Interview de Violette Spillebout, co-rapporteur du mission flash de l’assemblée nationale sur l’éducation aux médias
Entretien
Passe médias, rémunération des journalistes, politique transversale sur tout le territoire… Rapporteure de la mission flash sur l’éducation critique aux médias avec Philippe Ballard (RN), la députée du Nord Violette Spillebout (RE) livre ses premières réflexions.
Recueilli par Aude Carasco, le 16/01/2023
La Croix : Vous co-pilotez la mission flash pour une « éducation critique aux
médias », lancée mi-décembre par la commission des affaires culturelles et de
l’éducation de l’Assemblée nationale. Quelle en est l’ambition ?
Violette Spillebout : Nous souhaitons que chaque jeune, adulte ou senior français puisse
avoir, dans les cinq ans à venir, une sensibilisation à l’éducation aux médias. Aujourd’hui,
un lycéen d’un quartier bourgeois peut avoir quatre fois des modules d’éducation aux
médias dans son parcours scolaire, quand un jeune en milieu rural n’en a aucun. Des
seniors n’y ont pas accès. Et des parents sont démunis. Avec cette mission, nous voulons
sensibiliser aux infox, à l’éducation critique à l’image, au décryptage de l’information…
Vous arrivez au terme d’une série de tables rondes avec les différents acteurs de
l’éducation aux médias. Qu’en retenez-vous ?
V. S. : Il y a un vrai sentiment d’urgence face à la puissance du numérique, et une envie de
tous les acteurs d’agir, qu’ils soient culturels, institutionnels, associatifs ou professionnels
comme les journalistes… Cela nourrit le sens de leur engagement, aussi parce qu’ils sont
parents et constatent les effets du manque d’esprit critique sur les réseaux sociaux.
L’expertise existe. Un niveau de compétence s’est développé en dix ans, notamment avec
l’action du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (Clemi) au
ministère de l’éducation nationale.
Quelle place pour les journalistes ?
V. S. : Si l’éducation aux médias doit devenir une composante importante de l’éducation
des jeunes et des adultes, elle doit être reconnue en termes de statut, de formation, de
financement et de rémunération pour les journalistes. Or, aujourd’hui, certains font de
l’éducation aux médias sur leur temps de travail, d’autres de façon bénévole dans des
associations, d’autres sont rémunérés lors d’appels à projets de la Direction régionale des
affaires culturelles (Drac). On pourrait imaginer que les journalistes puissent passer un
module pédagogique d’éducation aux médias qui leur donne droit de percevoir un
montant horaire fixe.
Le volet collectif du passe culture permet aussi aux médias d’être rémunérés pour
des ateliers d’éducation aux médias…
V. S. : Oui, mais la non-prise en charge du bus notamment pour se rendre dans une
rédaction constitue un frein. Une réflexion sur un passe médias, sur le même principe que
le passe culture, a été évoquée lors des auditions. Il prendrait en compte ce financement.
L’inégalité territoriale est l’autre sujet majeur. Cela intéresse certaines Direction des
affaires culturelles (Drac), comme celle du Nord, d’autres pas. C’est la même chose pour
les recteurs d’académie. Nous devons avoir des politiques publiques plus harmonieuses,
avec des directives mieux réparties sur le territoire, des moyens dédiés, et une
coordination territoriale permettant une meilleure connaissance des acteurs. Il y n’a
souvent aucun lien entre une bibliothèque municipale et une association de journalistes
qui pourrait intervenir.
Reporters sans frontières (RSF) suggère de faire de la lutte contre la désinformation
à travers l’éducation aux médias la grande cause nationale de 2024. Soutenez-vous
cette idée ?
V. S. : Nous allons reprendre cette idée de grande cause nationale et régionale.
L’éducation aux médias concerne les ministères de l’éducation nationale et de la culture,
mais aussi le numérique, la famille, la santé publique, la citoyenneté, la laïcité. Il y aurait
urgence à faire de l’éducation aux médias une politique transversale et dédiée. Est-ce de
l’interministériel ? Faut-il un Haut-Commissariat, un secrétariat d’État ? Cela relève-t-il de
la mission du sous-préfet à l’égalité des chances ? Je ne sais pas.
Votre co-rapporteur est le député du Rassemblement national de l’Oise. Est-ce que
cela a influé sur le déroulement de la mission ?
V. S. : Seul le Syndicat national des journalistes (SNJ) n’a pas répondu à notre invitation de
participer à une table ronde. Cela n’a pas posé de problème pour organiser nos
déplacements de janvier dans sa circonscription et la mienne. Il participe pleinement, et
est une force de propositions.
Quand rendrez-vous vos conclusions ?
V. S. : Nous présenterons notre rapport, qui comprendra dix recommandations, à la
commission culture et éducation de l’Assemblée nationale fin mars à l’occasion de la
Semaine de la presse à l’école, puis aux assises du journalisme de Tours.
Des états généraux du droit à l’information
Promesse présidentielle, des états généraux du « droit à l’information » vont « bientôt »
s’ouvrir.
Ils aborderont tant la lutte contre la manipulation de l’information que l’éducation
aux médias, les questions de pluralisme et le financement des médias.
« L’objectif est de créer une mobilisation citoyenne autour de la nécessité de s’informer
de manière fiable », souligne dans Le Monde du lundi 16 janvier la ministre de la culture,
Rima Abdul Malak.