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Le Point : L’énigmatique couple Spillebout

L’ex-directrice du cabinet de Martine Aubry brigue l’investiture LREM aux élections municipales de 2020, alors que son mari est en conflit avec la maire.

Violette Spillebout (au centre), lors d’une réunion de son collectif Lille C, lancé dans le cadre des élections municipales de 2020.

«On parle tout le temps d’elle, alors que c’est moi qui vais être investie », glapit la députée macroniste Valérie Petit. C’est surprenant, mais les deux candidates déclarées à l’investiture LREM pour les municipales à Lille, Valérie Petit (enseignante-chercheuse, 42 ans) et Violette Spillebout (directrice nationale chargée des situations sensibles à la SNCF, 47 ans) ne se connaissent pas. « Je ne l’ai jamais croisée, ni à La République en marche ni ailleurs », enfonce Valérie Petit, manière de glisser que sa rivale ne bénéficierait pas vraiment de l’aval du parti. 

Elégamment installée dans un café de Lille Europe, Violette Spillebout se raconte sobrement. Longs cheveux roux clair, yeux myosotis, la candidate a de quoi fasciner. On l’imagine partant, couteau entre les dents, dans une campagne vengeresse contre Martine Aubry ? Pas du tout : la voilà qui joue la carte de la bienveillance à l’égard de son ancienne patronne, qu’elle a côtoyée des années durant en tant que cheffe (2001-2005) puis directrice (2008-2013) du cabinet. 

« Compromis ». « Il y a eu une forte complicité professionnelle à un moment donné, une proximité », résume-t-elle, mesurée. Violette Spillebout décrit une « relation de franchise », des « débats » et des « divergences » sur la question des rythmes scolaires ou la relation aux commerçants. En septembre 2013, après dix-sept années à ses côtés, la collaboratrice de Martine Aubry a repris sa liberté et foncé dans le privé. Sans clash avec l’édile de Lille, jure-t-elle : « J’aime la négociation, mais pas l’agressivité ni les clivages. Je suis plutôt dans le compromis, et Martine Aubry le sait. » 

Les deux femmes ne se sont pourtant pas adressé la parole depuis deux ans. L’ancienne première secrétaire du Parti socialiste refuse désormais tout commentaire public sur son ancienne protégée. « Violette a toujours pris les coups à la place de Martine Aubry », juge le sénateur Marc-Philippe Daubresse. Le candidat LR à la mairie de Lille ne tournerait pas le dos à un large front commun au second tour des municipales contre la maire sortante : « Côté programme, il y a 80 % des sujets sur lesquels nous ne sommes pas en désaccord. »

Libre. Olivier Spillebout, époux de la candidate et directeur de la Maison de la photographie, est en conflit ouvert avec la maire PS

Collectif. 

Le programme, justement, Violette Spillebout, qui vit dans le quartier de Fives depuis plus de vingt ans, planche dessus. En janvier, à treize mois des municipales, elle se fendait déjà d’une « Lettre aux Lilloises et aux Lillois », dans laquelle elle détaillait les thèmes de sa campagne, décidés avec son collectif, Lille C. Parmi lesquels l’environnement, tout d’abord, car « il y a urgence à sortir du triste record détenu par Lille avec ses soixante jours annuels de pic de pollution ». Pourquoi ne pas créer un « Central Park lillois » sur le site de Saint-Sauveur ? La mobilité, ensuite, en sortant « des demi-mesures, des non-choix et des décisions incomprises ». Autres priorités : la sécurité (avec une nouvelle police municipale de sécurité armée et le doublement du nombre d’agents), la solidarité (en ouvrant dans chaque quartier des « tiers-lieux de proximité ») et l’attractivité. « Bien sûr, de belles et grandes choses ont été accomplies ces trente dernières années, écrit Violette Spillebout, mais (…) Lille a besoin d’une nouvelle impulsion, (…) d’une nouvelle vision, (…) d’une nouvelle ambition. » Sous sa signature, une citation de Pierre Mauroy, emblématique maire de Lille de 1973 à 2001, dont elle revendique l’héritage : « Je me sens proche de ces utopistes qui, à force de croire obstinément à leurs rêves, finissent par leur imposer la réalité. » 

On la dit effacée, peu connue des Lillois. Qu’importe, Violette Spillebout compense en se multipliant sur tous les fronts. « C’est une femme déterminée, avec une énergie folle », constate Christophe Itier, haut-commissaire à l’économie sociale et solidaire auprès du ministre de l’Ecologie, François de Rugy. C’est ensemble qu’ils ont lancé le collectif Lille C en septembre 2018, composé de personnalités variées et souvent dénuées d’expérience politique (l’urbaniste Thomas Werquin, la juriste Mélanie Legrand, le consultant Sylvain Paillette, la chargée de communication Ingrid Brulant). Au départ, c’est lui qui devait y aller. Mais ses fonctions gouvernementales lui ont imposé un autre choix. « La dynamique est derrière Violette, assure l’ancien directeur de La Sauvegarde du Nord.Elle mène un travail de fond, rassemble du centre gauche au centre droit. » 

