L’autre mur, Chapitre 5
FAIRE RESPIRER LILLE, UNE OPPOSITION CONSTRUCTIVE
Après avoir réalisé au second tour des Municipales de Lille un score plus qu’honorable, je suis donc devenue conseillère municipale d’opposition. J’avais un cadre pour exprimer des désaccords et une fonction me permettant de relayer les préoccupations des citoyens. Un retour, plus de cinq après, dans le bâtiment où j’avais occupé le bureau de directrice de cabinet. J’y suis revenue sans nostalgie, sans rancœur, mais déterminée à être respectée et à y jouer mon rôle. Mes marges restaient étroites car l’opposition est peu considérée par la majorité municipale, suffisamment nombreuse pour se dispenser d’avoir à composer ou négocier. Elle est très souvent ridiculisée, rabaissée, moquée par la majorité, en particulier à Lille avec une Martine Aubry qui se délecte à multiplier les petites phrases assassines à chaque conseil municipal pour dénigrer les élus de notre groupe Faire Respirer Lille. Avec mes collègues élus lillois, Ali Douffi, Vanessa Duhamel, Ingrid Brulant, et aujourd’hui Emmanuel Chatelain, nous tenons bon et devenons aguerris à l’exercice.
Nous sommes aujourd’hui un peu plus qu’à mi-mandat, et nous n’avons pas à rougir de nos actions depuis 3 ans maintenant.
Lors de la Braderie de septembre 2023, il me semblait important que Faire Respirer Lille ait son stand. Pour matérialiser l’essor de ce courant qui symbolise depuis 2019 l’union locale des partis de majorité présidentielle et pour marquer ce mi-mandat réussi et tenace. Il était donc essentiel que tous les élus municipaux soient présents, ensemble, unis. Cette braderie 2023 a été l’occasion pour nous de diffuser largement un questionnaire à l’adresse des Lillois pour solliciter leurs avis, par des questions ouvertes, sur la ville et qu’ils puissent exprimer leurs attentes la concernant. Une démarche qui s’inscrit dans ce désir jamais démenti de favoriser la proximité et faire participer les citoyens. L’occasion, aussi, de détailler nos actions, d’exposer nos projets et d’exprimer notre détermination à peser dans le destin de la métropole. Sur cette consultation, Mélodie Bernal est à nos côtés, devenue notre collaboratrice du Groupe Faire Respirer Lille, qui travaille inlassablement à favoriser le contact avec les habitants. C’est elle qui décortiquera ces questionnaires, avec l’objectif de recueillir les sentiments et aspirations de centaines de lillois, et de les faire réagir aux points saillants de notre bilan. Nous avons le devoir de donner suite à l’élection, d’expliquer ce que nous faisons, et de prendre en compte les remarques sur ce qu’il convient d’améliorer.
Notre bilan a été notamment marqué par la solidarité au sein de mon groupe. Les débuts avec Martine Aubry furent houleux. Pour lapremière séance du conseil municipal en Juillet 2020, j’occupais de nouveau une fonction à la mairie, mais de l’autre «côté». Je n’y étais plus une collaboratrice mais 7 ans après mon départ, devenue une opposante. Fière de nos résultats, j’avais préparé un petit speech pour ce conseil municipal, pour remercier les Lillois qui nous avaient accordé leur confiance. La maire a alors refusé de me donner la parole, et c’est collectivement que nous avons réagi. Nicolas Lebas, ancien maire de Faches-Thumesnil, avait quitté son mandat de maire pour nous rejoindre en campagne et devenir élu à mes côtés. C’est lui, avec son expérience, qui m’a conseillé d’exiger une suspension de séance, de droit, après ce refus. Persuadés qu’il fallait inspirer le respect dès le début, ne pas céder face à ce premier acte déplacé d’autorité, nous sommes donc allés au clash, pour négocier avec le doyen de séance. Nous sommes tous sortis, et après la suspension, la parole m’a été finalement donnée. J’ai pu faire ma déclaration aux Lillois. Face à chaque difficulté, c’est collectivement que nous avons agi, réagi. Et c’est avec une grande fierté que j’ai siégé à chaque fois avec ma formidable équipe de conseillers municipaux. J’ai pris, comme eux, régulièrement la parole lors de ces Conseils municipaux tous les 2 mois, que ce soit sur le budget municipal, le Plan climat, la vie quotidienne, la sécurité, la propreté, la culture, la mobilité etc. Sur tous ces sujets, notre voix souvent dissonante reste très utile, et je crois, respectueuse du débat démocratique. Nous avons, grâce à la force du collectif, formulé de multiples propositions, relayé les préoccupations des habitants recueillies grâce aux conseillers de quartier de notre groupe Faire Respirer Lille et à tous les bénévoles de notre collectif. La remontée de plus en plus grande de ces vécus a témoigné de l’importance croissante de notre mouvement, désormais très identifié et reconnu, et de notre rôle majeur dans l’expression de ces points de vue auprès d’une municipalité en délicatesse avec la communication. Collectivement, nous occupons depuis 3 ans la place, bousculant certaines habitudes. L’exercice est passionnant.
L’une des interventions dont je suis le plus fière concerne la nécessité de signer avec l’État un contrat d’accueil et d’intégration des réfugiés, comme l’ont fait une trentaine de grandes métropoles françaises. Ces contrats permettent d’avoir des financements pour que les réfugiés apprennent le français, soient accompagnés vers l’emploi. Ce n’est pas un sujet très populaire mais il me tient à cœur. C’est une affaire d’humanité, de solidarité, mais aussi d’intégration, volet indispensable pour un meilleur vivre-ensemble et pour faire Nation. Un sujet qui résonne particulièrement au regard de l’hystérisation des débats nationaux sur la loi immigration dans laquelle je me suis beaucoup impliquée sur ce volet intégration.
Un autre moment marquant de notre opposition municipale a été pour moi attaché à mes souvenirs de jeune lilloise. L’un des endroits que je préfère à Lille, c’est le Jardin des Plantes. De lieu d’émerveillement, il est devenu un symbole d’abandon. Ce jardin et sa serre équatoriale c’est un endroit où j’allais avec ma grand-mère Denise. Le lieu est associé à son souvenir. Elle m’y emmenait souvent pour nous promener. Des lieux à l’architecture et aux paysages magnifiques. Il y avait une serre équatoriale avec de beaux jardins. Il y faisait chaud et ces plantes tropicales m’émerveillaient. Il y a eu toute une polémique en 2022 sur la serre équatoriale puisqu’en raison de la sobriété énergétique, soi-disant, la ville de Lille a décidé de fermer la serre conçue par l’architecte lillois Jean-Pierre Secq, qui coûtait cher en énergie et donc de la vider de ces plantes tropicales historiques qui ont ébloui mon enfance. Avec notre groupe d’élus « Faire respirer Lille », nous sommes intervenus en conseil municipal pour protester : Vanessa Duhamel, très engagée sur les dossiers patrimoniaux, a même rencontré les riverains et les acteurs de l’architecture mobilisés. Nous avons fait une demande à la ministre de la culture et à la ville de Lille pour demander le classement d’urgence de ce beau bâtiment unique. Malheureusement seule la majorité en place de la ville peut demander officiellement ce classement, et Martine Aubry y a renoncé. C’est un lieu magique de Lille qui est en train de disparaître comme d’autres pour lesquels je continue à me battre avec beaucoup d’habitants préoccupés par la sauvegarde du patrimoine lillois menacé. Inventer l’avenir, c’est aussi préserver. Et les chantiers sont multiples.
Conformément à notre programme Faire Respirer Lille de 2020, nous avons, avec mes collègues, sensibilisé le Maire et la majorité régulièrement sur l’urgence de renforcer la vidéoprotection dans les quartiers lillois, sans que le rythme d’équipement des rues en caméras ne soit beaucoup accéléré pour le moment. Plus récemment, au conseil municipal de décembre 2023, j’ai présenté au vote un vœu pour enfin armer les policiers municipaux lillois. Ils contribuent à la réussite des évènements festifs de Lille : fête de la musique, braderie de Lille pour les grands évènements, mais aussi sécurisation du marché de Wazemmes, foires aux manèges, marché de Noël, et manifestations sportives. Ils ont aussi été en première ligne lors des émeutes pour protéger les bâtiments de la ville.
A Lille, l’insécurité n’est pas moins importante que sur l’ensemble du territoire national; où nous sommes en plan Vigipirate au niveau «Urgence attentat». Nous avons comme ailleurs la menace terroriste. Les groupuscules extrémistes sont très présents, les affrontements entre bandes rivales sur fond de trafics de stupéfiants se multiplient. Malgré mon argumentaire, malgré les demandes des agents de polices et la mobilisation des syndicats, malgré les décisions prises pas loin de Lille pour les polices municipales de Hem, Roubaix, Tourcoing, La Madeleine, Lezennes et Béthune récemment, impossible de décider Martine Aubry à se agir. Je sais que les agents municipaux ont suivi de près nos débats, et sais que nous sommes à leurs côtés. C’est important pour moi de les écouter, parce qu’ils sont toujours en première ligne, aussi bien dans le dialogue que dans l’adversité, malgré les risques inhérents au port de l’uniforme. Ils sont exposés aux mêmes risques que leurs homologues de police nationale, sans disposer des mêmes moyens en termes d’armement. Nous devons les respecter et les soutenir. Je crois que là, j’ai été particulièrement touchée et déçue par le refus dogmatique de la majorité de prendre une “bonne” décision, et aussi par mon impuissance en tant qu’élue d’opposition. Ça fait aussi partie de la réalité de ce mandat.
Heureusement, ces conseils municipaux, nous les avons préparés en groupe, et ils ont été ponctués de grands moments de joie, comme celle des guerriers au combat. Nous travaillons dans l’exaltation, l’esprit d’union. Une belle expérience, marquante. Nous sommes épaulés par des bénévoles qui nous aident à préparer nos interventions sur une subvention, sur le budget, sur la question du jour. L’apport de ces bénévoles militants est essentiel à cette dynamique de groupe et la qualité des travaux. Ils sont discrets, mais ils sont là à nos côtés, à chaque fois que nous en avons besoin.
Pour entretenir cette dynamique, nous avons, quand nous avons pu, organisé des grands moments d’échange à chaque rentrée de septembre. Je me souviens en particulier de celle de septembre 2021, organisée dans la salle de gym que je fréquentais quand j’étais petite. Située place Sébastopol, elle s’appelait alors La salle des amicales laïques et a été rebaptisée depuis La salle du gymnase. Nos élus de Lille s’y sont rassemblés, mais aussi ceux des communes associées d’Hellemmes et de Lomme, et nos 20 conseillers de quartier, nos bénévoles et nos soutiens. Nous avons tous ensemble travaillé sur notre ADN, nos valeurs, notre projet sur l’année. Nous nous sommes interrogés sur les priorités des Lillois. Nous avons fait des ateliers de travail, préparés ensemble, avec des sous-groupes sur chaque thématique. C’était certes studieux mais l’ambiance était favorable. Elle a contribué à la réussite de ce séminaire. C’est ce travail collaboratif qui me donne à chaque fois la motivation pour avancer.
