EN MISSION

L’autre mur, chapitre 6

DES QUESTIONS UNIVERSELLES

Tout au long de la campagne municipale, puis présidentielle, pendant mes mandats de conseillère municipale puis de députée, j’ai été confrontée aux rumeurs et à la désinformation. C’est à la fois un fléau archaïque et un poison moderne. Les rumeurs, les calomnies, les fausses informations, quand elles ne démarrent pas sur Internet, trouvent un vecteur de diffusion d’une puissance infinie sur les plateformes du Web et les réseaux sociaux. Le droit à l’oubli n’y existe pas vraiment puisqu’une fausse vérité peut ressurgir à tout moment, même des années après qu’elle a été dénoncée. Elle mute souvent, et prospère sous des variantes, car ces fake news sont bel et bien des virus. Dans les cas extrêmes, ils sont mortels. La rumeur peut tuer, tout comme le harcèlement en ligne, les revenge porn. Ce sont les adolescents, plus vulnérables, qui passent à l’acte lorsque supporter l’injure, la calomnie n’est plus soutenable. La lutte contre le harcèlement en ligne est l’une de mes préoccupations majeures en tant que responsable politique. 

Quant aux fake news, elles sont un danger dont il faut prendre toute la mesure. La désinformation est telle sur les réseaux sociaux que c’est la notion même de réalité qui vacille. Le concept de « faits alternatifs », tristement revendiqué par l’ex-conseillère en communication de Trump, Kellyane Conway, n’a cessé de se répandre ces dernières années. En 2017, Conway assure alors au journaliste de la chaîne NBC News, Chuck Todd, qu’il n’y a pas qu’une vérité. La Maison Blanche, contre les évidences, assure que la cérémonie d’investiture de Trump a réuni la plus grande foule jamais vue pour pareil événement. Les vidéos, les photos, prouvent le contraire. Les journalistes qui étaient sur place démentent tous. La vérité est sous nos yeux. Conway, pourtant, ne se démonte pas : la Maison Blanche a donné des «faits alternatifs», c’est-à-dire sa lecture de la vérité. Chuck Todd lui rétorque que «les faits alternatifs ne sont pas des faits. Ce sont des mensonges». Las. Une nouvelle digue saute. Les propos insurgent ou sont raillés. Conway est l’objet de moqueries mais l’affaire n’est pas drôle. Le principe de réalité alternative est revendiqué dans un cadre institutionnel.  

Le mot alternatif, détourné de son sens premier, est souvent brandi sur internet pour estampiller le mensonge. Il y aurait donc des faits alternatifs, une réalité alternative. La porte ouverte à tous les délires, y compris par des responsables politiques. Les médias sérieux ont compris le danger en créant des services de fact-checking pour débunker -démonter- les mensonges. Leur tâche, colossale, relève quasiment de la mission impossible. Il faut saluer le travail fait par ces médias ou des sites comme Conspiracy Watch, qui tentent de rétablir la vérité. Face à certaines rumeurs, ces debunkers, sont parfois comme Sisyphe avec son rocher. Ils doivent régulièrement se remettre à l’ouvrage pour démonter encore et encore un mensonge avéré ou un complot qui ressurgit pourtant invariablement. Sur le 11 septembre, le Covid, un prétendu pacte de Marrakech conclu par des États et l’ONU pour organiser une invasion de l’Europe par des migrants, etc. La liste est sans fin, déprimante. 

Derrière le concept fumeux de réinformation, qui surfe sur la méfiance grandissante envers les médias, des charlatans, dont un grand nombre ont des arrière-pensées politiques, se targuent de détenir la vraie vérité. Ils ont donc pour mission de réinformer, c’est-à-dire de désintoxiquer les esprits, alors que leur véritable but est de les empoisonner. Il faut distinguer ces prétendus médias dits alternatifs des médias indépendants, soucieux d’une plus grande pluralité. La concentration des médias, qui est un vrai sujet, est un terreau pour ces désinformateurs. Ils justifient la raison d’être de leur propagande par la concentration des principaux médias entre les mains de quelques milliardaires, dont Vincent Bolloré, qui, il faut le reconnaître, menace l’indépendance des médias en imposant sa ligne très droitière à des rédactions comme Europe 1 ou Itélé, devenu depuis CNews. 

J’ai participé en juin 2023 à la soirée transpartisane organisée par Reporters sans frontières (RSF), en soutien aux salariés du JDD, vent debout contre la nomination de Geoffroy Lejeune, un directeur de la rédaction venu de Valeurs actuelles et proche des idées d’Éric Zemmour. Une ligne aux antipodes de l’identité et de l’histoire du journal. Le JDD n’a jamais été un journal d’opinion. J’y ai dit mon attachement à l’indépendance des médias et j’ai assuré que nous agissons, car c’est le sujet au cœur des États généraux de l’information programmés à l’automne 2023. 

Il est difficile d’interdire à des entreprises de racheter des médias, surtout lorsque ces derniers sont en difficulté financière, mais il faut répondre à cette question de la concentration, réfléchir à des mécanismes garantissant effectivement l’indépendance éditoriale des rédactions vis-à-vis de leurs actionnaires et favoriser la pluralité. Les médias, quant à eux, ont, comme les politiques, un travail de confiance à restaurer avec le public. Ils sont eux aussi victimes du populisme ambiant. Et, comme les politiques, ils doivent s’interroger sur ce divorce, cette défiance. L’exemplarité des médias est essentielle. Ils doivent être indépendants, pour avoir la confiance du public, et rigoureux, pour la conserver. C’est-à-dire résister à tous les pièges : le journalisme dit de préfecture, jugé trop paresseux, tout comme le sensationnalisme. 

Il est crucial, vital même, que les médias puissent investiguer, «remuer la plume dans la plaie», comme le revendiquait le fondateur du Monde, Hubert Beuve-Méry. Pour cela, ils doivent absolument être indépendants. Je veux accompagner ce combat. Et ils doivent rejeter les rumeurs, la calomnie, les atteintes à la vie privée ou à la présomption d’innocence de tous les citoyens. Là encore, pas question de faire de la démagogie. La crise de la presse a bousculé parfois sa déontologie, par une course de vitesse à l’info, la recherche du buzz. Comme si la survie de certains médias, passait forcément par-là. La dérive complotiste de France Soir en est une illustration. Il nous faut donc continuer à assurer l’indépendance économique et éditoriale de la presse. Des médias fragilisés, ce n’est pas une bonne nouvelle pour les politiques. Car l’espace sera occupé par les alternatifs et réinformateurs de tous poils. Pour la démocratie, pour les citoyens, il faut se battre pour conserver une presse forte et indépendante.             

Les politiques eux-mêmes sont parfois complices de la désinformation. En 2018 par exemple, à la suite d’un rapport commandé par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, des responsables de droite et d’extrême droite ont laissé croire que le ministère voulait rendre obligatoire l’enseignement de l’arabe à l’école primaire. C’est irresponsable. Les responsables politiques doivent être les plus vigilants sur les rumeurs. Et s’ils les propagent par erreur, corriger vite le tir et s’excuser. Les élus doivent refuser à tout prix d’instrumentaliser le débat politique avec des fake news. C’est trop souvent le cas, durant les campagnes, sur Twitter, sur les plateaux télé. Il faut y résister car c’est suicidaire. 

L’exemplarité, là encore, est fondamentale. Les propagateurs de fake news se sentent dédouanés, voire confortés, lorsque les politiques rapportent des «faits alternatifs». D’où qu’elles partent, les fake news, trouvent des relais commodes grâce à l’anonymat, comme avec mon histoire de Miami. Le combat politique a hélas parfaitement intégré l’arme fake news dans sa batterie de munitions. C’est un combat difficile car les fake news fleurissent sur des réseaux qui détiennent le pouvoir de modérer ou non, ou bien fleurissent dans des boucles fermées, des groupes virtuels parfois très fréquentés constituant de puissants points de relais. 

Il faut absolument distinguer la censure, qui a pour but d’étouffer une vérité, une opinion, et la lutte contre la désinformation. Le mot censure, effrayant à juste titre, est le gilet pare-balles des désinformateurs, qui s’abritent derrière lui pour justifier le statu quo. Il ne faudrait rien faire par crainte de la censure. La fameuse devise du web des débuts, «Sur Internet personne ne sait que vous êtes un chien», inspirée d’un dessin de presse, est encore utilisée pour vanter les mérites de l’anonymat. celui-ci a tout son sens si vous êtes un opposant iranien ou un dissident chinois, mais dans une démocratie, l’anonymat, censé garantir la liberté d’expression, est un outil pratique pour les calomnieux. L’anonymat en soi ne pose pas de problème. Il peut, comme le compte Twitter de l’avocat connu sous le pseudo de Maître Écolas, permettre de s’exprimer en évitant de s’exposer. Des lanceurs d’alerte peuvent aussi s’en servir pour alerter sans redouter des rétorsions. Il peut également être un simple avatar, un personnage fictionnel, utilisé pour de la parodie. 

Le problème, c’est l’usage que l’on fait de cet anonymat. Il est évidemment plus pratique d’injurier, de calomnier, voire de menacer de mort sous pseudo. Dans la loi, l’impunité virtuelle n’existe pas. Dans les faits, il est très compliqué d’appliquer la loi car ce sont les plateformes, dont les sièges sont à l’étranger, qui imposent leur loi. Ces plateformes, qui tolèrent déjà des propos insensés proférés sous de véritables identités, ont une extrême complaisance avec les trolls, ces comptes anonymes qui déversent leur haine. Un juge peut demander à une plateforme de lui communiquer l’identité d’une personne sous pseudo. Mais face à des dizaines de milliers de messages, elle est vite dépassée et les processus sont longs. C’est donc envers ces plateformes qu’il faut agir pour qu’elles imposent des codes de bonne pratique. Nous avons ouvert le débat sur le sujet à l’Assemblée pendant l’examen du projet de loi “SREN” : sécuriser et réguler l’espace numérique. Mon collègue Paul Midy y a porté, en vain pour le moment, l’idée du pseudonymat, obligeant les créateurs de comptes sur les réseaux sociaux à fournir une preuve de leur identité, à fournir automatiquement en cas de poursuite judiciaire. Nous n’avons pas pu valider un dispositif français sûr et sans faille, mais les échanges ont permis d’avancer.

