TRIBUNE
Dans son tweet sur X du 9 novembre 2024, Alexis Lévrier considérait que j’étais “adoubée” par l’extrême-droite médiatique, parce que j’avais repartagé sur X un article de Valeurs Actuelles qui me citait favorablement pour les Municipales de Lille en 2026. Publication qu’il a supprimée depuis, mais qui me permet, pour éclairer le débat, d’aborder le sujet de l’expression des responsables politiques dans les différents médias.
Parler à ceux qui ne partagent pas nos idées
Depuis la nuit des temps, les responsables politiques s’adressent à des médias dont la ligne éditoriale ne reflète pas les idées ou les valeurs. Pour ma part, récemment, j’ai partagé en ligne un article de Valeurs Actuelles intitulé « Lille, le crépuscule d’une maire endormie » évoquant la fin de règne de Martine Aubry, sa guerre de succession et le climat politique local. Je l’ai partagé car il me semblait en certains points pertinents. L’article, bien loin d’être indigne, me cite en qualité de prétendante à la succession de Martine Aubry à la mairie de Lille. Le contenu du papier peut évidemment être discuté mais le discours consistant à affirmer que l’on cautionne forcément les idées d’un média auquel on s’adresse ou que l’on cite est caricatural et grossier. J’ai souvent partagé sur les réseaux ou sur mon site des articles ou des extraits publiés par des médias de toutes les sensibilités, dans le cadre d’une revue de presse, certains articles étaient loin d’être élogieux à mon égard. Lorsqu’ils étaient inexacts, j’y ai répondu. Au nom de la pluralité, je partage fréquemment des articles de supports pourtant hostiles au parti présidentiel. Je ne boycotte pas Libération ou l’Humanité, pourtant sans concession avec nos politiques. Je leur adresse même des tribunes. Je ne refuserai jamais de façon dogmatique de parler à des médias qui ne partagent pas mes convictions.
Une partie des Français ne nous écoutent plus.
Je n’ai pas donné d’interview à Valeurs actuelles, dont la ligne éditoriale est largement éloignée de mes valeurs, mais même si cela avait été le cas, je ne saurais être assimilée à sa ligne éditoriale. Pour autant, je n’aurais pas partagé un article de Valeurs Actuelles, ou d’un autre média, contenant des propos racistes, sexistes et haineux.
Les idées de l’extrême droite sont à des années lumières de celles que je prône et défends. Je n’ai jamais, tout au long de ma carrière, aussi bien en tant que directrice du cabinet de Martine Aubry, puis de parlementaire du parti présidentiel, promu des idées d’extrême droite. Au contraire, j’ai toujours promu la tolérance et l’inclusion. Mais je constate qu’une grande partie des Français ne nous écoutent plus car nous ne leur parlons plus. Ce n’est pas vendre son âme que de chercher à les reconquérir. Et si j’accorde un jour un entretien à Valeurs Actuelles, je le ferai avec la conviction que mon discours pourrait avoir un impact positif pour le débat démocratique et sa pluralité.
La police de la pensée à l’œuvre
Pourtant, suite à ce retweet, une cohorte d’internautes moralistes, dont l’historien Alexis Levrier m’ont accusée d’être d’extrême droite ou de cautionner ses thèses.
La police de la pensée a encore frappé. Chiens de garde sur X, ex Twitter, ceux-là même qui se sont érigés en gardiens de la liberté d’expression, pourchassent pourtant sans répit tous ceux qui s’expriment dans un sens contraire à leurs opinions, ou sur des médias qu’ils honnissent. Une dangereuse schizophrénie. Au nom de la liberté et de la démocratie, ces influenceurs entendent clouer au pilori les individus qui ne pensent pas convenablement, c’est-à-dire pas comme eux. Pis, ils ne souffrent pas que l’on puisse citer ou évoquer un média qui leur déplaît. Ce procès qui m’est fait pour un tweet, sont la marque d’une insupportable intolérance, parfois d’une profonde ignorance et d’une vision étriquée.
De prétendues belles âmes, maccarthystes 2.0 toujours prompts à donner des leçons, n’ont en revanche jamais jugé bon de condamner les injures ou les appels à la violence à mon encontre d’une certaine presse d’ultra-gauche. Leur conception de la liberté et de la dignité à géométrie variable dit tout de leur propre intolérance. Leur indignation sélective est novice. Je réfute les leçons de morale qui usent de la caricature alors qu’ils prétendent décortiquer des sujets subtils et complexes. M’associer à l’extrême droite est mensonger et outrageant, ils le savent. Ces caricatures, qui incitent d’autres à se défouler en ligne, souvent dissimulés derrière des pseudos, ne font pas grandir la liberté d’expression. Ils favorisent le sectarisme et la division.
