DROIT de RÉPONSE

Ma réponse à l’Édito d’Etienne Gernelle, mettant en cause les députés et sénateurs sur leur engagement

Édito d’Etienne Gernelle du 14/02/2024 à lire ici

Le 14 février dernier, Etienne Gernelle publie un édito dans le journal Le Point, dont il est rédacteur en chef. Il y met en cause l’intention des parlementaires : “sénateurs et députés s’en sont pris à la grande loi de 1881, un monument législatif qui garantit encore aujourd’hui notre liberté d’expression, pour se ménager un petit privilège rien que pour eux.”

Je souhaite donc revenir sur cet édito, puisque Monsieur Gernelle n’a pas souhaité publier mon droit de réponse au précédent article du Point publié quelques jours auparavant. Rien de tel que mon propre site internet pour dire ce que j’ai à dire et pouvoir exercer ma voix dans un débat qui doit rester démocratique.

Début 2024, les sénateurs et députés ont décidé d’améliorer la protection des élus victimes de diffamations et d’injures publiques, en devant de ce fait, modifier la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Cette démarche, qui suscite un vaste et riche débat au cœur des deux assemblées, s’inscrit dans le cadre des dispositions visant à mieux protéger les élus contre le fléau grandissant des agressions verbales et physiques dont ils sont victimes quotidiennement. 

Ces violences, dont l’augmentation constante est affolante, fragilisent le débat démocratique et la démocratie elle-même, car elles découragent un grand nombre d’élus à continuer d’exercer leur mandat. Elles menacent d’étouffer la liberté de parole et d’action des représentants de la nation, en particulier les plus novices, les moins bien dotés ou les plus isolés dans nos territoires. Elles découragent aussi des citoyens à se présenter à des élections dont la vitalité s’en retrouve indéniablement appauvrie. Ce climat délétère est un danger pour tous les Français qui paieront à l’arrivée le prix d’un espace politique déserté par les talents et les bonnes volontés. Cet espace sous pression favorise la pensée tiède, l’esquive ou le renoncement.  La fonction politique doit demeurer digne, attractive, et les électeurs doivent impérativement conserver le droit d’exercer leur choix parmi une offre plurielle et ambitieuse.     

Au sein du débat parlementaire initié par le Sénat sur la Loi de protection des élus, l’article qui modifie la réforme de la loi de 1881, portant de 3 mois à un an le délai de prescription en cas de diffamation, n’est pas un caprice soudain de la majorité présidentielle à l’Assemblée Nationale, comme le laisse entendre Monsieur Gernelle. En effet, cet amendement, soutenu par des partisans de tous bords, a été introduit conjointement par la sénatrice LR, Catherine Di Folco et le groupe socialiste du Sénat, puis voté par la haute assemblée en octobre 2023. 

Face aux inquiétudes que cet amendement suscite, il convient de rectifier le tir, et de trouver le meilleur moyen de concilier deux impératifs démocratiques.  La réponse proposée est peut-être erronée ; et on ne s’abaisse jamais à le reconnaître. Nous devons, nous aussi, être capables de revoir notre copie. Il convient toutefois d’expliquer notre démarche et sa véritable intention.  Certaines attaques contre ce texte sont de véritables procès d’intention, nourris de fantasmes parfois délirants sur le réel objectif de ce projet transpartisan. 

Nous savons tous, députés et sénateurs, à quel point ce texte fondamental de 1881 ne saurait être modifié sans une profonde réflexion et d’infinies précautions. Mais il est utile, et même sain, de pouvoir débattre de l’adéquation de la loi à notre époque. Ainsi, dans un climat hostile décuplé, les élus d’aujourd’hui sont l’objet d’attaques sur des réseaux sociaux dont l’influence ne cesse de croître. Des invectives souvent anonymes, allant jusqu’aux menaces de mort. 