ZERO FATALITÉ

Au niveau européen aussi, les choses avancent. L’Union Européenne a décidé de placer depuis le 25 août 2023, les 19 plus grandes plateformes du Web sous la surveillance de la Commission européenne. Elles sont désormais soumises à des règles renforcées, dont l’obligation d’un audit annuel indépendant pour s’assurer qu’elles luttent efficacement contre la désinformation, la haine en ligne ou les contrefaçons. Les amendes prévues peuvent atteindre 6% du chiffre d’affaires. C’est un grand pas. Ces règles complètent les mesures du Digital Services Act (DSA), ou Règlement des Services Numériques, publiées en octobre 2022 et qui visent notamment à harmoniser les législations nationales déjà en place dans les États membres de l’UE. Le DSA cible les contenus illégaux et haineux. C’est un grand pas. Sans la collaboration des plateformes, volontaire ou contrainte, il n’y aura pas de bouleversements en profondeur. 

J’ai aussi cité plusieurs exemples américains parce que désormais, via les réseaux sociaux, c’est le droit américain et la conception américaine de la liberté d’expression (quasiment sans limite), qui s’imposent. C’est donc une affaire de souveraineté. La plupart des grandes plateformes sont américaines ou chinoises, comme TikTok, et elles ont imposé leurs propres règles. Outre-Atlantique, il est d’usage de diffamer, d’user de la trash politique pour caricaturer de façon mensongère des opposants, les complots trouvent une tribune jusqu’aux émissions de prime time des chaînes Fox News ou Newsmax. Le géant suédois Spotify a même signé un des plus gros contrats de son histoire pour abriter le podcast du complotiste Joe Rogan sur sa plateforme. L’enjeu du combat contre la désinformation est aussi culturel. Car à l’inverse, Facebook ou Instagram, par exemple, font preuve d’une grande pudibonderie lorsqu’il s’agit de censurer un tableau ou une statue à cause de la nudité. Les intox, la violence, ne posent pas de problème mais ils décident du bon goût ou de l’indécence d’œuvres d’art centenaires, voire millénaires. 

De nombreux utilisateurs et certains États, notamment la France, avec l’action très forte de Jean-Noël Barrot depuis qu’il est Ministre du Numérique, mettent désormais la pression aux géants du numérique pour qu’ils installent des garde-fous, sur les fake news, sur l’utilisation des données, sur les pages de propagande… L’affaire dite Cambridge Analytica, du nom de la société anglaise du même nom, a provoqué un sursaut. En 2018, l’entreprise avait illégalement aspiré des données personnelles de 87 millions d’utilisateurs de Facebook dans le but de cibler l’adressage de messages favorables au Brexit au Royaume-Uni ou à l’élection de Trump en 2016. C’est l’un des exemples les plus éloquents sur le danger des fake news et de la propagande ciblée pour la démocratie. 

En parallèle de cette action auprès des plateformes, le volet éducatif est primordial car je ne crois pas à la censure mais à la régulation et à la pédagogie. Et je sais que les réseaux sociaux sont aussi un espace où des colères s’expriment en ligne car certains ne savent pas vers qui se tourner. C’est tout le défi de la reconstruction et de la réinvention de la politique de proximité. L’autre challenge, susceptible de favoriser aussi le dialogue, l’échange, est la pédagogie. 

La liberté d’expression implique la responsabilité. Elle n’est pas un droit absolu qui permet de diffuser des informations fausses ou de nuire délibérément à autrui. Elle doit être exercée avec conscience et respect des conséquences de nos paroles. La lutte contre la propagande des rumeurs et des fake news n’est pas une atteinte à la liberté d’expression, mais au contraire la défense de sa valeur intrinsèque. En luttant contre la désinformation, nous protégeons le droit des individus à recevoir des informations vérifiées et fiables. Nous préservons également la réputation et l’intégrité de ceux qui pourraient être injustement diffamés.

Il est crucial de promouvoir une culture de la critique constructive et du débat éclairé. La liberté de critiquer et d’exprimer des opinions divergentes est une pierre angulaire de la démocratie. Cependant, il est primordial de s’appuyer sur des faits et des arguments solides. 

La critique constructive n’est pas un outil de censure ou de restriction de la libre expression. Elle vise à encourager un débat sain, respectueux et constructif, où les idées peuvent être partagées, évaluées et améliorées ou combattues. Pour concilier les principes de liberté et de vérité, je suis convaincue que nous devons renforcer l’éducation aux médias et développer la capacité critique de chacun, en particulier de nos jeunes et nos enfants. Liberté et vérité sont des idéaux complémentaires. En promouvant une culture de la critique constructive et de la recherche de la vérité, nous protégeons la liberté d’expression tout en luttant contre la désinformation. En exigeant des normes éthiques élevées dans notre discours public, nous pouvons garantir un environnement où coexistent la liberté d’expression et le respect des faits. 

MISSION FLASH MÉDIAS

C’est d’ailleurs pendant la campagne présidentielle que j’ai portée dans le Nord en 2022, puis dans la foulée durant la campagne législative à Lille, que j’ai eu de nombreuses discussions houleuses avec notamment des jeunes, sur les sujets d’actualité et sur les fakes news. Une désinformation flagrante, véhiculée par les réseaux sociaux, qui produit souvent les effets d’une propagande simpliste, outrancière. Elle représente à mes yeux un réel danger d’embrigadement de nos jeunes. Mes enfants, les enfants de nos militants, tous sont en quelque sorte influencés par un déferlement d’images et de mots hyper- accessibles et redoutablement efficaces, qui façonnent leurs opinions sur la politique.

D’après une étude Médiamétrie pour la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), 71% des 15-34 ans consultent quotidiennement l’actualité via les réseaux sociaux, ces derniers étant, pour cette génération, le premier mode d’accès à l’information ; et 32% des 15-34 ans passent uniquement par les réseaux sociaux ou les moteurs de recherche pour accéder à des contenus d’information en ligne. L’étude montre également que, contrairement aux idées reçues, les jeunes s’intéressent beaucoup à l’actualité, puisque 93 % d’entre eux déclarent s’intéresser à l’information, selon une intensité plus ou moins élevée.

Force est de constater sur le terrain que ces réseaux sociaux poussent les jeunes à contester dans la rue, et à fuir les urnes, trop souvent sur le fondement d’intox ou de théories complotistes. J’ai tiré un constat d’urgence face à cette guerre de l’information. J’ai eu le sentiment de devoir agir vite pour lutter efficacement contre cette désinformation numérique.

Dès mon arrivée à l’Assemblée nationale au sein de la Commission “Affaires culturelles et éducation”, j’ai donc sollicité une mission parlementaire dont j’ai été co-rapporteur. Cette mission parlementaire, dite « flash », baptisée « Éducation critique aux médias », a été menée de novembre 2022 à février 2023. Son but : apporter des outils pour cette éducation primordiale des jeunes à l’esprit critique et au décryptage de l’information, dans un objectif de développement et d’accès pour tous à la citoyenneté. Nous avons décidé de présenter 10 propositions pour agir dans la voie d’un renforcement de l’éducation aux médias et à l’information (recommandations, décrets, propositions de lois, amendements, actions). Huit tables rondes ont été menées, réunissant quarante organisations : ministères, institutions, chercheurs, associations, médias. Des rencontres de terrain ont également été effectuées, en priorité dans les Hauts-de-France, où la diversité des territoires couverts permet d’apprécier les réalisations et marges de progrès possibles. C’est au total près de cent personnes en quatre mois que nous avons entendues, couvrant un large pan d’interlocuteurs : enseignants, professeurs documentalistes, proviseurs, le Centre de Liaison pour l’Éducation aux Médias et à l’Information, les associations d’éducation populaire, les DRAC, les grandes institutions culturelles, les rédactions, et des médias, journalistes indépendants, acteurs associatifs, et bien d’autres encore.

Après ces quatre premiers mois d’études parlementaires, j’ai renforcé mes convictions et des mesures essentielles se sont dessinées. Il y a urgence à agir. La puissance des réseaux sociaux et des plateformes, leur modèle addictif, leur force financière rendent l’impact des actions actuelles d’éducation aux médias et à l’information trop marginal. Il faut passer à la vitesse supérieure, par une politique publique concertée, ambitieuse, budgétée, massive, efficace pour favoriser l’esprit critique et le discernement, pour transformer chacun en véritable fantassin de l’information. Toutes les menaces, malveillantes, extrémistes ou belliqueuses, qui pèsent sur nos démocraties, nous forcent à réaliser l’importance de former tous les citoyens au bon usage de l’information sur Internet, au discernement et à l’esprit critique, de les stimuler à l’engagement et à la citoyenneté. L’Éducation aux médias et à l’information (EMI), peut et doit participer à la baisse de l’abstention qui menace nos démocraties. Elle peut et doit contribuer à retisser le lien entre le citoyen, la politique, et plus généralement la chose publique. Elle peut et doit rétablir la confiance réciproque.

Je me suis totalement investie dans ces travaux, présentés devant l’Assemblée nationale le 15 février 2023. Cette mission je l’ai menée de façon “républicaine” avec Philippe Ballard, le député RN qui avait été nommé co-rapporteur de l’opposition, ancien journaliste, impliqué, travailleur et respectueux. Après la mission, j’ai décidé de poursuivre mon action et j’ai exploité toutes les contributions écrites et les témoignages recueillis avec une universitaire Lilloise, Sylvie Merviel, qui bénévolement, m’a aidée à écrire un rapport approfondi, avec 36 propositions opérationnelles, communicables aux ministères.

Ces propositions, je les ai restituées à tous les contributeurs, lors d’un événement à l’Assemblée, puis aux Assises du Journalisme de Tours en 2023. Dorénavant, mes objectifs sont de rendre concrètes ces propositions : en allant voir chaque ministère pour proposer des actions, et en contribuant aux États Généraux de l’Information, lancés en octobre 2023, comme parlementaire-relais sur les différents chantiers, qualité de l’information, innovations technologiques, ingérence étrangère, modèle économique, concentration, publicité et régulation, statut du journaliste. 

Ce travail a montré une véritable nécessité de « sédimenter » les valeurs du journalisme : la véracité, les faits, l’authenticité, la confrontation des opinions, la liberté d’expression. Face à l’évolution des technologies, et notamment l’intelligence artificielle, on ne peut que redouter une dégradation de l’embrigadement et de la propagation des fake news. Notre lutte n’aura de sens que si elle s’accompagne d’un engagement fort pour garantir l’indépendance des médias. Je crois qu’il est possible de concilier l’indépendance et la déontologie. Je crois que c’est ce que s’efforcent de faire l’écrasante majorité des journalistes. Tout citoyen est fondé à refuser la calomnie. Le droit de calomnier n’est jamais revendiqué par les journalistes. Il n’est jamais à leurs yeux une marque d’indépendance, contrairement au droit à la caricature, à la liberté d’opinion, de commentaire, à l’accès transparent aux informations publiques, à la liberté d’enquêter. Assimiler le voyeurisme, la propagation de fake news au journalisme, ce n’est pas défendre la presse. Les fake news sont un danger pour les médias. Leur indépendance éditoriale est d’autant plus cruciale que c’est une presse forte, libre, qui sera la plus à même de lutter contre ce fléau. 

