet de la déontologie des journalistes, sur lequel je reviendrai plus tard.
Ce que je retiens aussi, c’est la classe et le sang-froid de Stan Guérini, son professionnalisme et son humanité. Ces qualités, je les constate invariablement depuis dans ces paroles, ces actes, et dans nos relations fréquentes. C’est une chance de le connaître et de le côtoyer. Je suis fière de notre amitié politique. Il est à l’image de la politique telle que je l’aime. Il n’a pas un égo démesuré, il est compétent, délicat et courtois. Il est fidèle, même lorsque vous traversez des difficultés. Lors de tous les épisodes de violence qui vont suivre sa venue, il trouvera le temps de m’envoyer un message, avec à chaque fois les mots qui sonnent justes.
Après son départ, ce jour de Braderie, je suis alors plus déterminée que jamais. Ce n’est pas quelqu’un qui va me jeter quelque chose à la figure, ou qui va faire mine de m’agresser, que je ne connais pas et qui ne me connaît pas, qui va m’empêcher de m’exprimer. Je porte des convictions avec authenticité et si quelqu’un veut s’opposer à moi, il peut le faire en débattant. Lancer des projectiles, planqué dans une foule, c’est lâche, odieux.
Tous ces jugements à l’emporte-pièce sur ma personne publique au titre d’une étiquette me navrent mais n’entament pas ma volonté. Ce genre d’attaque, qu’elle soit physique ou sur les réseaux sociaux, ces insultes, cette agressivité, ça m’incite plutôt à renforcer mon combat. Je me sens antirévolutionnaire sur la façon de faire de la politique et aussi dans ma manière de conduire ma vie. Je ne vois pas d’autres voies que celle qui consiste à considérer l’autre, à respecter la fonction et les institutions. Cela n’empêche aucunement le combat, mais les seules armes que je m’autorise sont celles tolérées par loi : les idées, les mots, les arguments, en face-à-face, en meeting, lors de manifestations.
En tant que porte-parole du mouvement, fonction que j’exerce depuis l’été 2022, peu après mon élection à l’Assemblée Nationale, j’ai démontré maintes fois que je ne refusais pas le débat, que j’acceptais la critique voire les attaques à charge. Lorsque j’arrive sur un plateau, avant une émission, je salue mes opposants quels qu’ils soient, adversaires politiques, experts ou syndicalistes, j’échange, pour témoigner la valeur que j’accorde à l’être humain que j’ai en face de moi. Et le plus souvent, ce pacte social est partagé. Quelques minutes après, les débats sont pourtant farouches. C’est la force de l’être humain que de savoir concilier l’affrontement et le respect.
Avec la pratique, je m’efforce d’écouter toujours davantage les arguments de l’autre, de moins couper la parole, car moins on coupe, moins on agresse, et moins on est agressé en retour. Je pense que le public qui est face à une haine généralisée, face à des représentants enfermés dans leur monde et qui ne s’écoutent pas, apprécient plutôt un débat où ils comprennent les échanges d’idées. Ils nous le disent et nous houspillent même lorsqu’ils n’ont rien compris à un échange brouhaha qui les a de facto exclus de la conversation. Ils nous enguirlandent après un débat outrageusement agressif, qu’ils tiennent pour du folklore, voire de la parodie politique.
Les incidents qui ont accompagné les visites de Stanislas Guérini et de Roland Lescure ne sont malheureusement que des épisodes parmi d’autres. La campagne de 2020 a été jalonnée de violences. Je ne peux pas toutes les énumérer mais je veux en évoquer certaines, emblématiques du fléau, pour décrire cet effet d’accumulation, le matérialiser. Et expliquer aussi en quoi, ces expériences m’ont permis plus tard, comme députée, de puiser dans ces épreuves pour formuler des propositions concrètes et rédiger une proposition de loi. Je le redis, il n’y a pas de fatalité.
TRAQUÉE
La violence, on ne s’y fait jamais, on fait avec. Je l’ai subie aussi lors d’un porte-à-porte à Moulins dans un quartier très à gauche en termes d’électorat pendant les municipales. Dans certains endroits de Moulins, on ne compte plus les logements insalubres, les marchands de sommeil… La précarité y est préoccupante, l’abstention aussi. C’est mon devoir de m’intéresser à ce quartier, je suis candidate à la mairie de Lille, le sort de tous m’oblige. Je suis particulièrement sensible aux conditions de vie des habitants de ce quartier plus touché que d’autres par la crise, par la politique d’une ville qui les oublie trop. Je ne veux pas uniquement prêcher les convaincus ou sillonner uniquement des quartiers dits tranquilles.
Je fais donc du porte-à-porte pour expliquer mon projet. On ne m’écoute pas toujours, c’est le jeu, mais on m’éconduit poliment. Parfois ma parole trouve un écho ou suscite un franc débat. Mais assez vite, alors que je sonne aux portes depuis un petit moment, des antifas sans doute alertés par un habitant de l’immeuble, surgissent et menacent. Avec le militant qui m’accompagne nous devons partir en courant. Ils nous poursuivent en criant « casse-toi la macroniste », « on va te taper ». Nous leur échappons mais je réalise que je ne peux pas sonner aux portes n’importe où. Une minorité, là encore, décide pour l’ensemble des habitants du quartier qui ils peuvent recevoir et avec qui ont le droit de parler. Cette minorité, plus agressive dans certains quartiers, me traque partout. Y compris lorsque je ne suis pas en campagne, et que j’évolue dans ma vie quotidienne.
Ainsi, un jour, alors que je suis dans une supérette située derrière le théâtre Sébastopol, je fais des courses pendant que ma fille a rendez-vous chez un médecin à côté. A la sortie de sa consultation, ma fille me rejoint. Nous parcourons les rayons ensemble. Tout à coup, un type coiffé de la sempiternelle capuche s’approche, bientôt rejoint par trois autres. Devant ma fille, l’un d’eux dit tout fort, avec mépris : « t’as vu, elle est là ! C’est Spillebout ». A travers la vitrine, je vois d’autres types roder. Ils entrent peu après et rejoignent les autres. Menaçants, ils sont plusieurs hommes face à deux femmes. Je laisse toutes les courses et nous partons précipitamment vers la voiture. Ils nous suivent. Nous grimpons en hâte et je démarre.
Je rassure ma fille. Ce jeu pervers n’épargne pas les proches. Je ne peux pas faire les courses dans le quartier de mon enfance parce que je suis candidate aux élections municipales ! Je culpabilise. Mon engagement est potentiellement dangereux pour ma famille. Ou au minimum traumatisant. Il ne s’agit pas d’une casserolade, je ne participe pas à un événement public, on me menace dans ma sphère intime, en présence de mes enfants. Je dois minimiser les risques que je cours. J’explique que je suis vigilante, la preuve, comme elle a pu le voir, je n’ai pas répondu aux provocations au supermarché.
J’explique que je ne me déplace jamais toute seule et que je ne vais plus dans certains lieux si c’est trop risqué. Je jure qu’elle est en sécurité car c’est seulement après moi qu’ils en veulent. Et que je ne risque rien de sérieux, qu’ils veulent seulement m’effrayer. Je crois en grande partie ce que je raconte mais je veux surtout la réconforter. Ma fille, comme tous les jeunes, sait ce qu’est le harcèlement scolaire, directement ou indirectement. Je suis un peu comme ces élèves harcelés mais je sais me défendre, elle le sait. Inutile de dire que la cause du harcèlement me tient à cœur et que je ressens dans mes tripes ce que les victimes éprouvent. Cette discussion avec ma fille n’aurait jamais dû avoir lieu. Ma fille n’aurait jamais dû être témoin d’une scène pareille. Hélas, ma famille sera à nouveau mêlée au combat politique, lors de l’examen du projet de réforme des retraites. Pas dans un supermarché mais … en bas de chez moi. J’y reviendrai.