Ces réseaux ont également amplifié la portée et le préjudice de propos diffamants parfois publiés ou énoncés dans des médias, à qui leur destin échappe ensuite. L’effet viral entraîne trop souvent une démultiplication sans fin des atteintes portées à l’honneur et la réputation. La loi de 1881, telle que beaucoup souhaiteraient la préserver, répond-elle aux enjeux d’une société hyperconnectée où la diffamation ne connaît pas l’oubli ?  Nous devons collectivement imaginer une réponse conjuguée au présent et à la mesure des défis posés par l’effet papillon des nouveaux moyens de communication. Cet amendement, qui n’est pas une solution satisfaisante, se voulait néanmoins une réponse concrète aux témoignages recueillis pendant des mois auprès de centaines d’élus désemparés, et dont les députés et sénateurs se font l’écho, bien au-delà de leur propre sort. 

Ces élus, en particulier ceux si nombreux officiant dans des institutions locales des territoires ruraux, se disent pour beaucoup submergés par les atteintes à leur honneur ou leur intégrité. Ces mensonges, beaucoup ne les découvrent que tardivement ; ou bien ils prospèrent à nouveau des mois après avoir été « débunkés ». Ces élus sont une majorité invisible, qui subit attaques et violences dans l’indifférence. Peu assistés, débordés, la plupart des élus ne disposent pas des moyens matériels et financiers pour se défendre et riposter. C’est leur réalité quotidienne que l’amendement décrié vise à mieux protéger. 

Alors même qu’il est demandé d’un côté de conserver à tout prix une dérogation, celle de 1881, d’aucuns ont dénoncé un statut d’exception pour les élus, qui ne seraient pas traités comme les autres citoyens. C’est un argument qui s’entend, mais cette exception est liée à la fonction d’élu, pas à la personne ; une fonction temporaire, particulièrement exposée. Les élus ne réclament pas un régime d’exception mais des mesures justes, mieux adaptées à leur fonction. Ce genre de dérogation, liée à une situation singulière, n’est pas nouvelle, ni choquante, lorsqu’elle est justifiée. La justice, jusqu’au Conseil Constitutionnel, a plusieurs fois estimé qu’il est possible de déroger sans porter atteinte au principe d’égalité. Nous devons toutefois nous interroger sur la question d’équité. 

Des journalistes, société ou syndicats de journalistes, s’insurgent avec une grande sincérité et beaucoup de passion, contre ce qu’ils considèrent comme un amendement liberticide. C’est tout sauf l’objectif recherché. Il n’y a pas de démocratie sans une presse libre, indépendante, impertinente, et même virulente. Il est hors de question de nuire aux médias à travers cet amendement. Puisque le projet sur la protection des élus vise à renforcer la démocratie, il ne saurait porter atteinte à la liberté d’expression. Il ne s’agit pas de s’en prendre au droit de critique ou à des révélations d’intérêt public.  L’amendement concerne uniquement la diffamation et l’injure ; en aucun cas l’information ou l’opinion. Les erreurs non rectifiées ou les manquements déontologiques sont des exceptions qui polluent parfois longtemps, et à répétition, l’espace numérique. Et c’est bien cela que nous visions, à travers cette proposition. Notre intention est louable mais si cet amendement est un remède pire que le mal, alors, en l’état, il n’est pas souhaitable. Le statuquo non plus. Comment préserver l’âme de la loi de 1881 en adaptant la législation au monde moderne ?

Ce débat, nous devons toutefois l’avoir. J’entends parfaitement l’angoisse de ceux qui, dans les médias, redoutent une inflation de procédures et l’asphyxie économique qui en résulterait. C’est peut-être oublier que les élus n’ont ni le temps, ni les moyens, de multiplier des procédures injustifiées ou non fondées. En outre, si des propos diffamants parus dans la presse sont repris au-delà de trois mois par des tiers sur d’autres supports, il est du rôle de la justice de condamner les colporteurs et leurs hébergeurs. Mais nous devons mesurer tous les risques. Et dissiper tous les doutes. 

Les députés, quel que soit leur banc, ont entendu les préoccupations exprimées et vont travailler avec les sénateurs en Commission Paritaire Mixte pour réviser ce texte. Nous réfléchissons à supprimer l’amendement. En toute hypothèse, nous devrons donner des garanties fortes concernant la protection sans faille de la libre information. 

Bien consciente du vif émoi, et fidèle à mon attachement viscéral au dialogue, je discute et je continuerai à discuter avec les représentants des médias. J’ai également invité tous les partis politiques à participer à une Table ronde sur la question à l’Assemblée Nationale. Je suis convaincue que nous saurons trouver le meilleur équilibre.