J’ai proposé de mettre ces réflexions au service des États Généraux de l’information, en animant un groupe de députés de la majorité parlementaire jusque mi-2024. Le but est clair : obtenir des avancées législatives sur la sécurisation et le rôle de la presse française, et amener des améliorations relatives à l’implication de tous les acteurs, pédagogues, intervenants, journalistes, professionnels des médias… 

Combattre les populismes et lutter contre les fake news, notamment par l’Éducation critique aux médias, sont des enjeux cruciaux. Cela ne concerne pas que les jeunes, car, hélas, la démagogie et la désinformation impactent toutes les classes d’âge, mais ils doivent être l’objet de notre attention particulière en raison de leur lien quasi-organique au monde numérique. 

Ce travail indispensable de réconciliation entre les jeunes et la politique, ne se limite pas à cela. Je parlais des grands et petits moyens. Chaque élu peut, à son échelle, contribuer à renouer le lien. C’est pour cela que je suis si attentive aux sollicitations de jeunes pour nos institutions, nos fonctions. A mon niveau, je tente de renforcer ce contact. En la matière, il n’y a pas de petits gestes, de petites actions. Je suis toujours ravie de répondre aux invitations d’établissements scolaires ou étudiants, d’associations, au niveau local, afin de privilégier l’existence de passerelles entre les jeunes et leur députée. 

CONFORME À MES ENGAGEMENTS 

Après cette première mission, un an après mon élection en tant que députée de la 9ème circonscription du Nord, en juin 2023, je pouvais faire sans rougir un premier bilan. J’ai communiqué à ce sujet car la transparence est une valeur essentielle pour établir la confiance et renforcer notre démocratie. Je communique d’ailleurs tous les jours fortement sur les réseaux sociaux, pour donner à voir le quotidien de la députée, rester proche et montrer mon implication sans faille pour le mandat. Les citoyens ont le droit de connaître les décisions qui les impactent. Nous devons aspirer à une société où les décisions sont prises de manière ouverte afin que la confiance entre les individus et les institutions soit renforcée. Mes détracteurs pourront me reprocher d’avoir pris des positions qui leur ont déplu, mais ils ne peuvent pas déplorer mon inaction. Dans ce cadre, je publie chaque semaine mon agenda, tout le monde peut savoir où je suis, et ce que je fais.

L’une de mes principales préoccupations au sein de mon groupe Renaissance à l’Assemblée Nationale, a été et demeure la valeur travail, la protection du pouvoir d’achat et de l’économie. Au cours de ce début de mandat, j’ai soutenu des mesures bien concrètes comme le maintien de l’essentiel bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité, la suppression de la redevance audiovisuelle, la revalorisation des bourses étudiantes, le relèvement du plafond des heures supplémentaires défiscalisées et encore la hausse du crédit d’impôt pour la garde d’enfants de 2 300 à 3 500€ par enfant. Je crois que nous avons agi. 

Je ne veux pas lister ici tout ce qu’on a fait en un an à l’Assemblée, c’est près de 50 projets ou propositions de lois qui ont été votés, sur tous les thèmes :  lutte contre le dérèglement climatique, amélioration de l’accès aux soins, renforcement de la justice et de la sécurité, protection de la jeunesse et l’éducation. L’action parlementaire ne peut pas se résumer à son brouhaha. En un an, c’est un fait, nous avons multiplié les mesures, les actions, nous avons débattu régulièrement jusque tard dans la nuit, pour améliorer le quotidien, apporter des solutions, corriger des injustices. Cette première année parlementaire a été intense, passionnante, parfois frustrante, mais ces travaux dans l’hémicycle ont conforté l’intérêt de mon engagement à l’Assemblée. 

J’ai ardemment défendu notre territoire dans l’hémicycle et dans les médias, en tant que porte-parole du groupe des députés Renaissance. A la suite de l’effondrement de l’immeuble Pierre Mauroy à Lille ; pour soutenir nos forces de l’ordre face aux casseurs dans les manifestations ; sur l’hyper-concentration des dépenses du ministère de la Culture en Île-de-France ; pour défendre les artisans et commerçants ; pour le soutien aux écoles d’architecture et du paysage, en particulier celle de Lille ; pour  porter les dossiers importants du Grand Lille auprès des différents ministères : sauver l’entreprise Carelide, défendre le projet d’innovation et de recherche en santé « Biocluster » porté par Eurasanté ; promouvoir avec la French Tech, les start-up du territoire ; accompagner la Fédération des Travaux Publics et l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie des Hauts-de-France pour plus d’apprentissage et d’insertion professionnelle ; ou encore soutenir les 100 propositions pour accélérer la transition écologique de l’économie du « Grand Défi ».

Il reste beaucoup à faire, c’est évident, c’est un mandat de 5 ans, et il est impossible de confronter toutes les problématiques en quelques mois seulement. Tout ce qui a déjà été fait relève un peu du tour de force, étant donné la majorité relative dont nous disposons. C’est assez impressionnant de regarder en arrière, face au blocage total du pays qu’on nous avait prédit, mais je ne peux me contenter de m’en satisfaire. Nous devons aller bien plus loin, c’est notre objectif. L’organisation du travail parlementaire nécessite une distribution des rôles pour traiter efficacement les sujets, en fonction des connaissances, des expériences de chacun sur des thématiques, ou de l’envie de traiter des problématiques, d’être moteur dans la recherche des solutions. Je me suis investie plus particulièrement sur certains sujets mais, notamment parce que l’ensemble des lois, ou presque, ont un impact sur le territoire que je représente, j’ai suivi l’ensemble des dispositions proposées et soumises au vote de tous les députés. Je me suis donc efforcée d’être informée aux mieux sur toutes les mesures, de faire entendre ma voix et d’être assidue lors des débats et des votes. Certains de ces votes ont été transpartisans, et je m’en réjouis, comme la protection constitutionnelle du droit d’accès à l’IVG ou la loi de régulation des influenceurs dans laquelle j’ai été très impliquée. 

Cette proposition de loi transpartisane portée par mes collègues Stéphane Vojetta(RE) et Arthur Delaporte(PS) sur la régulation des influenceurs est un très bon souvenir de travail législatif pour moi et même une fierté. Beau sujet, très en lien avec mes préoccupations sur le rôle des réseaux sociaux et la responsabilité sur l’espace digital. Attentive au développement de l’influence commerciale, j’ai décidé de travailler d’arrache-pied sur cette loi transpartisane. Après un vote au Parlement en mai, nous sommes le premier pays au monde à avoir légiféré sur l’influence commerciale, en structurant cette nouvelle filière de l’influence sur les réseaux sociaux, en responsabilisant les influenceurs, et en protégeant les victimes d’arnaques et de contrefaçons.

A l’inverse, beaucoup d’autres textes, malheureusement, ont donné lieu à des débats très conflictuels. C’est le jeu des oppositions mais parfois, et je le déplore, des votes qui auraient pu, qui auraient dû susciter une large majorité ont obéi à une pure logique de partis, d’opposition systématique factice, parfois parce que les projets n’allaient pas assez loin aux yeux de certains. C’est un regret car de réelles avancées n’ont pas été soutenues afin de de ne pas s’associer à nos voix. De ce premier constat, je déplore cette forme de jusqu’au-boutisme qui pousse des élus à rejeter ou à s’abstenir sur des mesures qu’ils appelaient pourtant de leurs vœux et qui avaient le mérite d’améliorer le quotidien des citoyens, à défaut de tout régler. Cette fameuse discipline des partis n’a pas de sens lorsqu’il s’agit simplement de s’opposer à une majorité, y compris si les citoyens risquent d’en faire les frais. Cette discipline n’a de sens, à mes yeux, que lorsqu’elle vise à accorder les violons au sein d’un même mouvement sur les sujets prioritaires et les mesures adéquates. Lorsqu’on est élu sous une bannière, dont le programme annoncé clairement, a été soumis aux électeurs, la discipline est nécessaire, par fidélité aux engagements pris en campagne et la cohésion de l’action parlementaire. Il va de soi, qu’au sein de chaque mouvement, les sensibilités sont parfois différentes sur certains sujets, qu’il y a des nuances, parfois même quelques divergences. Cette pluralité est une force. Elle nourrit les débats et favorise les compromis nécessaires à l’intérêt général. Les états d’âme n’ont pas leur place alors, car l’individualisme n’apporte rien. C’est au sein même d’un mouvement qu’il faut débattre de cela et faire entendre ses arguments. Ensuite, sauf à aller contre ses valeurs et ses idéaux, il faut agir à l’unisson, solidaires, car le grand projet commun nécessite cette cohésion.

La discipline de parti consistant par principe à s’opposer en bloc à tout ce qui est proposé par d’autres partis, par idéologie donc ou par calcul politique, c’est tout autre chose. On appelle cela l’opposition systématique, parfois l’obstruction, et ce rejet de principe est préjudiciable à la politique, à son image, quand certains sujets sont de nature à fédérer.Il s’agit alors de rejeter un progrès, une avancée, au motif qu’un progrès plus grand est exigé. Ce tout ou rien, est un peu déprimant. 

Les mesures votées peuvent être complétées plus tard par une nouvelle majorité. Les oppositions étaient clairement affichées sur la réforme des retraites notamment, et c’est sans surprise que les avis divergeaient totalement. La force de l’affrontement politique se nourrit de cette confrontation des visions, de ce pluralisme de points de vue et même de leur antagonisme. Lors de cette première année de ce premier mandat, j’ai pu constater que ces divergences salutaires pour le débat démocratique, s’accompagnaient hélas d’une opposition sectaire de principe, politicienne, qui est souvent incomprise par les citoyens. On pourra me rétorquer que je n’ai pas moi-même soutenu ce que d’autres considéraient comme des avancées. En l’occurrence, il ne s’agissait pas de mesures concrètes, faisables, chiffrées, mais le plus souvent de propositions démagogiques. En tant que députée, lorsqu’une proposition issues d’autres rangs constitue un réel progrès à mes yeux, que la proposition est réaliste et dans la lignée de nos valeurs, de mes idées, je me sens libre de la voter. C’était le cas pour la proposition de loi d’Aymeric Caron sur l’interdiction de la corrida que j’étais prête à voter, et qui finalement n’a pas été mise au débat. Je ne me suis jamais sentie prisonnière à l’Assemblée, dans la défense de mes convictions, j’ai cherché à porter des propositions susceptibles de fédérer au-delà de mon camp, et je continuerai à privilégier le dialogue, l’union, sur tous les sujets à même de transcender les clivages. 

