Communiqué de presse de Violette Spillebout
Le 14 février 2024 de 15H à 17H, Violette Spillebout a tenu une table-ronde, dont elle a pris l’initiative suite à l’alerte du Syndicat National des Journalistes (SNJ) relative aux conséquences de l’article 2 bis de la Loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires votée à l’Assemblée Nationale le 7 février 2024.
En présence de l’Association des Maires de France et des députés du PS, GDR, MoDem, Les écologistes, et LFI, les syndicats, associations de journalistes, éditeurs de presse, les échanges ont été respectueux et constructifs.
Violette Spillebout a conclu les échanges après 2H de débats :
“Nous avons partagé 3 constats, 3 chantiers à lancer, et j’ai pris une décision en tant que rapporteure de la loi :
– Les 3 constats partagés :
- C’est que les journalistes aussi, sont menacés de pressions et victimes de violence. La loi de 1881 est un pilier fondamental et les protège.
- Notre loi sur la protection des élus est aussi faite pour prendre en compte une surexposition aux risques, et non pas pour créer des « privilèges ».
- Enfin, c’est que « L’enfer juridique est pavé de bonnes intentions politiques » : en votant au Sénat et à l’Assemblée l’article 2bis sur l’allongement du délai de prescription de 3 mois à un 1 an pour la diffamation, nous voulions agir contre les injures et propos diffamants en ligne à l’encontre des élus locaux. Et absolument pas pour limiter la liberté de la presse !
– Les 3 champs de travail :
- c’est écrire dans la loi Statut de l’Élu prochainement une disposition efficiente pour faciliter l’exercice de leurs droits aux élus locaux en matière de défense face aux diffamations et au harcèlement en ligne,
- c’est revoir les dispositions votées en 2022 sur la levée de l’anonymat pour la haine en ligne,
- c’est travailler sur la modernisation de la loi de 1881 au sein des Etats Généraux de l’Information qui sont en cours.
La décision : au regard des arguments juridiques, économiques, démocratiques soulevés par nos interlocuteurs, et des positions des groupes politiques représentés, je porterai une proposition de suppression de l’article 2bis en commission mixte paritaire le 27 février prochain. Il reviendra aux sénateurs et députés siégeant dans la CMP de voter ou non pour la modification des dispositions de l’article 2 bis.
Ont participé à cette table ronde :
- Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) : Mme Cécile Dubois, co-présidente du SPIIL et rédactrice en chef de 94 Citoyens
- Reporters sans frontières (RSF): M. Thibaut Bruttin, adjoint au directeur général, M. Paul Coppin, adjoint au directeur du plaidoyer, en charge des affaires juridiques
- Mediapart : M. Edwy Plenel, directeur, Me Emmanuel Tordjman, avocat de Mediapart, spécialisé en droit de la presse,
- Association des avocats praticiens du droit de la presse : Me Lorraine Gay, vice-présidente de l’association des avocats praticiens du droit de la presse
- Syndicat national des Journalistes (SNJ): M. Antoine Chuzeville, Premier secrétaire général, Mme Aziliz Le Berre, secrétaire générale
- SNJ-CGT : M. Emmanuel Vire, secrétaire général
- CFDT-Journalistes : Mme Marie-Madeleine Sève, membre du bureau de CFDT-Journalistes , Mme Anne Rodier, déléguée syndicale CFDT au journal le Monde
- Alliance de la presse d’information générale: M. Pierre Petillault, directeur général
- Syndicat des éditeurs de la presse magazine : M. Alain Augé, président, Mme Diane Delacharlery, responsable communication et affaires institutionnelles
- Association des maires de France : M. Eric Verlhac, directeur général de l’AMF, Mme Annick PIllevesse, responsable du service juridique de l’AMF
Députés présents :
- Violette SPILLEBOUT (Renaissance)
- Sébastien JUMEL (Groupe de la Gauche démocrate et républicaine)
- Elodie JACQUIER-LAFORGE (MoDem)
- Boris VALLAUD (PS)
- Inaki ECHANIZ (PS)
- Sophie TAILLE-POLIAN (Les Ecologistes)
- Sébastien ROME (LFI)
“C’est une loi proposée par le Sénat. Elle est là pour protéger les élus locaux et non pas pour créer des privilèges aux parlementaires comme je l’ai lu dans la presse”
Violette SPILLEBOUT
“Les élus doivent rester à portée de bise et nous devons tout faire pour protéger leur engagement”.