Encore aujourd’hui, alors que je suis désormais conseillère municipale d’opposition, je ressens une énorme frustration car je ne peux toujours pas aller n’importe où, l’esprit en paix. Ou pas seule. Je m’assure d’être entourée la plupart du temps, lorsque je me déplace. Je suis devenue méfiante mais je continue à prendre le train et à me déplacer seule dans les gares. Je n’ai pas de bombe d’auto-défense, pas de garde du corps. Lors de ces trajets en train, je ne suis pas toujours rassurée. Je suis méfiante mais pas encore assez pour me protéger de tout. Je veux rester connectée au monde. Je ne suis pas d’un naturel craintif, j’ai confiance en l’être humain. Malgré les menaces, qui m’obligent à la vigilance, je garde foi en l’autre. Ce qui me rend parfois, sans doute, trop imprudente.
Lors de cette campagne de 2020, malgré les violences, nous avons continué à fonctionner, en étant plus prudents. Nous briefions les plus costauds de l’équipe en leur disant de faire attention. Nous avions même constitué une petite équipe « sécu » pour anticiper les évènements, avec des volontaires chevronnés : Hacen champion de TaeKwondo, Pierre-Marie en Kravmaga, Abdellah déjà entraîné à la sécurité dans son métier, Véronique, une championne de Judo, Mathieu, Jérôme, et d’autres. Tous au rendez-vous à chaque temps fort pour me protéger. Nous communiquons moins sur certains événements pour ne pas agiter un chiffon rouge, nous choisissons des lieux moins exposés, nous nous déplaçons en groupe et nous faisons une croix sur les coins les plus chauds.
Avec mon équipe, nous avons tenté de préserver au maximum les contacts de terrain. Mais en dépit de tous ces beaux moments, la campagne a été en partie tronquée par les violences. Je peux dire avec le recul que j’ai mené une campagne courageuse, digne, et que nous avons su limiter les dégâts. Ce n’étaient pas les conditions rêvées, loin de là, mais nous avons défendu notre projet jusqu’au bout. Si le pire a été évité, c’est sans doute parce que n’avons pas cédé aux provocations. Nous n’avons pas répondu par une agressivité qui aurait empiré les choses. Se contenir a parfois demandé de grands efforts, quand l’hostilité était insupportable.
Cela avait été le cas, avant même le début officiel de la campagne, et avant même mon investiture, lorsque nous avions organisé en mai 2019, une réunion un soir, dans un café situé dans le quartier de Wazemmes pour préparer la campagne.
Nous avions loué une grande salle d’un espace coworking le “W” à Wazemmes, qui venait d’ouvrir pour y organiser un « café citoyen ». Ce jour-là, nous sommes pris à partie alors que nous sommes nombreux, plusieurs dizaines. Parmi les militants, certains sont venus avec leurs enfants. La réunion manque de tourner à la bagarre générale. Alors que nous sommes réunis dans ce café, et en plein débat, une trentaine d’individus, garçons et filles, débarquent.
Au début, ils se mettent à chanter. Ils s’époumonent si fort qu’il n’est plus possible de débattre. Puis, tels des huissiers, ils viennent signifier notre expulsion. Tout le monde dehors ! Ceux qui veulent nous chasser sont violents verbalement, physiquement. Ils viennent au contact. L’un d’eux se colle contre moi pour m’intimider. Il ne frappe pas mais impose un corps à corps pour me faire reculer. Ces anars se prennent pour des forces de l’ordre. Ils signifient la dispersion et menacent d’employer la manière forte si nous ne partons pas. Membres de l’ultra gauche et pourfendeurs de « flics », ils jouent pourtant les bad cops. Ils n’ont aucune autorité mais ils ordonnent de partir car ici, ce sont eux qui font la loi. Mes militants n’ont pas l’intention de se laisser faire. Cette intrusion tonitruante les heurte.
Finalement, nous réussissons à les faire sortir au rapport de force, face à face, sans se toucher, dans les cris. C’est à celui qui tiendra le plus longtemps. Ils nous provoquent en espérant des coups qui justifieraient une vraie empoignade. Certains filment dans l’espoir de diffuser des actes violents sur les réseaux sociaux.
Les insultes redoublent pour nous faire sortir de nos gonds. Des verres sont jetés à terre. Des militants s’interposent pour me protéger mais je tente de rester au contact pour maîtriser la situation. Je redoute que tout ne s’embrase d’un coup. Nous tenons bon. Cet interminable face à face, dans les injures, s’arrête lorsqu’ils décident de partir, peut-être de peur de voir arriver la police. Nous ne sommes pas partis, maigre victoire, et surtout personne n’est blessé. Mais tout le monde est sous le choc. Cette action hyper violente marque les esprits. Il y a des articles de presse et dans un sursaut citoyen, un rassemblement citoyen s’est tenu au W, avec tous les autres partis politiques pour dénoncer la violence en politique. Adrien Quatennens, le député de la circonscription n’a pas jugé bon de se déplacer. Les LFI ne sont pas venus me soutenir, cela aurait été pourtant un geste fort.
Du printemps 2019 au printemps 2020, la violence ne s’est donc jamais arrêtée. Nous avons toutefois occupé la permanence jusqu’au bout. Ou presque. Mi-mars, le confinement généralisé a tout suspendu. Les meetings et les actions violentes. Le premier tour s’est déroulé comme prévu, et je me suis qualifiée pour le second tour, avec Martine Aubry et Stéphane Baly, candidat des Verts. Le second tour, lui, a été reporté à fin juin.
Cette pandémie, qui a sidéré tout le monde, nous a obligé à revoir tous les plans. Nous avons un tout petit peu tracté dans une ville quasi déserte, avec des masques, et fait quelques distributions dans les boîtes aux lettres, dans cette campagne en dystopie. Mais le débat public s’est éteint dans la ville. Les réunions publiques sont devenues virtuelles, et le local n’a plus été utilisé. Un mois plus tard, nous l’avons rendu. Les violences ont cessé, sauf sur les réseaux sociaux où elles ont redoublé. Lorsque je repasse devant cette permanence où nous avons aussi vécu des moments complices, passionnés, drôles, j’éprouve de la nostalgie. C’est un commerce aujourd’hui.
Durant la campagne, un grand nombre de Lillois ont poussé la porte pour nous rencontrer. Leurs principaux sujets de préoccupation étaient la volonté de renouvellement des élus, la propreté, le logement, la mobilité et… la sécurité. Je garde avant tout le souvenir vivace de ces rencontres.
Aujourd’hui, après avoir loué dans un premier temps un local à moitié planqué, dans un immeuble avec entrée digicode, dans un coin calme, je tiens mes permanences chaque lundi matin en tournant dans les mairies de Bondues, Mouvaux, Tourcoing, Lille et Marcq en Baroeul. A cause des violences, j’avais eu un mal fou à trouver un assureur qui accepte de couvrir le risque. J’ai finalement délaissé cet endroit. Dans les mairies, je suis en sécurité a priori, mes visiteurs aussi. Et il faut dire que je m’y sens bien, comme à Bondues, où, à chaque fois, Patrick Delebarre, maire, prend le temps de venir me saluer et de me tenir informée des actualités de la commune.
