COMMISSION d'ENQUÊTETRIBUNE

Quand le JDD travestit le travail parlementaire au profit de l’idéologie.

Tribune

Je m’étonne. Et je m’inquiète.

Je m’étonne qu’un journal comme le Journal du Dimanche, s’emparant d’un sujet aussi grave et aussi essentiel que le contrôle de l’Etat sur les violences faites aux enfants en milieu scolaire, n’ait à aucun moment, depuis février 2025, pris contact avec l’un des deux corapporteurs de la commission d’enquête parlementaire dédiée à ce sujet. Ni moi-même, députée de la majorité et co-rapporteure de la commission d’enquête, ni mon collègue Paul Vannier, député LFI, n’avons été sollicités pour éclairer les lecteurs sur l’origine de la démarche, les motivations de cette commission transpartisane, et les recommandations construites au terme de six mois d’auditions rigoureuses et approfondies.

Je m’inquiète qu’un journal d’information ouvre son article du 9 juillet 2025, signé de la journaliste Élisabeth Caillemer, sur des citations d’un député du Rassemblement National, Roger Chudeau, qui, factuellement, n’a été présent que quelques heures – tout au plus – sur les plus de 100 heures d’auditions. Un parlementaire de notre commission qui, de toute évidence, ne dispose pas d’une vision globale de nos travaux. Donner la parole à ce député en ouverture, en lui accordant le statut d’observateur averti, alors que les co-rapporteurs sont ignorés, constitue un parti pris éditorial choquant.

Le message est clair : dans cet article, l’idéologie l’emporte sur l’information.

Il est tout aussi troublant de constater que mon rôle de députée de la Nation, engagée dans la lutte contre les violences faites aux enfants, est complètement évacué. Mon travail est réduit à l’action supposée d’un seul groupe politique, la France insoumise, comme si les combats contre les crimes et les silences institutionnels ne pouvaient venir que d’un seul bord. C’est non seulement faux, mais aussi profondément sexiste et réducteur de ne pas reconnaître mon engagement en tant que femme députée, co-rapporteure, pleinement investie dans ce travail de vérité.

Je suis également frappée par le silence des médias du groupe Bolloré – JDD, Europe 1, CNews – dont je suis pourtant une invitée régulière depuis plusieurs années. Depuis ma nomination comme co-rapporteure de cette commission d’enquête, plus aucune invitation, plus aucun échange sur cette thématique, malgré les centaines d’articles de presse, les nombreuses interventions dans les autres médias nationaux, et l’importance capitale du sujet pour nos concitoyens. J’ai même proposé de venir en parler sur les médias du groupe, sans retour aucun.

Moi qui ai souvent été très critiquée pour vouloir défendre le pluralisme et l’expression de chacun partout, y compris dans les médias du groupe Bolloré, je me dois donc ici d’alerter Geoffroy Lejeune, rédacteur en chef du JDD, comme ses collègues, sur un biais évident qui nuit à cette analyse, et pourrait remettre en cause mes convictions à ce sujet.

Car ce silence sur notre commission ne peut être interprété autrement que comme une censure idéologique. Il s’agit là d’un véritable verrou médiatique, empêchant la juste information des Français sur les milliers d’enfants agressés, parfois détruits à vie, dans des établissements scolaires français, publics comme privés.

Le groupe Bolloré est même allé plus loin que le silence ou le mépris des co-rapporteurs : à plusieurs reprises, notamment sur Europe1, on a entendu des éditos à charge,  illustrant de manière inquiétante la désinformation qui entoure le travail de la commission d’enquête sur ces médias. Je me souviens de celui d’Alexis Brezet, le 3 juillet dernier : un réquisitoire idéologique caricatural sur notre commission d’enquête. Haro sur l’enseignement catholique, haro sur l’État, haro sur François Bayrou ?… Mais aucun mot sur les faits, les victimes, ni le travail parlementaire accompli. L’éditorialiste est même allé jusqu’à affirmer que certains ministres comme Ségolène Royal ou Élisabeth Guigou n’auraient pas été auditionnées, ce qui est factuellement faux. Elles ont été entendues, comme plus de 140 témoins, dont des ministres de tous bords. Enfin, comme le fait le JDD dans son article du 9 juillet, l’auteur insinue que cette commission serait le fruit d’une manipulation de deux députés mal intentionnés, oubliant que sa création a été votée à l’unanimité par tous les groupes politiques de l’Assemblée nationale, et que son rapport a été adopté massivement. Accuser ses rapporteurs de partialité ou de mépris du droit, c’est ignorer les prérogatives du Parlement, et dénigrer les fondements mêmes de notre démocratie.

Car oui, le rapport que nous avons rendu ne se limite pas à l’enseignement privé catholique. Il analyse des mécanismes d’emprise, d’omerta, de silence et de défaillances systémiques dans tous les types d’établissements. Il formule 50 recommandations concrètes, équilibrées, fortes, pour prévenir, repérer, signaler, protéger. Mais l’article du JDD, en ne citant que quelques extraits sur les relations entre l’État et l’enseignement privé catholique, en déforme profondément la portée, la richesse, comme l’urgence de la mise en œuvre.

Je veux aussi dénoncer une affirmation factuellement erronée. L’article du JDD du 9 juillet prétend que l’élargissement du périmètre de la commission d’enquête au-delà du secteur privé catholique serait dû au Rassemblement national. C’est faux. Le 19 février, en commission des affaires culturelles, c’est un débat approfondi entre députés de tous bords – et en particulier mes interventions et celles de députés du bloc central – qui a permis, à l’unanimité, d’élargir le champ aux établissements publics et à tous les établissements sous contrat et hors contrats, quelle que soit l’appartenance cultuelle à un réseau d’enseignement. Le RN n’en a été ni l’initiateur ni le moteur. Revendiquer ce travail collectif est une usurpation.

Enfin, je suis profondément préoccupée par le traitement réservé à la question du secret de la confession. Dans un encadré de l’article sur l’application du JDD (voir capture d’écran ci-dessous), la journaliste conclut : “Cela priverait la société d’un espace discret où l’on peut mesurer la gravité de ses actes, à savoir un appel à se corriger et à se remettre en règle avec la justice”. Voilà donc qu’il serait légitime de protéger ce secret, même lorsqu’il s’agit d’une agression ou d’un viol sur mineur ? Cette position est non seulement contraire aux principes républicains et aux obligations de protection de l’enfance, mais extrêmement dangereuse. Elle nie les efforts de dialogue entrepris avec l’Église catholique, alors même que le président de la Conférence des évêques de France a manifesté son ouverture à un travail commun avec le Garde des Sceaux. Fermer la porte à ce débat, c’est trahir les victimes et mettre en danger d’autres enfants.

Au fond, ce qui transparaît de cet article, c’est une volonté de décrédibiliser un rapport qui dérange, en l’enfermant dans un récit partisan et caricatural. Mais les faits sont là. Des milliers d’enfants ont été victimes de violences dans notre système scolaire. Ils méritent mieux que des querelles politiques et des manipulations médiatiques. Ils méritent la vérité, la justice et la protection.

Et cela suppose de regarder la réalité en face, sans tabou, sans détour, sans censure.


Capture d’écran du site JDD
Capture d’écran du site JDD