comment Martine Aubry et son ex-collaboratrice Violette Spillebout sont devenues rivales à Lille
La puissante maire socialiste brigue un quatrième mandat aux municipales de mars prochain. Mais elle rencontrera sur son chemin son ancienne directrice de cabinet, qui a travaillé plus de dix ans sous ses ordres : Violette Spillebout, désormais candidate pour LREM.
Au téléphone, cet élu lillois affiche sa perplexité. « Leur divorce, ça reste un mystère », glisse-t-il en guise de préambule. Et d’ajouter, visiblement ennuyé : « Ça se passait pourtant très très bien, elle était à sa place. » Elle, c’est Violette Spillebout, candidate LREM à la mairie de Lille et donc adversaire, prête à relever le défi, de la toute-puissante et très installée maire de Lille, Martine Aubry. L’ancienne ministre socialiste a annoncé, jeudi 28 novembre, dans un entretien à La Voix du Nord qu’elle briguerait un quatrième mandat aux prochaines municipales des 15 et 22 mars 2020. Martine Aubry, l’une des dernières grandes voix socialistes, trouvera donc sur sa route sa rivale macroniste, inconnue du grand public, mais bien connue… d’elle-même.
Car Violette Spillebout n’est autre que l’ancienne directrice de cabinet de la dame des 35 heures. Elle a même travaillé treize ans sous les ordres de l’édile lilloise, en gravissant les échelons au sein du cabinet. De l’avis de tous les protagonistes de cette pièce tragi-comique, elles ont toujours entretenu de bonnes relations. Violette Spillebout le confirme elle-même : « Nous avions, dès le départ, une relation extrêmement proche et fréquente, c’était tous les jours, de 7 heures du matin à 23 heures ». D’après Gilles Pargneaux, ancien élu socialiste de la métropole lilloise, désormais passé à LREM et membre de l’équipe Spillebout, Martine Aubry avait même songé à faire de cette proche celle qui lui succèderait. Alors, que s’est-il passé pour que les deux femmes, autrefois alliées, soient aujourd’hui rivales ?
« Elle essayait de survivre »
Leur histoire débute sous l’ère de Pierre Mauroy, en 1997. Tout les oppose. Première adjointe du maire de Lille, Martine Aubry, alors âgée de 47 ans, est aussi l’un des poids lourds du PS, qu’elle dirigera dix ans plus tard. A cette période, elle entre surtout au gouvernement Jospin pour en devenir l’un des piliers, au poste de ministre de l’Emploi et de la Solidarité. A 24 ans, Violette Spillebout est, elle, toute novice en politique. Chargée de mission, elle tape pourtant dans l’œil de Martine Aubry qui, lorsqu’elle succède à Pierre Mauroy en 2001, lui propose d’être sa cheffe de cabinet.
C’était un entretien très sérieux et sympathique, elle m’a tutoyée tout de suite. C’était impressionnant d’être reçue comme ça, en tant que chargée de mission.
Violette Spillebout à franceinfo
Violette Spillebout côtoie dès cette époque les réseaux du PS, dont elle est adhérente. Certains socialistes choisiront des années plus tard de suivre sa route, à l’instar de Frédéric Marchand, sénateur du Nord passé chez LREM. « Elle m’a laissé le souvenir de quelqu’un de très investi, avec qui il était agréable de travailler et qui avait une bonne connaissance des réseaux lillois », se remémore-t-il.
D’autres portent un regard bien plus sévère sur les jeunes années de Violette Spillebout. « Je n’ai pas gardé un souvenir impérissable de cette femme, elle ne brillait pas par son intelligence et n’était pas très loyale », juge un ancien collaborateur de Martine Aubry. Ce dernier reconnaît néanmoins qu’au regard du caractère peu commode de la maire, Violette Spillebout « essayait de survivre » et « gérait comme elle pouvait ».
Martine Aubry, quand elle vous tient, vous souffrez. Elle est dure, stressante, méchante, il n’y a personne qui ne trouve grâce à ses yeux.
Un ancien collaborateur à franceinfo
« J’avais un rôle d’adoucisseur de ses relations avec les collaborateurs et les acteurs de la société civile, j’arrondissais beaucoup les angles », assure de son côté Violette Spillebout, qui revendique avoir parfois « résisté » à Martine Aubry. « Je lui ai exprimé des avis différents, il y a eu parfois quelques frictions mais c’étaient des frictions saines », explique-t-elle.