Sébastien JUMEL
« Nous aurions dû être entendu, bien avant que ces débats aient lieu » « Nous sommes ravis d’être ici et de pouvoir débattre »
SNJ
« Nous sommes très inquiets de ce qu’il se passe avec les élus de la République, je vois la difficulté de trouver des candidats à chaque élection. Que la représentation nationale s’occupe de la vigueur démocratique et faire en sorte que la population ne s’en prenne pas à ses élus : nous avons le même objectif. Nous-mêmes nous sommes attaqués très fortement »
CGT-Journalistes
“Les journalistes subissent aussi cette vague populiste qui se traduit par des violences physiques”.
Alliance de la presse d’information globale
“Depuis 16 ans, Médiapart est un laboratoire dans ses enjeux numériques. « . « L’idée qu’il y ait un traitement différencié entre un élu local et national est anti constitutionnel et anti conventionnel. L’égalité ne peut pas être rompue entre tel ou tel statut”. “Occupez-vous de la responsabilité des plateformes, de l’anonymat, de la possibilité impérative de dépublier. Imposez ça aux plateformes, tournez-vous vers ceux qui sont responsables”.
Mediapart
“L’urgence d’internet pour justifier un délai plus long ne justifie pas l’allongement de ce délai de prescription”.
SPIIL
“La cible qui est au cœur de la démarche n’est pas d’empêcher les journalistes de faire leur travail. L’AMF est attachée à toutes les libertés.” “Le délai de prescription de 3 mois est trop court, tous renoncent à engager des poursuites. Ce délai est complexe par les règles qui régissent. Il y a une forme d’impunité à l’égard des diffameurs qui sont des particuliers anonymes. L’objectif n’est pas de viser les journalistes.”
Association des Maires de France :
Rappel des arguments développés par la rapporteure lors de cette audition :
Sans prendre ombrage outre mesure des caricatures, des insultes ou des procès d’intention, je souhaite en tant que Députée rapporteur de ce texte à l’Assemblée Nationale, répondre aux alertes légitimes des organismes représentés ici, entendre les argumentaires, et pouvoir agir sur la loi que nous nous destinons à valider définitivement dans les semaines à venir.
Je sais que vous regrettez que cet échange n’ait pas eu lieu sous forme d’auditions préalables aux débats au Sénat, puis à l’Assemblée. Je le concède, ce manque de concertation peut laisser à penser qu’il était volontaire. Soyez assuré que ce n’est pas le cas, et que la loi de 1881 étant touchée à la marge dans un texte bien plus large, il s’agit d’une erreur, regrettable, de ne pas vous avoir consulté en amont. C’est la raison pour laquelle je prends mes responsabilités et vous ai invités aujourd’hui.
Je vous rappelle donc les préoccupations politiques qui ont motivé notre action, et vous entendrai sur les pistes de travail à engager pour répondre à vos alertes et inquiétudes.
1. La motivation de l’amendement sénatorial : mieux armer les élus contre les faits d’injure publique et de diffamation en ligne
Les sénateurs puis les députés, ont décidé d’apporter une modification à la loi de 1881, afin d’améliorer la protection des élus victimes de diffamations et d’injures publiques. Cette démarche s’inscrit dans le cadre des dispositions visant à mieux protéger les élus contre le fléau grandissant des agressions verbales et physiques dont ils sont victimes quotidiennement.
Ces violences, dont l’augmentation constante est affolante, fragilisent le débat démocratique et la démocratie elle-même, car elles découragent un grand nombre d’élus à continuer d’exercer leur mandat. Elles menacent d’étouffer la liberté de parole et d’action des représentants de la nation, en particulier les plus novices, les moins bien dotés ou les plus isolés dans nos territoires. Elles découragent aussi des citoyens à se présenter à des élections dont la vitalité s’en trouve indéniablement appauvrie. Ce climat délétère est un danger pour tous les Français qui paieront à l’arrivée le prix d’un espace politique déserté par les talents et les bonnes volontés. Cet espace sous pression favorise la pensée tiède, l’esquive ou le renoncement. La fonction politique doit demeurer digne, attractive, et les électeurs doivent impérativement conserver le droit d’exercer leur choix parmi une offre plurielle et ambitieuse.