Un député ne vote, ou ne rejette pas uniquement les lois. Il peut participer à leur élaboration, voire porter un projet de loi, comme celui concernant les violences envers les élus dans mon cas. Il a aussi la faculté d’apporter sa pierre à l’édifice en amendant des projets de loi. C’est une dimension essentielle de la fonction, car elle permet aux députés d’enrichir ou de corriger des lois. Nous ne sommes pas uniquement sollicités pour approuver ou rejeter sans nuances les projets, nous avons la possibilité, dans l’intérêt de nos territoires, ou de celui de tous les Français, de faire évoluer sensiblement les textes. Ce rôle constructif permet, dans un cadre légal, de concilier la discipline de parti et le rôle actif de l’élu.  

Ainsi, durant cette première année, plusieurs de mes amendements ont été adoptés. Ils visaient à ce que le statut des Juniors Entreprises soit protégé dans la loi de Finances “PLFSS” 2023, à ce que la lutte contre le GHB et autres drogues ingérées à l’insu des personnes s’intensifie dans la loi “LOPMI”, de programmation des moyens de la sécurité, à ce que le dispositif “Demandez Angela” contre le harcèlement de rue soit généralisé, à ce que 500 000 euros supplémentaires soient dédiés à l’éducation aux médias dans le budget 2023 de la culture. 

J’ai aussi participé aux travaux de mon collègue Alexandre Holroyd, qui a mené une mission puis mis au vote une proposition de résolution sur les écoles d’architecture. Celle de Villeneuve d’Ascq, à côté de Lille, m’avait justement alertée sur les risques d’épuisement du personnel et de baisse de la qualité des enseignements, je me suis beaucoup investie sur ce sujet pour défendre leur budget auprès de la Ministre de la Culture, et avec Alexandre, nous avons obtenu des résultats. Je continue d’ailleurs cette action sur le terrain, et j’ai pu rendre visite aux équipes de l’école lilloise avec lui en novembre 2023.

Bref, beaucoup de sujets, qui font que ce premier bilan est la preuve qu’il est possible d’agir. Et rapidement. Sur les violences, la désinformation, les fakes news, l’indépendance des médias, la souveraineté économique, la compétitivité, le social, la santé, la sécurité, la justice, la culture, les territoires, la préservation d’emplois à Lille et dans la région Nord. J’ai eu des engagements conformes à mes promesses et conformes à mes valeurs. Ce n’est pas mince même si j’aurais aimé faire bien davantage, mais j’inscris mon action dans la durée de mon mandat, avec l’ambition de conserver ce rythme jusqu’au bout. Et donc de défendre à chaque occasion les intérêts de ma circonscription.

Ce premier bilan a été aussi l’occasion de partager avec d’autres députés des réflexions sur de nécessaires réformes des institutions, sujet qu’il ne faut surtout pas laisser aux seuls pyromanes. J’ai eu l’occasion d’en évoquer plusieurs sur le pouvoir d’agir des maires, le contrôle des irrégularités de campagne, les modalités de recours en matière de contentieux des scrutins, l’équité entre les candidats, leur accompagnement sur le droit électoral, la réalité des frais de campagne, ou la représentativité de l’opposition locale. J’aurais l’occasion de développer plus loin quelques autres points, nourrie par mon expérience de parlementaire. 

Un an plus tôt, alors que je m’asseyais pour la première fois sur les bancs de l’Assemblée, moment émouvant s’il en est, j’étais déterminée à agir. J’ignorais tout du fonctionnement, ou quasiment, mais j’y suis entrée pour y obtenir des résultats. C’était mon état d’esprit, dès le premier jour. Il ne m’a jamais quitté. Je n’y allais pas pour faire « tapisserie », ou panser les plaies. Ce rôle de député a marqué une nouvelle étape. Et même un tournant. 

Après les attaques, les irrégularités électorales en 2020, j’aurais pu retourner à la SNCF, où j’avais un très beau poste et des collègues précieux. Loin du tumulte. Mais mon engagement est profond, entier, et j’étais totalement déterminée à inscrire mon engagement dans l’action. Pas seulement via l’opposition au conseil municipal, mais aussi à l’Assemblée, afin d’y démontrer par les actes ma conviction politique, ma conception du rôle d’un élu, d’y représenter ma circonscription sur le fondement de mes promesses et de prolonger cet élan qui avait porté ma première campagne. Je ne suis pas du genre à me décourager, vous l’aurez compris. 

L’URGENCE D’UNE UNION SACRÉE 

Lorsque le quotidien « Libération » a fait sa Une en juin 2023 sur les violences envers les élus, je faisais partie de témoins de différents courants, car la cause dépasse de loin le jeu partisan. Une forme d’union était convoquée. Parmi ces témoins, Sandrine Rousseau, Michel Liebgott, Jérémie Bréaud, se sont confiés sur ces violences qui jalonnent leurs parcours. Nos idées diffèrent, nos styles diffèrent, la plupart de nos projets aussi, mais j’ai été touchée par leurs récits. Le pays avant le parti. Les valeurs avant l’idéologie. Sandrine Rousseau est une adversaire, pas une ennemie. Pas plus que les autres témoins de droite ou de gauche, qui ont raconté les violences endurées. 

Le pays avant le parti ne justifie pas de s’opposer à son parti, par caprice ou pour faire du buzz. C’est un état d’esprit qui consiste à placer avant toute chose les valeurs républicaines et ses convictions intangibles. Sur la réforme des retraites, on a invité les députés Renaissance à se désolidariser du gouvernement, à le mettre en échec. Je ne serai jamais « godillot » mais je ne veux pas, je ne peux pas tomber dans la démagogie. J’ai soutenu le programme du Président qui proposait cette réforme. Je la crois sincèrement nécessaire, elle va réduire davantage d’injustices qu’elle n’en créera. Le système existant, d’une incroyable complexité, est porteur d’inégalités. Travailler deux ans de plus ne réjouit pas grand monde, c’est absolument évident. L’effort demandé pour sauver le système par répartition est vécu comme une régression. Et pour ceux dont les métiers sont les plus pénibles, ceux qui ont commencé très jeunes à travailler, ceux qui ont des carrières dites hachées, notamment les femmes, doivent absolument bénéficier de notre attention. 

Le brouhaha entretenu par la France Insoumise a rendu impossible une discussion sur ces points sensibles. C’est le retrait ou rien. Lors du débat sur les retraites à l’Assemblée, cette cacophonie a agacé jusqu’à Philippe Martinez, ex-leader de la CGT. Quant à Laurent Berger, alors leader de la CFDT, résolument opposé à cette réforme, il a vivement critiqué les violences, par principe et parce qu’il était conscient qu’elles desservaient sa cause. 

La méthode a été critiquée : le cadre pour examiner la loi mais aussi l’usage du 49-3, pour certains, cela justifiait les violences. Sur les pénibilités, les carrières longues, les députés de la majorité n’ont pas pu s’exprimer. Noyée sous les milliers d’amendements LFI, l’Assemblée a tourné en rond et même si la session avait été prolongée, le petit jeu aurait continué.  Ne pas avoir pu discuter d’articles essentiels m’a frustrée. Sur l’usage du 49-3, je peux en témoigner, nous avons eu, nous élus de la majorité, des discussions très animées. Nous souhaitions très majoritairement aller au vote. Les reproches, insultes, pleuvaient déjà. Nos votes n’auraient rien changé à ça. Mais nous aurions pu assumer ce projet. Cette absence de vote a décuplé la frustration des opposants à la réforme. Nous l’avons bien compris. Ce qui a été expliqué par le gouvernement aux députés, c’était un risque de voir échouer une loi cruciale. Qu’aurions-nous dû faire ? Voter la censure d’un gouvernement à cause d’une loi que nous soutenions, adopté dans un cadre prévu par la Constitution ? 

Cette séquence, sur un sujet si sensible, a fait bondir les violences. Là encore, les poings brandis par les LFI dans l’hémicycle, les invectives, les accusations de tuer la démocratie, les tweets, ont attisé le feu. Et dans un remarquable exercice d’inversion accusatoire, ces mêmes députés nous ont dépeints comme des incendiaires à chaque prise de parole, y compris lorsque nous disions comprendre les angoisses. Ce ne sont plus des retraites qu’il s’agissait, au fond, mais d’une entreprise de délégitimation des institutions pour promouvoir la fameuse VIe République LFI, retoquée par les électeurs un an plus tôt. Le débat sur le 49-3 a chassé celui sur la pénibilité, les carrières longues. La retraite n’était hélas plus le principal sujet. 

Porte-parole du groupe Renaissance et donc de fait en soutien au Gouvernement, je me sens tenue à la loyauté mais je n’aurais pas défendu publiquement ce projet si j’avais été convaincue qu’il n’était pas utile. Le pays avant le parti, c’est placer un idéal au-dessus de l’esprit de chapelle. C’est refuser de soutenir des mesures indignes. Je ne voterais jamais, par esprit de discipline, des projets visant à restaurer la peine de mort, supprimer l’avortement, ou tout autres sujets qui iraient à l’encontre de mes valeurs fondamentales. Si Emmanuel Macron bafouait la Constitution, je m’opposerais. Si le gouvernement proposait une loi allant à l’encontre de mes valeurs, je m’opposerais. 

Les Français souhaitent que l’opposition joue son rôle, que le débat, même vif, existe. Ils souhaitent aussi que la décence l’emporte sur la logique des partis. Ces moments d’union sacrée où les députés mettent leurs différends de côté pour rendre unanimement hommage à des victimes ou qui applaudissent la libération d’otages, comme celle du journaliste Olivier Dubois, envoient un message fort sur des valeurs universelles que nous partageons. Au-delà des partis. Ces moments où nous avons tous, quel que soit notre parti, communié dans le silence pour rendre hommage à des disparus, m’ont touchée. Nouvelle députée, j’ai été frappée par la puissance du message que nous envoyons aux Français, surtout dans un parlement aussi agité. Un message qui transcende les querelles et sublime le rôle politique. Ce lien, qui consiste à faire nation, et à montrer ainsi notre capacité à placer des principes par-dessus les divisions, n’empêche nullement que le débat ne reprenne, ou ne redouble, très vite après ces parenthèses. Toutes les violences doivent nous amener à placer les principes au-dessus des divisions.  