C’est donc dans cet esprit d’équipe que j’incarne notre groupe d’opposition. C’est parfois un challenge de maintenir cette cohésion, car tous ces élus ont beaucoup de travail, des obligations familiales, des contraintes de planning, qui nécessitent d’entretenir les rendez-vous, les liens, l’écriture de la feuille de route de nos objectifs communs, l’animation d’un réseau de 20 conseillers de quartiers de Faire respirer Lille. Ces efforts ne sont pas vains car notre opposition a, je le crois, fière allure. Et notre force collective est intacte. C’est donc tous ensemble que nous avons déjeuné pendant la Braderie 2023 avec Stéphane Séjourné, précieux Président du groupe Renew au niveau européen, et actuel secrétaire Général de Renaissance. Un homme politique doué, inspiré et inspirant, qui me soutient de façon continue dans mes activités lilloises comme nationales.
Un moment marqué aussi par la venue de Stanislas Guerini, que j’avais invité à partager un moules-frites comme il y a 3 ans, au moment de l’inauguration de mon local de campagne à la Braderie, et de Gérald Darmanin, qui m’a fait le plaisir de répondre positivement à mon invitation, marquant aussi son attachement à au Grand Lille et à ma réussite lilloise. Ce moment était donc important dans ma stratégie, celle de mettre en valeur le mi-mandat dans ma fonction d’opposante et de mettre l’ambiance pour préparer 2026.
Ce mi-mandat, ce fut l’occasion de rappeler l’importance des promesses et des engagements pris, envers les électeurs mais aussi envers l’équipe, le mouvement. Je m’étais engagée à passer la main en milieu de mandat à la Métropole Européenne de Lille (la MEL), à un élu du MoDem. Les promesses ne doivent jamais être faites en l’air, par esprit d’arrangement sur le moment. Cette décision n’exprime en rien un quelconque renoncement aux enjeux métropolitains qui me passionnent. Au contraire. J’ai donc laissé ma place à Vanessa Duhamel, cheffe de file du MoDem lillois, qui s’y investit déjà corps et âme. Au-delà de l’engagement tenu, c’est un symbole, un message. Notre mouvement est pluriel et nous avons passé cet accord bipartite, entre Renaissance et le Modem. J’ai tenu ainsi une parole politique et cette décision permet de valoriser la pluralité de notre mouvement, son état d’esprit démocratique. Alors que la confiance entre les responsables politiques et les citoyens s’érodent, il n’y a pas de message insignifiant. Il faut n’avoir qu’une parole, le prouver. Vanessa Duhamel a débuté en politique à l’occasion des Municipales de 2020. Elle a été vaillante et a depuis inlassablement battu le terrain. Elle a accru son expérience lors des Régionales et des Législatives, sur une circonscription acquise par avance à LFI, celle d’Adrien Quatennens. Elle n’a pourtant jamais ménagé ses efforts, avec toujours une grande intégrité. J’ai une énorme confiance en elle, je sais à quel point elle s’investit auprès des habitants et des acteurs de la ville, sur les sujets d’insécurité, de patrimoine, de commerce ou d’environnement.
Quant à moi, comme j’ai pu l’expliquer avec l’affaire Carelide notamment, c’est dans mon rôle de députée du Grand Lille que je peux agir utilement pour la Métropole et sa Région : notamment sur le volet des Jeux Olympiques 2024 et leur impact local, ou encore sur le rayonnement de nos pôles d’innovation, comme lorsque j’ai défendu le dossier d’Eurasanté pour obtenir le label national Biocluster. Même si je ne suis plus conseillère métropolitaine, je reste totalement investie pour la MEL, pour Lille.
NOUVEAU DÉPART À L’ASSEMBLÉE
C’est la complémentarité des expériences qui est utile : j’ai mis à profit les choses apprises lors de ma première campagne municipale et mes deux premières années de mandat de conseillère lillois, pour partir à la conquête de l’Assemblée à l’occasion des élections législatives de 2022. Flashback.
La campagne législative dans la 9ème circonscription du Nord n’est pas arrivée par hasard. Après les élections municipales et mon travail au sein de l’opposition, j’avais été nommée référente de la République en marche Nord en juin 2021, notamment parce que j’arrivais à fédérer les militants, mais aussi il faut le reconnaître, parce que Gérald Darmanin considérait que j’étais la personne qui pouvait faire travailler les militants et les parlementaires du Nord ensemble, après des mois de conflits internes assez durs. Le mouvement avait été divisé localement, notamment avec la dissidence de Valérie Petit. Il fallait unifier et c’est vrai que je m’entendais bien avec tout le monde, ceux qui étaient issus de la droite comme de la gauche. J’avais réussi, je pense, à démontrer que je pouvais fédérer sereinement.
Une fois nommée référente de La République en Marche, ma mission était de construire une organisation structurée et motivée pour les Présidentielles dans le Nord, et d’accompagner Gérald Darmanin. Début septembre 2021, nous avons organisé une rentrée politique des militants du département du Nord à Tourcoing dans le restaurant de Christophe Blomme, adjoint au maire et restaurateur. Le nom de l’établissement, «Quand l’union fait la Sauce» était tout adapté. Plus de 150 personnes étaient réunies autour de Gérald Darmanin. Lorsqu’il a pris la parole, on a immédiatement senti un nouvel élan de rassemblement avec les parlementaires et les militants de tous les territoires du Nord.
De septembre à décembre, le parti a ensuite organisé la communication autour du bilan du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. En janvier 2022, le parti devait désigner les responsables de campagne présidentielle par département, et j’ai été nommée responsable pour le Nord. Là, c’est toute la machine de campagne qui s’est mise en branle. J’allais dans tout le département car je ne souhaitais pas concentrer les actions uniquement à Lille. Je déclinais le militantisme « traditionnel », tractages, porte-à-porte, rencontres, réunions publiques et j’accueillais les Ministres comme Elisabeth Borne, Bruno Le maire, Éric Dupond-Moretti ou Agnès Pannier-Runacher, et de personnalités comme Maud Bregeon, ou encore Prisca Thévenot, porte-paroles d’En Marche, devenues aujourd’hui députées puis Ministre pour Prisca. La mayonnaise a pris. Ces Présidentielles ont été en quelque sorte un tremplin politique du fait de l’amplitude de ma mission et de la réussite de notre mobilisation collective.
J’estimais important de montrer à la fois la force militante réunie autour de Gérald Darmanin, véritable patron politique du Nord, et de proposer des débats de fond thématiques pendant les présidentielles : harcèlement scolaire, droit des femmes, climat, justice, économie,… Nous avons mené une belle campagne.
Pendant toute cette période-là j’ai travaillé avec Gérald et son collaborateur Mathieu Lefebvre, aujourd’hui devenu député, sur la préparation des législatives dans les 21 circonscriptions du Nord et sur les candidatures, donc le repérage des talents. Me concernant, j’ai choisi de candidater sur la 9ème circonscription parce que c’était mon territoire naturel de résidence et de travail avec plusieurs quartiers de Lille. J’avais aussi beaucoup de contacts, liens professionnels et personnels avec les acteurs des communes de ce territoire : Marcq-en-Baroeul, Bondues, Mouvaux et Tourcoing. C’était la circonscription détenue par Valérie Petit, qui avait été élue députée En Marche en 2017 mais n’avait plus la confiance du mouvement pour cette nouvelle élection. Le parti a testé mon nom dans un sondage et le résultat nous a agréablement surpris et surtout encouragés. Le 5 mai 2022, j’ai été officiellement investie dans la 9ème circonscription par Renaissance.
Quelques mots sur Gérald Darmanin. J’ai commencé à le connaître lors de ma première investiture en 2019 pour les municipales. Il était le Ministre le plus important du Nord et il souhaitait organiser autour de lui des réunions avec les députés et les gens engagés politiquement pour définir les investitures dans le département. Les débuts ne furent pas idylliques. Gérald était déjà un ministre influent, je pense qu’il se méfiait de moi parce que je venais de la gauche et lui de la droite. J’étais encore peu connue en politique et donc nous nous sommes tenus un peu à distance pendant toute cette période de pré-investiture.
La première fois que j’ai eu vraiment un entretien politique important avec lui, c’était une semaine ou deux avant les investitures organisées en juillet 2019 et il m’a proposé qu’on se voie en tête à tête. Je me souviens très bien du moment parce que c’était dans sa ville, son ancrage. Nous sommes retrouvés dans une petite salle de café chez le torréfacteur de la place du marché de Tourcoing. Très vite, il m’a demandé quelle était ma stratégie pour Lille. Très courtois, il me faisait passer un entretien d’évaluation informel. Avec ce côté cash qui le caractérise, il m’a dit droit dans les yeux : «tu sais moi, j’ai des doutes sur ta candidature, je ne crois pas que tu puisses gagner Lille avec ton profil». C’était direct, sans aucune agressivité. Cette franchise m’a mise à l’aise même si j’aurais préféré qu’il m’annonce son soutien. Il n’était pas désobligeant. Ce qui m’a frappée ce jour-là, c’est au contraire sa sympathie et son sens de l’écoute. Le Ministre extrêmement débordé prenait du temps avec moi pour me connaître. Gérald Darmanin vous dit les choses. Ce n’est pas quelqu’un qui va parler dans votre dos, il fait des reproches en direct, et on peut aussi lui parler franchement. C’est quelque chose que j’apprécie beaucoup chez lui. Ce premier contact était paradoxalement un bon moment. Et une qualité finalement assez rare chez les hommes ou femmes d’Etat que j’ai pu connaître.
Quelques jours plus tard, dans le conciliabule du bureau exécutif d’En Marche et à la suite de l’audition que j’avais passée devant Alain Richard, j’ai été investie. Stanislas Guerini me l’a appris vers 18h00, ça a été annoncé vers 19h00 et Gérald Darmanin a fait immédiatement un tweet de soutien, puis m’a adressé un SMS perso pour me féliciter. Nous nous sommes progressivement rapprochés, et apprivoisés. Nous avons fait un petit bout de chemin ensemble, lui s’occupait des municipales à Tourcoing et dans le Nord. Quand j’ai eu besoin de lui à Lille, il a été là. J’ai notamment le souvenir d’une conférence de presse qu’il a faite à mes côtés chez Morel, un café branché en face de l’Opéra de Lille où j’avais convié des acteurs du monde économique comme le président de la Chambre de commerce, des entrepreneurs et des commerçants. Cette conférence avec Gérald Darmanin, c’était pour moi l’assurance d’avoir de la presse nationale et un soutien clair et franc sur ma capacité à rassembler et à gagner auprès des milieux économiques de la Métropole lilloise. Sa présence était importante. Ensuite, il m’a accompagnée à plusieurs moments pendant l’élection municipale puis nous sommes restés en contact régulièrement. Il invite régulièrement des personnes dont il est proche à prendre un café une demi-heure, 3/4 d’heure, car il a toujours besoin de sentir le pouls des élus, les préoccupations des gens, l’état d’esprit des militants.
DARMANIN, LE BATTANT
Au fil du temps, j’ai établi une relation de confiance avec lui. Il est incessamment dans l’action, recherche systématiquement l’efficacité et déteste le double langage. C’est un pragmatique. Il a ses convictions mais ce qu’il veut c’est que ça fonctionne, que ça avance, et que nos actions améliorent la vie des gens. Je suis convaincue qu’il a un engagement politique extrêmement sincère. C’est aussi quelqu’un d’attachant dans la vie personnelle, sensible, authentique.