Respect, égalité, cabinet
En tant que cheffe de cabinet, Violette Spillebout est en charge du protocole, de l’agenda de Martine Aubry et de l’organisation des manifestations publiques. Un poste qui ne laisse pas transparaître ses ambitions politiques. Pour les anti-Spillebout, la maire de Lille ne décèle même rien des futures prétentions de sa collaboratrice. « Aubry ne pouvait pas s’inquiéter d’elle à ce moment-là, elle ne la voyait pas venir », confie sous le sceau de l’anonymat un ex-collaborateur de la maire de Lille.
Chez Aubry, il y a d’un côté les cerveaux et, de l’autre, les petites mains. Elle trouvait que Spillebout était très bien à sa place pour lui porter ses dossiers ou placer les couverts lors d’une réception. Un ancien collaborateur à franceinfo
Une description battue en brèche par les pro-Spillebout. « Elles entretenaient des rapports faits de respect et d’égalité, assure Gilles Pargneaux. Martine Aubry n’a jamais eu de rapport de domination avec Violette Spillebout. Elle s’est affirmée tout de suite et Martine Aubry prenait des gants avec elle ».
De fait, Violette Spillebout prend du galon et est nommée en 2006 directrice adjointe de cabinet, où elle travaille pendant deux ans au lancement du projet « Lille, ville de la solidarité », à destination des personnes et familles isolées. En 2008, nouvelle promotion : la trentenaire devient la nouvelle directrice de cabinet de Martine Aubry. Tout semble aller pour le mieux. « Elle suivait bien les dossiers et avait un contact plutôt cordial avec les différents adjoints, rapporte une ancienne élue. J’avais l’impression que leurs relations étaient excellentes avec Aubry ». « C’était la voix de son maître, abonde, plus sévère, un ancien élu. Pour faire cela très longtemps, il faut une très grande complicité et Spillebout était la chef d’orchestre d’Aubry ».
Problèmes de fond et de subventions
Mais après plus de dix années passées dans l’ombre de Martine Aubry, Violette Spillebout a des envies d’ailleurs. Grâce à la maire de Lille et ses relations avec Guillaume Pepy, elle décroche un poste à la SNCF, le 1er septembre 2013, en tant que directrice de « la relation client et des situations sensibles ». Pourtant, pas question de rompre, à ce moment, avec l’édile lilloise. Au contraire, Violette Spillebout doit même figurer sur la liste de Martine Aubry pour les municipales de 2014. Après le cabinet, un poste d’adjoint lui tend donc les bras. Mais, tout s’écroule quelques mois plus tard. Le 6 janvier 2014 précisément. Violette Spillebout s’en souvient encore parfaitement. « Je lui ai dit que je ne serais pas sur la liste, ça a été un entretien franc et cordial », raconte-t-elle, avant de lâcher ce seul commentaire sur la réaction de Martine Aubry : « Elle a exprimé sa déception ».
Pour justifier son choix, Violette Spillebout avance des raisons politiques.
J’étais devenue son bras droit opérationnel mais à un moment, il y a eu des problèmes d’alignement de fond.
Violette Spillebout à franceinfo
La candidate macroniste fustige « les positions dogmatiques » de Martine Aubry, « ses relations tendues avec les commerçants » ou le sujet des « rythmes éducatifs ». « La ville a imposé le samedi matin alors que j’y étais foncièrement opposée ».
Mais il y a aussi des raisons beaucoup plus personnelles à ce divorce. Olivier Spillebout, le mari de Violette Spillebout, est un farouche opposant de la maire de Lille. Directeur de la Maison de la photographie de Lille, il reproche à la municipalité de lui avoir sucré ses subventions. « Le seul problème dans cette histoire, c’était l’affaire Olivier Spillebout, raconte ainsi une ancienne élue. La tension est montée d’année en année entre lui et la mairie, il a mené une campagne très méchante dans la presse, et c’est à ce moment-là qu’elle a dû se retirer d’elle-même.« Interrogée sur le sujet, Violette Spillebout reconnaît que la position de son conjoint a « joué un rôle parmi d’autres » dans son choix de partir. « Il a mené un combat culturel qui m’a beaucoup éclairée sur les relations de la ville avec les associations », explique-t-elle.