Lorsque je suis entrée en politique, début 2018, le sujet des violences existait déjà mais il n’était pas aussi brûlant. La température a grimpé de quelques degrés supplémentaires sur l’échelle de Richter. Des permanences saccagées ; des lettres menaçant de mort, y compris des enfants d’élus ; le passage à tabac du neveu d’Emmanuel Macron ; l’incendie de la maison du maire de Saint-Brevin-les-Pins…. Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres. Ils sont la conséquence d’un climat de banalisation des violences, y compris verbales. 

L’EFFET VIRAL 

Ainsi, lors du festival Les Nuits guitare, à Beaulieu-sur-Mer, début juillet 2023, la chanteuse Izïa a publiquement imaginé le lynchage d’Emmanuel Macron en évoquant «une piñata humaine géante» rêvant «qu’on soit tous ici présents munis d’énormes battes avec des clous au bout» terminant «dans un feu de Bengale de joie, de chair vive et de sang, on le foutrait à terre». Des paroles insensées qui m’ont immédiatement fait réagir publiquement. Ce n’est pas une performance artistique, mais un appel au meurtre, qui a d’ailleurs déclenché une enquête pour «provocation publique à commettre un crime ou un délit». Annoncée comme invitée d’honneur d’un concert donné quelques jours plus tard pour la fête nationale à Marcq-en-Barœul, sur ma circonscription, j’ai proposé au maire, Bernard Gérard, que nous réagissions fortement, et que nous le soutenions pour déprogrammer son passage. La main du Préfet du Nord Georges-François Leclerc n’a pas tremblé, et lui aussi s’est positionné clairement. La chanteuse, ainsi déprogrammée, s’est défendue maladroitement, dans une interview à Ouest France, invoquant «une histoire, un liant improvisé et surréaliste entre deux titres qui parle de tout et de rien et qu’il ne faut surtout pas prendre au premier degré». Il aurait été bien qu’elle le précise à son public, car un grand nombre de spectateurs choqués, n’a pas compris cette «subtilité».   

Ce n’est pas un dérapage marginal, malheureusement, car ces propos témoignent d’une escalade globale, d’un climat général. Il ne s’agit pas de liberté artistique. Il s’agit de haine. La chaîne «Le Média», proche de Jean-Luc Mélenchon, a rapidement mis en ligne une vidéo intitulée «Tout le monde déteste Macron», illustrée par une photo du concert de la chanteuse. 

Chacun est responsable de ses paroles. Les artistes exercent une influence sur leurs fans. Les créations peuvent être dérangeantes, choquantes, subversives. Mais il s’agissait là d’un discours politique, puérile et dangereux, glissé entre deux chansons. Cet appel au lynchage lors d’un concert dit quelque chose de terrifiant sur notre époque. Le simple mot de lynchage devrait systématiquement faire froid dans le dos. Il s’agit ni plus ni moins de s’allier pour violenter une personne, dans l’un des plus bas instincts. Comment banaliser ça ?

Ce dérapage doit être replacé dans le contexte. Quand Thomas Portes, député LFI s’est mis en scène sur les réseaux sociaux pour humilier un Ministre, en posant, le pied sur un ballon de foot à son effigie ; quand on ricane au sujet des bûchers symboliques ; quand le député LFI Aurélien Saintoul traite un ministre d’« assassin » ; quand on chante son désir de couper des têtes ; qu’on minimise la casse, qu’on assure en bloc que «la police tue», etc., on crée les conditions propices à ce genre de dérapages, on favorise un effet spirale. Et on se rend complice des inévitables catastrophes à venir. Le 12 juillet 2023, au Conseil régional d’Ile-de-France, plusieurs élus LFI refusaient de se lever pour rendre hommage aux maires agressés et aux forces de l’ordre blessées. Deux jours plutôt, de nombreux élus LFI restaient assis alors que Gérald Darmanin invitait les députés à se lever pour honorer les policiers morts en service.  

Début juillet 2023, le commissaire européen au Marché intérieur Thierry Breton, a dit la détermination de l’UE au micro de France Info : «lorsqu’il y aura des contenus haineux, des contenus qui appellent par exemple à la révolte, qui appellent également à tuer ou à brûler des voitures, elles auront l’obligation dans l’instant de les effacer. Si elles ne le font pas, elles seront immédiatement sanctionnées». Cette volonté, qui s’inscrit dans le cadre du nouveau Règlement sur les Services Numériques, prouve qu’il n’y a pas de fatalité. 

La banalisation des appels à la violence se constate chaque jour sur les réseaux sociaux, aspect incontournable du problème. Ces réseaux sont souvent utilisés pour relayer des actions coup de poing. Ils permettent d’organiser très rapidement le rassemblement de groupes extrémistes, de fixer des points ralliements, des lieux de regroupement, de désigner des lieux, voire des personnes à cibler, élus, policiers…  Les émeutes qui ont suivi la mort tragique de Nahel le 27 juin 2023, ont mis en lumière de façon paroxystique, l’indulgence toxique de ces plateformes. 

Alors que des quartiers entiers étaient dévastés, la LFI n’a pas réussi à condamner les violences des émeutes. Une partie de ces députés ont même participé quelques jours plus tard à une manifestation interdite en mémoire d’Adama Traoré, où ils côtoyaient des manifestants qui hurlaient : «tout le monde déteste la police». Durant ces émeutes, qui ont fait des blessés, des dégâts incalculables, des élus ont été pris à partie. 

La violence la plus spectaculaire envers un représentant de la Nation s’est déroulée à l’Haÿ-les-Roses où le domicile du maire Vincent Jeanbrun a été attaqué en pleine nuit par des émeutiers à l’aide d’une voiture-bélier. Sa femme et ses enfants ont dû fuir en catastrophe alors que l’édile était dans sa mairie, entourée de grilles et de barbelés, pour éviter qu’elle ne soit pillée ! Ce genre d’événements devraient nous inciter, nous élus, à constituer un front uni contre les violences. A condamner d’une même voix, sans ambiguïté, sans bémol, chaque acte de violence. 

Aujourd’hui, il appartient collectivement à tous les élus d’analyser les racines profondes de la violence pour y remédier. Nous devons apaiser ce climat envenimé par des difficultés sociales, une peur de l’avenir, et les effets de politiques successives qui ont entamé depuis des lustres la confiance dans l’État et la capacité de celui-ci à proposer les services attendus. C’est une tâche colossale. 

Ces grands chantiers en cours ne doivent pas nous dispenser d’agir dès maintenant sur le sujet des violences contre les élus. Pour la sérénité du débat démocratique, son intégrité, son équité. Pour la pérennité de nos institutions, la dignité de la classe politique, son niveau, son attractivité. Pour la loyauté du combat électoral et le respect des citoyens. Pour bien connaître le sujet de ces violences, je pense avoir été utile à la recherche de solutions lorsque j’ai demandé une mission parlementaire sur le sujet, que j’ai obtenue avec Sébastien Jumel (PCF) nommé co-rapporteur. Cette mission, dans un contexte difficile pour tous les élus locaux, a été étendue en juillet 2023 au statut des élus. Elle a pour but de formuler des propositions concrètes et d’écrire une proposition de loi transpartisane. Je suis confiante, nous allons aboutir sur le sujet et améliorer les conditions d’exercice des élus. Sébastien Jumel, ancien maire de Dieppe, est clair, précis, travailleur, et nous savons nous entendre. Nous avons d’emblée décidé de rendre un rapport et des propositions communes. Pour clore sans fatalisme ce chapitre sur les violences, je porte donc des propositions très concrètes.

LE SURSAUT

Dès mai 2023, alors que les violences en marge des manifestations contre la réforme des retraites se multipliaient, j’avais déjà porté, avec Denis Thuriot, maire de Nevers et Nathalie Nieson, maire de Bourg-du-Péage, au sein de l’Assemblée des Territoires du Parti Renaissance, 10 Propositions de lutte contre les violences envers les élus et candidats. 

Nous avons mûrement réfléchi à des mesures réellement efficaces, réalistes et applicables facilement. Notre ligne était claire : garantir le débat dans le respect des personnes. Chaque fois qu’un maire démissionne, chaque fois qu’un élu renonce à se présenter pour un nouveau mandat, c’est la démocratie qui recule. 

Outre l’incendie devant le domicile du maire de Saint-Brévin, les freins sectionnés du véhicule de la maire de Plougrescant, l’agression en pleine rue du maire de Vennans, la coupure du compteur de courant ou le murage du domicile de députés Renaissance, les courriers de menace de mort contre des élus de tous bords ou l’agression du domicile du maire de L’Haÿ-les-Roses, les faits ont montré sans répit ces dernières années que la violence envers les représentants de nos institutions s’est dangereusement aggravée. Ces maires, je les ai d’ailleurs auditionnés plus tard, en octobre 2023, au sein de ma mission parlementaire. Entendre et partager leur émoi, c’est comme çà qu’on peut faire évoluer la loi.

Cela impose une réaction forte et coordonnée, car ces dérives sont anxiogènes pour une très grande partie de la population, déjà saturée par les faits de violence quotidienne. 

Le Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est engagé avec force pour protéger les élus face à ces menaces qui augmentent. Avec Dominique Faure, Secrétaire d’Etat aux collectivités territoriales, ils se sont exprimés favorablement sur le renforcement des sanctions et leur alignement sur les violences faites contre le personnel en uniforme. L’objectif est d’apporter une réponse pénale plus adaptée et plus rapide. Par ailleurs, la création d’un centre d’analyse et de lutte des atteintes aux élus vient d’être annoncée, en complément de l’Observatoire des violences faites aux élus, porté par l’Association des maires de France.

Stéphane Séjourné, emballé par mon initiative à Renaissance, a proposé que je les présente à la presse en mai 2023 au siège du parti, rue du Rocher à Paris. Nous avons donc pu détailler notre plan d’action, avec le renforcement des sanctions pour les violences faites aux élus, élus, y compris sur les menaces directes et indirectes, la calomnie et la diffamation, sur les réseaux sociaux ou dans les prises de parole publiques d’élus eux-mêmes. Avec un alignement sur les sanctions prévues en cas de violences commises sur les forces de l’ordre ou les pompiers. Avec la création d’un Référent départemental chargé de l’accueil, de l’information, et du suivi des procédures judiciaires pour les élus et leurs familles, sous l’autorité du Préfet de département, pour améliorer l’impact et réduire les délais des procédures. Avec la création d’un véritable droit à la protection des élus, des candidats et de leurs familles : que l’on soit maire, Président de collectivité, élu local et national, membre de la majorité comme de l’opposition, candidat déclaré à une élection, la protection fonctionnelle devient un droit. Avec aussi des mesures de protection physique des candidats et des élus, de leurs locaux : la permanence, le domicile, ou le lieu de travail. Avec des mesures de protection juridique et financière et de protection psychologique des familles. 