Malgré son parcours pour le moins brillant, je retiens qu’il n’hésite pas à remettre son statut en jeu à chaque élection. Jamais perché sur un piédestal, il s’est frotté à toutes les campagnes. Les municipales de Tourcoing où il a gagné au premier tour, les élections départementales et à nouveau les législatives. Il l’a emporté à chaque fois, largement, en faisant vraiment campagne, sans se contenter de se reposer sur son aura médiatique. J’aime ce courage de se confronter chaque fois au suffrage universel, de légitimer un rôle alors que beaucoup lui prédisent un beau destin tout tracé. Lui ne considère rien comme jamais acquis, il n’est pas de ceux qui pensent que les choses lui sont dues. Il a un véritable ancrage dans le territoire et une indéniable proximité avec ceux dont il sollicite les voix. Il connaît leur quotidien, leurs problèmes, leurs aspirations. Quand une Martine Aubry, chaque fois plus déconnectée, voit systématiquement ses scores rapetisser élection après élection, Gérald Darmanin, lui, reste au contact et l’emporte quasiment à chaque fois au premier tour.
Je le vois encore très régulièrement sur le terrain, à Tourcoing, et dans la 10ème circonscription qu’il a gagnée avec son suppléant Vincent Ledoux, devenu mon collègue et ami à l’Assemblée et à Tourcoing. Étant tous les deux élus du Nord, Gérald et moi avons maintenant une “complicité territoriale”. Je suis la deuxième députée de sa ville historique, celle à laquelle il s’identifie au niveau national. Un territoire qu’il aime, qu’il connaît. A cette proximité géographique s’ajoute une communion d’idées sur le plan national.
Le 27 août 2023, sa rentrée politique à Tourcoing a fait grand bruit face à 500 personnes dont 90 parlementaires Renaissance, mais aussi indépendants, Républicains et socialistes-communistes. Le plus gros des troupes était constitué des parlementaires Renaissance MoDem Horizon, mais Gérald Darmanin a voulu ouvrir et mobiliser pour cet événement dédié aux attentes des classes populaires. J’aime cette volonté qu’il a de ne pas opposer l’autorité régalienne et le champ social. Nous avons traversé les retraites, les violences urbaines, on ne peut pas faire de la politique comme avant, c’est impossible, il faut une dynamique qui nous rapproche des gens, des classes moyennes, populaires, de ceux qui travaillent, qui ont l’impression que toutes les aides ne sont jamais pas pour eux, des déclassés, des « invisibles », de tous ceux qui ont le sentiment de faire des efforts pour rien, ou la certitude de n’avoir accès à rien.
En 2022 et 2023, j’ai été en contact régulier avec lui et ses équipes du Ministère de l’Intérieur, en tant que porte-parole de Renaissance, sur tous les sujets très au-devant de la scène : l’insécurité, la violence, le maintien de l’ordre public, les mouvements extrêmes, et la loi immigration bien sûr. Une loi qui repose sur deux pieds, à la fois la fermeté sur la délinquance, extrêmement attendue ; mais aussi une attention particulière et très appuyée à la réussite de l’intégration républicaine, donc à la régularisation plus importante de personnes sans papiers qui travaillent en France et qui sont intégrées. A mes yeux, cette loi immigration a vraiment du sens même si elle a été inévitablement conspuée, abîmée politiquement par l’extrême droite et l’extrême gauche lorsqu’ils ont choisi de voter ensemble avec les Républicains une motion de rejet.
Pour revenir à la campagne législative de 2022, tout a été bien différent de celle de 2020. La passion pour la politique était toujours là, l’enthousiasme était toujours là mais pas l’agitation. Deux ans plus tôt, j’avais défendu mes idées avec ardeur, forte de mes convictions, portée par la ferveur des militants, la passion de mon équipe mais les attaques multiples m’avaient obligée à dépenser de l’énergie dans la riposte. J’aurais pu être écœurée définitivement de la politique après un tel cirque, ce ne fut pas le cas, au grand désarroi de certains rivaux. Au contraire. De la campagne de 2020, je retiens aussi ces innombrables moments de joie, de partage, de débats, avec les Lillois. Je retiens cette ambiance fusionnelle avec mon équipe, cette euphorie d’une première aventure, ces heures passées à organiser ensemble des réunions publiques, à chercher à chaque fois de nouvelles idées pour faire résonner nos messages, ces journées à sillonner la ville, ces nuits blanches rythmées par l’éclat d’un fou rire, ces rencontres inoubliables avec des habitants de tous quartiers.
L’hostilité à mon encontre, je l’ai dit, a décuplé ma croyance dans la politique, ou plutôt ma croyance dans la nécessité de s’engager, dans l’utilité de ma démarche, son sens, sa raison d’être. Ce baptême du feu fut l’occasion de tester la pertinence de ma démarche, mon goût pour ce nouveau rôle et même mon aptitude à l’exercer. En 2020, le côté obscur de la campagne des municipales a totalement validé ma démarche, sa nécessité, et ma capacité à me confronter aux épreuves en gardant la tête haute. Cette campagne chaotique a justifié le constat qui m’avait poussée à me lancer : faire de la politique autrement. J’avais toute ma place dans cette arène et j’y avais pris aussi un plaisir intense. Chaque nouveau coup bas n’a fait que conforter mon choix. Mon engagement était pertinent, l’alternative que je proposais était pertinente. Et j’avais aimé faire campagne. Son effervescence, son rythme effréné, sa dimension humaine, ont ancré ma motivation à faire de la politique. Tout s’est joué là. Après tout, j’aurais pu y aller avec toute la bonne volonté du monde, la sincérité, l’envie, puis ne pas me sentir à ma place ni à la hauteur. J’en aurais alors tiré les conclusions et j’aurais renoncé, cédé ma place. Il faut savoir questionner ces choix, en faisant taire son orgueil. Le pire est de ne rien tenter.
A l’issue de cette première campagne, où j’avais découvert aussi l’excitation du combat politique, la suite de l’histoire s’est imposée comme une évidence. Il fallait continuer. Cet engagement n’avait réellement de sens que dans la durée. J’avais dénoncé d’emblée ce système politique local peu glorieux que je prétendais bousculer, il n’était pas question de baisser les bras en raison de certains comportements sectaires, archaïques ou odieux qui m’avaient précisément encouragé à me lancer. D’autant que j’avais réuni une équipe épatante, avec qui j’avais vécu tant de moments forts, stimulants, positifs. J’avais aussi constitué un socle électoral fort, avec des électeurs impliqués, motivés, emplis d’espoir. Toutes les conditions étaient réunies pour rempiler. J’avais désormais l’expérience de l’exercice et le sentiment profond de pouvoir sensiblement amplifier la dynamique. Elle était de notre côté. Me présenter aux législatives était une nouvelle étape évidente. Cette nouvelle campagne fut également passionnante mais bien plus paisible.
LE TRIOMPHE DU COLLECTIF
J’ai été interpellée bien sûr par quelques anti-Macron, mais j’ai été encouragée bien plus souvent. Le travail avait porté ses fruits. Lorsque Raphaël Charpentier, conseiller municipal de Marcq-en-Barœul s’est positionné pour devenir mon suppléant, j’ai tout de suite adhéré. Il est brillant, compétent et son influence dans la sphère politique était un atout indéniable. Raphaël Charpentier était conseiller du Secrétaire d’Etat délégué à la sécurité de l’époque, Laurent Nunez, qui était venu me soutenir lors de ma campagne municipale en 2019. Raphaël m’avait beaucoup aidée à préparer mon projet sur la sécurité à Lille. Il avait une expérience des cabinets ministériels pour avoir travaillé auprès de Gérald Darmanin, Christophe Castaner ou Gabriel Attal. Il avait une énergie énorme et des idées à revendre. Son implantation en tant que conseiller municipal de la majorité à Marcq-en-Barœul était complémentaire avec mon ancrage dans le quartier populaire de Fives à Lille. Notre tandem a fait merveille et la campagne lui doit beaucoup. Sa présence a renforcé une équipe déjà forte et soudée : j’avais fait le choix de nommer Mélodie Bernal co-directrice de campagne, alors qu’elle n’avait que 25 ans, parce qu’elle avait démontré ses capacités organisationnelles et humaines dans le collectif Faire Respirer Lille. Mélodie, qui avait travaillé à l’Université catholique de Lille, s’était impliquée bénévolement dans l’équipe Faire respirer, en tant que militante étudiante. Pendant la campagne législative, elle a été mon bras droit dans l’organisation, la gestion technique et financière, la communication et aussi le contact avec les habitants. C’est une vraie manageuse, résolument positive, qui sait faire rimer efficacité et convivialité. Je suis convaincue que nous ferons un long chemin professionnel ensemble. Son binôme, Olivier Candelier, co-directeur de campagne, a lui aussi été une pièce maîtresse de mon organisation. Adjoint à l’économie à Tourcoing, ce quadragénaire, proche de Gérald Darmanin, est dynamique et connaît toutes les entreprises de Tourcoing mais aussi du Grand Lille. C’est l’homme des réseaux. Il s’est énormément impliqué auprès de moi en organisant des rencontres avec les acteurs économiques. Olivier est quelqu’un qui, encore aujourd’hui, m’apporte beaucoup dans ma fonction de députée, notamment par ses réflexions sur le sujet crucial de l’emploi et de l’insertion, et en particulier de l’accompagnement à l’emploi des seniors. Il fait partie de ceux, si précieux, qui me permettent de ne pas m’enfermer dans une bulle au Palais-Bourbon. Je pense que nous réaliserons ensemble de grandes choses pour Lille.
C’est au mérite que je sélectionne chaque fois ceux qui m’entourent, pour leurs idées, leur motivation, leur implication. Je le fais par principe mais aussi parce que c’est le meilleur moyen de performer. Comme lors des municipales, c’est grâce à mon équipe que nous avons dépassé à chaque fois les attentes. Le 10 mai 2022, lors d’une conférence de presse de lancement, la campagne officielle des législatives de la 9ème circonscription du Nord démarrait et avec elle, une formidable aventure collective, dans laquelle une autre personnalité jouait un rôle important : Philippe Amouyel, ancien directeur de l’Institut Pasteur et Président du comité de soutien d’Emmanuel Macron dans le Nord pour la présidentielle 2022, avait accepté de me soutenir. Il habite Marcq-en-Baroeul, est connu, compétent et a envie de faire de la politique. Il est devenu, comme nous aimons souvent en rire, mon “Président de comité de soutien à vie” ! Un ami, un conseiller, et un expert engagé.
J’ai ressenti un grand privilège de présenter mon équipe, ma liste, mon comité de soutien dans chacune des cinq villes de la circonscription. Un grand professeur, un jeune suppléant, la parité hommes-femmes, des élus locaux : la liste et ses soutiens avait fière allure.
