TRAVAIL PARLEMENTAIRE

Face à la guerre de l’information qui menace nos démocraties : des réponses fortes et urgentes.

Contexte

A la veille du lancement des Etats Généraux de l’Information, nous, députés de la Majorité Présidentielle, membres de la commission des Affaires Culturelles et éducation, voulons agir.

Car, nous sommes conscients que la France, comme de nombreuses sociétés occidentales, est frappée par une crise de l’information sans précédent, qui fait peser un risque majeur sur notre démocratie.

Quatre ruptures majeures expliquent cette crise profonde.(1)

– une rupture technologique : la montée en puissance du numérique a remis en cause la place des médias traditionnels et a bouleversé la vitesse de circulation de l’information. Elle est devenue une frénésie, une source d’addiction à l’ère des réseaux sociaux et créée, selon une étude récente, une fatigue informationnelle chez un Français sur deux.(2)

– une rupture des usages : les Français ne consomment plus les médias traditionnels de la même manière. 68% des Français s’informent aujourd’hui sur les réseaux sociaux et, pour les 18-24 ans, ils représentent même la principale source d’information.(3)

– une rupture des modèles économiques : la disparition de certains médias et la concentration de plus en plus grande suscitent de vives inquiétudes, ce qui a conduit nos collègues sénateurs à mener une commission d’enquête en 2022.

Dans cette nouvelle économie, les données sont un actif stratégique pour ces plateformes numériques qui suivent une seule logique, celle du profit. « Ils choisissent de mettre hors jeu le citoyen bien informé pour lui préférer un consommateur bien aiguillé ».(4)

Fondée non sur l’éthique du journaliste mais sur la captation de l’attention, la nouvelle économie de l’information, celle des acteurs du numérique, a appris à exploiter nos biais cognitifs et nos données intimes.

– une rupture de l’information à proprement parler : désormais chaque Français, grâce aux plateformes numériques, peut créer, produire, relayer de l’information, de l’opinion, des contenus auprès d’une audience toujours plus large. Il peut donc être également un acteur, souvent anonyme, de la désinformation et de l’infox. Nous sommes entrés dans l’ère de l’hyperinformation, l’ère d’un torrent d’informations horizontales, non structurées, non éditorialisées, non hiérarchisées où les algorithmes, l’intelligence artificielle et les Big Data trient et organisent pour nous, de manière insidieuse, l’information.

Cette crise de l’information se manifeste dans une défiance généralisée envers les médias traditionnels. Les chiffres sont glaçants : une enquête menée auprès de plus de 33.000personnes dans 28pays a montré que les médias sont désormais l’institution en laquelle la confiance est la moindre. Ainsi, 54% des Français pensent que « la plupart du temps il faut se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité».

En parallèle, 35% des Français, mais près de 70 % des 18-24 ans, croient aux théories complotistes, conspirationnistes et aux fakes news, alors que seul un jeune sur trois considère que « la science apporte à l’homme plus de bien que de mal ».

Cette crise de l’information fait le lit du relativisme, de l’irrationnel, du complotisme, de la manipulation, des extrémismes et parfois même de l’indifférence et de l’apathie, autant de poisons mortels pour nos démocraties.

En réalité, nous faisons face aujourd’hui à une véritable guerre de l’information. De nouveaux soldats y portent des coups sévères à la vérité: robots cliqueurs, algorithmes opaques, automates de traitement, deep-fakes, contenus produits par des intelligences artificielles, mensonges universellement relayés… Distinguer le vrai du faux n’est plus naturellement à la portée de tous et requiert désormais des compétences très spécifiques.

Si la régulation des réseaux sociaux et des nouvelles technologies est essentielle pour assurer une meilleure information, il est urgent de donner à nos médias d’information les moyens de se défendre.

Concurrencés par les réseaux sociaux, ils souffrent également d’attaques calculées, à des fins économiques, politiques voire d’ingérence étrangère. Alors qu’une concentration et un virage éditorial d’une partie de la presse sont à l’œuvre, l’indépendance éditoriale, la liberté d’informer, le pluralisme et la mise en place de modèles économiques du numérique qui ne soient plus prédateurs, sont devenus, plus que jamais, des combats indispensables et urgents à relever.