LA DÉMOCRATIE EN PÉRIL
A quoi a servi tout ça ? Quelle leçon en tirer ? Tout d’abord, rester soi-même. Je n’ai jamais senti le besoin d’insulter, d’injurier, de menacer ou d’appeler à la violence. Je ne veux pas me transformer en une femme agressive que je ne suis pas, pour sortir du lot ou faire sensation. La violence, dans le combat politique, est à mes yeux un aveu de faiblesse. Et une faute.
L’agressivité dessert de grands orateurs, qui se cognent à un plafond de verre parce qu’ils sont incapables de réprimer leur animosité. Son outrance a permis à Donald Trump de gagner en 2016, en grande partie grâce au système des grands électeurs car il avait perdu le vote populaire par plus de trois millions de voix, mais ses excès ont causé sa défaite. Et c’est sur les plus radicalisés qu’il s’est rabattu pour déstabiliser les institutions. Même en Amérique, où l’acceptation de la violence est culturellement bien plus grande, Trump ne réussit à entraîner qu’une minorité dans la violence.
Parfois, ces politiques ne se contentent pas d’être taiseux, ils attisent le feu, en recourant à un langage guerrier, ou en appelant à une révolte “citoyenne”. C’est inconscient, dangereux. Moins préoccupés par le sort des classes défavorisées qu’ils se targuent de représenter, ils dépensent l’essentiel de leurs forces à saper les institutions. Ces politiciens, c’est un fait, on les retrouve le plus souvent dans les rangs de LFI. L’outrance verbale de beaucoup de ses membres fait sauter les verrous, les digues. Ils dédiabolisent les comportements irresponsables. Les violences de ces dernières années sont en partie la résultante d’un discours de plus en plus agressif. Ces politiciens-là sont irresponsables. Après eux le déluge. Ou vice-versa : le déluge, puis eux. C’est en tout cas leur pari. Certains d’entre eux ne peuvent espérer rester en place ou prendre du galon que sur des terres brûlées. Ces paris hasardeux rapetissent la démocratie. Il ne s’agit plus de gagner à la loyale mais de récolter les fruits de la discorde.
En France, Jean-Luc Mélenchon, qui n’est bien sûr pas Trump, est considéré à juste titre comme un tribun. Même ses adversaires saluent ses talents oratoires, son érudition, son sens de la formule. Mais invariablement, par des outrances ou des accès de colère, il effraie une partie des gens que ses idées avaient séduits au départ. Malgré cette tactique plusieurs fois perdante, la France Insoumise perpétue cette tradition de l’excès, de l’outrance. La LFI, parce qu’elle récuse des principes comme le respect, peut faire figure d’épouvantail. Son comportement donne le la pour les groupuscules les plus virulents envers la démocratie. Lors des incidents durant la Braderie, la France Insoumise a contribué à un pourrissement du climat. Mon adversaire LFI aux municipales, Julien Poix, m’a reproché alors de pointer la responsabilité de son mouvement dans le climat de violences. Je persiste. La LFI n’est pas l’agresseur direct mais son comportement, localement, à l’Assemblée, parfois sur les plateaux télé, empoisonne l’atmosphère. La suite m’a donné raison.
Dans ce triste feuilleton de la déstabilisation, j’étais l’image du pouvoir honni, un emblème, le symbole déshumanisé de la « macronie », caricaturée telle l’Etoile noire de «Star Wars». Cette campagne de 2020, et dans une bien moindre mesure celle des législatives 2022, suintait l’anti-macronisme primaire, courant exploité et attisé par certains opposants pour masquer leur bilan piteux ou les lacunes de leurs programmes. Pauvres électeurs lillois, pris en otage par des minorités extrêmes et une majorité abusant de son pouvoir. Affligeant spectacle où une mouvance d’ultra-gauche tente de semer l’anarchie tandis que la mairie, elle, verrouille au maximum le système. Pris en tenaille entre zizanie et autoritarisme, la route de l’opposition locale est pour le moins semée d’embûches.
A côté des violences de l’extrême-gauche, la campagne a été faussée, j’y reviendrai dans un autre chapitre, par des manipulations des règles électorales par la municipalité en place. Elle a aussi été polluée par des rumeurs de caniveau et des fake news visant à me discréditer. Mais de cette campagne des municipales, et de celle des législatives, je ne fais pas un constat d’échec. Je veux être force de proposition, apporter des remèdes aux maux qui gangrènent notre démocratie locale, proposer des solutions, aussi, comme députée, à des dérives plus globales.
Mon expérience passe aussi par la prise de parole. Je veux partager mon expérience, donner ma version, dévoiler les coulisses et contribuer ainsi à réformer effectivement notre paysage politique, à l’apaiser, le régénérer. Je n’ai aucune revanche à prendre, j’ai réalisé un score quasiment inespéré aux second tour des municipales de 2020 (près de 21%), puis j’ai été largement élue députée deux ans plus tard, avec près de 60% des voix. Je l’ai dit, je veux tirer les leçons de mon parcours, mettre à profit cette expérience, avec ses hauts et ses bas, pour briser des tabous et dessiner la proposition pacifique d’une politique d’avenir, qui, je le crois profondément, peut continuer à trouver sa voie, à l’écart des démagogie, du populisme, des menaces ou du mépris. Ni revanche, ni amnésie !
On prend trop l’habitude de voir se déliter, doucement, un paysage politique miné par l’entre-soi, la déconnexion du réel mais aussi cette violence, fléau de cette époque où les citoyens attendent pourtant davantage de bienveillance et de concorde.
Rompus aux coups tordus, les politicards cyniques dénoncent rarement les violences car ils savent ô combien elles les servent. L’intérêt public est à mille lieues de leurs préoccupations. Qu’importe les effets destructeurs sur l’engagement, sur l’image déjà bien flétrie de la chose politique, et l’impact affolant de ce désordre sur la participation structurellement déclinante des citoyens aux scrutins. Ces politiciens sont complices par leur silence. Ils sont d’une grande lâcheté, car ils redoutent souvent de se mettre à dos ces minorités remuantes. Pis, certains sont trop heureux de voir s’affaiblir des concurrents qu’eux-mêmes ne réussissent pas à distancer par la seule force de leurs arguments.
Aux Etats-Unis, où l’outrance du combat politique a découragé près de la moitié des électeurs de voter, les esprits les plus sages, de tous bords, disent haut et fort une devise hélas en perdition : « le pays avant le parti ». Dans cette Amérique fracturée, qui préfigure de ce qui nous attend si nous ne réagissons pas, les apprentis sorciers attaquent la démocratie au lance-flamme pour des intérêts égoïstes. Point d’orgue de cette politique du pire, l’assaut du Capitole à Washington, le 6 janvier 2021, n’a pas dissuadé tous ces va-t’en guerre. Outre-Atlantique, le danger extrémiste vient plus particulièrement de la droite dure, dont une frange hystérique s’acoquine dangereusement avec les héritiers des mouvements racistes, comme les Proud boys, ces rejetons du Ku Klux Klan, nostalgiques, entre autres, de la ségrégation.
Intoxiqués par les pires théories du délirant mouvement complotiste QAnon, ils ne sont plus seulement une poignée, mais des millions désormais à remettre ouvertement en cause les fondements même de la démocratie américaine. L’exemple est vrai au Brésil et dans tant d’autres pays, y compris en Europe. A chaque fois, ces mouvements prospèrent sur la détresse ou le sentiment d’abandon, qui ne doivent pas être occultés, mais aussi parce que le seuil de la tolérance à la violence n’a cessé de baisser.