Un moment fort de la campagne législative a été la visite du Bruno Le Maire, le Ministre de l’économie, que j’ai emmené à Tourcoing dans ma vieille Toyota que je ne vous présente plus. Comme Roland Lescure avant lui, Bruno Le Maire est grand et a dû se tasser. Nous sommes partis visiter Stella, le fabricant historique de grands babyfoots. Nous avons été rejoints par Doriane Becue, la maire de Tourcoing, puis nous avons participé à une réunion publique à Marcq-en-Barœul où Bruno Le Maire a épaté les 200 participants. J’ai été très impressionnée par l’homme. Je le savais brillant mais je ne l’imaginais pas si simple et convivial. Je ne dirais pas cela de tous car il existe quelques grands esprits qui sont parfois hautains. Lui jamais. Comme Gérald Darmanin, il est profondément humain.
Ce soir-là, le soutien que m’a apporté publiquement la figure de droite Jean-René Lecerf, ex-sénateur, ancien maire de Marcq-en-Baroeul, et ancien Président du conseil départemental du Nord, a été précieux. Même si je me souviens qu’il n’avait pas été particulièrement sympathique pendant ma campagne municipale et qu’il avait appelé à voter pour Martine Aubry, je dois dire que sa décision deux ans après pour les législatives a été une étape décisive dans ma volonté de rassemblement.
J’ai multiplié les déplacements, pour aller à la rencontre des habitants. Lors de réunions publiques, de rencontres sur les marchés, incontournables, ou dans les rues de la ville. Échaudée par l’aventure des municipales, j’ai préparé tous ces rendez-vous avec prudence. L’élan d’adhésion suscité lors de la campagne de 2020 n’était pas retombé, au contraire. Les militants étaient motivés, nombreux. La deuxième campagne s’est nourrie de l’impulsion créée par la précédente, et a effacé en partie les mauvais souvenirs.
J’ai pu savourer pleinement cet exercice démocratique, avec la même énergie mais sans le stress intense généré par l’hostilité démesurée qui avait accompagné mon premier combat électoral. Ce qui aurait dû être une évidence a été quasiment une anomalie pour moi, puisque lorsque je m’étais jetée dans le grand bain, l’eau était putride, brûlante. Outre le climat général plus serein, cette relative tranquillité était également liée à la circonscription, où l’extrême gauche est faiblement présente. La nature de l’élection a, en quelque sorte, contenu la casse. Je ne doute pas que si j’avais dû parcourir toute la ville, j’aurais sans doute été malmenée par les éléments radicaux. La 9ème circonscription héberge majoritairement un électorat modéré, davantage acquis aux idées de notre mouvement qu’en d’autres endroits de la cité. Mais cette bataille-là n’était pas pour autant une promenade de santé. Gérald Darmanin, patron du parti dans le Nord, n’était pas convaincu, au début, de ma capacité à réaliser un gros score dans la 9ème. Lorsqu’il a eu les résultats du sondage commandé par le parti Renaissance, il m’a avoué, avec la franchise qui le caractérise, que mon score élevé était une surprise. Une excellente surprise même. Avec 27% au premier tour, et ce malgré la candidature dissidente de Valérie Petit, je dépassais ses espérances.
Rappelons tout de même que nous n’étions plus dans la même configuration qu’en 2017 où il suffisait d’être candidat LREM pour gagner. En 2022, les LR sur la 9ème circonscription s’étaient très sérieusement organisés pour tenir leur revanche, faire gagner leur poulain Nicolas Papiachvili, un avocat de Marcq jeune et brillant, et faire mordre la poussière à la candidate LREM quelle qu’elle soit. Ce sondage, qui n’était bien sûr qu’un indicateur, venait récompenser notre inlassable travail de terrain depuis plus de trois ans sur le Grand Lille. Le labeur payait. L’obstination aussi. Tout comme la ligne de conduite que je m’étais fixée : être offensive tout en étant respectueuse, digne. J’ose penser que ce score saluait aussi le courage dont nous avions fait preuve pour défendre nos idées en dépit des menaces et injures. Ces résultats étaient rassérénants. Restait à l’emporter.
Si je suis optimiste par nature, je ne pêche pas par excès de confiance. Loin de là. J’estime que rien n’est gagné tant qu’on n’a pas franchi en tête la ligne d’arrivée. Même quand les circonstances sont favorables, que tous les indicateurs sont au vert, je me comporte jusqu’au bout en challenger. Je doute jusqu’à la fin. Parce que c’est ma nature, peut-être même mon moteur. Parce que, j’ai pu l’observer, on peut s’endormir sur ses lauriers et perdre une partie à priori imperdable, faute de s’être investie jusqu’à la dernière seconde. On ne peut pas se reposer sur son statut de favori. C’est un piège. La sincérité des convictions peut aveugler. On peut, en toute bonne foi, sous-estimer des rivaux, des obstacles, ou ses propres faiblesses. Lorsque j’ai le sentiment de verser dans l’arrogance, je tente de corriger le tir très vite. Et si je n’en prenais pas conscience par moi-même, je demande à mon entourage de me le signaler, de se sentir la liberté de sonner l’alerte. Ce n’est pas uniquement par souci de modestie. Je veux rester lucide.
J’ai confiance en moi parce que je connais mes faiblesses, que je sais déléguer, m’entourer, écouter, orchestrer. Je n’ai pas confiance en revanche en ma capacité à réussir seule par une connaissance omnisciente de tous les sujets. Pour réussir, je compte moins sur le talent naturel que sur le sens de l’organisation. C’est souvent lorsque je suis en défaut là-dessus que j’ai une sensation d’échec. Je ne sais pas tout, je l’assume ; j’ai le droit de me tromper, de changer d’avis si je m’en forge un meilleur, mais je me pardonne rarement un manque de préparation. Lors d’une élection, cette préparation consiste à mettre toutes les chances de mon côté. Je n’arrive à me relâcher, à souffler, qu’une fois que le coup de sifflet final retentit. En 2022, je savais la victoire à portée, on me donnait près de dix points d’avance, mais j’ai douté jusqu’à l’annonce des résultats. Sur certains points on ne se refait pas. Il faut accepter l’idée de perdre en politique, sinon mieux vaut rester chez soi, mais pas n’importe comment. Pas question d’échouer par excès d’orgueil.
J’étais prudente parce qu’enfin, un incident peut arriver à tout moment et faire tout basculer. Une bévue, une parole maladroite. Lionel Jospin, par exemple, avait dévissé dans les sondages de la Présidentielle de 2002, après avoir estimé que Jacques Chirac était «vieux, usé, fatigué». Plus qu’un angle mort de son programme, ce sont ces propos, parmi d’autres, perçus comme un manque de respect, qui lui ont coûté cher. Une campagne peut aussi jusqu’au bout pâtir d’un événement extérieur, que vous ne maitrisez pas, comme la rumeur, les coups tordus. C’est un registre dans lequel j’ai été «servie». Un problème de santé, un accident peuvent également tout arrêter. J’en savais quelque chose car quelques années plus tôt, ma santé m’avait obligé à tout arrêter : mon travail, le sport, les sorties… J’avais dû renoncer à toute vie sociale. La blessure, je le rappelle, m’a aussi empêchée de m’investir dans la campagne présidentielle de 2017 pour Emmanuel Macron, alors que mon mari et moi placions beaucoup d’espoir dans ce nouveau mouvement. Lui, adhérent à LREM dès avril 2016, était d’ailleurs un des premiers marcheurs du Nord. Cet accident, qui figeait tout, a joué un rôle déterminant dans mon engagement politique et dans ma réflexion sur le sens même de cet engagement, sa raison d’être.
Au terme d’une campagne législative de premier tour passionnante, j’ai fait un très bon score, près de 32%, au contraire des LR, dont le mauvais résultat était surprenant. J’étais qualifiée face à la Nupes, et donnée favorite pour aborder une campagne de second tour, encore plus déterminée.
CRISE DE FOI
Il suffit parfois d’un grain de sable… Alors que tout se déroulait jusque-là à merveille, pour ces législatives 2022 ou presque, une histoire de camion bloqué par la circulation allait perturber la fin de la campagne du second tour. A l’intérieur du camion, mes professions de foi ainsi que celles de Vanessa Duhamel, adversaire MoDem d’Adrien Quatennens dans la 1ère circonscription du Nord. Le camion a dépassé de quelques minutes l’heure fatidique fixée pour la réception des professions de foi par la commission électorale chargée de viser leur conformité. L’imprimeur, confus, a tout fait pour nous dédouaner de ce léger retard, qui ne remettait pas en cause la chaîne logistique de diffusion des documents électoraux. Mais l’épisode est devenu ubuesque. Convoquée par la Commission de propagande, j’ai dû justifier les raisons de ce retard devant des magistrats. C’était certes regrettable, mais même mon adversaire de la Nupes, qui était invité à donner son avis à l’audience, a estimé que cet incident ne justifiait pas d’invalider mes professions de foi. Pis, il pensait que ce serait du plus mauvais effet vis-à-vis des électeurs.
En une audience expéditive, suivie de trois minutes de délibération, une juge me sermonnait avec un ton jubilatoire pour ce retard. Passe encore. Mais la commission, composée de trois membres, interdisait carrément l’expédition des professions de foi. Nous ne serions pas dans les boîtes aux lettres ; les professions de foi étaient bien conformes mais à cause de ces 15 minutes de retard dues à un encombrement de circulation imposé au transporteur missionné par mon imprimeur, les électeurs en seraient privés de propagande électorale “Violette Spillebout” et ne recevraient donc que celles de la Nupes. 100 000 de tracts jetés à la poubelle, facturés pour rien. Je ne cache pas que l’envie de réformer les jugements express des Commissions de Propagande m’est venue immédiatement à l’esprit. J’étais effondrée. La campagne finissait par un énorme bémol. Vanessa Duhamel connaissait le même sort juste après moi. Panique à bord. Et indignation. Pour les électeurs, pour l’équité du scrutin. Je n’en revenais pas. Comment un juge de la commission de propagande dont la fonction principale, noble, est de protéger l’équité de l’élection, protéger l’équité entre les candidats mais aussi le vote des électeurs, peut, alors même que les deux candidats finalistes sont d’accord sur l’analyse et ne sont pas en opposition, choisir de priver 100 000 électeurs d’une juste documentation, d’un juste choix pour éclairer leur vote avec les professions de foi ? Ce n’est pas la justice à laquelle les Français ont envie de faire confiance.
Certains adversaires ne manquaient pas d’ironiser sur ma supposée incompétence. Chez certains, une élection pour les femmes, c’est un peu comme la conduite automobile, elles sont nulles, forcément. Nous particulièrement, les Renaissance, surgies quasi de nulle part, inconnues trois ans auparavant. Nous avons organisé une conférence de presse et exprimé notre stupéfaction. L’imprimeur, qui avait tenu à se joindre à nous, était le plus scandalisé. Meurtri, ce professionnel qui imprimait des professions de foi depuis des lustres, culpabilisait. Et ne comprenait ni ce gâchis, ni la sévérité du jugement.
Nous avons récupéré quelques cartons pour tenter de sauver les meubles. J’en ai chargé deux dans la Toyota et vogue la galère. Si les professions ne pouvaient être envoyées par courrier, comme c’est l’usage, nous pouvions en distribuer dans les rues, sur les marchés. Ce que nous avons fait mais nous n’avions le temps et les bras que pour en distribuer quelques centaines sur plus de 100 000 ! Inquiète pour les résultats, car je ne savais quel impact cela pouvait avoir, j’ai été réconfortée par la réaction des électeurs, scandalisés par cette décision, y compris de nombreuses personnes qui n’avaient pas l’intention de voter pour moi.