« Regardez ce qu’est devenu le PS ! »
Violette Spillebout semble donc avoir tiré un trait sur la politique et s’épanouit à la SNCF. Mais, en 2017, l’arrivée d’Emmanuel Macron change tout. « La proposition de Macron m’a enthousiasmée », soutient Violette Spillebout, qui n’a pourtant adhéré à LREM qu’en mars 2018. Sa candidature à la mairie de Lille n’était cependant pas prévue. Le parti présidentiel pensait avoir trouvé la perle rare en la personne de Christophe Itier, figure du monde associatif du Nord. Ce macroniste de la première heure renonce finalement à se présenter pour préférer sa mission de haut-commissaire à l’Economie sociale et solidaire. Le 27 juillet, Violette Spillebout est officiellement investie par LREM au détriment de la favorite, la députée Valérie Petit, qui avait pourtant les faveurs du ministre et homme fort de la métropole lilloise, Gérald Darmanin.
Du côté de la mairie de Lille, cette investiture provoque un silence embarrassé. « On ne choisit pas nos adversaires », réagit à l’époque l’entourage de Martine Aubry. « Ce sont deux personnages très différents », assure aujourd’hui le maire PS de Lomme (Nord) et proche d’Aubry, Roger Vicot. Vous avez d’un côté quelqu’un qui n’a pas de preuves de son sérieux à donner, qui fait un travail en profondeur depuis très longtemps et, de l’autre, quelqu’un qui se découvre des désaccords politiques qu’elle n’avait jamais exprimés auparavant », cingle-t-il.
Il y a une forme d’opportunisme qui n’est pas très brillant, c’est quand même une trahison. A Lille, personne n’aurait rien été sans Martine Aubry. Une ancienne élue lilloise à franceinfo
Que nenni, répliquent les proches de Violette Spillebout. « Elle ne doit rien à Aubry. Violette Spillebout a autant profité de Martine Aubry que Martine Aubry a profité de Violette Spillebout », contre-attaque Gilles Pargneaux. La principale intéressée renvoie, elle, à l’état de mort clinique du PS. « On parle de traître lorsqu’on parle de moi, mais regardez ce qu’est devenu le PS ! » s’exclame-t-elle, évoquant la mise en place d' »un système » qui créé « des chapes de plomb dans les villes » et « des appareils qui ont écrasé les initiatives citoyennes ». Mais comment compte-t-elle faire campagne contre Martine Aubry, dont elle a porté pendant si longtemps la politique ? « J’assume le rôle que j’ai joué, Martine Aubry a mené un certain nombre d’actions mais le dernier mandat n’a rien changé, les méthodes et les équipes sont restées les mêmes », réplique la quinquagénaire.
Une campagne de boules puantes ?
Tout cela laisse présager une campagne compliquée entre ces deux camps qui se connaissent si bien. C’est pourtant un ex-LR qui a dégainé le premier. Le président du département du Nord, Jean-René Lecerf, a ainsi critiqué, début octobre, les candidats de LREM qui « mangent la main qui les a nourris », visant notamment Violette Spillebout. Objection de cette dernière : « Je ne laisserai salir ni mon histoire, ni mes convictions et je souhaite (…) rappeler à certains qui, aujourd’hui, incarnent ‘l’Ancien Monde’ et qui (…) entretiennent une campagne de dénigrement malsaine et irrespectueuse, que les temps ont changé. »
Violette Spillebout affirme encore à franceinfo subir « des pressions et des intimidations depuis un an et demi ». « L’ancien système utilise des méthodes d’un autre temps mais je ne rentrerai pas dans la politique des revanches et des règlements de comptes », promet-elle. Pourtant, dans le camp Aubry, on tente de mettre de la distance avec l’ancienne directrice de cabinet, histoire de montrer que les deux femmes ne jouent pas dans la même cour. « Martine Aubry a raison de se tenir éloignée de tout ça, elle a largement tracé son sillon à Lille, indique Roger Vicot, qui voit d’un bon œil une Aubry « au-dessus de la mêlée ». La maire de Lille parviendra-t-elle pour autant à s’extirper de son histoire si personnelle avec Violette Spillebout ? Car, comme le rappelle un ancien collaborateur de l’actuelle maire de Lille, « elles ont lié leurs destins ».