DÉPUTÉE

Pourquoi j’ai voté pour la loi issue de la proposition Duplomb

Oui, il faut changer les règles européennes. Oui, il faut que les normes soient les mêmes pour tous. Mais en attendant, ici et maintenant, vous ne pourrez pas compter sur moi pour sacrifier nos agriculteurs.

Alors que la colère du monde agricole a marqué ce début d’année 2024, notre responsabilité de parlementaires est d’agir, pas seulement de compatir. Nous devons apporter des réponses concrètes à celles et ceux qui travaillent notre terre, nous nourrissent, et tiennent bon malgré les injonctions contradictoires, les contrôles excessifs, les surtranspositions françaises et l’accumulation de normes. C’est dans ce contexte que j’ai voté, en conscience, pour la loi issue de la proposition sénatoriale Duplomb, adoptée après navette parlementaire et amendée en profondeur. Ce texte, loin de l’opposition caricaturale entre écologie et agriculture, cherche à lever des contraintes devenues insoutenables, sans renoncer à nos exigences environnementales.

La France ne peut pas continuer à imposer à ses agriculteurs des règles plus strictes que celles de ses voisins européens, tout en laissant entrer sur son territoire des produits agricoles traités avec des substances interdites ici mais autorisées ailleurs. C’est exactement ce qui se passe avec l’acétamipride. Cette molécule, autorisée par l’Union européenne jusqu’en 2033, est utilisée dans 25 pays membres sur 27. Seules la France et la Slovénie l’ont interdite, ce qui place nos agriculteurs dans une situation d’isolement réglementaire intenable. Résultat : nos arboriculteurs, nos producteurs de légumes, et en particulier nos betteraviers, sont placés dans une impasse. Ils voient leurs coûts exploser, leurs rendements baisser, pendant que des produits étrangers traités à l’acétamipride arrivent librement sur nos étals, vendus parfois moins chers. C’est une aberration économique, écologique et morale.

Ce paradoxe est d’autant plus frappant que l’acétamipride continue d’être largement utilisé en France… hors agriculture. Il est présent dans de nombreux insecticides domestiques en vente libre : sprays contre les mouches ou les fourmis, produits anti-punaises de lit, diffuseurs ou gels utilisés dans les logements, écoles, hôtels ou hôpitaux. Il est aussi utilisé par des entreprises de désinsectisation, dans des traitements professionnels validés par les autorités sanitaires. Interdit pour les agriculteurs, mais utilisé dans nos maisons : cherchez l’erreur.

Certains affirment que l’on peut se passer d’acétamipride. En théorie, oui. En pratique, non, ou au prix de pertes considérables. Dans les vergers de pommes, l’acétamipride reste l’un des rares insecticides encore efficaces contre les pucerons résistants. Sans lui, il faut multiplier les traitements, parfois avec des molécules plus anciennes ou moins ciblées, ce qui augmente les coûts et les impacts environnementaux. Dans les cultures de betteraves, l’absence de protection efficace contre le virus de la jaunisse peut faire chuter les rendements de 30 à 50 %. Les alternatives ne sont pas encore matures ou adaptées à une culture intensive sur de grandes surfaces. Et surtout, tant que les producteurs allemands, belges ou espagnols peuvent l’utiliser sans restriction, maintenir cette interdiction en France revient à désarmer unilatéralement notre agriculture.

Dans ma région, dans le Nord, cette situation menace directement des centaines d’exploitations agricoles, mais aussi un pan entier de notre tissu industriel. À elle seule, la filière betterave-sucre représente environ 1 450 emplois directs dans les sucreries des Hauts-de-France. Et lorsqu’on inclut la logistique, les prestataires, les coopératives et la sous-traitance, ce sont plus de 15 000 à 20 000 emplois indirects et induits qui sont concernés dans la région. Cette filière n’est pas marginale : elle irrigue économiquement nos territoires, maintient des bassins de vie rurale, et soutient des générations entières d’agriculteurs et de salariés.

En 2020 déjà, nous avions dû légiférer pour permettre une dérogation temporaire afin de sauver cette filière stratégique. Nous n’allons pas regarder une nouvelle fois cette industrie se déliter, alors que nous avons les moyens d’agir avec discernement.

Le texte que nous avons adopté permet une réautorisation encadrée et strictement temporaire de l’acétamipride, pour une durée maximale de trois ans. Cette dérogation ne sera possible qu’en cas de menace grave sur la production, en l’absence d’alternative, et à condition qu’un plan de recherche sur des solutions de substitution soit engagé. Chaque dérogation devra faire l’objet d’un rapport annuel au Parlement, et sera réexaminée régulièrement. Et surtout, cette réautorisation ne concernera que 1,35 % du territoire national, dans les seules zones où une invasion de pucerons est avérée. Nous sommes donc très loin d’un usage massif ou généralisé. Il ne s’agit donc en aucun cas d’un blanc-seing, ni d’un retour des néonicotinoïdes, mais d’une solution pragmatique à une situation de blocage.

Au-delà de cette mesure, le texte contient d’autres avancées importantes. Il assouplit la séparation des activités de vente et de conseil phytosanitaire pour les distributeurs, tout en maintenant des garanties de transparence. Il protège l’indépendance scientifique de l’ANSES, en supprimant toutes les dispositions qui pouvaient l’affaiblir. Il simplifie certaines procédures environnementales pour les grands élevages, en cohérence avec le droit européen à venir. Il améliore l’évaluation des pertes de récolte, en combinant données satellites et observations de terrain. Et il renforce l’encadrement des missions de contrôle environnemental, pour plus d’équité et de sérénité sur le terrain.

Ce texte est le fruit d’un dialogue exigeant et d’un travail parlementaire intense. Il est aussi cohérent avec notre engagement depuis 2017 : création d’un fonds d’indemnisation des victimes de pesticides, lois de soutien à la filière betteravière, loi d’orientation agricole pour favoriser l’installation et la transmission, encadrement de l’usage des drones pour réduire la pénibilité des épandages. À chaque fois, nous avons cherché à conjuguer exigence environnementale et soutien aux agriculteurs. Ce texte s’inscrit dans cette même ligne : sortir des postures idéologiques pour offrir des solutions concrètes.

En somme, il ne s’agit pas d’un recul écologique, mais d’un ajustement responsable face à une concurrence européenne déloyale. Il ne s’agit pas d’opposer agriculture et environnement, mais de refuser les surtranspositions françaises qui affaiblissent nos exploitants, détruisent nos emplois, et menacent notre souveraineté alimentaire.

Voici en complément l’explication de vote de mon collègue Jean-Luc FUGIT, spécialiste de la question :

C’est pourquoi j’ai voté pour cette loi. Par loyauté envers les agriculteurs du Nord et d’ailleurs. Par cohérence avec mon engagement pour une agriculture durable et juste. Et parce qu’il est temps que la France cesse de se désarmer seule dans la bataille agricole européenne.