Cette décision a même provoqué un élan mobilisateur chez nombres d’habitants de la circonscription qui m’ont contactée par Facebook, par mail, par téléphone, pour dire leur soutien mais aussi proposer leur aide. Plusieurs sont venus récupérer des paquets de 1000 professions de foi pour les distribuer eux-mêmes dans les boîtes aux lettres. Nous avons pu ainsi en distribuer une grosse moitié. Cette décision de justice aura finalement créé une chaîne de solidarité. A l’arrivée, le jour du second tour, et alors que je n’étais sûre de rien, j’ai remporté l’élection avec près de 60% des voix.
Le soir, nous nous sommes réunis sur la fameuse place de l’église de Marcq-en-Barœul. On avait réservé le premier étage du Nautic, bar mythique de la ville et lorsque je suis arrivée, des dizaines de personnes m’attendaient en applaudissant. Je voyais toute l’équipe émue, Philippe Amouyel, Olivier Candelier, Véronique Savignac, Roselyne Aubert, Xavier Basselet, Christine Petitprez… je ne peux pas tous les citer ! C’était le plus bel épilogue possible, pour ce qui a été une campagne de joie, une campagne gagnante du début à la fin, en dehors de l’affaire des professions de foi. Plus sérieusement, cet élan d’enthousiasme qui avait survécu à la défaite deux ans plus tôt, était validé, récompensé ce soir-là. Nous étions toujours une équipe soudée, optimiste, mais cette fois, nous avions plus que des espoirs. Nous fêtions la victoire.
LE GRAND BAIN
A cause du tempo effréné, on ne se laisse pas griser longtemps. Le travail qui attend un député est colossal, surtout si c’est la première fois qu’il met les pieds à l’Assemblée. Le protocole est impressionnant. J’étais l’une des premières arrivée en ce jour de la « rentrée ». J’étais même en avance. Plusieurs dizaines de journalistes attendaient déjà les élus place du Palais Bourbon. Aurore Bergé, Maud Bregeon et Benjamin Haddad accueillent les nouveaux avec beaucoup de chaleur. Cette journée est émouvante, impressionnante. Un peu surréaliste aussi. Nous sommes plus de 600 à investir les lieux. Pour beaucoup, comme moi, l’expérience est inédite. Nous entrons par la grande porte du Palais Bourbon, qui donne sur la cour d’honneur. Une borne d’accueil y est installée exprès pour les députés. On émarge, on récupère un badge sésame des lieux, un kit avec des documents, une écharpe. Puis on découvre le Palais, officiellement comme représentant de la Nation. C’est un moment fort, très fort.
Ce qui m’a surtout surprise, c’est le nombre de fonctionnaires de l’Assemblée Nationale. Cette rentrée est un ballet qui donne le tourbillon. Aurore Bergé me guide dans ce chemin initiatique où il faut parcourir d’innombrables couloirs menant d’une salle à l’autre, pour remplir des formalités. Aurore décrypte les lieux. Tout s’enchaine vite : la photo officielle, en studio, puis dans l’hémicycle, les papiers de d’état civil et les formulaires à remplir, la remise de la fameuse mallette bleue en cuir de l’Assemblée nationale, l’attribution d’une place, pour l’instant provisoire, dans l’hémicycle… Je découvrirais bientôt mon petit bureau, doté d’un lit pliant, la fameuse buvette des députés, le restaurant au 8ème étage du «101», nom donné au bâtiment situé 101 rue de l’Université et où certains députés ont leurs bureaux, la mythique salle des 4 colonnes où ils échangent avec les médias….
Grâce à ma formidable collaboratrice Tiphaine, recrutée très rapidement, je saurais bientôt tout de l’endroit, de ses usages, de l’organisation de ses commissions et des groupes de travail. Le premier jour, j’ai le sentiment de passer un peu d’un monde à un autre. C’est la grande inconnue, j’ai soif de découvrir, hâte d’apprendre. D’agir. Je suis un peu perdue. De ces débuts, je garde le souvenir d’un labyrinthe, parce qu’on a beaucoup de mal à s’orienter dans Palais Bourbon, avec ses couloirs en carré tout autour de l’hémicycle. Je suis marquée par le côté protocolaire, et le sentiment d’être alors dans une autre dimension. La rentrée est émouvante mais l’endroit a des allures de bulle.
Un politique ne doit jamais se déconnecter du réel, se couper des gens, se retrancher. L’Assemblée peut vite devenir une bulle. Un de ces microcosmes d’où l’on peut percevoir le monde de manière déformée. On vous y donne incessamment du « Madame la députée », on y croule sous des dossiers, on en sort souvent la nuit tombée, en rythme décalé et le quartier de l’Assemblée est assez peu représentatif de ce qu’est la société. Mon ancrage à Lille, mon dialogue constant avec ses habitants, mais aussi mon caractère, car je suis un animal social qui ne saurait vivre retranché sous des dorures, m’empêchent de me laisser piéger dans cette bulle.
PEUR SUR CARELIDE
La dernière fois que j’avais vu Roland Lescure à Lille, nous avions dû nous réfugier dans ma permanence assaillie par des manifestants, comme je l’ai raconté plus tôt. Heureusement, nous n’allions pas en rester là. Nous nous retrouvons à Lille, trois ans après, quasiment jour pour jour. Pas d’attaques, pas de menaces cette fois. Nous célébrons une victoire collective, un combat commun, décisif pour les emplois dans la région Nord, hautement symbolique pour l’industrie française et le secteur de la santé. Souvent, la roue tourne. Lors de sa première venue à Lille, je n’avais pas encore de fonction politique, pas de levier pour agir. C’est une élue de Nation qu’il a retrouvée trois ans après. Je veux, dans ce chapitre, insister particulièrement sur le rôle positif de la politique, de l’engagement, de l’intérêt d’un mandat. Certains Français disent que les députés ne servent à rien. Et bien là, je vous assure que je me suis sentie utile. Je veux souligner en quoi il est fondamental de ne pas déserter le terrain, de ne pas se laisser décourager par les obstacles, les dérives. Car près de trois ans après ces violences, après avoir été élue députée en juin 2022, j’éprouve une immense fierté à faire de la politique. Je n’avais pas encaissé de coups pour rien. J’ai alors combattu une autre violence, sociale cette fois, dans une bataille d’intérêt général. Une bataille parmi d’autres mais elle fut particulièrement emblématique et même émouvante.
Quelques mois après mon élection à l’Assemblée, j’ai été confrontée à l’angoisse de plus de 400 salariés menacés de perdre leur emploi. Il n’a jamais été question de se résigner. Je suis d’abord interpellée en octobre 2022 par le liquidateur judiciaire de la société Carelide, qui, en responsabilité citoyenne, trouve le moyen de me contacter et de m’alerter sur cette entreprise de ma circonscription, à Mouvaux, que je connaissais peu. Quelques jours après, c’est par des représentants syndicaux de Carelide que je suis interpellée, car la société venait d’être placée en redressement judiciaire le 24 octobre. C’est Nicolas Mateja, délégué syndical, qui m’expose la situation, sollicite mon aide. Mouvaux, où est implantée l’entreprise, est sur ma circonscription et ils ont besoin de soutien. Je le rappelle immédiatement, la situation est grave. Il se dit surpris car il pensait être rappelé bien plus tard. Mais son message est passé. C’est une course contre la montre désormais, l’avenir de l’entreprise sera scellé dans quelques semaines. Si aucun repreneur ne se manifeste dans les semaines à venir, ce sera terminé. C’est un peu une opération de la dernière chance et c’est un drame qui se jouait jusqu’ici dans l’ombre. Je ne peux pas sauver l’entreprise, ni trouver moi-même un repreneur mais être réactive, c’est la moindre des choses. Je ne peux pas tout, mais je peux beaucoup. Aller les voir, parler aux médias, activer mes contacts au gouvernement, en parler à l’Assemblée. Dans ces moments-là, et face au désarroi, être présente, attentive, réactive, je peux le faire. Je dois le faire. Je contacte le mandataire judiciaire pour me faire expliquer la situation.
Il apparaît vite évident que sans une aide de l’État, Carelide ne s’en sortira pas. L’État ne peut assumer à lui-seul le coût mais sa contribution financière est de nature à convaincre un repreneur de tenter le pari. Car il faudra faire preuve de conviction. Le constat est cruel : malgré son caractère unique, malgré une activité de fabrication de poches de perfusion et de paracétamol liquide, unique en France, aucun repreneur ne s’est manifesté sérieusement. Le dirigeant de l’entreprise lui-même paraît défaitiste. Je me renseigne sur la procédure de liquidation judiciaire, dont je ne sais pas grand-chose. Je ne veux pas être superficielle dans mon action. Surtout sur un tel sujet. A l‘arrivée, s’il n’y avait pas de solution, les salariés se retrouveraient tous sans emploi. J’ai un vrai sentiment de responsabilité. Si on ne met pas tout son cœur et son énergie à s’occuper de ce genre de situation, ça ne sert à rien. C’est bien d’être à Paris et d’y faire des missions mais si on ne dévoue pas pour ce genre de bataille, à quoi sert-on ? Le nerf de la guerre, ce sont les gens. Les salariés veulent de l’aide. Ils veulent être entendus, soutenus. Ils n’attendent pas que je pleure sur leur sort, ils veulent me convaincre que leur cause est juste et que j’agisse. Je dois donc être crédible, maîtriser mon sujet.
Endettée, l’entreprise pharmaceutique est au bord du gouffre. Certains salariés y travaillent depuis plus de trente ans ! 425 emplois sont en jeu. Ce qui frappe plus particulièrement, car hélas des entreprises font faillite tous les jours, c’est la symbolique. C’est une entreprise quasiment unique et dont l’activité concerne un secteur essentiel, chaque jour dans l’actualité. Sur les terres du Nord, à Mouvaux, et alors que la pandémie du Covid a souligné notre dépendance à des fournisseurs étrangers, une société, qui fut l’un des fleurons du secteur de la santé, risque de disparaître corps et âme. Outre les poches à perfusion, elle fabrique du Paracétamol liquide. En plein débat sur la désindustrialisation, cette faillite annoncée soulève cruellement la question de notre souveraineté sanitaire, et questionne des choix politiques sur des décennies. Des centaines d’emplois sont menacés et la seule entreprise hexagonale qui vend des poches à perfusion à nos hôpitaux n’existera bientôt plus si elle ne trouve pas un repreneur. Son sort catalyse de multiples enjeux : notre indépendance, le poids de notre industrie, notre place dans l’économie de la santé. Et bien sûr, le risque de «casse» sociale. Pour les emplois, il faut agir. Pour le symbole aussi. Ma crainte c’est aussi le symbole de l’abandon par l’État d’un fleuron de production industriel français. Ce message serait mortifère. Ce serait l’effondrement du discours politique que l’on porte. Cet abandon, on ne peut pas se le permettre.
