Le fait est passé presque inaperçu. En laissant vide le fauteuil de Pierre de Saintignon, Martine Aubry a peut-être commis son premier faux pas de la campagne lilloise. Officiellement, il s’agit de rendre hommage à celui qui a joué les Galaad à ses côtés pendant trois décennies et éviter de lever le voile sur une succession attendue qui ravive les rivalités et les querelles d’egos. Mais certains se demandent si Martine Aubry ne s’est pas tiré une balle dans le pied.
» Un premier adjoint est très important dans une campagne. A fortiori à Lille, qui plus est en 2020…« , analyse cet(te) élu(e) qui insiste sur le paysage inhabituellement éclaté de la capitale des Flandres. La disparition de Pierre de Saintignon a créé un vide qui se sera pas comblé et qui aurait dû l’être. Le préfet lui-même a dû tordre la loi pour autoriser l’opération tant le cas est rare. Le tandem maire sortant/premier adjoint est rassurant tant pour les électeurs que pour les alliés. » Personne ne peut remplacer Pierre « dit celle qui a succédé à Pierre Mauroy sur un ticket opportun et n’a pas encore officialisé sa candidature. Moralement, c’est vrai, politiquement c’est risqué. L’idée n’est pas fausse mais l’absence de premier adjoint à 10 mois du renouvellement est une faute.
Stop Martine !
L’offensive de Patrick Kanner déstabilise la majorité de gauche. Des dissonances de plus en plus fortes résonnent sous le beffroi. Laurent Guyot et d’autres élus blanchis sous le harnais socialiste, sont montés au créneau depuis cette semaine. Le premier est un kannérien canal historique, quoi de plus normal. Tout comme le binôme de Patrick Kanner,Marie-Christine Staniec-Wavrant, adjointe aux personnes âgées. Les autres ne cachent plus leurs états d’âme et manifestent leur perplexité quant à la situation électorale lilloise. Le message est clair : Stop Martine !
Le patron du groupe socialiste au sénat a déroulé récemment quelques propositions-phares et montré la force de son réseau de soutiens – les vieux grognards de la génération Mauroy, Alain Cacheux et Bernard Derosier – et de personnalités qui cogitent autour de lui (voir notre article). Et l’idée d’une primaire à l’échelle fédérale nordiste fait son chemin. Même si c’est le niveau national qui décide en dernier ressort, l’avis des militants nordistes pèserait de tout son poids. Le sénateur Kanner, lui-même ancien chef des socialistes lillois, a déjà tendu la main à trois reprises pour une « paix des braves » entre lui et l’ancienne ministre de Jospin. Il sait que le compte à rebours de la campagne est commencé. « Aucune réponse, la sourde oreille..« , déplore celui qui a fait ses classes auprès de Mauroy le conciliateur et qui aurait bien voulu mettre les choses à plat avec sa successeure. Alors, il passe à l’offensive.
Une droite en lambeaux
Ancien challenger de Martine Aubry, le président du département du Nord, Jean-René Lecerf ne briguera plus le statut de contradicteur. Ses marques répétées de sympathie envers celle qu’il a combattue l’empêchent désormais de jouer un rôle de rassembleur. Car le groupe d’opposition est divisé en deux clans, les offensifs avec un François Kinget et une Isabelle Mahieu, cartés LR, et le divers droite Thierry Pauchet, qui ont violemment critiqué la parade et le dispositif Lille 3000, et les modérés auquel appartiennent Jean-René Lecerf et David Hugoo, son bras droit au département, qui a travaillé avec la sénatrice Valérie Létard à Valenciennes Métropole.
Il balaie d’un revers de main et sur un mode ironique la rumeur qui lui ferait abandonner en rase campagne une Valérie Petit, la députée LAREM de la neuvième circonscription (Tourcoing-Marcq-en-Baroeul-Lille) qui a sa préférence pour relever le défi lillois : « . Pas du tout.(…). J’ai découvert (NDLR : dans VDN) ma candidature aux côtés de Martine pour 2026…Pourquoi pas la sienne à mes côtés en 2032. On n’aura guère que 80 ans. « .