Validées en Bureau Exécutif de Renaissance le Lundi 22 mai 2023, ces propositions ont constitué le socle d’une action encore plus approfondie, et abouti à une première proposition de loi que j’ai déposée quelques semaines plus tard. 

Le Parti Renaissance s’engageait aussi à mettre en place une consultation interne des milliers d’élus adhérents. En parallèle, j’ai travaillé sur les travaux des sénateurs et ceux engagés déjà par mes collègues députés Renaissance Karl Olive et Jean-François Lovisolo pour préparer ma première proposition de loi sur les violences envers les élus et leurs familles, et aussi pour protéger les candidats. Protéger l’engagement démocratique et citoyen en fait. Déposée mi-juillet 2023, elle a été déclarée recevable le 12 septembre par le Bureau de l’Assemblée Nationale.

MA PROPOSITION DE LOI SUR LES VIOLENCES

Proposant un arsenal de mesures concrètes, ma “PPL” vise à compléter certaines lois existantes désormais insuffisantes : la loi « Engagement et proximité » du 27 décembre 2019 qui a constitué une première étape dans la fortification de la protection des élus, et plus récemment, la loi du 24 janvier 2023 qui a permis aux associations d’élus, aux collectivités locales, au Sénat, à l’Assemblée nationale et au Parlement européen de se constituer partie civile afin d’accompagner les élus victimes d’agression, quelle que soit leur fonction, ainsi que leurs proches lors de la procédure en justice. 

Ce nouvel outillage législatif dessine des solutions réalistes et vite applicables. Il prend en compte les sanctions mais aussi la prévention, chapitre capital d’une action réellement efficiente. Des gestes simples peuvent limiter la violence. Au cours de la campagne municipales de 2020, lasse des attaques, j’ai acheté une caméra de surveillance à 300 euros, affectée sur mes comptes de campagne, son but étant de protéger mon local et donc mon équipe, d’autres intrusions. Ces dépenses n’ont pas été validées dans les comptes de campagne, ainsi que tout ce qui concernait notre sécurité. Mon recours a été vain. Pour les prochaines élections qu’elles soient européennes, municipales ou autres, il faut absolument que les moyens de protection des candidats et des réunions publiques soient pris en charge. C’est une nécessité parce qu’un jour il y aura un drame. Et si le candidat demain, ne sent pas mieux protégé, il n’y aura pas de nouveaux entrants. Seuls les responsables politiques bénéficiant de moyens existants pourront sereinement envisager de se présenter. D’ailleurs, plus tard comme députée, j’ai eu l’agréable surprise, lors de ma mission parlementaire sur le statut de l’élu local, de découvrir lors de l’audition du Président de la CNCCFP (Commission Nationale des comptes de campagne) que notre exemple lillois avait certainement participé à établir une nouvelle jurisprudence qui fait qu’aujourd’hui déjà, ces dépenses de sécurité sont intégrées aux dépenses éligibles.

La justice, à cause de l’encombrement des tribunaux, est aussi en partie démunie face aux écarts de mouvements de masse ou les agissements planifiés d’individus habitués à jouer au chat et à la souris avec l’autorité publique, en agissant cagoulés, lors d’opérations commando, montées en hâte sur les réseaux sociaux, promptes à se réunir et à se disperser rapidement. La justice, hélas, est aussi complaisante parfois vis-vis de ces atteintes au débat dont elle minimise le danger, au nom de la liberté dévoyée de manifester. Parfois, je m’interroge sur la politisation de certains magistrats, quand on voit le Syndicat National de la Magistrature tenir un stand à la fête de l’Humanité. Peut-on réellement parler d’impartialité dans ce cas ? J’ai assisté à plusieurs rentrées solennelles, du Barreau de Lille, des Tribunaux… Les discours de leurs responsables sont édifiants. Finalement, si l’on tombe sur un juge qui n’aime pas Macron ou Dupond-Moretti, on ne sait pas comment on va être traité.

Des membres de mon équipe et moi-même avons porté plusieurs plaintes, classées sans suite. Une plainte a abouti lorsqu’un individu déséquilibré m’a menacée de mort pour des raisons politiques. Un délirant complot dans lequel, avec le roi du Maroc, j’aurais tenté de le tuer. Il était si menaçant qu’il a été arrêté et incarcéré et fait aujourd’hui l’objet d’une mesure d’éloignement. Son état mental distingue ses actes des autres violences politiques. 

La justice est passée car l’individu a pu être facilement appréhendé et qu’il me menaçait noir sur blanc, sur Internet, sous son identité, puis pris en flagrant délit dans mon local de campagne. La justice est restée inerte, ou a tout simplement été dépassée, concernant les autres plaintes sur les violences. Je sais de quoi je parle, notamment avec mon dossier contre Jacques Trentesaux, Rédacteur en chef de Médiacités.

C’est ce que vivent tant de français victimes de harceleurs, squatteurs, trop rarement punis. A l’endroit des politiques, qui doivent être exemplaires et qui ne sont pas au-dessus des lois, elle n’a pas, selon moi, pris la mesure des menaces qui pèsent sur les élus. Ou ne dispose pas d’un arsenal suffisant. 

Je partage avec les Français cette déception à l’égard d’une justice complaisante, quelquefois guidée par l’idéologie, et trop souvent dépassée. Alors que certains redoutent par-dessus tout une justice politique, aux ordres, j’ai pu constater que la justice quand elle est politique, l’est souvent dans la tradition du « mur des cons », où des cibles avaient été désignées par un puissant syndicat gauchiste. Cet exemple est loin d’être anecdotique mais il ne reflète heureusement pas l’état d’esprit de la grande majorité des magistrats. Cette justice partisane, on la croise parfois. Plus souvent, j’ai croisé une justice aux abonnés absents. Les raisons sont multiples, la surcharge de dossiers, les délais de procédure, la difficulté de monter un dossier avec des éléments caractérisés, en particulier dans les domaines des violences, de la calomnie ou du harcèlement. La justice est humaine, donc faillible. Il n’est pas question de l’accabler. Ni de taire ses manques. Face à la justice, je ressens la même frustration que la grande majorité des Français. Elle a, pour reprendre une expression qu’elle emploie, des circonstances atténuantes. J’ai espoir dans un renouveau de la justice, un nouvel élan.   

Je respecte la justice de mon pays. A l’image de mes concitoyens, je déplore sa lenteur, parfois son parti pris, ou disons son impuissance. Mais, en dépit de quelques désillusions personnelles, j’ai foi en notre capacité à la rendre plus juste, plus humaine, plus réactive. Cela passe aussi par l’amélioration des conditions de travail de ceux qui ont pour mission de l’exercer, en toute indépendance. 

Ces propositions visent à combler de flagrantes lacunes. Elles sont d’utilité publique. Car les grands perdants seraient les représentants des partis qui respectent les institutions et qui refusent de s’abaisser à menacer leurs concurrents, ou à cautionner et banaliser les attaques. Ce seront aussi ceux qui, refusant la démagogie, proposent des réformes susceptibles de contrarier les corporatismes, ou tout simplement des réformes indispensables à la pérennité de notre système, ou à sa nécessaire adaptation à un monde en perpétuelle mutation. L’enjeu est donc de taille. Ces menaces pèsent plus particulièrement sur les réformateurs, quelle que soit leur couleur, sur ceux qui refusent le statu quo et désirent changer les choses dans le respect du cadre légal. Et sur les citoyens aspirant à s’engager, ceux qui viennent de la société civile, qui ne sont pas préparés à l’hystérisation du combat politique, et qui ne bénéficient pas d’un appareil. 

Si demain, à l’image d’En Marche il y a quelques années, un nouveau parti émergeait, il serait particulièrement vulnérable au regard des règles en vigueur. La vie politique est faite de renouvellements, de cycles où elle se réinvente, au travers de nouveaux courants. Il faut préserver, et même encourager cette faculté de régénération. Il faut préserver la capacité de notre système à susciter des vocations responsables et réformatrices.

Trop longtemps, nous ne sommes pas attaqués au problème, car lorsque les élus se préoccupent de leur propre sort, c’est rarement populaire. Or c’est bien du sort des citoyens dont il s’agit. Les candidats et les élus ne sont que leurs serviteurs et leurs représentants. La sérénité des élections et des débats, leur loyauté, leur intégrité, leur équité, concernent au premier chef les citoyens. 

POUR UN STATUT DE L’ÉLU 

Comme je l’ai dit plus haut, ma mission parlementaire sur les violences faites aux élus a vite été étendue au statut de l’élu dans sa globalité. Dans l’intérêt des électeurs, la politique doit être digne, attractive, avec une offre plurielle. En parallèle du combat fondamental pour la décence du débat, des mesures fortes doivent encadrer l’exercice libre, plein et entier, serein, de la fonction d’élu. Il en va de la hauteur de notre démocratie. Et de son avenir. 

Il faut absolument agir  : trop de candidats potentiels ne s’engagent pas notamment à cause des violences, des coups bas, des discours populistes, mais aussi du manque d’attractivité de ces fonctions. C’est particulièrement vrai au niveau local. Il faut réformer ce statut, pour ceux qui exercent le pouvoir, mais aussi pour ceux qui ont le rôle fondamental de s’opposer. Dans les deux cas, la fonction doit être mieux protégée, mieux encadrée, davantage valorisée. Les élus doivent aussi impérativement être exemplaires, il en va de leur crédibilité. Ils doivent bénéficier d’un statut susceptible de rehausser la fonction, redorer le blason.Ils doivent retrouver des conditions d’exercice dignes et le véritable pouvoir d’agir.

Le président du Medef, Patrick Martin, a récemment estimé que les élus locaux n’étaient pas assez payés. Ce genre de discours est rarement populaire, le problème est pourtant pertinent.  

Il y a effectivement des inégalités d’indemnisation qui ne sont pas proportionnelles à la charge ou à la responsabilité des élus. Dans nos conclusions communes avec Sébastien Jumel, nous souhaitons favoriser cette transparence sur les indemnités, les cumuls, afin de revaloriser les mandats qui le sont insuffisamment. Nous avons échangé sur ce sujet avec deux universitaires lillois, Rémi Lefebvre et Didier Demazière, qui viennent de sortir une étude détaillée sur ce sujet, pour l’Observatoire de l’Éthique Publique.