« Le pourri et le puant ». Sa ligne politique questionne, toutefois. On lui connaît une fibre sociale (entre 2006 et 2008, elle pilote le projet Lille, ville de la solidarité), a été adhérente du PS pendant des années. Ne verrait-elle en l’étiquette macroniste qu’une opportunité ? « Je me demande sur quoi elle est en désaccord avec le programme de Martine Aubry. Le ciment de son entourage, c’est le mécontentement contre la maire de Lille : des gens qui ont été maltraités par Martine Aubry ou n’ont pas eu la carrière qu’ils espéraient, car elle s’y opposait », glisse un observateur de la vie politique locale, qui voit en Violette Spillebout une « Patrick Kanner au féminin », à qui « il ne faut pas parler de politique trop longtemps parce que ça ne tient pas ». 

« J’ai renouvelé mon adhésion au PS jusqu’en 2012-2013, mais sans participer ; le fonctionnement des partis ne m’a jamais vraiment plu, rétorque la candidate. Et puis cinq ans ont passé, le mouvement En Marche ! est apparu. J’ai voté pour Emmanuel Macron aux deux tours de la présidentielle. J’aime l’originalité du personnage, sur sa vie privée notamment, et son envie de travailler au-delà des clivages gauche/droite. » Pas de contradiction, donc ? Elle marque une pause puis se lance avec force, mais sans brutalité : « Les entreprises et le gouvernement bossent aussi sur l’économie sociale et solidaire, l’inclusion sociale ; sur ces sujets, je m’y retrouve. Quant aux grands sujets nationaux, je ne suis pas forcément en phase, mais je partage l’état d’esprit. Il faut arrêter de stigmatiser l’entreprise, les commerçants, ceux qui gagnent de l’argent et ont souvent très envie de participer à la vie publique de la ville. Beaucoup d’entrepreneurs partagent des valeurs sociales, donc je ne me sens pas écartelée, non. » L’investiture du parti devrait se faire en juin, après les européennes. 

On se demande parfois ce qui la fait tenir, malgré « les rumeurs et les coups » qu’elle prend, « le pourri et le puant »« L’amour qu’elle porte à son mari est l’un de ses carburants, croit savoir un proche du couple. Jusqu’où la pousse-t-il au combat contre Martine Aubry ? Impossible à dire, mais il est très présent. » L’époux, Olivier Spillebout, chargé des réseaux sociaux pour la campagne de sa femme, est bien connu des Lillois : il est le directeur de la Maison de la photographie, installée à Lille-Fives depuis 2003. Tous deux se sont rencontrés dans la capitale des Flandres il y a plus de vingt-cinq ans – à l’époque, elle donne des cours de danse, lui gère des salles de sport. Ensemble ils ont deux filles, de 13 et 20 ans. 

Désunion. Martine Aubry, maire PS de Lille, et Violette Spillebout, alors directrice du cabinet, en juillet 2011. Les deux femmes ne se parlent plus depuis deux ans.

Débarqué. 

Connu pour être fort en gueule, Olivier Spillebout est en conflit ouvert avec la maire de Lille depuis plusieurs années. Violette a fait tampon longtemps ; plus maintenant. « C’est un homme libre, Olivier, soupire-t-elle. Il s’est opposé très tôt à l’hégémonie du modèle Lille 3000, à la politique culturelle de Martine Aubry. » En janvier 2018, l’édile ira même jusqu’à couper les vivres de l’association qu’il dirige, en supprimant la subvention de 130 000 euros qui lui était accordée chaque année. 

« Tu n’as pas peur ? » demande-t- on souvent à Violette Spillebout. « Je me suis préparée aux attaques, aux moments difficiles. Il y en a déjà eu beaucoup depuis un an, mais je n’ai pas peur, non, ç’aurait plutôt tendance à me renforcer », souffle la candidate. Il est vrai qu’il ne fait pas bon être vu en sa compagnie, ces derniers temps. Le socialiste Jean-Marie Lambrechts en a fait l’expérience, en se voyant débarqué de ses mandats de représentant au comité de ville et au conseil de quartier de Lille-Sud, début avril. « Martine Aubry m’a fait payer mon rapprochement avec Violette, et de manière pas franchement démocratique, regrette-t-il. Je ne suis pas le premier à être démissionné d’office, mais bon… On devrait pouvoir s’exprimer et débattre, même si on n’est pas d’accord. » 

Pensive, l’ancienne fidèle de Martine Aubry constate : « Avec la politique, j’ai pris un virage que j’aime, qui m’apporte beaucoup. Je crois en cette possibilité de devenir maire de Lille. Si ça ne marche pas ? Je continuerai de défendre mes convictions, peut-être dans l’opposition. » Elle sourit, enfin, et soudain la glace fond

Par Clémence de Blasi (avec Geoffroy Deffrennes)

Le Point 25/04/2019 / FRANCK CRUSIAUX/REA (X2) – PHOTOPQR/VOIX DU NORD