Les attaques verbales, physiques, comme au Capitole, où une partie de la foule hurlait qu’il fallait pendre le vice-président Mike Pence parce qu’il avait refusé d’invalider l’élection présidentielle de 2020, sont de plus en plus courantes, banales, anodines. Car banalisées, minimisées, justifiées, excusées. Quand les violences ne sont pas glorifiées par les plus allumés, comme la parlementaire républicaine Marjorie Taylor Greene. Nous devons regarder ce qui se passe là-bas car le laxisme du parti républicain entraîne une dérive vers un territoire qui angoisse certains constitutionnalistes parmi les plus réputés. Violences après violences, qu’elles soient verbales ou physiques, les conservateurs ont refusé de les dénoncer, de réagir, banalisant chaque fois un peu plus un phénomène devenu une spirale infernale.
Les coups portés atteignent maintenant des niveaux alarmants sur l’échelle de Richter de la violence politique. Pour cela, il faut des instigateurs et des complices. De trop nombreux politiques américains laissent dire, laissent faire, pour ne pas froisser leur gourou Donald Trump, ou par démagogie. Certains ont même liké des tweets où Trump boxait Hillary Clinton ou des reporters de CNN. Ou bien, ils ont relativisé. Ce serait de l’humour, de l’ironie. L’Histoire retiendra leur complaisance et leur complicité.
La violence politique a fait plusieurs morts outre-Atlantique, à Charlottesville, lors d’un rassemblement antiraciste percuté par le véhicule d’un militant d’extrême droite, ou à Washington le 6 janvier 2021. Inspiré par les injures et les appels à la violence de Trump, un homme fanatisé a été arrêté en 2019 alors qu’il s’apprêtait à commettre des attentats contre des élus démocrates. Un autre esprit fragile, biberonné aux thèses complotistes, a attaqué avec un marteau le mari de Nancy Pelosi, la leader du parti démocrate à la Chambre des représentants, en octobre 2022, à son domicile. Cette même femme politique que des trumpistes enragés poursuivaient dans les couloirs du Parlement en appelant « Nancy, Nancy », et dont ils ont investi puis retourné le bureau. L’agression affreuse de son mari, des mois plus tard, suscite l’effroi. Pourtant l’indignation n’a pas été unanime. Certains républicains ont même plaisanté sur cette attaque, quand ils n’ont pas laissé entendre que l’homme était l’amant de la victime. Qu’importe que l’agresseur ait lui-même revendiqué un acte politique, attesté par des documents retrouvés chez lui. Il s’était introduit dans le domicile des Pelosi, pour kidnapper la chef de file démocrate et lui briser les genoux. Comme elle était absente, il s’en est pris à son époux.
La France n’est pas les Etats-Unis. Mais prenons vraiment garde d’observer avec trop de distance ces dérives. L’Amérique nous tend peut-être le miroir de notre futur paysage politique. D’un futur proche.
Ce qui se passe en France, avec la casse de mobiliers urbains, l’incendie de bâtiments publics, les saccages de permanence, les agressions physiques et verbales d’élus, sont les signes d’un pourrissement dont on ne peut pas jurer qu’il en restera là sans des réactions fortes. On ne peut plus observer de haut, de loin, ce qui se passe ailleurs dans le monde, parce qu’aussi, via les réseaux sociaux, la contestation a pris une dimension globale. Avec souvent les mêmes arguments ou méthodes.
Dans une sorte d’internationale complotiste, les causes des pourfendeurs de l’état profond, ou « deep state », s’abreuvent aux mêmes eaux putrides. Leurs théories se mondialisent via Twitter, Facebook, WhatsApp ou Telegram, dans une sorte d’auberge espagnole numérique où circulent, souvent dans des boucles privées où l’anonymat est de mise, des délires qui se répliquent aux quatre coins de la planète. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre des complotistes français, parfois installés au beau milieu de la France dite profonde, attribuer nos pires maux à l’entrepreneur Bill Gates, au fils du président Biden, au chef d’état ukrainien Vladimir Zelenski ou encore au milliardaire George Soros, toutes ces personnalités faisant soi-disant partie d’un vaste réseau auquel nos élites nationales prêteraient allégeance. C’est parce que cela peut paraître risible que l’on ne doit surtout pas en rire. Les thèses sont grotesques, leurs objectifs, eux, sont très sérieux. Ces dérives continuent de nourrir ma réflexion et mes travaux à l’Assemblée sur les moyens de lutter contre la désinformation, les fake news, et les ingérences étrangères dans mon travail de députée. Cette désinformation, parfois accompagnée de violences, fait des ravages aussi en France.
Parmi ces fléaux mondialisés, les complots sur le COVID ou tout simplement le rejet de certaines mesures sanitaires ont entraîné des violences scandaleuses. Quinze jours après l’agression, le 9 janvier 2022 du député LREM Stéphane Claireaux devant son domicile à Saint-Pierre-et-Miquelon, un autre parlementaire de la majorité, Romain Grau, était brutalisé à Perpignan par des opposants au pass vaccinal qui attaquaient sa permanence. Des exemples parmi tant d’autres. L’incendie du domicile du maire de Saint-Brévin, n’est pas le moins spectaculaire. Harcelé par l’ultra-droite pour avoir accepté d’accueillir des migrants sur sa commune, il a fini par jeter l’éponge, s’estimant abandonné par tous. Je l’ai soutenue publiquement. Je regrette de n’avoir pas fait encore davantage.
Outre l’internationale complotiste, où l’art paresseux du copier-coller permet d’adapter des rumeurs venues d’Outre-Atlantique afin de leur donner une couleur locale, on assiste en France à cette même dérive de la politique de la punchline, restituable en un tweet, qui abaisse le niveau et chauffe à blanc des citoyens en rupture avec le système. On peut railler Trump et les Républicains, mais notre populisme n’aura peut-être bientôt rien à lui envier.
Plutôt que minimiser les violences, je veux marteler en quoi, faute de réaction, la situation actuelle préfigure un avenir encore plus sombre. Il y a, je l’ai dit, des solutions. Mais le début de la guérison passe par une dénonciation vigoureuse des dérives. De toutes les dérives. Sinon, comme dans le blockbuster de Netflix, «Don’t look up», sur le déni face au dérèglement climatique, nous paierons plus tard aux prix fort notre aveuglement. Ou notre refus de voir. Nous ne devons pas attendre la catastrophe. Nous devons renforcer cette digue qui protège la démocratie de ses fossoyeurs. Au jour où j’écris ces lignes, je n’ai pas été blessée physiquement, ni les membres de mon équipe ou mes militants. Heureusement. Le simple fait de s’en féliciter est en soi une anomalie. Le pire n’était pas si loin parfois, et ailleurs en France, des élus, ou leur entourage, n’ont pas eu cette « chance ».
Il faut d’autant plus s’en soucier qu’en 2023, les frais engagés pour assurer la sécurité des candidats, de leurs équipes et donc de leurs électeurs, ne sont donc pas remboursés. Le code électoral, déconnecté de l’époque, désavantage ainsi les candidats ou les élus les plus vulnérables. Dans une atmosphère bouillante, les candidats déambulent sans protection ou bien en la payant de leur poche. C’est un problème sur lequel je me suis investie afin de changer les choses. Je détaillerai plus loin toutes les propositions pour lutter contre les violences sur les élus.
Il ne faut pas banaliser le sujet et en parler haut et fort. Par peur de se plaindre, trop d’élus se sont tus trop longtemps. La fameuse théorie de la relativité a ses limites. Ce phénomène de violences est grave. Il n’est pas récent, mais il s’amplifie, il s’installe, s’incruste ; il métastase. A la gauche de la gauche, les voix s’élèvent sans cesse pour diaboliser des discours intolérants d’extrême-droite, en implorant à juste titre de demeurer vigilants, intraitables sur le racisme, l’intolérance. À juste titre. Étrangement, les mêmes dédiabolisent sans vergogne les propos haineux ou les comportements agressifs de l’ultra-gauche. Toutes les haines, toutes les violences, toutes les actions qui mettent en péril notre paix civile, doivent être dénoncées, mises au banc, « diabolisées ».
