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Trésoreries associatives : des millions d’euros dormants qu’il est temps de réguler

Tribune

par Violette Spillebout, Députée du Nord

Alors que la dette publique française dépasse 3 300 milliards d’euros (soit près de 114 % du PIB), le Premier ministre François Bayrou a présenté le 15 juillet 2025 un « plan de redressement budgétaire historique », avec l’objectif de dégager 43,8 milliards d’euros d’économies d’ici 2026, incluant gel des dépenses, baisse des prestations sociales et suppression de deux jours fériés. Ce plan vise à ramener le déficit de 5,8 % à 4,6 % du PIB en 2026, un cap crucial d’après la loi organique.

Dans le même temps, Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, auditionné le 8 juillet 2025, a souligné que les efforts demandés reposent en grande majorité sur l’État, plus que sur les collectivités locales ou la Sécurité sociale :

« C’est l’État qui est touché, beaucoup plus que les collectivités locales… »
Il a salué le plan de Bayrou mais rappelé que cet effort est non seulement considérable, mais aussi indispensable pour la crédibilité de la trajectoire budgétaire

Dans ce contexte de rigueur nationale, chaque euro public compte. Pourtant, certaines associations, financées à plus de 80–90 % par des subventions publiques, accumulent aujourd’hui des millions d’euros de trésorerie ou de placements financiers, souvent sans contrôle ni transparence. C’est ce mécanisme silencieux que nous devons encadrer.

🎯 À Lille, un cas emblématique : Lille3000

Depuis 2019, en tant qu’élue municipale à Lille, j’interpelle régulièrement la majorité sur les excédents de trésorerie de Lille3000, cette association culturelle financée à plus de 90 % par des subventions publiques (Ville, MEL, Région, État). Jamais je n’ai obtenu de réponse en séance sur le niveau actuel de trésorerie, les placements financiers réalisés, ni les contreparties imposées.

Pourtant, le rapport de la Chambre régionale des comptes Hauts-de-France (février 2019) révèle des chiffres sidérants : en 2017 (année sans grande édition), Lille3000 possédait 5,47 millions d’euros de valeurs mobilières de placement (VMP), soit 122 % des charges d’exploitation (4,49 M€).

Ce niveau d’excédent, supérieur à celui de nombreuses structures culturelles nationales, n’a jamais été remis en question par la Ville de Lille. Pire : aucune transparence n’est imposée dans la convention annuelle, et aucune obligation de réinvestir ces excédents dans des actions culturelles n’est exigée.

📊 Une enquête nationale : des dizaines de millions d’euros immobilisés

Pour mesurer l’ampleur du phénomène, mon équipe parlementaire a analysé 51 rapports de Chambres régionales des comptes entre 2016 et 2022. Résultat : 17 associations présentent des excédents de trésorerie importants placés en VMP, souvent sans remarque de la CRC.

Quelques cas emblématiques :

  • Lille3000 (Hauts-de-France) – VMP = 5,47 M€ (122 % des charges) – [Rapport 02/2019]
  • Eure Expansion (Normandie) – VMP = 544 k€ (59 % des charges) – [09/2016] → la CRC recommande de réduire la subvention
  • Office de tourisme intercommunal de Bayeux – VMP = 530 k€ (35,6 % des charges) – [09/2021] → recommandation de réduction du portefeuille
  • ARI – Association régionale pour l’intégration (PACA) – VMP = 37,8 M€ (46,7 % des charges) – [04/2021]
  • Le Clos du Nid (Occitanie) – VMP = 13,8 M€ (25,5 % des charges) – [03/2021]
  • Mission locale de la Mayenne (Pays de la Loire) – VMP = 966 k€ (44,3 % des charges) – [12/2021] → aucun commentaire
  • La Sauvegarde du Val-d’Oise (IDF) – VMP = 4 M€ (20 % des charges) – [02/2021]
  • Hopital Marie Lannelongue (ESPIC, IDF) – VMP = 9,3 M€ (8,2 % des charges) – [08/2020]
  • Aidaphi (Centre-Val de Loire) – VMP = 5,4 M€ (9,2 % des charges) – [01/2021]

Ces exemples montrent qu’au moins plusieurs dizaines de millions d’euros sont aujourd’hui immobilisés ou placés, sans contrepartie sociale ou écologique, dans des structures majoritairement subventionnées.

⚖️ Ce que je propose : transparence, encadrement, exemplarité

Cette situation appelle des mesures simples, équilibrées et responsables. Je travaille actuellement à une proposition de loi, et le dépôt d’amendements ciblés à l’occasion des débats budgétaires.

Voici les 5 mesures que je défends :

  1. Encadrer les excédents de trésorerie : plafonner les réserves (trésorerie + placements) à 3 mois de charges d’exploitation, sauf projets pluriannuels explicitement prévus en convention.
  2. Conditionner les subventions A+1 à l’usage effectif des fonds publics de l’année précédente, afin d’éviter l’accumulation injustifiée.
  3. Rendre obligatoire la publication des placements financiers dans les documents budgétaires et rapports d’activité des associations recevant plus de 100 000 € de subvention publique.
  4. Imposer des placements éthiques : toute trésorerie placée devra l’être dans des fonds verts ou solidaires (type Greenfin, ESS, ISR), à partir du moment où l’association est financée à plus de 50 % par des fonds publics.
  5. Étendre aux associations la loi sur le suivi des recommandations CRC : comme les collectivités, les associations devront rendre compte, dans l’année suivant une observation de la CRC, des actions engagées. (extension de l’article L. 243-9 du Code des juridictions financières)

🤝 Pour une République exemplaire dans la dépense publique

Il ne s’agit pas de stigmatiser le monde associatif, que je respecte profondément, mais d’exiger pour lui les mêmes standards que pour les collectivités ou les entreprises.
On ne peut demander aux Français des sacrifices, réduire les dotations, et fermer les yeux sur des trésoreries dormantes issues d’argent public, parfois investies sans logique d’intérêt général.

Parce que l’argent public n’est pas un capital à fructifier, mais une ressource à utiliser avec justice et exemplarité.