Cette modification à la marge de la loi de 1881 qui porte de trois mois à un an le délai de prescription en cas de diffamation, n’est pas un caprice soudain de la majorité puisque cet amendement, soutenus par des partisans de tous bords, a été introduit conjointement par la sénatrice LR, Catherine Di Folco et le groupe socialiste du Sénat, puis voté par la haute assemblée en octobre 2023. Les débats, en séance publique au Sénat, comme en commission et dans l’hémicycle à l’Assemblée nationale ont eu lieu non pas « en catimini » mais sous le feu des caméras, dans la plus complète transparence – et dans les délais, certes contraints, qui sont ceux du travail législatif.
2. Une modification de la loi de 1881 qui suscite une inquiétude des journalistes
La loi de 1881 porte sur la liberté de la presse. Elle définit les libertés et les responsabilités de la presse française. Texte essentiel de notre démocratie, elle est très profondément enracinée dans notre histoire juridique, politique et culturelle. Elle est devenue, au fil de temps, non seulement la loi sur la liberté de la presse mais aussi la loi sur la liberté d’expression en général. Ses dispositions recouvrent tant l’indispensable indépendance des médias que les tombereaux d’insultes, voire les menaces de mort, auxquels nous sommes confrontés en ligne par des particuliers souvent anonymes.
Les sénateurs ont souhaité, par la création de l’article 2bis débattre de l’adéquation de la loi à notre époque, et se demander si la loi de 1881 répondait pleinement aux enjeux contemporains que sont les contenus sur les réseaux sociaux, parfois diffamants, souvent anonymes, dont les effets sont démultipliés par leur potentiel caractère viral.
Face à la masse, face au caractère insaisissable de ces contenus, beaucoup d’élus – et plus particulièrement des élus ruraux – se sentent désarmés. Peu assistés, débordés, la plupart d’entre eux ne disposent pas des moyens matériels et financiers, pour se défendre et riposter.
C’est leur réalité quotidienne que l’amendement décrié cherche à améliorer. L’objectif, évidemment mais je tiens à le répéter, n’était pas de créer pour la presse ou plus largement les médias en ligne, une forme d’insécurité.
Cette disposition a été précisée dans l’exposé des motifs de l’amendement créant l’article 2bis de la loi.
Il n’y a donc jamais eu l’intention, chez les sénateurs, puis chez les députés, de fragiliser la liberté d’expression des journalistes, ou de fragiliser les libertés publiques, pilier fondamental de notre démocratie.
Alors même qu’il est demandé d’un côté de conserver à tout prix une dérogation, celle de 1881, d’aucuns ont dénoncé un statut d’exception pour les élus, qui ne seraient pas traités comme les autres citoyens. C’est un argument qui s’entend, mais cette exception est liée à la fonction d’élu, pas à la personne ; une fonction temporaire, particulièrement exposée. Ce genre de dérogation, liée à une situation singulière, n’est pas nouvelle, ni choquante, lorsqu’elle est justifiée – le Conseil constitutionnel le reconnaît dans sa jurisprudence.
3. La nécessité de s’interroger sur les « effets de bord » de la disposition
Des journalistes, sociétés ou syndicats de journalistes ainsi que leurs avocats s’insurgent avec une grande sincérité et beaucoup de passion, contre ce qu’ils considèrent comme un amendement liberticide.
C’est évidemment, comme je l’ai exposé, tout sauf l’objectif recherché. La liberté d’expression, en particulier celle qui s’exprime dans les médias, est un pilier de notre démocratie.
La question se pose dès lors : l’amendement que nous avons voté, qui répond à une difficulté bien réelle, constitue-t-il un remède pire que le mal ?
Comment préserver l’âme de la loi de 1881 en adaptant la législation au monde moderne ?
Ce débat, nous devons l’avoir. J’entends parfaitement l’angoisse de ceux qui, dans les médias, redoutent une inflation de procédures et l’asphyxie économique qui en résulterait. C’est peut-être oublier que les élus n’ont ni le temps, ni les moyens, de multiplier des procédures injustifiées ou non fondées. En outre, si des propos diffamants parus dans la presse sont repris au-delà de trois mois par des tiers sur d’autres supports, il est du rôle de la justice de condamner les colporteurs et leurs hébergeurs. Mais nous devons mesurer tous les risques. Et dissiper tous les doutes.
Les députés, quel que soit leur banc, ont entendu les préoccupations exprimées et vont travailler avec les sénateurs en commission mixte paritaire sur cet article 2 bis.
Bien consciente du vif émoi, et fidèle à mon attachement viscéral au dialogue, je discute et je continuerai à discuter avec les représentants des médias.