LE MUR
Depuis le premier jour où je me suis lancée en politique au début de l’année 2018, je crois dur comme fer dans l’exemplarité. Si les politiques versent dans la rhétorique violente, dans l’imagerie guerrière, -on l’a vu lors du mouvement contre la réforme des retraites avec ces clichés de têtes coupées, de slogans irresponsables ou d’effigies enflammées-, certains citoyens se croient autorisés à insulter, menacer, agresser. Ils ont quitus pour se défouler. Ou ils le croient.
Pire, certains peuvent même s’en enorgueillir puisque leurs incivilités sont assimilées à une forme de résistance, dans l’esprit de la Révolution Française, abusivement détournée, avec la force de clichés romanesques. L’Histoire dévoyée sert ainsi de caution. Qu’est-ce qu’un élu local a de commun, aujourd’hui, avec cette noblesse qui n’était pas élue, ne rendait pas de comptes aux citoyens, et vivaient de rentes fastueuses en échange de rien ? Aucune. Le système est loin d’être parfait mais cette invocation d’une page d’histoire où le pouvoir était de droit divin et la démocratie quasi-inexistante, est ridicule et obscène.
Traiter un ministre d’assassin, piétiner sa tête collée sur un ballon ou brûler son portrait, parce qu’on ne supporte pas son projet de réforme, ce n’est pas anodin. C’est pernicieux. Cette contre-exemplarité dégouline et infiltre tous les rouages de notre démocratie. Qu’un mouvement d’humeur populaire se traduise par des excès, c’est une chose. Que ces excès soient excusés, glorifiés, voire impulsés par des responsables politiques, c’est une tout autre affaire.
A cause de ce manque d’exemplarité, les digues sautent, un sentiment d’impunité s’installe et au nom de la gaudriole, le seuil de tolérance s’abaisse chaque fois un peu plus. Je veux être claire : que la réforme des retraites, qui n’est nullement l’objet de ce livre, ait suscité des inquiétudes, de la colère, voire un sentiment de révolte, je l’entends, je peux le comprendre. J’ai été interpellée sur le sujet par certains de mes propres électeurs, et parfois vertement. J’ai souvent essayé d’expliquer en quoi cette réforme impopulaire nous semblait nécessaire. L’exercice est ingrat, délicat mais ce dialogue est indispensable. Cette contestation est compréhensible et les manifestations étaient parfaitement légales.
En revanche, la ligne rouge a été franchie me concernant lorsqu’un groupuscule composé de syndicalistes CGT, CFDT, FSU et d’antifas ont muré au printemps 2023 l’entrée de mon domicile en hurlant : «tout le monde déteste Violette Spillebout». Je participais ce matin-là aux Assises du Journalisme, à Tours, mais l’une de mes filles, elle, était à la maison ; elle révisait son Bac. Inutile de dire qu’il m’a été difficile de rester concentrée durant cette conférence que j’animais aux côtés de Nathalie Sonnac, présidente du CLEMI (Centre de liaison pour l’éducation aux médias et à l’information). Je guettais chaque texto avec angoisse. J’ai été insultée, menacée. Ces actes sont injustifiables. Ce lieu, privé, doit demeurer un sanctuaire préservé du combat politique. Parce que c’est l’espace où l’élu, ou le candidat redevient un simple citoyen. Surtout, parce que son domicile abrite bien souvent, mari, femme, enfants, amis… S’en prendre à un domicile, c’est s’attaquer aussi aux proches. Une ligne rouge, pourpre, est alors franchie. C’est insoutenable. Les violences heurtent, angoissent ceux qui vous aiment et propagent un sentiment anxiogène dans la population.
Ce jour-là, je n’étais plus préoccupée par ma sécurité ou celle de mon équipe mais par celle de ma fille. Cette affaire, je le sais, est une goutte d’eau dans l’océan de l’actualité. Ce n’est pas l’affaire du siècle, je sais remettre l’église au milieu du village. Cette histoire toutefois, n’était pas banale et ne le sera jamais. Des médias ont rapporté que les manifestants qui venaient murer l’entrée de mon domicile, criaient «tout le monde déteste les Spillebout», alors que ma fille était à l’intérieur. Cela peut paraître absurde mais j’ai été rassurée de constater lorsque j’ai écouté le son de la vidéo, avec la police, et qu’ils criaient «tout le monde déteste Violette Spillebout», pas «les Spillebout». Je ne crois pas que pareille formule ravisse mes filles mais au moins elles n’étaient pas englobées, ni mon mari.
Je considère cette attaque comme une violation de mon intimité. Mes proches doivent se sentir en sécurité, épargnés des conséquences de mes positions ou de mon étiquette. Cette « petite » histoire donc, est une grosse affaire à l’échelle d’une famille. On reproche aux élus d’être insensibles et indifférents. Peut-être ne dévoilons-nous pas assez nos faiblesses, nos angoisses, ces sentiments si humains qui permettent précisément aux électeurs de s’identifier. Un élu doit être exemplaire, modèle. Il doit aussi rester un être humain à qui les électeurs peuvent s’identifier.
Certains y verront de l’étalage, tant pis pour eux et leur conscience. Ceux-là, insensibles ou fanatiques, sont allés jusqu’à remettre en doute la sincérité d’Aurore Bergé lorsqu’elle a reçu une lettre de menace de mort évoquant son bébé ! Étant une femme politique, elle ne pouvait donc rien ressentir de vrai. Je crois moi, au contraire, que sa prise de parole a été l’un de ces moments qui soulignent l’humanité à la politique et lui font honneur.
Chosifiées par les adversaires, les «Playmobil» Renaissance sont censés être sans cœur, sans âme. Après tout, ce terme qualifie un bout de plastique, pas des humains. Ce terme, au départ, servait à désigner des députés godillots dans une joute verbale de bonne guerre. Puis la déshumanisation du combat politique a donné une autre dimension aux attaques. Ces «Playmobil» ce sont des pères, des mères, des conjoints. Le terme, en lui-même, est inoffensif. La haine désormais sous-jacente à son emploi, est inconsidérée.
J’espère que mon histoire, et celles de tant d’autres qui ont affecté d’autres élus, permettra à certains des auteurs des violences de méditer. Nous ne devons pas avoir honte, nous élus, de dire ce qui nous ébranle. Dans l’intérêt de la politique, et du lien entre ceux qui l’exercent et les citoyens. Ce lien doit demeurer indéfectiblement humain.
J’ai lu les commentaires sur Twitter notamment sur la prise à partie de mon domicile. Pour certains, il ne s’agissait que de quelques parpaings empilés devant ma porte d’entrée et des insultes hurlées au mégaphone. Pas de blessés, pas de vrais dégâts. Dois-je me réjouir de ce constat ? Au rythme où vont les choses, les élus devront peut-être se féliciter demain d’être blessés «seulement» légèrement. On peut, et on doit, relativiser les choses, car il existe bel et bien une hiérarchie des dommages. En revanche, il est d’utilité publique de dénoncer les incivilités. De ne pas les banaliser. J’ai d’ailleurs porté plainte avec ma fille rapidement. La police, qui a très vite réagi sur place pendant les faits, mène son enquête sous l’autorité du procureur de Lille. Même si les qualifications sont toujours difficiles, trouble à l’ordre public, violences psychologiques, atteinte à la vie privée, et que les éléments de preuves, vidéos, posts sur les réseaux sociaux, identification des auteurs, doivent être solides, j’y crois. Les policiers veulent pouvoir interpeller les auteurs de ces violences. Il faut qu’ils sachent qu’on a pas le droit de faire ça.
