PRESSE

Libé : Violette Spillebout, bébé requin

L’ex-directrice de cabinet de Martine Aubry se présente contre la maire PS de Lille, sous les couleurs LREM.

Par Stéphanie Maurice, photo Aimée Thirion — 17 novembre 2019 à 17:36

photo Aimée Thirion

C’est idiot, une chanson, un peu comme un inconscient qui parle. «Bébé requin, bébé velours / Bébé requin, bébé d’amour.» Pendant tout le samedi passé avec Violette Spillebout, candidate de La République en marche (LREM) aux municipales à Lille, trottait dans la tête cette rengaine un peu bête, chantée par France Gall. On a pensé à l’association d’idées, la dame a longtemps été considérée comme un bébé Aubry. La maire de Lille l’avait choisie comme cheffe, puis directrice de cabinet, avant que Spillebout ne mette les voiles, en 2013. A 47 ans, elle est directrice de la relation client à la SNCF. Par acquit de conscience, vérification des paroles, et bingo. «Je suis un bébé requin, au ventre blanc / Aux dents nacrées […]. / Et sans que tu le saches, avec amour, avec douceur […] / Je vais te dévorer le cœur.» Et c’est bien un petit prédateur politique dont on a suivi les pas, charmant et intelligent, mais qui a déjà croqué en amuse-gueule la députée Valérie Petit. Celle-ci s’est vu souffler l’investiture LREM pour la tête de liste à Lille. Elle crie au vol politique, Spillebout reste impassible. «Elle ne me connaît pas, je ne vois pas comment elle peut me juger», flingue-t-elle, d’une voix égale. Et faussement innocente : «Je ne me connais pas beaucoup d’ennemis.»

Elle a pourtant réussi à capter l’intérêt en se dessinant une cible dans le dos. Tous contre elle, ou presque. Avec sa candidature, elle a cassé les plans de la droite modérée, qui espérait, derrière Valérie Petit, se rassembler et avoir, enfin, l’espoir de gagner un beffroi de gauche réputé insubmersible. Depuis, l’UDI et le Modem se sont ralliés à elle, Jean-René Lecerf, le président du conseil départemental du Nord et candidat de droite aux municipales de 2014, n’a cependant pas de mots assez durs envers elle. Ce n’est pas son genre, il est homme à peser ses propos. Elle hausse des sourcils parfaitement dessinés. «Je ne comprends pas ce qui lui a pris.» Chez les socialistes, elle est la première des renégats. Biberonnée dans le giron municipal, elle est passée à LREM à la suite de son mari, Olivier Spillebout, directeur de la Maison de la photographie, et pourfendeur de la politique culturelle de Martine Aubry. Des militants d’extrême gauche perturbent ses réunions, ce dont elle profite pour un buzz légèrement surfait. «Qu’on parle en bien ou en mal de moi, peu importe, il faut que je comble mon déficit de notoriété», explique-t-elle, dans un de ces accès de franchise qui lui sont fréquents. Les Verts soupirent. Malgré leur bon score aux européennes, Spillebout leur pique toute la lumière. «Elle fait bien campagne et elle monte»,reconnaît un connaisseur de la politique locale. «Elle a réussi à installer un face-à-face Aubry-Spillebout.» La maire de Lille n’est pourtant pas encore officiellement candidate.

Le scénario a tout pour plaire, l’ancienne fidèle qui se retourne contre son mentor. Pourtant, un éléphant, c’est un gros morceau pour un petit requin. Elle dément, mollement : «Le sujet n’est pas Martine Aubry, mais le renouveau à la mairie de Lille.» Et compatit : «Je comprends qu’elle soit triste.» «Triste» ? Plutôt remontée comme un coucou suisse. Martine Aubry a appris la désaffection de son ancienne collaboratrice dans la presse, en janvier 2018. Au conseil municipal suivant, la subvention de 130 000 euros à la Maison de la photographie de son mari a été sucrée. Ambiance. Alors, ça fait quoi d’être dans la peau de la félonne ? Elle répond, du tac au tac : «On ne peut pas qualifier quelqu’un de traître quand il refuse la soumission.» Pas de commentaire du côté de la mairie.