L’indemnisation de l’engagement doit être à la hauteur du renoncement professionnel qui est parfois fait. Le sujet de l’écart avec le salaire précédent quand on prend une fonction et qu’on perd du salaire est une piste intéressante de proportionnalité de l’indemnisation, mais difficile à mettre en œuvre sans créer de nouvelles inégalités. Nous proposons aussi de revoir la perte de salaire engendrée par les heures sans solde auxquelles on a le droit aujourd’hui, en tant qu’élu, pour être candidat à une élection ou pour assister à une réunion municipale. Il ne s’agit nullement de s’enrichir mais de réfléchir aux moyens d’attirer des compétences, des expériences. 

Que la fonction requière des renoncements, c’est un fait, et le travail pour la collectivité ne peut pas être rémunéré à hauteur du privé. Mais, il faut trouver la juste rétribution de l’engagement public. Même si la fonction d’élu n’est pas une mission comme les autres, elle doit mieux susciter des vocations, permettre à ceux qui n’ont pas les moyens d’être bénévoles de s’engager et à ceux qui gagnent beaucoup dans le privé de s’investir, eux-aussi, avec une indemnisation raisonnable. J’ai conscience que c’est une question compliquée, un sujet sensible même, car la perception de la majorité, c’est que nombre d’élus sont déjà trop payés. Entre désillusion vis-à-vis de la classe politique, et perception erronée de leur train de vie, ce sentiment prospère. Il faut combattre cette idée reçue. La vocation ne doit pas devenir un piège. La politique ne peut pas être réservée uniquement à ceux qui ont déjà le moyen d’en faire ou à des fonctionnaires certains de retrouver leur emploi après l’aventure. On a reproché, à juste titre, à certains élus de s’enrichir indirectement grâce à leurs fonctions, non pas avec les indemnités, mais par des avantages indus, des privilèges, des avantages en nature ou des passe-droits. Une relative paupérisation de la fonction politique a entraîné quelques-unes de ces dérives. Certains auraient été malhonnêtes quelle que soit l’indemnité. Je suis personnellement favorable à une meilleure rémunération, et à une plus grande transparence sur les dépenses publiques, un contrôle encore accru des enrichissements injustifiés. Ce débat sur la rémunération doit dans tous les cas exister, sans manichéisme, et ce dans l’unique but de préserver et même de renforcer l’attrait de la fonction.    

Je suis pour augmenter les droits des élus de l’opposition comme le réclame l’Association nationale des élus locaux d’opposition (AELO). Il faut une meilleure reconnaissance des élus d’opposition et effectuer sérieusement ce travail d’analyse de nos outils démocratiques.Les élus d’opposition de grandes villes, comme moi à Lille, ne peuvent pas exercer formellement une bonne opposition, étudier 700 pages de délibérations tous les deux mois en préparation des conseils municipaux, challenger les projets et l’éthique publique avec seulement 233 euros brut d’indemnité et un chargé de mission à mi-temps pour l’ensemble de notre groupe d’opposition. Dans les petites communes, c’est encore pire. Il n’y a aucune indemnité et zéro moyen de groupe. La question de l’indemnité minimale de l’engagement se pose. Nous la proposons dans notre rapport.

Je suis également très favorable à l’extension de la protection fonctionnelle des élus d’opposition et à un meilleur accès aux documents pour garantir le droit à l’information des élus d’opposition. Je souhaite aussi un meilleur droit à la formation pour que les élus maîtrisent mieux les sujets juridiques liés à leur fonction. Agir aussi sur le droit à l’information des maires qui ont des procédures en cours (urbanisme, opposition à un projet…) pour aider les élus à être plus efficaces et moins freinés par des démarches judiciaires parfois opaques. On aimerait aussi légiférer sur les passerelles professionnelles et la reconversion. Faire des propositions innovantes sur la limitation des risques de conflits d’intérêts. Les obligations de la HATVP sont nécessaires mais on peut se poser la question de l’inégalité de la transparence. Un haut fonctionnaire entièrement payé avec de l’argent public ou un dirigeant d’une association largement subventionnée devraient être soumis aux mêmes obligations qu’un maire.

FAIRE RESPIRER LA DÉMOCRATIE

Les élus locaux, les maires, plus globalement, doivent pouvoir exercer leur mandat avec un souffle qui reste intact, et donc dans un temps limité selon moi. On doit pouvoir aussi créer les conditions du renouvellement et de l’alternance. 

Car dans cet exercice délicat consistant à dire que les réformes sont possibles mais que le mal est profond, en matière de politique de santé ou d’éducation par exemple, nous devons trouver le juste équilibre, le bon ton. Entre espoir et raison. Cette raison, souvent décriée récemment, est la vraie alternative aux extrêmes et leurs populismes. Caricaturée à tort comme tiède, cette raison est au contraire l’attitude la plus révolutionnaire. Et la plus respectueuse pour les électeurs. Elle consiste à construire à partir de l’existant. Plutôt que de perpétuer des problèmes ancestraux, avec de vieilles recettes, ou d’envisager des positions radicales souvent destructrices ; la voie dans laquelle je m’inscris vise à rompre avec des méthodes politiques nécrosées, des promesses délavées, pour inventer ou rebâtir un système performant en prise avec les préoccupations des citoyens. Avec des actions concrètes. 

Il est aisé de promettre l’abondance, la justice sociale, l’égalité des chances avec du lyrisme ou des propositions en carton. Ce grand soir, jamais chiffré, ou avec des coûts exorbitants, irréalistes, est d’une grande paresse intellectuelle. Il s’inscrit dans une longue tradition de promesses non tenues où on laisse à penser qu’il suffit de. Y a qu’à. C’est en grande partie dans ces discours qu’on trouve les causes originelles de l’abstention. Pour autant, il est possible de susciter de l’espoir et d’enchanter l’avenir, en proposant des solutions. Lorsque je me suis présentée aux Municipales en 2020, j’étais bien placée pour connaitre l’héritage laissé par une municipalité socialiste incapable de réinventer la vision progressiste et humaine qu’elle a un temps incarnée. Son bilan tient de l’érosion. La municipalité en place à Lille a, un temps, porté des politiques de proximité dans le dialogue social. Elle a autrefois fait preuve d’imagination. Au fil des années, les idées se sont asséchées, le dialogue a disparu, la maire s’est entourée de yes men et elle a été davantage préoccupée par l’idée de rester en place, plutôt que de changer la ville. 

Depuis 2001, il y a eu de grands projets, de belles initiatives, il ne faut pas les balayer d’un revers de main. Toutefois, du fait de sa personnalité, de l’usure du pouvoir et d’un entourage de plus en plus complaisant, Martine Aubry a versé dans une forme d’autoritarisme. Cet essoufflement m’incite à vouloir limiter le nombre de mandats d’élus locaux. Certains édiles, trop longtemps en place, s’isolent dans leur tour d’ivoire, et décident unilatéralement, sans être animés par le souffle qui a pu les porter. Recroquevillés dans un système dont ils ont appris à maîtriser tous les rouages, ils ne prennent plus de risque, peinent à s’écarter de dogmes, et finissent par manquer cruellement d’imagination. Lorsque, comme Martine Aubry, ils se sentent dans une forteresse assiégée, au fur et à mesure que leurs scores aux élections s’érodent, l’intérêt personnel prend le pas sur le collectif. Les décisions sont plus dictées par l’instinct de survie que par l’intérêt général. Il faut alors s’assurer des alliances, des loyautés indéfectibles, des services mutuels avec certains acteurs locaux, pour sauvegarder un bien public qu’on finit par croire sien. Et bien sûr, faire le vide car faute d’être assuré soi-même le plein des voix, il faut fragiliser les concurrents. Il ne s’agit plus de gagner, mais de ne pas perdre. Il ne s’agit plus du sort des citoyens mais du sien. 

Des élus locaux peuvent échapper à ce syndrome de l’usure, certains, plus sécures, mieux entourés, plus altruistes, en font la démonstration. Mais il est sage, je pense, de limiter ce risque en limitant le nombre de mandats locaux. Je suis donc pour une limitation des mandats. C’est un engagement que j’ai pris aux élections municipales. J’ai signé la charte de l’élu progressiste au sein de la République en marche. On s’engage à être 2 fois élu au maximum pour la même collectivité. C’est un sujet sur lequel il faudra se repencher, car on voit que dans le cas de la présidentielle avec Emmanuel Macron le fait qu’il ne puisse pas se représenter abîme son second mandat.

JEUNES ENGAGÉS

Renouveler les élus locaux, donner un souffle à nos territoires, c’est aussi faire confiance à la jeunesse. A cinquante ans passés, je suis encore jeune. C’est encore plus vrai au Palais bourbon, où l’âge moyen est de 49,6 ans, contre 41,2 dans la population. Il est de 60 ans au Sénat. Le paysage politique français a rajeuni, il s’est féminisé. En ce sens, il ressemble davantage à la population qu’autrefois. L’âge du Président de la République est proche de l’âge médian des Français. Et de nombreux ministres ou secrétaires d’état sont également dans leur quarantaine, voire trentenaires. Les élus sont davantage à l’image de la population, et l’arrivée de députés issus de la société civile, a renforcé cette représentativité. 

Aujourd’hui, comme députée, je redoute le désintérêt des jeunes pour la politique. Il n’est pas nouveau, mais il empire. L’indifférence est devenue un rejet trop répandu de la politique. Pour ma part, j’ai toujours voté, parfois par défaut, et c’est le vieux système des partis, leur sectarisme, qui me déplaisait. Pour autant, les sujets politiques, eux, m’ont toujours intéressée, en particulier économiques et sociaux. Au fil des années, ce qui m’ennuyait dans le système des partis, c’était ce qu’on appelle l’étiquette. L’idée d’opposer sans nuance droite et gauche, économie et sociale, autorité et liberté, m’a de plus en plus horripilée. Sur beaucoup de ces sujets, il fallait choisir un camp, l’entreprise ou les travailleurs, l’ordre ou la liberté, le laxisme ou l’intolérance, le progrès ou la nostalgie… C’est en tout cas comme cela que je percevais les choses et j’avais à titre personnel souvent envie de marier les contraires. Je suis attachée à l’efficacité des politiques publiques, à un équilibre entre le social et l’économie, à l’attention aux plus fragiles et aux cassures dans les parcours de vie. Mais j’ai un profond respect pour l’entreprenariat, l’investissement, celles et ceux qui prennent des risques, comme les commerçants. J’ai construit petit à petit ma vision politique en conciliant des valeurs réputées antagonistes.  