Je rencontre bientôt le personnel de Carelide, je visite les locaux, les entrepôts. J’y vais avec Stéphane Lebon, un conseiller municipal de Mouvaux qui est dans mon équipe. Nous participons à une réunion, dans une salle où se réunit le Comité d’Entreprise. Ma première réunion syndicale en tant que députée. Je ne veux pas juste m’afficher auprès d’eux, je veux être utile. Je ne veux pas non plus faire de démagogie et me faire mousser. Je ne promets rien que je ne pourrai pas tenir. Mais je promets une chose : tout faire pour les aider. Ils sont respectueux et francs. Ils me rappellent le discours très fort sur la souveraineté française en disant « voilà il y a des promesses de votre président de la République et vous voyez on est pourtant en redressement judiciaire ». Ils se disent étonnés d’un silence complet des pouvoirs publics sur la situation. Ils ont le sentiment d’être un peu abandonnés. Je promets de relayer.
Depuis le 4 juillet 2022, Roland Lescure est le ministre délégué chargé de l’industrie. Il est l’interlocuteur tout désigné. Ce n’est plus une candidate qui contacte un cadre LREM pour qu’il lui prête main forte à sa campagne, c’est une députée qui interpelle le Ministre. Depuis notre mésaventure, nous nous connaissons mieux. Je l’ai croisé plusieurs fois au Bureau exécutif de Renaissance ou à l’Assemblée. J’ai retrouvé cette sérénité qu’il avait affichée lors de sa venue à Lille, et en le fréquentant un peu plus, j’ai découvert davantage cet homme d’action et de communication positive, qui témoigne de la considération à tous ses interlocuteurs.
Peu de temps après avoir été saisie par les salariés, je lui laisse un message sur Telegram. Il me rappelle le jour suivant. Il est à l’écoute, réactif. Ce dossier, il ne le connaît pas, mais il relève bien de sa compétence. En réalité, son équipe est déjà dessus. 420 emplois, c’est énorme pour Mouvaux, la Région, mais la France traverse la crise du Covid depuis deux ans et je le sais très sollicité. Je me demande si contacter un Ministre de l’industrie pour une entreprise de cette taille n’est pas excessif. Sa réaction conforte ma démarche. Il suit de près les dossiers des entreprises en difficulté lorsqu’il est saisi. Il comprend immédiatement le caractère sensible du sujet. Je n’ai pas à argumenter longuement, il s’engage à agir. Il ne promet pas dès à présent de sauver Carelide, mais il va s’informer très vite sur sa situation et faire tout son possible pour éviter le pire. Agathe Bonin, sa collaboratrice, revient rapidement vers moi et me propose un entretien avec le Ministre et Olivier Rémy, conseiller aux entreprises en difficulté. En fait, le ministère connaît la situation de l’entreprise qu’il a aidée depuis 2020 : 5 millions d’euros cette année-là et la suivante pour la modernisation de l’outil industriel.
Carelide est un acteur économique précieux d’un secteur vital. On aurait pu le croire prisé. Comme souvent, la réalité des choses est complexe. Cette entreprise est un symbole mais elle est dans le rouge depuis longtemps, à cause notamment d’une mauvaise gestion. Les salariés sont qualifiés, compétents, motivés, ils ne sont en rien responsables, ils sont les premières victimes d’errements stratégiques et financiers. Le fleuron ne séduit personne car les investissements nécessaires n’ont pas suivi, ou parce qu’ils n’étaient pas adaptés. Et la concurrence est rude. Carelide n’est pas si stratégique sur un plan européen. Il existe une entreprise de fabrication qui fait la même chose en Espagne à 40 kilomètres seulement de la frontière et une autre en Allemagne, avec des délais de livraison bien plus courts et qui propose des prix 10 à 15% moins chers que Carelide sur les mêmes produits. Selon un chiffrage que fera le quotidien Le Monde, entre 2016 et 2019, la part de marché de Carelide a chuté de 30 % à 15 %.
Il faut donc la sauver mais aussi l’armer face à cette concurrence, grâce à une offre reposant sur une vision d’avenir. Il faut une vraie relance, pas un pansement. Il ne s’agit pas de simplement retarder l’échéance, il faut un repreneur sérieux, prêt à s’engager sur la durée, et à financer une reprise solide, ambitieuse. Le projet doit être d’autant plus sérieux que de l’argent public est concerné. L’offre doit présenter des garanties, une vision. Il n’est pas question de faire une simple annonce, de l’affichage mais de trouver un modèle pérenne.
Pour m’aider à maîtriser le dossier, j’avais aussi appelé Etienne Vervaecke, qui est le directeur général d’Eurasanté, le cluster d’innovation santé et biomédical, implanté depuis 20 ans à Lille et qui connaît donc tous les sujets de production biomédicale des Hauts-de-France. Il m’a donné beaucoup d’informations pour que je comprenne les enjeux et m’a accompagnée.
Après avoir discuté avec les salariés de Carelide, son dirigeant, son mandataire, le ministère, et des experts comme Etienne Vervaecke, j’ai approfondi et ainsi, je peux m’investir en connaissant un maximum d’éléments : les atouts, les obstacles, les enjeux. Je sais que le potentiel est là. La reprise est possible. Il faut tirer les leçons du passé pour se projeter dans l’avenir. Carelide doit absolument survivre. De son sort dépend aussi celui de tous ses sous-traitants. Début décembre, rassurée par mes contacts continus avec le ministère de l’industrie, «j’assure publiquement que l’État ne laissera pas tomber Carelide». Cette parole m’engage. Je sais que tout est en œuvre pour la sauver. Pour se donner toutes les chances, je propose une table ronde avec l’ensemble des acteurs concernés, les élus de la métropole mais aussi de la Région, l’État, les membres du CSE, les syndicats, les avocats, les administrateurs judiciaires, Eurasanté. C’est la première fois que je siège aux côtés d’élus locaux de ma circonscription comme Eric Durand, maire de Mouvaux, et Philippe Beauchamps, Vice-Président de la Région, qui s’impliquent à mes côtés sur le dossier. C’est un moment qui transcende les divisions partisanes, et çà fait du bien de se mettre à l’action ensemble.
COURSE CONTRE LA MONTRE
Avant les vacances d’hiver, la mobilisation s’amplifie pour trouver un repreneur. La date butoir a été fixée au 5 janvier.
Les salariés décident de se réunir chaque jeudi devant l’entreprise jusqu’au jour fatidique. Les fêtes de fin d’année n’auront pas la même saveur à Mouvaux. Leur vœu collectif pour 2023, c’est de trouver un repreneur d’ici le 5 janvier. Tout le monde tente de garder le moral. Une entreprise, au moins, serait intéressée. Rien d’officiel mais chacun guette la moindre éclaircie. Je viens à nouveau à Carelide le 12 décembre, pour assurer les salariés que l’État sera aux côtés de l’entreprise dans ses négociations avec ses fournisseurs et ses créanciers, et réfléchit à de multiples scénarios de poursuite d’activité.
Pour assurer les salariés de son implication totale, Roland Lescure les invite à un rendez-vous à Bercy le 14 décembre avec les équipes de Bruno Le maire et Roland Lescure. J’y suis conviée.
C’est un moment important dans cette période de forte inquiétude. D’autant que le temps presse. En recevant lui-même les salariés, le Ministre leur témoigne de son attention à leur égard et de son engagement personnel. Les salariés, qui souhaitaient être reçus, peuvent l’interpeller directement. Fidèle à sa personnalité, il fait preuve de considération et leur tient un langage de vérité. Il est transparent sur la difficulté du dossier. Durant tout le processus, ce dialogue humain et sincère avec les salariés a été déterminant dans la relation de confiance entre eux et moi, et entre eux et le Ministère. Ce rendez-vous, qui témoigne de la compréhension des problématiques, ne règle pas tout, loin de là, mais les salariés de Carelide peuvent constater que leur destin est au cœur des préoccupations de Bercy. Entouré de son équipe ministérielle, Roland Lescure les reçoit pour qu’ils n’en doutent pas. La réunion rassérène leurs angoisses. Maintenant, il faut du concret.
J’ai souvent «tanné» les équipes de Roland Lescure sur le dossier y compris pendant les vacances d’hiver. Entre Noël et le Nouvel an, nous échangeons sur la piste d’un repreneur qui ne se manifeste désespérément pas. Je fais régulièrement état aux salariés des infos que j’ai du ministère et de la direction interministérielle à la sauvegarde des entreprises.
Ma relation avec les syndicats est placée sous le signe de l’écoute et du respect. On est en pleine crise de la loi sur les retraites, mais ce sujet national n’interfère pas dans nos échanges. Ils ne s’en cachent pas, ils attendent des résultats. L’entreprise traverse des difficultés mais elle fait, à juste titre, leur fierté. L’État ne peut pas abandonner un si beau bijou. Les salariés perçoivent Carelide comme une entreprise stratégique et unique. Cette perception n’est pas partagée par les investisseurs. Mais Carelide reste une très belle entreprise et c’est un emblème de souveraineté. Avec Guillaume Cadiou, directeur de la délégation interministérielle aux entreprises en difficulté, nous partageons cette absolue nécessité de promouvoir cette souveraineté sanitaire qu’incarne Carelide, surtout dans un moment de crise sanitaire. On s’accorde à penser que l’entreprise est bel et bien stratégique, au nom de ce principe fondamental. Le calcul ne peut pas être purement financier, il y a la valeur du symbole. Et trop d’emplois à la clé. Je relance aussi plusieurs fois Eurasanté pour qu’ils aident à trouver un repreneur. Je ne veux pas être pesante mais pour moi, un échec sur ce sujet n’est pas possible. C’est une possibilité que je ne veux pas envisager.
Début janvier, le doute s’installe lorsque l’on réalise qu’il n’y a pas plusieurs offres qui sont faites, comme nous l’espérions mais une seule, avec un apport bien faible. Cela obligerait l’État à mettre trop d’argent. Ce n’est pas une offre réaliste. Une nouvelle date butoir est fixée au 13 janvier. Un ultime report, il n’y aura pas d’autre sursis. Une négociation repart, pour que le repreneur fasse une proposition nettement plus généreuse. Je ne me mêle évidemment pas des discussions financières, ce n’est pas mon rôle. Mais j’essaye de suivre en temps réel tout ce qui se passe. Une seule offre, le coup est dur mais pas question de lâcher. Il est impossible de ne compter que sur cette seule piste, alors il faut repartir à la «chasse». Plusieurs ministères sont mobilisés, dont celui de la santé. Guillaume Cadiou assure la coordination. Il ne le pilote pas seulement de loin, très vite il a voulu venir sur le terrain.
Je visite plusieurs fois l’entreprise. Pour informer. Et témoigner ma fidélité dans cet engagement. Les salariés vivent la situation comme une profonde injustice. Mais ils constituent un front uni impressionnant. Les syndicats sont extrêmement professionnels. Ils sont systématiquement accompagnés de leurs avocats et d’un expert-comptable qui analysent les rares offres. Ils restent déterminés. Moi aussi. Ils seront vigilants, les paroles ne suffiront pas, mais ils apprécient d’être entendus, épaulés. Un climat de confiance s’installe.
