ENTRETIEN. Les rapporteurs de la commission d’enquête parlementaire sur les violences en milieu scolaire se sont rendus au ministère de l’Éducation nationale pour récupérer de premiers documents. Entretien avec Violette Spillebout, l’un des deux corapporteurs.

« Quand la maltraitance des enfants d’une nation se fait institutionnellement, on condamne l’avenir d’un pays ». Tel le message que Pierre Bailleul a laissé à Violette Spillebout à l’intérieur du livre « les enfants martyrs de Riaumont » qu’il lui a offert lors de leur première rencontre, il y a plusieurs mois. « Son témoignage m’a appris ce qui s’était passé dans cet établissement », nous avoue, le regard affligé, la députée Renaissance de la 9e circonscription du Nord. Avant Bétharram, cette institution religieuse de la commune de Liévin (Pas-de-Calais) a forcé les enfants, qui y étaient inscrits, à garder le silence sur les traitements inhumains et les violences sexuelles qu’ils subissaient à la fin du XXe siècle. Pierre Bailleul, était l’un d’eux.
Depuis, la députée a décidé de se saisir de ce sujet en devenant l’un des rapporteurs de la commission d’enquête sur les violences dans les établissements scolaires en France. Jeudi dernier, elle s’est rendue rue de Grenelle, avec son collègue LFI Paul Vannier (deuxième rapporteur), afin de consulter sur pièces et sur place des documents pour préparer l’audition des anciens ministres de l’Éducation nationale, dont l’actuel Premier ministre François Bayrou. Entretien.
Paris Match : Vous avez utilisé vos pouvoirs d’investigation, avec Paul Vannier, en vous rendant, jeudi dernier, au ministère de l’Éducation nationale pour saisir certaines pièces. Qu’avez-vous découvert ?
Violette Spillebout : Au regard de la gravité des a »aires Betharam, Riaumont, Stanislas… nous avons décidé d’utiliser toutes les prérogatives autorisées par une commission d’enquête. Cela nous a permis de consulter sur place des documents, en prévision des auditions des victimes que nous commencerons, ce jeudi. Nous avions établi une liste d’une trentaine de pièces. Cela a été assez long pour les obtenir. Notre venue étant inopinée, elle a provoqué quelques réticences. Tous les documents anciens, remontant aux cinquante dernières années, n’étaient pas disponibles au ministère. Il nous a été dit que des demandes aux archives nationales et départementales seront effectuées pour nous permettre de les consulter. Seuls les documents les plus récents, en format papier et numérique, nous ont été transmis : le guide de contrôle pour réaliser de premières inspections dans les établissements sous contrat dès ce lundi, des comptes rendus de réunion… Cela nous a tout de même étonné que lorsqu’un nouveau ministre arrive à l’Éducation nationale, il ne dispose pas d’un dossier sur les établissements brûlants où il y a eu de graves crimes qui ont été commis. Nous avons du mal à croire que le ministère ne se soit mis en marche qu’après la publication d’articles de presse au début de l’année.
«Tous les documents anciens, remontant aux cinquante
dernières années, n’étaient pas disponibles au ministère»
Élisabeth Borne n’a e »ectué aucune demande, à son arrivée ?
Nous n’étions pas en audition, donc nous n’avons pas posé cette question. Mais, nous avons constaté effectivement que le ministère ne disposait pas d’éléments comme la liste de tous les établissements, publics ou privés, où il y a eu des faits de violence de 1950 à nos jours. Nous avons, en revanche, pris connaissance d’une application qui s’appelle « faits établissement ». Elle existe depuis 2016. Elle recenserait quatre types de faits : les entorses à la République, les harcèlements, les violences et les atteintes aux biens. Il nous a été dit au ministère que cette application n’était pas satisfaisante et qu’ils n’étaient pas capables de sortir des statistiques annuelles. Il n’y a aucune centralisation régulière des faits de violence commis par un adulte sur un enfant. Nous ne savons même pas si cette application permet de telles remontées d’information. C’est surprenant.
Comment l’expliquez-vous ?
Je ne sais pas. C’est dingue. Par exemple, le foyer de Riaumont, sous contrat, doit être soumis à des inspections sanitaires régulières. Or, depuis 1960, aucune inspection qui aurait pu permettre de faire fermer l’établissement : avec l’humidité, la température, la présence de rats… Il y a eu des défaillances de l’État ! Aujourd’hui, nous levons l’omerta dans certains territoires. Mais, nous ne sommes qu’au début d’une longue histoire qui fait honte à notre pays.
Vous n’êtes qu’au début de votre enquête, mais avez-vous déjà décelé d’autres dysfonctionnements ?
Oui. Lors de l’échange que nous avons eu avec le directeur de cabinet d’Élisabeth Borne, nous avons été très surpris de la difficulté qu’ont le ministère de l’Éducation nationale et celui de la Justice à travailler de concert.
Les rapports de signalement ne sont pas systématiquement transmis, malgré la convention mise en place en 2015 par la ministre Najat Vallaud-Belkacem. Et, c’est un point de préoccupation du ministère de l’Éducation nationale.
«Les rapports de signalement à la Justice ne sont pas
systématiques transmis à l’Éducation nationale»
Le ministère de l’Éducation nationale n’est pas en possession de l’ensemble des signalements de faits de violence sur enfant ?
Ils le regrettent, au ministère. Et, nos travaux parlementaires serviront à déterminer pourquoi. Nous avons également demandé les comptes rendus des échanges entre l’enseignement privé, qu’il soit catholique, musulman, etc., et le ministère. Car, ressort de nos échanges à l’Éducation nationale, que les faits de violence ne figurent dans aucun des rapports commandés par l’État. Pour Riaumont, j’ai demandé les rapports d’inspection. En 1977, il y a un rapport de 22 pages catastrophiques. Pourtant, l’habilitation est renouvelée par le ministère, alors que les enfants sont torturés, sur place.
Qu’attendez-vous des auditions que vous allez mener au sein de cette commission d’enquête ?
Nous avons deux buts. Premièrement, faire la transparence sur ce qui s’est passé en apportant des éléments concrets aux citoyens sur les défaillances de l’État. Deuxièmement, faire des propositions pour que cela ne se reproduise jamais. Cela peut passer par des propositions au gouvernement comme des décrets ou des circulaires, ou une proposition de loi. Nous en discuterons avec Paul Vannier, le corapporteur.