Reconquérir au-delà de ses idées
Valérie Pécresse, Edouard Philippe, parmi d’autres, ont accepté l’invitation de débattre à la Fête de l’Humanité, peut-on croire sérieusement pour autant qu’ils sont communistes ou partagent les idées du PC ? Lorsqu’un responsable politique s’adresse à un média, il ne s’agit nullement d’une adhésion par principe à la ligne éditoriale du support ou aux idées qu’il défend. Il peut au contraire s’agir d’y faire entendre un autre son de cloche dans l’espoir de sensibiliser ou convaincre des lecteurs qui pensent différemment. Ce choix personnel est hautement respectable. Ce qui importe est le message plus que le médium. Le débat démocratique ne peut se limiter à l’entre-soi et à la connivence. Il ne sert à rien de prêcher uniquement les convaincus. Si l’on souhaite parler à tous les électeurs, alors il faut faire l’effort de s’adresser au plus grand nombre et d’encourager la pluralité.
La question a été aussi cruciale aux Etats-Unis, suite à la deuxième élection de Donald Trump, et a agité le débat au sein du parti démocrate. Ce dernier peut-il continuer à ignorer les médias qui lui déplaisent comme Fox News ou le podcast de Joe Rogan, aussi populaire que controversé ? Peut-il aussi encore ignorer des médias de gauche en dehors de l’establishment et se contenter de s’adresser à un lectorat conquis d’avance, souvent âgé, sur MNSBC News ou dans les colonnes du New York Times. Le démocrate Pete Buttigieg, candidat à la primaire de son parti en 2020, est l’un de ceux qui a transgressé une règle implicite consistant à boycotter Fox News. Ses idées sont à l’opposé des choix éditoriaux de la chaîne et personne de sérieux ne peut l’accuser d’avoir des opinions d’extrême droite. Quitte à ne convaincre qu’une poignée de spectateurs, il refuse, avec d’autres, de déserter un large espace médiatique. Certains conseillers de Kamala Harris ont même tenté de la convaincre de s’inviter chez Joe Rogan, voix réactionnaire dont les auditeurs se comptent par millions. Le paysage médiatique évolue et on ne peut plus se contenter d’aller là où on est attendu.
Force est de constater que sur le fond, comme sur la forme, les démocrates ont été inaudibles auprès d’une partie d’un électorat populaire perdu, ces blue collars ou ces jeunes auquel le parti ne s’est pas adressé. Cela doit nous interroger. L’extrême droite en France, comme le trumpisme aux Etats-Unis, a prospéré sur l’indifférence et parfois l’ostracisme.
Ne boycottons pas les médias hostiles
La vision archaïque consistant, alors même que le dialogue citoyen est déjà tendu, à ostraciser des médias qui pensent différemment peut s’avérer perdante.
Certains voudraient que nous boycottions par principe Valeurs Actuelles, les médias dirigés par Vincent Bolloré et autres titres qu’ils ont décrété infréquentables. Que se passerait-il alors ? Ces médias ne répercuteraient que la parole de ceux qui partagent les opinions de leurs dirigeants éditoriaux. C’est précisément ce que déplorent ces censeurs du web, englués dans leurs paradoxes. Les médias de M. Bolloré, à commencer par CNews ne donneraient la parole qu’aux représentants de la droite dure, voire de l’extrême droite. Pourtant, il ne faudrait pourtant pas s’y rendre, ce qui n’a pas empêché leurs audiences de prospérer. Où est la logique ? Qu’y gagne la pluralité d’expressions et la démocratie ? C’est à chacun de se déterminer en conscience. En jetant l’opprobre sur ceux qui souhaitent toucher l’auditoire de ces médias, les pseudos défenseurs de la pluralité pratiquent une chasse aux sorcières dont l’effet boomerang est la stigmatisation d’un électorat qu’il ne s’agirait même plus de chercher à convaincre. Cette vision sectaire n’est pas la mienne.
Je refuse de boycotter des médias en raison de leur lectorat supposé infréquentable. Je crois au contraire dans la nécessité de porter le fer, parfois, en territoire « hostile ». Les rares journalistes que je boycotte sont ceux qui, en propageant des fake news et la calomnie, manquent à toute déontologie. Pour le reste, je crois en la nécessité de m’adresser à tous. C’est l’indifférence et le mépris vis-à-vis d’une large part de l’électorat qui lui a permis de prospérer. A ces lecteurs, électeurs, il faut dire notre vérité, notre empathie, nos valeurs.
Un appel à la responsabilité collective
Le pluralisme médiatique est essentiel pour préserver la vitalité de notre démocratie. Cela implique de refuser les postures dogmatiques et de défendre un véritable dialogue avec tous les publics. Ce n’est pas en se cantonnant aux médias « autorisés » par une élite bien-pensante que nous relèverons les défis démocratiques actuels.
Ceux qui m’attaquent pour un simple retweet manquent à cette exigence. Leur indignation sélective et leurs invectives divisent au lieu de rassembler. Je continuerai à partager des articles de tous bords, à débattre avec ceux qui pensent différemment et à défendre une conception ouverte et pluraliste de la liberté d’expression. Car c’est là, et seulement là, que se joue la bataille des idées.
Quant au paysage médiatique, sa pluralité des médias est au cœur même de mes préoccupations et de mes actions. Je ne méconnais pas les problèmes soulevés par leur concentration et je suis favorable à une plus grande indépendance des rédactions vis-à-vis de leurs actionnaires, quels qu’ils soient. J’ai travaillé dans ce sens et je continuerai à me battre ardemment pour la pluralité.