Dans cette vérité du terrain, je suis jugée sur mes actes, pas sur mon image d’élue macroniste. Cette image a souvent compliqué mes relations avec certains syndicats, peu avenants par principe, à cause de mon étiquette. Chez Carelide, ils peuvent évaluer sur pièces. Je suis engagée à leurs côtés, disponible. J’ai l’expérience du dialogue social. Et les angoisses qu’ils traversent, j’y ai maintes fois été confrontée. Lorsque je travaillais à la mairie, le cabinet était souvent contacté par des citoyens, des associations, des entreprises qui demandaient de l’aide, exprimaient parfois une détresse. Une municipalité est un lieu où l’on vient aussi chercher du secours. On s’adresse à elle pour un logement, un emploi, une aide matérielle, un problème de sécurité, un projet entrepreneurial… Face aux difficultés, beaucoup de gens se sentent seuls, incompris, voire ignorés. Ils ont besoin d’être entendus et compris. Ils redoutent d’être renvoyés d’un interlocuteur à l’autre, ou de parler à un mur. Dans ma mission d’organisation transversale, je pilotais certaines actions sociales et j’étais parfois interpellée pour relayer des sujets. J’ai su très tôt, même lorsque je ne pouvais régler directement une situation, qu’être à l’écoute est crucial. Et parfois vital.
Un jour, alors que j’étais directrice de cabinet du maire, une jeune femme, submergée par les problèmes, voulait se jeter par une fenêtre du bâtiment. C’est une situation extrême mais certaines personnes se rendent dans une mairie au bout du rouleau, ne sachant plus quoi faire pour s’en sortir. La mairie est l’un de ces rares lieux ouverts à tous, une maison citoyenne confrontée à tous les maux du quotidien. Cette jeune femme, fragile mentalement, ne savait plus vers qui se tourner, ni comment faire face. Dans ce genre de moment, on est désemparé.
Il faut écouter, manifester un intérêt authentique pour la personne, pour les difficultés exprimées. Cette jeune femme, Angélique, a vécu à mon domicile pendant quelques temps. Touchée par sa personne, son histoire, j’ai proposé de l’accueillir. La situation était exceptionnelle et cette rencontre m’avait remuée. Être confronté à la détresse lorsqu’on est au service des citoyens, ce n’est hélas pas rare. Plus nous faisons des promesses irréalistes, moins notre impuissance nous est ensuite pardonnée. Je refuse donc de vendre des illusions et d’entretenir de faux espoirs. En revanche, je me dois d’écouter, puis de faire tout mon possible, à mon échelle, pour contribuer à résoudre les situations. Le bout de chemin aux côtés d’Angélique m’a beaucoup appris.
La plupart des élus sont à l’écoute. Le problème, et quitte à aller à contre-courant d’idées répandues, c’est qu’ils n’ont pas suffisamment de moyens pour répondre aux sollicitations. Nos boîtes vocales, nos boîtes mails débordent, nos “Telegram” et nos “WhatsApp” s’accumulent, nos agendas sont surchargés. J’ai vu souvent des députés épuisés après des sessions parlementaires à rallonge, prendre leur portable pour répondre en pleine nuit aux courriels des habitants de leur circonscription. Ces images, on les voit rarement à la télé. J’en suis pourtant tous les jours le témoin. J’ai croisé bien peu de collègues qui ne soucient pas de répondre à leurs concitoyens et de chercher des solutions. Avec les moyens du bord.
Je crois, même si ce n’est pas une idée populaire, que les députés devraient être davantage entourés pour pouvoir répondre à tous, en ayant le temps de se pencher davantage sur les sujets et sur les solutions possibles. Contrairement à certains clichés, un député a des moyens limités. Le décalage entre la réalité de son quotidien et une imagerie populaire sur les attributs associés au prestige de la fonction, explique en partie la frustration sur son rôle effectif d’élu. Un député dispose d’une enveloppe qui lui permet de recruter une petite équipe d’assistants parlementaires et d’accueillir des stagiaires, pour l’aider à répondre à des centaines de sollicitations hebdomadaires.
Entre les commissions, les séances parlementaires, les réunions de groupes, les groupes de travail, les missions de représentation, ses permanences locales, ses visites, etc. son emploi du temps explose. Rester à l’écoute devient un véritable défi. J’ai la chance d’avoir des collaboratrices à Paris formidables, Tiphaine, la responsable d’équipe, et Mathilde, qui connaissent parfaitement le fonctionnement de l’Assemblée, sont réactives, dévouées. Un talent complété par la présence d’Eric à mes côtés en circonscription, fort de son expérience de terrain. Le sénior d’une équipe très engagée, qui m’aide à tenir un rythme effréné à Lille comme à Paris. Cet engagement, il est solide, parce ce que chacun est rigoureux, soucieux de servir les citoyens, investi pour l’intérêt général. C’est précieux, je mesure ma chance, mais il faut aussi entretenir et soigner ces talents, dans un rythme de travail hors du commun. J’ai la chance aussi d’avoir une longue expérience organisationnelle, de l’énergie et le sens de la combativité. J’ai aussi le privilège d’avoir un mari passionné par l’actualité et la politique qui me tient au courant d’informations nationales et locales, m’alerte et me conseille chaque jour. Mais j’aimerais pouvoir être encore davantage à l’écoute, suivre plus de dossiers, apporter davantage de réponses, et plus rapidement. Les moyens des élus, et pas uniquement les députés, sont bien en-deçà de ce qu’on peut s’imaginer, surtout au regard du nombre de problèmes sur lesquels on les interpelle. Une démagogie pas nouvelle, mais grandissante, propage l’idée qu’ils sont payés cher pour ne pas faire grand-chose, voire qu’ils mènent grand train. C’est archi-faux. On ne devient pas député pour l’argent, loin de là. Ça ne nous empêche pas d’agir, loin de là aussi, il faut rétablir la vérité sur les moyens des élus.
Il faut aussi être transparent sur ses leviers d’action. Son rôle est primordial car il vote les lois et amendements, il peut en proposer, il a aussi la faculté de censurer un gouvernement ou de mener des auditions. En cela, il peut changer la vie des gens. En matière de décisions concrètes, sur son territoire, sa capacité d’action est bien plus modeste. Il ne dispose pas de leviers pour agir directement sur le quotidien immédiat de ceux qui l’ont envoyé au parlement. Elu de la Nation, il ne peut pas, en vertu de la loi organique de 2014 encadrant le cumul des mandats, exercer de fonction exécutive locale. C’est discutable et discuté. Mon collègue Karl Olive porte d’ailleurs à l’Assemblée une proposition de loi pour revenir au possible cumul des mandats député-maire.
Mais même s’il n’a pas tous les outils, un député n’est pas pour autant voué à être déraciné, coupé du terrain. C’est une affaire de volonté. La plupart des députés passent chaque semaine un jour au moins dans leur circonscription plus le weekend, et ils maintiennent un contact fort avec ceux qu’ils représentent. Ils sont très souvent élus locaux. A défaut de détenir des fonctions exécutives, les députés disposent d’une arme essentielle qu’ils ne doivent pas se priver d’user : leur voix. Lorsque je suis saisie par Carelide fin 2022, je ne me suis pas privée d’utiliser mon strapontin pour battre le rappel. Un député, dans l’idée que je m’en fais, peut jouer un rôle déterminant, notamment en mobilisant les acteurs locaux, en organisant des passerelles entre les interlocuteurs, en réunissant les forces, bref en mettant les mains dans le cambouis. Même si j’aimerais disposer de plus de moyens, pour agir davantage en tant que député, l’affaire Carelide est un exemple éloquent sur le rôle que peut jouer un député.
UNE SI LONGUE ATTENTE
Alors que le gouvernement travaille à sauver l’entreprise, il me faut être patiente. Le course contre la montre d’une procédure de liquidation judiciaire éprouve les nerfs. Les discussions se prolongent et cette attente est insoutenable pour les salariés. Pour eux, le temps est compté et pourtant, il parait bien long. Chaque jour, ils espèrent une bonne nouvelle mais c’est souvent le calme plat car l’action se déroule en coulisses. Pour quantité de raisons, ces négociations doivent demeurer dans l’ombre. Mais il m’est possible de savoir s’il y a des raisons d’espérer. Et il y en a. Vis-vis des salariés, il faut trouver le ton juste. Relayer cet espoir tout en restant prudente. Je suis vite devenue un relais entre les ministères et les salariés.
Une désillusion serait la pire des choses. Il lui faut motiver des repreneurs, négocier avec eux. Gérald Darmanin est lui aussi sur le pont. Le sort d’une entreprise de sa région lui tient évidemment à cœur. Il sait aussi quel emblème elle représente. Bruno Le maire, bien sûr, suit également l’évolution du dossier. Je sais donc qu’une reprise est possible mais je vais guetter souvent les réponses à mes SMS pour savoir si ça avance dans le bon sens.
Ce suspens est douloureux. En janvier 2023, je me rends au tribunal de commerce avec des salariés. Un repreneur devrait se manifester. Rien. Pas un seul dossier n’y a été déposé. On me rappelle que le repreneur peut faire une démarche directement auprès du mandataire. Ce dernier est contacté. Rien de ce côté-là non plus. Il ne faut pas montrer de signes de découragements aux salariés qui vivent dans l’angoisse mais cette attente dans le hall désert d’un tribunal où il ne se passe finalement rien, est frustrante. Je vois que les salariés accusent le coup. Roland Lescure me rassure, il faut garder espoir. Le gouvernement remuera ciel et terre jusqu’à la dernière minute. Et il y a bel et bien une piste sérieuse. Ce n’est plus qu’une affaire de temps. Le repreneur, dont il faut encore taire le nom, est trouvé. C’est quasiment fait.
Le suspens va durer jusqu’au bout, ce 13 janvier 2023, date limite de dépôt des offres, jour couperet où faute d’une offre concrète, le tribunal sera tenu de procéder à la liquidation. La date ayant déjà été repoussée, le tribunal a été clair, si rien ne se concrétise le 13, c’est fini. Je me rends bien sûr sur le site de Carelide lors de cette journée décisive. Je pense pouvoir annoncer une bonne nouvelle en fin de matinée mais je n’ai pas le feu vert. C’est en bonne voie mais ce n’est pas encore bouclé. Les échanges de SMS se multiplient. Le gouvernement est tout proche d’un accord avec le potentiel repreneur, pourtant la prudence reste de mise. Ce suspens est autrement plus stressant qu’une soirée électorale. Il en va de 425 emplois. Les messages sont optimistes mais je ne pourrais vraiment me détendre que lorsque j’aurais la confirmation officielle. Je ne pourrais rassurer totalement les salariés de leur angoisse qu’à ce moment-là. Quand on est engagée depuis des mois dans une bataille, on ne peut pas, après des désillusions, écarter le pire. Et si tout capotait au dernier moment ? Je sens que pour les salariés, c’est désormais un supplice chinois. Nous sommes le 13, les heures passent, c’est un peu le jour le plus long. Faute de reprise, ce 13 janvier sera sans lendemain pour l’entreprise. Je brûle de leur annoncer cette bonne nouvelle qui les libérera enfin. Des journalistes viennent sur place. Où en est-on ? Tout proche du but… Si tout va bien. Les messages du ministère sont à chaque fois plus rassurants. En début d’après-midi, la nouvelle tombe, enfin. C’est fait. Le deal peut être annoncé. L’entreprise vivra.