Dès les débuts d’Aubry au beffroi, en 2001, Spillebout a été son ombre, son âme damnée, disent certains. Du quasi-fusionnel, que les photos d’époque racontent, la femme de pouvoir se penchant vers sa directrice de cabinet pour une précision, un aparté. «On avait une complicité professionnelle. Martine Aubry est vite dans le tutoiement, c’est quelqu’un qui fait rentrer très facilement dans une relation familière», dissèque-t-elle. Et elle note, perfide : «Pierre Mauroy était très différent, il avait une distance qui lui donnait une stature. D’ailleurs, la grande vision pour Lille, c’est lui.» Violette Spillebout décrit une Martine Aubry «dans le contrôle, dans l’hyperprésence». Elle, elle se promet d’accorder de vrais pouvoirs de délégation à ses adjoints si elle est élue. Un ancien habitué de la mairie s’étrangle : «Elle dénonce une ville cadenassée, mais elle a elle-même aidé à en fabriquer les clés. Toute la façon de faire d’Aubry, c’est elle qui en est l’architecte !» Une contradiction présente jusque dans ses argumentaires de tractage. Elle peut lancer «j’ai travaillé avec Martine Aubry plusieurs années» et en même temps «Lille a besoin d’un nouveau souffle». Et jurer, la main sur le cœur, qu’elle est toujours de gauche.

Violette Spillebout était la femme des réseaux auprès de Martine Aubry. «Plutôt dans les associations haut du panier», souffle un de ses détracteurs. Genre Rotary. Rémi Lefebvre, professeur de science politique, explique : «Elle a un profil très techno et pragmatique, pas du tout politique.» Etudes en santé publique, père directeur de recherches à l’Inra, mère prof de français. Il poursuit : «Elle n’était jamais aux réunions de section, et était très critique sur l’appareil. Elle était macronnienne avant l’heure.» Christophe Itier, un marcheur lillois de la première heure, loue sa force de travail. C’est incontestable. Elle laboure le terrain. Les Lillois ne la connaissent pas, alors Violette Spillebout se pointe partout où elle n’est pas invitée, au culot.

Ce samedi matin, c’est à l’inauguration d’une exposition d’artistes amateurs. Elle claque la bise à tout le personnel municipal, elle a été responsable du protocole, elle les tient sous le joug de la politesse. Ils sont bien embêtés. Même chose pour les adjoints au maire présents, qu’elle salue joyeusement. Têtes déconfites. Elle joue au chamboule-tout et c’est plutôt drôle. On retrouve du Aubry en elle, ne lui déplaise. Le même aplomb, les mêmes piques pour les retards, qu’elle n’a pas l’air de supporter non plus.

Violette Spillebout se trouve trop lisse, trop papier glacé, mais dès qu’elle cesse de sourire, le visage se durcit, on sent une volonté de fer. Celle de l’adolescente qui se rêvait danseuse étoile à l’Opéra de Paris, qui a multiplié les blessures, avant de se rendre à l’évidence. «Je n’avais pas le corps qu’il fallait», dit-elle. Elle s’est déchiré mollet et tendon d’Achille il y a deux ans, en descendant d’un TGV, long arrêt de travail et fauteuil roulant. Elle a détesté dépendre des autres. Elle ne le reconnaîtra pas, mais il y a une forme de pari avec elle-même dans sa candidature. Le bébé requin veut devenir grand.

  • 1972 Naissance.
  • 1995 Ingénieur-maître en santé publique.
  • 2001 Cheffe de cabinet de Martine Aubry.
  • 2008 Directrice de cabinet.
  • 2013 SNCF.
  • 2018 Adhère à LREM.
  • Juillet 2019 Candidate LREM à Lille.

Libération 17 novembre 2019, Lire l’article ici