Que répondre aux citoyens qui nous interpellent sur la sécurité, si on est tétanisé à l’idée de dénoncer les violences dont on est soi-même l’objet ? Quelle crédibilité ? Quel message ? Quelle vision de la société ? Il faut prendre le mal à la racine et réagir dès qu’une violence touche un citoyen, y compris élu de la Nation. Nos électeurs ne nous demandent pas de réagir uniquement sur les violences les plus gravissimes. Ils nous demandent de les préserver aussi de ces «petites» incivilités, récurrentes, qui pourrissent leur quotidien. Leur bon sens leur permet de déduire que ces incivilités, quand elles sont tolérées, sont la promesse de violences plus tragiques.
Je remercie tous les politiques, nombreux, qui ont condamné cet acte. J’aurais aimé que Sophie Binet, nouvelle patronne de la CGT, à qui j’ai écrit pour protester, se joigne aux indignés. Elle ne m’a jamais répondu. Elle n’est pas la seule. Tous les politiques n’ont pas cru bon de condamner cet acte. Face aux violences, certains responsables politiques croient bon de se lancer dans de vaseuses explications pour les excuser. Leur argument numéro un : ce n’est pas bien méchant. Je le redis, cette théorie de la relativité est coupable. Pour minimiser les violences, toute la palette du nuancier y passe. Premier argument : ceux qui agressent les politiques n’infligent finalement qu’un dommage minime par rapport à ce qu’endurent leurs auteurs. Cela explique une violence en retour. Ce constat navrant porte un postulat implicite, hautement toxique : le politique visé par la violence est supposé vouloir infliger délibérément du mal à ses concitoyens. La petite musique est fielleuse. L’adversaire politique n’a plus seulement des idées contraires, il est accusé de sciemment nuire aux citoyens. Lorsqu’il est agressé, c’est parce qu’il a bien cherché. Ce n’est pas formulé aussi franchement, mais c’est bel et bien le sous-texte. Finalement, le jeu de l’extrême-gauche à l’Assemblée et dans les médias nationaux depuis que je suis députée, c’est cela : décrédibiliser l’action du politique en agressant systématiquement et en expliquant que cette agression est légitime.
Variante de cette exégèse malaisante : ce n’est que du matériel, une porte, un compteur électrique… ; que des cris, que des tags, que des lettres… Que dira-t-on demain ? Seulement quelques blessures. À nouveau, le but est de minimiser la violence. De tous temps, les cris, les bruits de casseroles ou de bidons retentissent dans les manifestations et personne n’y trouve rien à redire. La casse, les menaces, c’est bien autre chose. Tout le monde s’accordera pour dire que la dégradation d’une vitrine est infiniment moins grave qu’une atteinte physique. Mais en niant toute corrélation entre un degré de violence et celui qui suivra peut-être, donc en isolant un incident, en le minimisant, souvent avec l’arme de l’ironie, on banalise l’acte et on abaisse ce fameux seuil de tolérance à la violence. Ce sont aux juges d’identifier des circonstances atténuantes. Les politiques ont, c’est ma certitude, le devoir de collectivement s’unir pour faire tenir la digue.
Évidemment, je ne m’attends pas à ce qu’un responsable politique condamne avec la même virulence la pose de parpaings ou des tags sur une permanence et des atteintes à l’intégrité physique. Il y a un degré dans la gravité des violences. Pour autant, les condamnations peuvent être proportionnées, voire sobres, sans être accompagnées du fameux «mais», qui désamorce aussitôt l’effet des mots de condamnation prononcés plus tôt. Ce «mais» n’apporte aucune subtilité, aucune nuance, au contraire. Ceux qui se taisent, ceux qui encouragent, mais aussi ceux qui pratiquent la culture de l’excuse, sont, à des degrés divers, responsables du climat délétère. L’Histoire retiendra cette complicité.
Et chaque «mais» qui vient justifier ce genre d’événement, sape un peu plus sa noblesse. J’apprécie que Martine Aubry, avec qui j’ai travaillé, auprès de qui j’ai appris, avec qui j’ai eu un temps, une certaine proximité, ait fait un tweet pour condamner le rassemblement vociférant et le murage devant mon domicile. J’aurais aimé qu’elle ne ressente pas le besoin, même si nos visions se sont éloignées, d’ajouter son opposition à “la politique que soutient Mme Spillebout et à sa façon de faire la politique” dans ce même tweet. Que Martine Aubry soit contre la réforme des retraites et opposée à l’actuelle majorité, cela va de soi : elle a toujours été contre tous nos dirigeants nationaux, peut-être par dépit, que ce soit à l’époque de Sarkozy, Hollande, Valls, et aujourd’hui Macron. Dans ce genre de moment, un message de condamnation sans ambiguïté est la seule réponse digne. Moi, je condamne et je condamnerai sans bémol, toutes les agressions envers des élus, quel que soit leur bord, au nom de valeurs qui transcendent les étiquettes et les ambitions. Je le fais et le ferai chaque fois, sans arrière-pensée. Par principe. C’est un engagement. Et même une affaire d’honneur. Le pays avant le parti, c’est défendre aussi un élu, quel que soit son bord, face à des violences, des attaques indignes. Lorsqu’un représentant du peuple est agressé, c’est la classe politique tout entière qui est meurtrie et les citoyens qu’ils représentent.
Bien avant la réforme des retraites, ce «mais» accompagnait déjà les condamnations, et dans un jeu d’équilibriste retors il autorise parfois à en remettre une couche. La condamnation est alors une attaque déguisée. Je condamne ce que tel élu a subi mais je précise bien que je ne peux pas le supporter, car il est nul, imbuvable… On comprendra qu’un élu ainsi «défendu», ne se trouvera guère réconforté. Que le combat politique ne puisse pas s’affranchir de ces piques, y compris dans des moments appelant la solennité, est inquiétant.
Ce «mais» est une triste ritournelle, on l’a déjà entendue après l’attaque contre Charlie Hebdo. On raille souvent la majorité présidentielle sur le «en même-temps» alors qu’on entend bien davantage ce «mais», autrement dangereux pour nos institutions. Jusqu’ici tout va bien, pourrait-on dire. La grande majorité des politiques tiennent la digue. Pourtant, force est de constater qu’ils sont de plus en plus nombreux à pratiquer ce «mais». Tolérer la violence, quand il ne s’agit pas à demi-mots ou à pleine voix, de l’encourager, c’est être incendiaire.
Ce n’est pas un élu, ni deux, ni dix qui sont agressés chaque année en France, ce sont des milliers. Selon une étude du Cevipof, datant de 2020, plus de la moitié des maires de France se disaient victimes d’incivilités, et plus d’un quart victimes d’injures et de menaces. Au cours de l’année 2020, l’institut en recensait déjà 1300 qui avaient renoncé à leur mandant avant la fin ! Nombre de candidats non élus avaient, eux-aussi, subi les agressions. En 2022, les violences contre les élus ont augmenté de 32 % en un an, avec près de 2300 plaintes et signalements recensés par le Ministère de l’intérieur. Heureusement, les plaintes pour agression physiques n’étaient « que » de 160. Il y a fort à parier que l’année 2023 a battu ce score.
