CULTURETRIBUNE

Lille fait la Fiesta avec Lille3000 ? Je préfère 3000 projets culturels lillois à une saison de Lille3000 !

L’heure est grave, il est temps d’oser.

La situation est urgente : le budget de la France est dans le rouge. Il est impératif de faire des choix courageux et d’adopter une vision claire. L’augmentation de la dépense publique serait suicidaire. En pleine période de contrainte budgétaire, alors que chaque collectivité doit contribuer à l’effort national, certains élus font preuve de courage en remettant en question les habitudes, les dogmes et la démagogie, refusant la facilité et la fatalité. Ils bousculent l’ordre établi et, notamment, en finissent avec les subventions automatiques pour se concentrer sur les compétences, les urgences et les priorités.

Lille n’est pas épargnée par la crise, bien au contraire. Elle doit elle aussi revoir son train de vie. On ne peut plus dépenser sans rigueur ni intégrité. Alors que de nombreux Lillois se serrent la ceinture, le Beffroi continue de dépenser des sommes colossales, souvent au bénéfice des mêmes acteurs économiques et culturels, une minorité privilégiée, récompensée pour sa vision conforme, sa proximité d’idées, sa docilité ou ses loyaux services. Le départ de Martine Aubry n’y change rien, puisqu’elle a placé aux manettes son ex-bras droit Arnaud Deslandes, qui poursuivra cette gestion inconséquente et sectaire.

La gestion de la ville est à bout de souffle. La politique municipale, usée par des années de pouvoir, est non seulement sectaire, mais aussi dangereuse pour la pérennité et le rayonnement de notre cité. Pourtant, la situation économique exige des solutions nouvelles. En panne d’idées, hermétique aux propositions extérieures, insensible au changement d’ère, la municipalité n’a rien inventé depuis plus d’une décennie.

La politique culturelle lilloise est à mes yeux emblématique du décalage avec les besoins quotidiens des Lillois.
Des projets autrefois innovants, comme Lille 2004, ensuite transformé en Lille3000, sont aujourd’hui financés de façon si démesurée qu’ils empêchent d’autres initiatives de se pérenniser ou d’éclore. La dépense publique n’est non seulement pas maîtrisée, mais elle alimente une politique de la ville à plusieurs vitesses et en cercles concentriques. Des fêtes merveilleuses, des rassemblements inoubliables, ces grands chantiers, menés à marche forcée pour laisser la marque de leurs initiateurs et assurer la loyauté de leurs bénéficiaires, laisseront du bonheur, c’est déjà çà, mais aussi, au fond, la trace d’une féodalité budgétaire qui n’aura pas profité durablement à la majorité des Lillois. Irraisonnables et injustes, ces dépenses ne bénéficient temporairement qu’à certains quartiers et catégories de citoyens, et leurs retombées, bien surestimées, sont largement en deçà des attentes des Lillois. Les petits acteurs locaux, historiques, ou marginaux, les autodidactes et les artistes talentueux mais précaires sont les vrais laissés-pour-compte de telles politiques de distribution en vase clos.

Alors que nos villes peinent à financer leurs compétences élémentaires – sécurité, hygiène, santé, propreté, éducation, logement, solidarité – comment accepter que les élus soient si déconnectés des réalités et qu’ils votent avec désinvolture des crédits dispendieux pour Lille3000 ? Près de 3 millions de subventions lilloises en 2025, près de 9 millions de subventions publiques au total pour une “saison culturelle” de 5 mois. L’adjointe à la Culture de Lille  évoquait en Conseil municipal de décembre 2024 la “modique somme de 70 000 euros par jour” pour un événement exceptionnel… Est-ce justifiable par les temps qui courent ? Non. L’économie est régie par un phénomène implacable et évident : celui des vases communicants. L’argent surinvesti dans quelques projets pharaoniques siphonne un budget qui pourrait être alloué à de nombreux autres projets prioritaires. Parce que la culture est essentielle, elle doit être soutenue, mais elle ne peut échapper à l’effort collectif face à la crise.

Il est donc nécessaire de dépenser un peu moins, mais surtout mieux. La crise économique nous interdit toute frivolité. À l’aube de l’ouverture de la nouvelle saison culturelle Fiesta de Lille3000, nous devons tous nous poser les bonnes questions :

Pourrait-on conserver l’idée d’une grande parade, exceptionnelle et réussie, sans qu’elle coûte forcément 400 000 euros, avec une dépense publique plus raisonnable ?

Préfère-t-on dépenser une somme colossale pour un événement clinquant et éphémère comme la grande parade, plutôt que de multiplier des événements festifs à moindre coût ? Je pense aux carnavals, aux bals populaires, aux thés dansants, aux défilés, aux fanfares, aux animations de quartier… qui pourraient, hors de Lille3000, se pérenniser et se développer.

Souhaitons-nous continuer à concentrer les moyens dans quelques structures prestigieuses, ou plutôt déconcentrer les moyens et démocratiser la dépense publique ? 

Nous devrons faire des choix, car nous n’avons plus le luxe de vivre au-dessus de nos moyens. Je l’ai dit haut et fort lors des conseils municipaux depuis 2020 : il est temps de renverser la table en matière culturelle à Lille. Notre groupe d’élus Faire Respirer Lille a systématiquement voté contre les subventions à Lille3000, et marqué ainsi, dans le temps, avec cohérence, son opposition à ce modèle culturel porté par la majorité municipale. Le Groupe Lille Verte, lui, a changé de position selon les années et les saisons, sans position de vote claire et constante, témoignage évident de son absence de projet culturel clair pour Lille. 