Je quitte le restaurant de Mouvaux où je fais une déjeuner, direction Carelide. Je retrouve les salariés dans la salle de CE où je les avais rencontrés dès la première fois. L’ambiance y était lourde alors. Cette fois, elle est solennelle mais on respire, le pire a été évité de justesse. C’est le moment le plus fort depuis mon élection. Pouvoir annoncer aux représentants des salariés que leur entreprise est sauvée, après une si longue attente pour eux, est forcément émouvant. Je suis accompagnée d’un expert du ministère. L’entreprise a trouvé un repreneur mais les salariés attendent légitimement des détails sur l’offre, qui comporte un point noir : le nombre de postes sauvés, élevé, mais avec tout de même quelques postes supprimés.
Deux laboratoires pharmaceutiques français réputés, Delpharm, basé à Boulogne-Billancourt et le lyonnais Aguettant, se disent intéressés pour reprendre 350 salariés et proposent d’investir jusqu’à 30 millions d’euros sur quatre ans. L’État apportera lui 20 millions d’euros de prêt.
Cette indéniable bonne nouvelle est assombrie par la perspective des postes perdus. Mais c’est un soulagement, les repreneurs sont jugés sérieux et surtout, l’entreprise ne sera pas liquidée.
Nous nous quittons ce jour-là sur cette info essentielle. Les délégués syndicaux doivent étudier l’offre en détail, se concerter. Ils me remercient et nous nous promettons de nous tenir au courant. Une offre finalisée devra être examinée par le tribunal de commerce, qui seul pourra la valider ou pas. Carelide est une fierté industrielle, avec un savoir-faire et des compétences essentielles pour la santé des Français. Je suis forcément heureuse. Il faut toutefois s’atteler à l’épineux problème des emplois, anticiper ces possibles licenciements. Tout en continuant à se battre pour en limiter le nombre.
LE SENS DE L’ACTION
Le 18 janvier, Je prends la parole à l’Assemblée aux Questions au Gouvernement. Ma question s’adresse logiquement à Roland Lescure. Dans cette intervention, je parle avec mon cœur : «Jusqu’à ce vendredi midi, jusqu’au dernier moment, nous attendions une offre ! Et aujourd’hui, nous pouvons nous réjouir de cette offre de reprise : elle est extrêmement sérieuse (…). Aujourd’hui, grâce à vous, nous reprenons espoir. C’est une très belle étape ! Je tiens à cet effet, à vous remercier Monsieur le ministre, ainsi que l’ensemble de vos équipes mobilisées depuis plusieurs mois pour sauvegarder le savoir-faire français qui contribue chaque jour à notre souveraineté sanitaire. Un véritable travail de fond, loin des gesticulations et des coups de communication. Monsieur le ministre ; je sais pouvoir compter sur votre engagement et sur celui du Ministre de la santé sur ce dossier. Aussi, quelles sont les prochaines étapes qui permettront de sauver définitivement Carelide et ses employés ?».
Je félicite évidemment celui qui, et je suis bien placée pour le savoir, a œuvré sans relâche pour sauver l’entreprise et qui, je l’espère, réussira à sauver le maximum d’emplois. Tout se jouera avec la proposition finalisée soumise au Tribunal de Commerce dans les jours à venir.
Roland Lescure me répond à l’Assemblée en me remerciant à son tour. Il me dit : «bravo, vous n’avez rien lâché, vous êtes restée aux côtés des salariés de Carelide. Vous êtes restée aussi à nos côtés pour nous accompagner, avec mes services, pour les efforts qu’ils ont fait jour et nuit pour trouver un repreneur». Il ajoute, et c’est crucial, que lui et ses services vont «travailler avec le repreneur jusqu’à ce que cette offre soit définitive». Les quelques quolibets de LFI témoignent de cette gesticulation que j’évoquais. Ils sont incapables de se réjouir, car aucune action du gouvernement ne saurait trouver grâce à leurs yeux. Ils ne sont pas moins préoccupés que moi par les postes toujours en péril, et ils n’ont pas consacré le quart du temps que j’ai passé sur le dossier. Et le temps que je vais encore lui consacrer. Je décide d’ignorer ce cynisme. Je suis touchée, forcément, par les mots de Roland Lescure. Je suis fière de mon engagement, fière, en tant que députée. Mon rôle prend tout son sens. Il m’a permis de contribuer à un résultat concret, pour ma région, ma circonscription, dans l’intérêt général. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois. Mais ce dossier, que je suis de si près depuis plus de trois mois, me tient particulièrement à cœur. Je ne suis pas devenue députée pour déblatérer dans l’hémicycle des gros mots, des slogans, ou des petites phrases assassines, mais pour agir. C’est ce que j’ai fait. Reste cette inquiétude sur les emplois. Elle subsistera au cœur des échanges avec le gouvernement et les acteurs locaux.
Les discussions ont continué et finalement la quasi-totalité des emplois ont été sauvés : 399 sur 420. De plus, les fonds annoncés permettront d’assurer une croissance en passant d’une production de 40 millions de poches de perfusion par an à 70 millions.
Le 17 février, le tribunal valide cette offre de reprise. Ce sont les syndicats qui me l’apprennent en m’appelant sur mon portable pour m’annoncer la nouvelle. Ce geste me touche.
Cette fois, c’est le vrai soulagement. Avec les départs anticipés, il n’y a pas de casse sociale. Les salariés soufflent aussi et peuvent exprimer leur joie. Je suis émue. Ce n’est évidemment pas moi qui ai trouvé le repreneur ou les 20 millions nécessaires, mais j’ai contribué. Je n’ai rien lâché.
Avant cette annonce espérée, j’avais accepté de monter, à la demande des représentants du personnel, une réunion avec les agences Pôle Emploi et des acteurs publics locaux pour anticiper une réponse à la situation d’une centaine de salariés qui risquaient de perdre leur job. Je m’étais alors engagée à les accompagner dans leur reconversion, leurs recherches de formations. J’étais prête à centraliser à nouveau les actions nécessaires. Depuis le début, je me suis engagée à ne pas déserter après une annonce funeste. Je serais là, même en cas d’échec. C’était une position impérative à mes yeux pour marquer la force de mon implication, le sens de mon action. Je serai là, y compris une fois que les caméras seraient parties, pour trouver des solutions. Il fallait donc anticiper le pire. Je suis heureuse que ces précautions n’aient pas été utiles.
Par rapport à beaucoup d’interlocuteurs, et particulièrement les salariés, j’ai été celle qui a été la moins inquiète parce que j’étais en contact avec tous les interlocuteurs, toutes les parties prenantes et j’avais donc des indices positifs régulièrement. Je ne pouvais pas partager toutes les informations parce que ce genre de reprise exige une part de confidentialité. Et de la prudence. Même si j’étais optimiste, il y a eu des heures sombres, des moments de désillusion et on ne peut jamais écarter un scénario catastrophe. Malgré mon optimiste, j’ai donc vécu chaque échéance importante dans le stress. En imaginant dans quel degré d’angoisse les salariés, premiers concernés, pouvaient bien les traverser. La décision du tribunal n’était pas surprenante mais elle a été une immense libération. La survie était actée. Noir sur blanc.
Après la décision du tribunal, j’ai appelé très vite l’équipe de Roland Lescure, avec qui j’étais restée en contact permanent toutes ces semaines. Lorsque je m’entretiens avec Roland Lescure, je lui dis «il faut absolument que tu viennes visiter l’entreprise». Je le sais humble mais sa présence me paraît essentielle. Il a travaillé d’arrache-pied, avec les autres ministères, pour obtenir ce résultat. Les salariés avaient été reçus à Bercy dans un moment difficile. Cette fois, c’était l’occasion de partager avec le Ministre ce moment de soulagement, d’espoir retrouvé, dans l’entreprise. L’occasion pour les salariés de l’accueillir chez «eux», sur le site même dont ils étaient menacés d’être «expropriés» il y a encore peu. Je demande donc à Roland Lescure de me retrouver à nouveau dans le Nord, trois ans après sa visite catastrophique à Lille. Il organise promptement sa venue dans les jours qui suivent. Accompagnée de Gérald Darmanin, toute son équipe est venue aussi. Car tout cela a été un travail d’équipe. Le président du Tribunal de Commerce et le Préfet, qui avaient suivi de près le dossier, sont là également. Cette visite chaleureuse symbolise une expérience qui nourrit à la fois la confiance dans le rôle du politique, et dans la collaboration entre les députés et les membres du gouvernement. Ce fût, en ce sens, une belle histoire. Un exemple de ce qui fait la noblesse de notre fonction. Après l’union, la communion.
Quelques fois, sur les bancs de l’Assemblée, dans les moments de tumulte, on peut s’interroger sur son rôle, le sens de cette représentation des citoyens à qui l’on renvoie l’image de chiffonniers qui se déchirent incessamment sur des sujets partisans. Ce rôle, on le définit soi-même. C’est un privilège qui nous est fait de pouvoir agir au nom de la collectivité. A chacun ses armes. L’épisode de Carelide illustre bien ma conception de la politique. Si je partage avec une certaine fierté cette expérience, c’est parce qu’elle est emblématique de mon rôle de députée et de ma vision de la politique. Elle a conforté les raisons pour lesquelles je me suis engagée, la portée de ma fonction.
Aujourd’hui, je peux raconter un peu plus en détail quelle a été mon action, car j’ai, en tant que députée, des comptes à rendre. Des valeurs à défendre. Et parce que cette histoire est aussi un exemple de résilience. Celle de l’entreprise d’abord, c’est-à-dire de ses salariés, qui n’ont jamais cessé de se mobiliser, de défendre leur bien commun. Une résilience politique, ensuite. Alors que trois ans plus tôt, il était tentant de jeter le gant, pour que cessent les menaces, les rumeurs, les injures, bref pour retrouver ma tranquillité, j’ai tenu bon. L’une de mes devises est qu’il ne faut rien lâcher. De ses valeurs, de ses convictions, dans ses combats.
La première visite de Roland Lescure à Lille, aurait pu nous dégoûter à vie du combat politique. Ces «retrouvailles» symbolisaient l’honneur du combat politique, au sens noble.
En voyant Roland Lescure discuter avec les salariés de Carelide, lors de cet événement heureux, je n’ai pas pu m’empêcher, bien sûr, de nous revoir prostrés au fond de ma permanence en janvier 2020. Sur le coup, mon goût de l’engagement avait un peu vacillé. C’était donc cela la politique… Quel était le sens de ce combat ? A quoi bon sacrifier sa vie familiale, ses loisirs, son travail, s’il s’agissait finalement de cela ? De chaos et de néant.
Je n’ai pas douté longtemps. Je savais exactement pourquoi j’avais fait ce choix. Le sens que je voulais donner à cet engagement.
Trois ans après l’attaque de la permanence de Lille, nos valeurs avaient passé l’épreuve du feu, la vraie. De la théorie à la pratique, nous nous étions à nouveau retrouvés unis dans l’adversité. Pour la défense d’une cause vitale. Ce combat victorieux pour Carelide, justifie à lui-seul l’intérêt de s’engager. Nous avions continué de croire dans la politique. Cette visite aux salariés, tellement soulagés, ne laissaient plus de doute. Le jeu en valait la chandelle.
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