COMMISSION d'ENQUÊTEPRESSE

Violette Spillebout : « Une commission d’enquête permet de libérer la parole »

La commission d’enquête a l’Assemblée Nationale sur les violences en milieu scolaire, privé et public, créée dans le sillage de l’affaire Bétharram, a débuté ses travaux. Près de 200 plaintes ont déjà été déposées. La co-rapporteure de cette commission, Violette Spillebout, députée EPR, dévoile ses impressions et dessine les pistes possibles de l’action publique.

Cette commission d’enquête dont vous êtes co-rapporteure provoque déjà, au tout début de ses travaux, beaucoup d’émotion. Comment l’expliquez-vous ? 

C’est la force d’une commission d’enquête parlementaire. On l’a constaté avec mon co-rapporteur Paul Vannier en nous rendant sur place. Une commission d’enquête, c’est très respecté, ça ouvre des portes et ça permet aussi de libérer la parole. 

Dès le début de cette commission d’enquête, on sent l’utilité de nos travaux au travers de la force des interpellations que nous avons adressées aux différentes administrations. La médiatisation de ce sujet aide aussi parce que c’est parti des révélations sur Betharram. Et celapermet de relayer des combats que les victimes menaient parfois depuis de nombreuses années. Je pense par exemple au village de Riaumont dans ma région du Nord-Pas-de-Calais. Cela fait six ans que les faits sont connus. Mais c’est parce qu’il y a Betharram que tous les autres lieux où il y a eu des victimes sont mises en lumière.

Pensez-vous qu’il y a eu omerta parce que c’est l’institution catholique qui est en cause ? 

Dans la première journée d’auditions à l’Assemblée Nationale, nous avons reçu les huit collectifs de victimes qui sont, pour les premiers,liés à des établissements privés, sous contrat ou hors contrat, catholiques. Nous constatons un lien évident avec l’enfermement parfois culturel, idéologique de ces établissements. Jusqu’aux années 70-80, beaucoup avaient des internats et les mineurs étaient éloignés des parents et des familles. L’environnement dans lesquels se situaient ces violences a fait qu’elles ont été plus fréquentes. Mais selon les statistiques de la commission Sauvé, repartagées en audition, on voit que les violences (physiques, psychologiques et sexuelles) ne sont pas rencontrées que dans le privé et qu’’il y en a aussi dans les établissements publics. C’est la raison pour laquelle notre commission traite de l’ensemble des moyens de contrôle dans des établissements scolaires publics ou privés. 

L’État a-t-il la main qui tremble quand il s’agit d’enquêter et de contrôler des établissements confessionnels ? 

Il y a une désorganisation totale des protocoles de contrôle. Rien qu’au niveau d’une région, on voit qu’entre inspection académique, rectorat, département (qui a la compétence de la protection de l’enfance) ou direction diocésaine et évêché, les protocoles ne sont pasclairs sur un certain nombre de contrôles. 

Un exemple : les processus d’honorabilité des personnels dans le privé ne sont absolument pas les mêmes que dans le public et ne sont pas aujourd’hui contrôlables par les pouvoirs publics. Cela ouvre un nouveau champ de réflexion. 

Les modalités de signalement des violences ne sont pas les mêmes non plus. Dans le public, c’est l’obligation de recourir à l’article 40 du code de procédure pénale. Aujourd’hui, ce n’est pas une obligation pour des personnels qui ne dépendent pas de l’Éducation Nationale directement comme les directeurs d’établissements ou les directeurs diocésains. 

Après quelques jours de travail seulement, on a des pistes d’action et d’amélioration. Il y a aussi dans les territoires -il ne faut pas le cacher- des formes de baronnies, des réseaux qui, très gênés par cette situation, ont certainement eu la main qui tremble. Cela fait aussi partie de l’analyse des dysfonctionnements de notre commission d’enquête. 

Notre objectif n’est pas de nous substituer à la justice. Quand on observe ce dysfonctionnement systémique qui consiste à déplacer un personnel, auteur de violences physiques, psychologiques ou sexuelles, entre différents établissements qu’ils soient publics ou privés, on doit faire plus que s’interroger. Clarifier par exemple la chaîne de décision pour prononcer des suspensions immédiates de fonction ou pour appliquer des sanctions immédiates et automatiques : nous avons la conviction qu’on ne peut pas laisser quelqu’un, soupçonné par plusieurs personnes ou qui fait l’objet de plaintes par plusieurs personnes, continuer d’exercer dans un autre établissement. Les procédures y compris disciplinaires au-delà du pénal, doivent être précisées pour le public parce qu’il y a des zones d’ombres et largement retravaillées pour le privé. 

Tout le monde en est d’accord. Dans les auditions que nous avons menées, nous avons senti un esprit fort de coopération pour ce sujet. On est dans une autre époque et la dilution des responsabilités est tellement mise en valeur par nos premiers travaux qu’on sent une volonté d’agir. 

Faut-il améliorer la prise en charge des victimes ? 

De toute évidence, elle n’est pas au point. C’est une première impression, nous sommes au début de cette commission d’enquête. Dans les recommandations de la CIIVISE (commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) ou de la CIASE (commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) qui datent de trois ou quatre ans, il y avait une volonté de créer des accompagnements et de recueil de la parole des victimes plus aboutis. Depuis il semble que peu a été accompli. C’est la responsabilité des pouvoirs publics de mieux organiser les choses. Il y a des associations d’aide aux victimes, 6 ou 7 numéros de téléphone différents : les victimes sont perdues. 

Aujourd’hui, dans ce moment fort de libération de la parole, les tabous tombent et l’omerta peut être défaite. Cela se passe chaque jour, à chaque fois qu’il y a une prise de parole publique par des victimes ou par des membres de la commission. Je recommanderais donc que les victimes se constituent en collectif ou qu’elles se rapprochent de collectifs déjà existants. 

Valérie Nataf pour ELLE du 22/03/2025