Ma préoccupation première comme députée, est que les jeunes d’aujourd’hui, quelles que soient leurs sensibilités, se retrouvent quelque part dans l’offre politique. Qu’ils se réconcilient avec la politique et éprouvent au moins, comme c’était mon cas, de l’égard pour le monde politique. A défaut de me passionner, j’avais du respect pour la politique et ceux qui en faisaient. J’avais du mal à m’identifier vraiment à un parti, et à l’époque, la rareté de candidats jeunes, susceptibles de comprendre mes préoccupations, n’arrangeait sans doute pas les choses. Non seulement des candidats jeunes mais des femmes, qui étaient alors bien peu nombreuses, ou à qui on réservait souvent les deuxième ou troisième rôles. Mais je respectais le combat politique, valorisé lors des dîners familiaux, et l’idée de ne pas voter était quasiment sacrilège. Il n’était pas envisageable de «sécher» les urnes. En particulier dans ma famille où le vote était un peu sacré. Un vote de gauche. 

Je croise aujourd’hui à l’Assemblée ou sur les plateaux de télévision, des politiques de tous bords d’une trentaine, voire d’une vingtaine d’années, dont l’engagement est très tôt devenu une évidence. Biberonnés à la politique, ils ont attrapé le «virus» dès l’adolescence et on devine qu’ils réinventaient déjà le monde dans les dîners familiaux ou les soirées entre amis depuis l’âge des culottes courtes. La politique les accompagne depuis toujours et elle est devenue très vite un axe central de leur existence, voire son moteur principal. Je trouve l’engagement politique admirable, et même vital, cette passion précoce ne me choque pas, bien au contraire, elle me rassure. Beaucoup de jeunes ont rejoint mes équipes lors des élections municipales de 2020, puis les législatives de 2022. Idéalistes ou pragmatiques, ils ont apporté un sang neuf dans nos débats, leur énergie, mais aussi leur vision d’un avenir qui les concerne au premier chef. Leur présence est indispensable dans une campagne. Je pense bien sûr à l’énergie des “JAM”, Les Jeunes avec Macron, qui sont de tous les tractages et de toutes les mobilisations. A Lille, avec Louison Bastien le responsable local des JAM, avec Emile, Romane, Jeanne et leur équipe, je n’ai que des exemples encourageants et positifs de l’engagement des jeunes en politique. Je pense aussi à ceux qui ont porté notre liste dans les communes associées à Lomme et Hellemmes : Victoria Godefrood-Berra et Florian Thieffry, devenus donc élus très jeunes. Ou encore à Clémentine Dupuy dans notre équipe lilloise. Ils ont tenu bon quelques temps, puis, leurs parcours personnels, la difficulté à concilier les études, le travail, et la vie de couple, le rôle mal reconnu de l’opposition, les majorités malveillantes envers eux, les ont poussés à démissionner en cours de mandat.

C’est pourquoi je redoute parfois que les nouvelles générations ne finissent par se désintéresser totalement de la politique, de s’en dégoûter pour de bon. C’est une inquiétude saine car elle doit nous tarauder. Malgré ces nouveaux visages, les jeunes votent peu, ils s’engagent moins qu’avant dans les partis traditionnels et rejettent parfois ce monde qui est avant tout celui de leurs parents ou de leurs grands-parents. Ils militent dans d’autres formes d’organisation, sur des sujets qui les préoccupent particulièrement, comme le réchauffement climatique ou les violences faites aux femmes. On décrit parfois ces nouvelles générations comme apolitiques, voire anti-système. Ce divorce est dangereux car la politique ne peut pas se faire sans eux. 

Je considère donc que c’est une aubaine lorsqu’un jeune sollicite un stage à l’Assemblée, lorsqu’un groupe scolaire souhaite la visiter, lorsque des jeunes associatifs me demandent des rendez-vous à Lille pour m’exposer leur action militante locale sur l’inclusion, la mixité sociale, les violences faites aux femmes, les conditions de vie étudiante, et le harcèlement scolaire, qui est un sujet qui me tient particulièrement à coeur car je l’ai vécu de façon douloureuse au sein de ma famille. 

Quand un jeune me demande s’il peut visiter les coulisses de l’Assemblée, ou m’interroger sur la fonction de député, je dis oui sans hésiter. On ne peut pas ignorer cet intérêt pour la politique. On doit au contraire saisir cette chance, se réjouir de cette curiosité, ce serait une folie, à mes yeux, de ne pas donner suite. Malgré le casse-tête de l’agenda, la consigne est claire, il faut trouver un créneau. Pas question de snober cet appétit pour notre fonctionnement démocratique. C’est l’occasion de montrer ce qu’est réellement l’engagement politique, son visage humain, sa sincérité. En tant que députée, je suis attentive à toutes les classes d’âge, je ne représente pas davantage une génération qu’une autre, je suis au service de la collectivité dans toutes ses composantes. Mais force est de constater que le lien est plus fragile avec les générations nouvelles, que c’est un électorat à conquérir, à concilier ou à réconcilier avec la politique car il en va tout bonnement de son avenir. 

Le décrochage des jeunes avec les élections s’est indiscutablement accentué. Les chiffres sont éloquents : 41% des 18-24 ans n’ont pas voté lors de la Présidentielle de 2022, ce sont 30% des moins de 30 ans qui se sont abstenus. Et dans une étude réalisée par l’Institut Harris et l’Institut Montaigne auprès de 8000 jeunes âgés de 18 à 24 ans, 34 % d’entre eux estiment que «voter ne sert pas à grand-chose car les responsables politiques ne tiennent pas compte de la volonté du peuple». Glaçant. Pour le sociologue Olivier Galland, on assiste à une «désaffiliation politique», 55% de cette tranche d’âge ne se sentant proche d’aucun parti. A côté de cette génération désengagée, Olivier Galland constate qu’une frange de la jeunesse, environ 10%, est très politisée et radicalisée. Cet engagement dans des mouvements extrêmes, on l’a vu notamment au moment du 49-3 sur le projet de réforme des retraites, est flatté par les discours populistes sur le bien-fondé de la violence comme mode d’action politique. 

Entre ces « désaffiliés » et ces radicaux, on assiste à un phénomène inquiétant de fractures non homogènes entre la politique et les jeunes. Avec un risque d’«abstentionnistes systématiques», selon Olivier Galland, qui a fait une radiographie de la jeunesse française dans un ouvrage intitulé «Vingt ans, le bel âge ?». Ce constat alarmant est partagé par bien d’autres observateurs. S’attaquer à ces fractures est à mes yeux une grande cause nationale. Il faut déployer grands et petits moyens. Combattre le populisme est un enjeu fondamental car les discours incendiaires alimentent cette défiance, et même cette colère, sans proposer d’autres solutions que l’insurrection. 

Du « tous pourris » à l’extrême droite, au « tout casser » de l’ultra-gauche, cette politique de la terre brûlée, est un jeu terriblement dangereux. Des angoisses légitimes sont instrumentalisées mais à l’arrivée ces discours caricaturaux et courtermismes affaiblissent la fonction politique dans son ensemble, le respect envers les institutions et in fine la démocratie. Le résultat est piteux. Les outrances renforcent une conviction que le système est par essence faisandé et qu’il doit être au mieux, ignoré, au pire combattu, y compris par la casse. Ce populisme est d’autant plus préoccupant qu’il est attisé par de nouveaux médias qui prospèrent sur le sentiment de méfiance. Les jeunes, qui ne regardent plus le JT depuis belle lurette, sont bombardés de fake news sur les réseaux sociaux qui sont leur principal vecteur d’information. Ces réseaux servent parfois à organiser une guerre contre la société, ses institutions, comme on l’a vu lors des émeutes qui ont suivi la mort tragique de Nahel. Lutter contre le populisme est l’un de mes chantiers prioritaires. 

Les baronnies locales, comme la municipalité de Lille, perpétuent la politique à l’ancienne qui empêche le renouvellement des pratiques et de ceux qui les exercent. Les jeunes sont alors davantage la variable d’ajustement de la communication municipale que des acteurs associés. Les vieilles combines rebutent particulièrement les plus jeunes, surtout lorsqu’elles s’appuient sur des formules éculées et des messages partisans. La culture est l’un des leviers majeurs dans la participation des nouvelles générations à la vie locale, à son dynamisme. Dans les baronnies locales, la jeunesse joue souvent un rôle mineur ou d’affichage. Dans ces bastions, les élus leur ressemblent encore moins qu’ailleurs. En 2020, le taux d’abstention des 18-34 ans, était au niveau national, selon une étude Ipsos-Sopra-Storia de… 72% ! Ce score désolant s’explique en partie par le phénomène de «mal-inscription» de cette catégorie. 

Je suis pour ma part favorable à une inscription automatique des citoyens sur les listes électorales, et pour toutes les simplifications administratives. Je suis même favorable au vote obligatoire pratiqué dans certains autres pays. Ce qui me frappe, c’est qu’une élection locale comme les Municipales, qui concerne directement le quotidien des gens, et où se jouent les enjeux de proximité, sont en moyenne davantage délaissées que les élections nationales. Ce n’est toutefois pas inexplicable. Il y a une déconnexion plus forte entre les responsables politiques locaux et les citoyens. Pas seulement les jeunes, puisque 60% des gens se sont abstenus en 2020. Les baronnies, qui se cramponnent à leur modèle, ont une grande responsabilité dans la désaffection des urnes. En 2020, seuls 32,6% des électeurs lillois se seront rendus dans les bureaux de vote au premier tour contre plus de 47% six ans plus tôt. Quatorze points de moins ! Un résultat qui démontre l’usure du pouvoir. Le mal n’est pas propre à Lille mais la ville est l’un des emblèmes de la déconnexion. 

Des catégories entières de populations ne se déplacent plus. Si les jeunes ne vont pas voter, la classe politique ne se renouvellera pas. Si les abstentionnistes de tous âges ne retournent pas voter, les élus ne s’intéresseront encore davantage qu’à la minorité qui les porte au pouvoir. Dans une spirale infernale, la politique s’isole des électeurs, et ce mouvement peau de chagrin accentue, lui, le clientélisme. C’est le fameux effet vase-clos. Trop souvent, les systèmes de leadership traditionnels sont caractérisés par l’entre-soi et les décisions arbitraires, qui laissent peu de place à la participation et à la diversité des idées. Le recours aux réseaux personnels et aux relations est un facteur trop déterminant dans l’accès aux opportunités. Cela favorise la reproduction des élites et perpétue les inégalités sociales.

Retour vers le chapitre 5L’autre mur – de Violette Spillebout – Continuer vers l’épilogue

6 mars 2025