Parmi les victimes, des élus LFI, qui ne sont pas épargnés par le fléau. Il est donc d’autant plus attristant de ne pas les entendre tous condamner sans nuances les violences. J’en veux à ces adversaires politiques qui traitent leurs opposants comme des ennemis. On les trouve souvent sur les bancs de cette France Insoumise, où l’humanisme est pourtant brandi à tout bout de champ. Pas tous, mais un trop grand nombre. En France, les dérives sont à mettre à l’actif des deux extrêmes de l’échiquier, l’extrême gauche et l’ultra droite. Je ne sous-estime pas le côté stratégique des élus RN, soucieux de polir leur image, en évitant notamment de tomber dans ce que Gérald Darmanin a appelé la « bordélisation ».
Je ne sous-estime pas non plus le danger que représenterait le RN une fois au pouvoir et les limites du ravalement de façade. Mais parce que les LFI se targuent justement de valeurs humanistes, il faut pointer leurs errements ou leurs complicités coupables avec des extrémistes qu’ils ne condamnent pas, dont ils attisent parfois la haine et la violence. Se réjouissant parfois du chaos provoqué par des groupuscules, ils ont l’indignation sélective. Les violences policières ne leur échappent jamais, pas plus que les violences d’extrême droite. Silence radio en revanche, lorsque des éléments radicaux estampillés de gauche, ou révolutionnaires, cassent, incendient, injurient. Ces éléments perturbateurs, ils ne les voient pas ou trouvent mille excuses à leurs actes.
Derrière les cris et les effets de manche à l’Assemblée nationale, chauffée à ébullition pour le spectacle et par tradition, il y a des faits bien plus graves. Le bordel à l’Assemblée agace la majorité des Français mais ils peuvent au moins constater que c’est un lieu de débats. En revanche, certaines déclarations fracassantes se prolongent par une participation active, ou un encouragement, d’actions agressives, humiliantes comme les bûchers de personnalités ou les chants «Louis XVI, on l’a décapité, Macron, on va recommencer». Au mieux, dans l’espoir de récupérer des mouvements citoyens, de nombreux LFI se taisent sur ces violences dites «symboliques». Ce n’est ni de la gauloiserie, ni un hommage au bon vieux chamboule-tout. C’est du bas calcul politique.
L’usage du 49-3 peut faire débat. Il a fait débat jusqu’au sein du groupe Renaissance. S’en servir pour justifier des violences est en revanche insupportable. Les électeurs pourront reconduire ou sanctionner ceux qu’ils ont envoyés à l’Assemblée. Ils pourront démocratiquement arbitrer en dernier ressort les questions qui auront agité la société. Ils pourront voter, ou pas, pour ceux qui suggèrent de réformer les institutions, d’abolir le 49-3 ou autres outils constitutionnels voulus par le général de Gaulle et les rédacteurs de la Ve Constitution.
C’est aux électeurs de décider si ces outils institutionnels sont toujours adaptés ou non. Ils ont, par le passé, imposé deux cohabitations à François Mitterrand et une à Jacques Chirac. Ils ont refusé quelques années plus tôt la réforme de De Gaulle sur le Sénat. Ils n’ont pas souhaité reconduire Nicolas Sarkozy et ont donné récemment à Emmanuel Macron une majorité relative à l’Assemblée. Cette dernière fait l’objet d’empoignades légitimes sur la latitude qu’a le Président pour appliquer autant qu’il le voudrait le programme qu’il a proposé aux Français et qui est arrivé en tête au 1er tour de la Présidentielle en 2022. Dans tous les cas, les Français trancheront in fine lors des prochaines élections. Ce sont eux, et pas par sondages, mais dans les urnes, qui tireront toutes les conclusions. D’ici là, et sans attendre le verdict des Français, des élus LFI contestent les règles démocratiques. Au nom parfois de la lutte contre l’extrême droite, alors que le chaos lui profite toujours.
Au niveau local aussi, la contestation institutionnelle se traduit par un silence coupable sur ceux qui sont devenus les alliés objectifs de la « bordélisation » : les antifas, les black blocks, dont les comportements n’outragent quasiment jamais le parti de Jean-Luc Mélenchon.
Des groupuscules d’extrême droite perturbent le jeu démocratique et il serait inconséquent de négliger ce danger pointé par les Renseignements généraux. Le 9 juillet 2023, Nicolas Lerner, le directeur de la DGSI s’inquiétait ainsi publiquement d’«une résurgence très préoccupante depuis 2018 des actions violentes ou des intimidations de la part de l’ultra-droite, dont une partie s’inscrit en rupture assumée avec le cadre démocratique». Il pointait aussi les violences de la mouvance de l’ultra-gauche, déplorant que la lutte contre le réchauffement climatique ne soit pour des militants radicalisés «un prétexte pour s’en prendre aux symboles de l’État, aux forces de l’ordre, à ce qu’ils appellent le système». Le danger vient des deux extrêmes.
A gauche de la gauche, rien n’excuse cette permissivité coupable de la part de responsables politiques à l’égard d’individus qui souhaitent ni plus ni moins la révolution, l’anarchie, et entendent imposer par la violence un changement de gouvernement ou de régime. Climats, retraites, tensions avec la police, recours du 49-3… Tous les prétextes sont bons pour justifier une déstabilisation des institutions. Il s’agit d’opérations de récupération de colères sincères et spontanées, pour imposer par le chaos un programme politique ayant pour clé de voûte un changement de régime.
LA COLÈRE EN HÉRITAGE
Depuis la flambée du mouvement des gilets jaunes à la fin de l’automne 2018, les violences ont franchi un cap inquiétant.
Je suis attachée à régler les sujets de fond soulevés par cette France dite “des ronds-points”, en difficulté pour payer l’essence, boucler les fins de mois ; je suis préoccupée par ces situations terribles de retraités précaires obligés de reprendre un boulot pour survivre, d’actifs contraints à dormir dans leur voiture, de femmes de ménage qui doivent enchaîner les petits boulots sous-payés… Ce qui a été exprimé était souvent poignant, révoltant. Ça ne peut pas être ignoré. Il faut être sans ambiguïté là-dessus, ce mal-être doit émouvoir la classe politique et l’inciter à trouver des solutions réalistes, efficientes, durables. Ce mal-être couvait depuis des années, voire des décennies. Un long sentiment d’abandon et de mépris social. Dans mes fonctions à la mairie de Lille, lorsque j’ai porté le projet “Lille, Ville de la Solidarité”, puis lors de mes campagnes de 2020 et 2022 et de mes permanences, j’ai eu souvent l’occasion d’entendre ce mal-être, la souffrance des plus fragiles. La lutte contre la précarité doit devenir pour moi réellement une grande cause locale et nationale.
Logiquement, c’est le pouvoir en place que les manifestants ont pointé et interpellé lors du mouvement des gilets jaunes. La colère des manifestants a parfois débordé. Ce n’est pas ses années de mandat qui ont été attribuées à Emmanuel Macron, mais plus de 30 ans de bilan. Et avec lui, sa majorité, qui doit donc endosser trois décennies de calamités. Triste ironie, certains de ceux qui reprochent à la majorité ces maux ancestraux faisaient partie des équipes dirigeantes d’autrefois qui ont laissé la situation économique et sociale se déliter. Désormais opposants, ils déplorent sans vergogne et avec une apparente amnésie, le système qu’ils ont bâti, et/ou démoli.
Les principaux responsables des violences qui ont accompagné cette vague de protestations, ne sont pas le fait de la très grande majorité des gilets jaunes. Ce ne sont pas des gilets jaunes qui ont perturbé ma campagne de 2020. Ce ne sont pas les gilets jaunes, en tout cas pas la très grande majorité d’entre eux, qui ont perpétué les violences lors de leurs manifestations.
