COMMUNIQUÉSTRIBUNE

Pour une Culture de l’audace

« L’audace réussit à ceux qui savent profiter des occasions » a écrit Proust. Le financement du Louvre est une occasion en or pour débattre du budget de la culture. Pas seulement de celui du prestigieux musée, mais de tout le secteur culturel.

Vive la crise ? Celle que traverse le musée le plus visité au monde doit être l’occasion d’un sursaut. Elle est le symptôme d’un mal plus vaste. Le Président de la République se porte au chevet du Louvre, qui, malgré son succès, est frappé par la vétusté. Alors que la France peine à boucler son budget, le musée qui fait près de 9 millions de visiteurs en 2024, véritable moteur d’attractivité touristique et machine à chiffre d’affaires, aurait besoin de 700 millions d’euros ! Le mécénat, la billetterie, les produits dérivés, les efforts structurels de gestion sont pourtant les leviers qui devraient éviter une telle dépense ! La situation financière du Louvre est une aberration, finalement emblématique d’une politique culturelle globale historiquement défaillante.

Le Président doit impérativement aller au-delà d’un grand chantier lancé par nécessité. Il faut rénover la culture dans son ensemble, par un plan Marshall des idées, plutôt que de dépenser des sommes folles pour préserver un modèle dispendieux. La crise nous oblige à revoir la gestion des équipements et des évènements culturels. La culture ne peut être épargnée par les économies demandées partout et nécessite une gestion rigoureuse, des audits, des règles de transparence sur les salaires des administrateurs des grandes institutions, mais aussi sur les critères d’attribution des deniers publics et de sélection des dossiers.

Si elle n’est pas une économie comme une autre, la culture ne peut plus être un système élitiste, embourgeoisé où peu de structures se partagent l’essentiel des moyens. Il faut oser repenser les clés de répartition, engager la décroissance, et en finir avec les événements démesurés et dispendieux. De hauts fonctionnaires sont largement mieux rémunérés que les artistes. Les nominations à la tête des grandes institutions culturelles illustrent un système fermé, en panne d’audace.

La culture est également prisonnière du parisianisme et l’entre-soi avec 36 % des établissements culturels concentrés en Île-de-France. L’argent public finance inlassablement les mêmes causes engagées. Pourtant, notre créativité passe par la vitalité de tous nos territoires, où la culture est le ciment de la cohésion sociale. Elle vibre encore dans les déserts culturels où nous avons tant besoin de développer l’esprit critique, la citoyenneté et la tolérance. Il faut impérativement faciliter l’émergence de ceux qui n’ont pas les codes, le réseau, notamment dans les zones rurales ou les quartiers populaires.  

La culture est aussi rongée par la folie des grandeurs de certains édiles locaux dont les projets pharaoniques, coûteux et peu accessibles, phagocytent le secteur. La distribution relève bien souvent du fait du prince. Trop d’argent est distribué à trop peu de projets. Les artistes les plus installés, bénéficiant déjà des meilleures infrastructures et dotés de relations, profitent ainsi d’une tacite reconduction des ressources. Cette gestion dispendieuse, réservée à quelques-uns, pénalise les artistes locaux, les petites structures, les projets émergents qui sont les laissés pour compte de ce vase-clos. D’après le rapport Racine, ce sont les artistes qui vivent le plus mal de la création. Un comble. 

Depuis des années, je dénonce la politique culturelle de Lille et de la région Hauts-de-France, consistant à concentrer les dépenses sur quelques événements en vue, comme Lille 3000 ou l’Institut pour la Photographie. Ces choix étouffent la création locale, leur gestion étant souvent empreinte de snobisme et d’orgueil. Je me bats pour que nos talents de tous les quartiers soient davantage aidés. À Lille, 82 % du budget culturel de la Ville est attribué à quatre institutions majeures, au détriment des 49 autres associations locales du secteur subventionnées. A Lille, c’est l’opacité totale sur les critères d’aides aux projets, les salaires des dirigeants et prestataires, et la part réellement réservée aux artistes.

A tous ces artistes qui multiplient les pétitions visant à mieux distribuer les richesses, je dis chiche ! Chiche pour une culture durable ! Favoriser le partage en renonçant à l’inflation de grosses productions afin d’accompagner davantage de projets variés. Démocratiser encore davantage l’accès à la culture. Réorienter le budget du Pass Culture individuel vers l’école, pour accompagner les enseignants et leurs classes dans la durée. Soutenir l’itinérance et encourager la mutualisation des productions culturelles pour réduire l’empreinte écologique et favoriser une plus large accessibilité. 

La crise actuelle nous oblige à repenser l’équité du système et à améliorer la transparence dans l’attribution des fonds. Le rapport Latarjet, datant de 2004, il y a déjà 20 ans, soulignait déjà la nécessité de mieux rémunérer les artistes pour leur temps de création et de recherche, et de repenser le mode de financement, en évitant la surproduction et la concurrence exacerbée entre projets culturels. Le grand défi de ce siècle est celui du partage équitable des ressources culturelles.

Une autre culture est possible. Celle de l’audace.

Tweet de Rachida Dati du 5 février 2024