Dans ce contexte, le lancement par le président de la République des États généraux de l’information est salutaire. Les travaux qui vont s’ouvrir doivent apporter des réponses fortes et urgentes.

Ambition

Des pistes ont déjà été formulées ici ou là et il ne faut en écarter aucune tant la crise de l’information est complexe, profonde et protéiforme.

1. La généralisation de l’Éducation aux Médias et à l’Information : un rapport parlementaire de mars 2023 conclut ainsi à 10 recommandations à mettre en œuvre pour y parvenir.

2. Une diffusion massive de l’éthique et de la déontologie journalistiques en est une autre : y avoir été formé permet à chacun de mieux identifier les contenus qui ne les respectent pas.

3. Un encadrement des algorithmes, de l’intelligence artificielle et des Big Data.

4. La refondation des modèles économiques de l’information, laminés par le modèle des plateformes qui offre des contenus gratuits en échange des données des usagers, soit un transfert de valeur des contenus informationnels aux données personnelles.

5. La préservation de l’indépendance et du pluralisme des médias avec des droits étendus pour les rédactions.

La lettre de cadrage du président de la République reprend un certain nombre de ces pistes et dresse une feuille de route particulièrement ambitieuse pour les États Généraux.

Méthode

L’ambition et les attentes sont si fortes, les enjeux et les défis si larges et si pluriels que toutes les parties-prenantes, les experts, les citoyens, les responsables politiques doivent y prendre leur part, amener leur contribution, et participer aux débats.

SI les médias et les journalistes doivent avoir une place essentielle, les influenceurs, les bloggeurs, les nouveaux éditeurs de contenus ont légitimement leur mot à dire. Tout comme les plateformes, et notamment leurs développeurs logiciels qui élaborent les algorithmes mais également leurs dirigeants qu’il faut contraindre à plus de transparence.

Les enseignants, qui ont la charge de l’éducation aux médias et à l’information, et produisent tous les jours des contenus pour leurs élèves, doivent également prendre part aux débats. La diffusion de l’information aux jeunes générations passe par eux.

Les parents doivent également participer.

Les nombreux chercheurs français, européens et internationaux qui interrogent ces questions depuis de nombreuses années et ont acquis une expertise scientifique fine de ces problématiques auront un rôle majeur pour éclairer les débats et contribuer à l’élaboration de mesures concrètes et efficaces.

Comme l’a souligné le président de la République, les Etats généraux de l’information seront réussis s’ils ne restent pas dans la pure incantation : ils doivent déboucher sur des actions effectives. Ils se doivent de réussir et d’inventer un modèle français de l’information à même de garantir pleinement ce droit fondamental à une information indépendante, libre et fiable.

Et comment aboutir à des avancées concrètes, à un ou des projet(s) de loi ambitieux et voté(s) largement de façon transpartisane, si les députés qui portent ces questions ne sont pas autour de la table ?

Parlementaires de tous les bords politiques, nous y prendront toute notre part, convaincus qu’il s’agit d’un défi démocratique et civilisationnel majeur. Sinon, les conclusions des travaux pourraient rester lettre morte.

Membres de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Tribune publiée dans Ouest France du 1 octobre 2023


Source

(1) Ces quatre ruptures ont été décrites par Vincent Giret, directeur de l’information de Radio France dans la tribune « La crise de l’information, enjeu existentiel de nos démocraties », Les Echos, 22/11/2018.

(2) Bruno Patino, S’informer, A quoi bon ?, Editions La Martinière, 2023.

(3) Baromètre 2023 de la confiance des français dans les médias, Kantar Public, janvier 2023.

(4) Nathalie Sonnac, « Le nouveau monde des médias. Une urgence démocratique », éditions Odile Jacob, 2023.


Violette Spillebout, Députée du Nord. Photo F.Jannin
Jérémie Patrier-Leitus, Député du Calvados. photo DR
Laurent Esquenet-Goxes, Député de Haute Garonne. photo DR