L’entrée en lice d’un Marc-Philippe Daubresse, sénateur Les Républicains, bouscule la donne à droite et favorise l’éparpillement des troupes. L’ancien ministre pense pouvoir incarner la figure du rassemblement et prend déjà langue avec certains candidats déclarés. En forçant l’investiture au siège de LR à Paris et en piétinant ses coreligionnaires lillois avec un curieux sondage ostensiblement favorable, l’ancien maire de Lambersart a énervé son propre camp. Un camp écartelé entre la galvanisation et l’éclatement. Et qui suscite la convoitise des clans.
Violette accélère, Valérie prend la tangente
Dans le duel qui l’oppose à Valérie Petit pour la précieuse investiture En Marche, l’ancienne directrice de cabinet de Martine Aubry a une longueur d’avance. Les médias nationaux s’intéressent à celle qui connait les méandres et les petits secrets de son ancienne patronne. Le réseau des soutiens et des compagnons de route grossit de mois en mois et enrôle au-delà des classiques cercles politiques (parmi ceux-ci, citons le conseiller municipal d’opposition Bernard Charles, ancien socialiste rallié à en Marche). Les deux adversaires labourent le champ des réunions et écument les marchés. Le dernier verrou s’appelle Gérald Darmanin. Le ministre de l’action des des comptes publics, officiellement toujours partisan de Valérie Petit, est craint sur le théâtre de la métropole. Le Yalta passé avec Martine Aubry en septembre dernier a certes impressionné les collègues et maires de la métropole européenne de Lille qui ont compris la manoeuvre de coalition.
Une MEL que le Rastignac a fixé sur son agenda avec l’aval de son précepteur Xavier Bertrand, arc-bouté sur sa ligne de crête de 2022 et qui ne voit aucun inconvénient à une Martine Aubry maire de Lille si accueillante pour son grand institut de la photographie. La désignation de Violette Spillebout, qui multiplie les opérations sur le terrain, annihilerait leurs projections et les contraindraient à composer avec un nouveau rapport de forces. Voilà pourquoi, à droite, il faut sauver le soldat Aubry et donner des gages.
Le dossier divise les grands élus locaux de LaREM, certains pro-Spillebout, surtout sur le périmètre métropolitain et lillois, d’autres pro-Petit. Cette dernière s’active avec une vingtaine de ses collègues députés et candidats aux municipales qui trouvent le parti un peu mou du genou. Objectif : faire pression sur les instances parisiennes du parti pour obtenir la désignation. » Si elle fait çà, c’est qu’elle sait qu’elle n’aura pas l’investiture« , commente-t-on à LAREM dont le comité Nord a dû rappeler à l’ordre la députée qui avait un peu trop sollicité la réalité en se parant des atours du parti. Bref, le terrain de Violette contre le lobbying de Valérie. On devrait en savoir plus juste après les élections européennes. » Ou encore après… », répond, énigmatique, Gérald Darmanin quand on l’interroge sur le sujet. A Lille, l’été risque d’être chaud à La République en Marche.
Les EE-LV retrouvent de la sève
Avec Saint-Sauveur les écologistes gagnent leur printemps. Le grand projet d’aménagement d’une friche ferroviaire assorti d’une piscine géante prend les allures d’une ZAD de papier qui pourrait bien se durcir en un vrai Notre-Dame-des-Landes des bords de la Deûle. De quoi capitaliser et rêver d’un score à deux chiffres. Les écolos savent par expérience que Martine Aubry ne connait que le rapport de forces. » Avec Kanner ce sera plus facile qu’avec Aubry« , explique ce membre du groupe EE-LV, convaincu que le temps des alliances se prépare très en amont du premier tour. « S’il veut armer la police municipale », ce sera moins évident« , reprend un autre écologiste qui trouve que la remise en eau de l’avenue du Peuple-Belge dans le Vieux-Lille est un gadget pour attirer les suffrages verts, justement. Mais le groupe EE-LV est probablement le plus cohérent à l’heure actuelle. Et le plus soudé.