La ville doit revoir en profondeur ses priorités, et choisir des projets culturels ambitieux, responsables, transparents et efficaces. Il existe des alternatives culturelles moins coûteuses, mais tout aussi belles et même plus résilientes, qui permettraient d’économiser de l’argent public. Je préfère 100 fêtes de quartier à un unique défilé. Je préfère 3000 projets à Lille3000.
Cet argent économisé pourrait aussi être utilisé pour des dépenses plus urgentes et nécessaires, y compris dans le champ culturel, comme le soutien aux artistes locaux, le développement de la culture de proximité, à l’école, l’éducation aux médias et la lutte contre la désinformation, la lutte contre la fracture numérique, etc. Les défis sont nombreux. Pour ma part, je souhaite que la dépense publique soit un levier de développement moins concentré, moins élitiste et plus responsable, financièrement, écologiquement et citoyennement.

Les élus, la presse, et les mouvements citoyens doivent plus que jamais être les garants de la gestion de l’argent public.
Pour éclairer les citoyens sur l’opportunité des dépenses, leurs bénéficiaires et la réalité de leurs retombées, le rôle des médias est primordial : au-delà de la description des événements populaires, il revient aux journalistes d’interroger les coûts réels de ces manifestations et leur impact sur la dette publique. Chaque euro dépensé a des conséquences.
Pour Lille3000, peu de journalistes ont véritablement analysé cette question. Je me souviens particulièrement de l’enquête d’Erwan Seznec pour Médiacités, qui qualifiait Lille3000 de « l’OVNI institutionnel aux limites de la légalité », se demandant s’il était « au service de Lille ou de Martine Aubry ». De même, Sébastien Bergès, dans La Voix du Nord en 2019, écrivait que la saison Lille3000 était « de toutes les exagérations » et que le calcul « additionne des estimations au doigt mouillé et des expos sans lien avec la thématique ». Pourtant, la presse se contente souvent de relater les beaux événements et les fêtes, sans analyser leur coût réel, leur pertinence ou leur impact.

Le contrôle des magistrats de la Chambre Régionale des Comptes est déterminant, compte tenu de l’importance de la dépense publique consacrée à la culture à Lille. En 2019, la Chambre avait notamment épinglé l’ex-directeur de Lille3000, Didier Fusillier, pour son cumul de hautes rémunérations et l’absence d’évaluation sérieuse des retombées concrètes, tout en pointant le contournement des règles de la commande publique, comme le choix discrétionnaire des prestataires et des artistes, sous couvert d’exception culturelle. Si certaines dérives ont été partiellement corrigées, beaucoup de questions demeurent sans réponse, et l’opacité reste totale concernant la gestion. Il est regrettable que, depuis 2019, les contrôles soient inexistants.

Le rôle des élus locaux est donc d’autant plus essentiel, car ils votent chaque année toutes ces subventions au nom du contribuable. C’est pourquoi, en tant que conseillère municipale de Lille, je me suis régulièrement exprimée contre ces choix culturels et que je continue. Il y a un mois, j’ai écrit à l’ancienne maire pour obtenir des informations d’intérêt public sur les rémunérations, les prestataires, les contrats de partenariat et les montants alloués aux associations ayant leur siège à Lille, Hellemmes ou Lomme, ainsi qu’aux artistes résidant et créant dans ces communes. Il ne peut y avoir de dépenses sans transparence. Sans réponse à ce jour, je continuerai à interroger l’équipe en place sur sa gestion.

Dans toutes les périodes de crise, les contraintes budgétaires ont obligé les politiques progressistes à faire preuve d’audace et d’imagination, à sortir du discours binaire du tout ou rien, pour optimiser les dépenses. Cette gestion des contraintes n’a de sens que si elle repose sur une vision et des valeurs : l’équité entre les citoyens, les territoires, l’équité entre les générations. Les générations futures ne doivent pas être sacrifiées sur l’autel de la mégalomanie. Il est temps de réinventer notre modèle et de faire preuve de vigilance face aux gabegies, à l’inertie et à l’omerta. C’est avec stupéfaction que les Français ont découvert que le Louvre, le musée le plus visité au monde, était un gouffre financier. Si le secteur privé contribuera à sa réfection, de l’argent public sera nécessaire. Partout en France, les gestions hasardeuses, voire amateuristes, les subventions de connivence, le soutien aux divas de la culture et des événements démesurés abîment nos finances locales.

Dans un récent rapport, la Cour des Comptes met en garde contre une dépense publique « en roue libre ». Pour ses magistrats, si la trajectoire de réduction du déficit public n’est pas respectée, la France risque de «durablement décrocher» des autres pays européens. Il est temps de changer de politique.
Avec le départ de Martine Aubry, la municipalité lilloise change de visage, mais la ville n’a pas tourné la page. Face au chaos économique, nous sommes engagés dans une course contre la montre. Il est de mon devoir de sonner l’alerte et d’incarner une alternative sérieuse et déterminée. Demain, j’entends incarner l’alternance et mettre en place une politique responsable en matière de dépenses, plus rationnelle, plus juste, plus transparente, au service des Lillois.