Le mouvement non centralisé des gilets jaunes a attiré les vautours de la misère. Les antifas, les black blocks et autres extrémistes de tout poil, qui ont infiltré les manifestations, se fichaient bien de la taxe sur l’essence. Ils ont profité de la détresse pour saccager, vandaliser, dans l’unique but d’atteindre des institutions qu’ils rêvent de renverser. Leur combat n’est pas celui de la fin de mois mais celui de la fin de régime. Ils volent leurs combats aux exclus, aux précaires. Et le débat à tous.
Leurs violences inouïes ont décrédibilisé, sali ce mouvement populaire, longtemps soutenu par l’opinion. Leurs agissements ont amplifié le mépris social de quelques observateurs, ils ont délégitimé la cause aux yeux de l’opinion. Les revendications des précaires sont devenues inaudibles jusqu’à ce que le Grand débat les replace au cœur des discussions.
Ces violences politiques, idéologiques, d’une nébuleuse nihiliste, ont détourné la révolte et l’appel au secours. Les précaires ont dû céder la place à des bataillons d’extrémistes, parfois bobos. Ces violences pourtant ont été applaudies là-aussi par certains incendiaires d’extrême-gauche mais aussi par des tenants de la droite nationaliste. Souvent, parce que le gouvernement se retrouvait en difficulté, ces violences n’ont pas été condamnées. Ce qui s’est passé ensuite lors de certaines élections municipales, comme celles de Lille ou lors des manifestations contre la réforme des retraites s’inscrit dans la droite ligne de ces débordements. Une colère spoliée, récupérée, détournée.
Avec des boucs-émissaires tout désignés : les élus. En particulier ceux de la majorité, qui n’en auraient rien à faire des gens et vivraient grand train, indifférents au sort des plus fragiles. C’est populiste, démagogique, caricatural. Et dangereux.
Nous sommes 577 députés, cela peut paraître beaucoup mais c’est très peu face aux problèmes quotidiens des 67 millions de Français qu’ils représentent. Les élus, en tout cas la plupart de ceux que je côtoie, sont sensibles au sort des autres. Un très grand nombre gagneraient bien plus dans le privé en faisant moins d’heures. Ce n’est pas populaire de le dire, tant pis.
C’est notre devoir de ne pas nous placer au-dessus de la mêlée, en surhomme ou wonder woman, inatteignables, inébranlables, sans émotion. Les électeurs peuvent oublier, à cause des clichés véhiculés et de nos propres maladresses, qu’un responsable politique n’est pas un archétype, une entité. Je constate sans cesse qu’il est aisé d’avoir des contacts humains, chaleureux, vifs parfois, mais respectueux avec les citoyens. Nous, élus, devons prendre toute notre part dans la reconstruction de l’image politique, et la capacité d’empathie des élus. Nous devons, pour combattre ces violences, laisser parler notre cœur. Nous devons dire nos difficultés quotidiennes. Pas pour nous plaindre mais retisser ce lien humain avec les citoyens. Nous devons démontrer que nous comprenons parce que nous vivons, nous avons vécu, ou nous avons des proches qui traversent ces difficultés. Ces maires de petites communes, qui, à côté d’un emploi, travaillent souvent des dizaines d’heures par semaine, pour moins d’un SMIC, ont raison d’expliquer leurs conditions d’exercice. Il faut combattre les clichés.
En prenant la parole, le maire de Saint-Brévin-les-Pins n’a pas parlé de lui, mais de notre société. Il a donné une dimension humaine, universelle, à sa fonction. Si les violences progressent c’est parce que les auteurs des agressions n’ont plus le sentiment de s’en prendre à des êtres humains. Ils agressent des gens réduits à une fonction, un poste impersonnel : l’autorité. Dénoncer les violences, c’est exprimer son humanité, sa compassion. Qu’avons-nous à craindre, à perdre, à dire ce qui nous émeut, nous indigne ? Rien. Et il ne faut pas redouter les persifleurs qui sans faute y verront de la faiblesse ou ce côté plaintif, «oui-ouin», qu’ils aiment à moquer tels des enfants dans une cour de récré.
Refuser la violence, ce n’est pas non plus un déni des causes profondes qui poussent certains vers la violence. Il va de soi que le désespoir engendre de la rancœur, de l’agressivité. Il faut s’attaquer aux racines de cette violence, sans l’excuser.
Il faut faire confiance à l’immense majorité des Français qui, malgré leur désaccord sur des idées, entendent parfaitement ce qui se joue en matière de respect, de décence. Ils ne seront pas davantage d’accord avec vos projets mais contrairement à une partie de la classe politique, ils ont moins de mal à faire la part des choses et à manifester franchement leur soutien contre des méthodes dégradantes qu’ils abhorrent. Tout simplement parce que ce manque de respect, ces violences, un très grand nombre en souffre chaque jour. Les menaces, les injures, l’agressivité, tout cela ne leur est, hélas, pas étranger. Au contraire. Les électeurs ne veulent pas nécessairement être représentés par des gens qui leur ressemblent, sinon ils se présenteraient eux-mêmes aux élections, mais des par des gens qui sont capables de comprendre ce par quoi ils passent. Qui en tiennent compte. Et qui donnent l’exemple. L’avenir sera fait d’empathie ou ne sera pas.
Le fait que j’ai été victime de violences, de menaces, n’est évidemment pas étranger à mon travail de parlementaire pour renforcer la sécurité des élus, de leurs équipes mais aussi des électeurs. Dans ma vie politique, il me semble sain de transcender des épreuves personnelles. Pour m’être engagée en dénonçant l’esprit de caste de la mairie de Lille, je peux assurer que je n’entends pas défendre un corporatisme mais des valeurs fondatrices, un pilier républicain et les règles d’équité du débat démocratique.
Un élu qui n’est pas en place, et qui ne dispose donc pas des moyens d’une collectivité ou d’un poste, un élu qui n’a pas de grands moyens financiers, notamment ces maires de petites communes quasiment pas rémunérés, un élu qui n’a pas d’entregent, ni un réseau développé pour le soutenir, cet élu-là est désavantagé face aux risques de violences. Les frais de sécurité sont à leur charge, mais aussi les frais d’avocat. Un élu, dont les moyens sont limités, devra donc se débrouiller. Je l’ai vécu.
Cette question de la violence est donc aussi une affaire d’équité car le fléau souligne l’immense disparité de moyens entre les élus ou candidats lorsqu’il s’agit d’y faire face. Si l’on est riche, ou bien né ; s’il on est déjà implanté, ancré ; si comme moi, on a une tribune pour se faire entendre ; si on dispose d’une notoriété qui fait qu’on estime pouvoir se dispenser de permanence, de meetings, d’aller à la rencontre des gens, alors la violence ne sera pas forcément une préoccupation majeure. Parce que, je le crains, ce sujet de la violence va persister, il est urgent d’agir.
La politique ne doit pas avoir un effet repoussoir. Et c’est un autre risque que ces violences font peser sur notre démocratie. Ces images de violence répugnent. C’est pour la chose politique, la pire des publicités. Ce phénomène présente le risque réel d’un nivellement par le bas doublé d’une exclusion par le haut.
Exclusion par le haut, car pour s’engager, mieux vaut, hélas, faire partie du sérail. Nivellement par le bas, car, je peux en témoigner, certains qui m’accompagnaient lors de ma première campagne, jurent qu’on ne les y reprendra plus. Le climat fait fuir trop de gens compétents. Heurtés par les insultes, les menaces, ils préfèrent se rendre utiles ailleurs, dans un environnement plus civilisé. C’est dramatique.
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