Le noyau dur de Martine Aubry à l’épreuve des pépins
Le dernier carré des Mohicans : Charlotte Brun, Estelle Rodes, Marion Gautier, Roger Vicot, Alexandra Lechner, Stanislas Dendievel,…Ils forment le dernier bastion des grognards de l’ancienne ministre de l’emploi et certains ne seront pas du voyage de 2020 (Dominique Picault souhaiterait ne pas reprendre du service). La plupart sont persuadés que Madame Aubry les entraînera une fois de plus dans son sillage et décrochera la timbale municipale. Il s’activent autour d’elle pour la convaincre de tenter la passe de quatre. C’est précisément ce qui effraie la successeure de Pierre Mauroy, ce signe indien du mandat de trop. Cette malédiction à la Michel Delebarre, qui s’est pris de plein fouet la claque de 2014 dans la cité de Jean-Bart. Ou Michel-François Delannoy, à Tourcoing, qui fut longtemps un de ses lieutenants à la communauté urbaine de Lille – désormais rallié à La République en Marche-, ou encore Pierre Dubois, victime de l’implosion de la gauche à Roubaix.
Comme si Lille était la conclusion locale de l’effondrement de la gauche, le sinistre aboutissement d’un lent effritement dans l’opinion. Et le score menaçant des européennes sonnera comme le glas du parti qui a porté un Mitterrand à l’Elysée et un Mauroy à Lille et à Matignon. Fatal présage.
L’affaire du premier adjoint en a déçu plus d’un. En privé, Walid Hanna, élu de Lille-sud, résigné au poste de deuxième adjoint ne cache pas sa déception. Et il ne serait pas le seuL. Conversations secrètes et rendez-vous discrets remplissent les agendas sous les hautes voûtes de la mairie.
« Roger Vicot est un des hommes-clés de son entourage« , analyse notre observateur. Le maire de Lomme et élu départemental, des positions de choix, s’est désolidarisé de Patrick Kanner en quittant le groupe socialiste au département du Nord (voir DailyNord). Un geste de défiance à ce dernier et un signe d’allégeance à Martine Aubry. Surtout, il pourrait user de son influence locale dans le cadre d’une primaire entre le sénateur et l’ancienne ministre. Sa récente rétrogradation sur la liste des européennes Place Publique/PS ne plaide pas en sa faveur dans les hautes sphères parisiennes. Des noms et des ambitions qui savent la maire de Lille* à la recherche du calendrier idéal. Ils sont quelques-uns à imaginer une démission à mi-mandat comme la solution pour garder la ville à gauche. Une fois réélue en 2020 ! De quoi faire saliver les intéressé(e)s.
Le mystère Linkenheld.
» Si Audrey avait conservé son fauteuil de députée, elle serait devenue la dauphine..« , dit un membre de la majorité. Oui mais…Battue dans un mouchoir, au grand dam de beaucoup d’élus pas seulement de gauche, Audrey Linkenheld , qui avait clairement pris ses distances avec un dauphinat supposé, contre l’avis de la « patronne », fait carrière dans le privé chez Vilogia, le troisième bailleur social privé en France. Tout en restant adjointe à Lille et conseillère métropolitaine…Et c’est elle qui a repris la présidence de la commission économie de la métropole européenne de Lille longtemps occupée par un certain Pierre de Saintignon. Un geste d’apaisement de Damien Castelain, le patron de la MEL à l’égard de Martine Aubry avec laquelle la lune de miel de 2014, quand le maire de Péronne-en-Mélantois avait été porté au sommet de l’institution avec la bénédiction de son homologue lilloise, est belle et bien éteinte sur fond de divergences immobilières (la ville de Lille dénonce en justice le projet Métropolitain Square sur le site de la MEL). Mais aussi un signe pour l’ancienne numéro 3 de l’Hôtel de ville, qui n’a peut-être pas renoncé aux affaires publiques. Reste à retrouver l’envie.
* Une drôle de rumeur a couru il y a quelques semaines. Henri Segard, ancien maire divers droite de Comines, et contradicteur de Pierre Mauroy à la CUDL, ferait un retour remarqué à Lille aux côtés de Martine Aubry…On ne prête qu’aux riches. Un signe évident d’une situation délétère.