MUNICIPALES 2020PROTESTATION ÉLECTORALE

Mémoire devant le Conseil d’Etat – Élections Municipales Lille 2020

Au lendemain des élections municipales de Lille 2020, gagnées par Martine Aubry à 227 d’écart avec la liste Lille Verte, la liste Faire Respirer Lille, conduite par Violette Spillebout, ainsi que celle de Lille Verte, ont décidé de formuler un recours électoral devant le Tribunal Administratif de Lille.

En Février 2021, le Tribunal Administratif a décidé de rejeter les deux requêtes, tout en tenant compte d’un certain nombre de signatures différentes entre les deux tours, ce qui a réduit l’écart à 165 voix. Les deux listes ont décidé de faire appel de la décision devant le Conseil d’Etat.

Violette Spillebout a estimé que : “Ce qui est important, c’est la sincérité du scrutin. Les règles électorales doivent être respectées par tous. Quelle que soit l’issue, les deux dossiers montrent largement que les règles ont été bafouées pendant toute la campagne”. Vous trouverez ici la requête en appel, complète, ainsi que les nombreuses preuves apportées dans ce dossier.


CONSEIL D’ETAT – Section du contentieux

REQUETE ET MEMOIRE

POUR :

1°) M. Louis-Dominique LAUGIER, né le 30 septembre 1945 à Amiens (80000), de nationalité française, domicilié à Lille (59000) 15, place Richebé, électeur de la commune de Lille

2°) Mme Violette SPILLEBOUT, née le 2 septembre 1972 à Lyon (69000), de nationalité française, domiciliée à Lille (59000), 18, rue Frémy, électrice de la commune de Lille

Ayant pour avocats :

– la SCP Manuel GROS, Héloïse HICTER, Audrey D’HALLUIN et associés, représentée par Me Héloïse HICTER, avocate au barreau de Lille

– et la SCP MARLANGE-DE LA BURGADE, représentée par Me Denis DE LA BURGADE, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation

CONTRE :

Le jugement n° 2004513 du 4 mars 2021 du tribunal administratif de Lille rejetant la protestation électorale de M. LAUGIER et de Mme SPILLEBOUT visant notamment à l’annulation des opérations électorales des élections municipales et communautaires de Lille et de ses communes associées Hellemmes et Lomme, qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020

Les exposants défèrent le jugement susmentionné à la censure du Conseil d’Etat et en requièrent l’annulation en tous les chefs leur faisant grief, par la présente requête.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Les élections municipales et communautaires sur le territoire de la commune de Lille se sont achevées à l’issue du second tour le 28 juin 2020 par la victoire de la liste « Lille en commun, Lille en confiance » :

Ainsi, la commune de Lille totalisait pour le 2ème tour du scrutin 124 439 inscrits pour 39 481 votants. La liste présentée par Mme Martine AUBRY a totalisé 15 389 voix, celle conduite par M. Stéphane BALY 15 162 voix, et celle conduite par Mme Violette SPILLEBOUT 7 919 voix.

L’écart de voix entre les deux listes arrivées en tête au 2nd tour n’est donc que de 227 voix soit 0,6 % des votants et 0,2 % des inscrits (Pièce n°22). Les nombreuses et graves irrégularités qui ont entaché ces élections, ont nécessairement, eu égard à l’écart de voix infinitésimal, altéré la sincérité du scrutin.

Alors que le code électoral et la jurisprudence fixent un régime strict de séparation, la confusion entre les moyens de la commune et ceux de la campagne électorale et entre l’expression et les prérogatives de la maire et celles de la candidate sera entretenue durant toute la campagne aussi bien par Mme AUBRY elle-même que par les membres de son cabinet, ses colistiers, et le parti qui l’avait investie.

La campagne de Mme AUBRY a été toute entière marquée par la manipulation des électeurs, l’utilisation de moyens issus de personnes morales dépendantes de ou en relation avec la commune, le soutien à des opérations de type publicitaires, la mise en avant des réalisations de la collectivité au bénéfice de la candidate, des pressions sur des électeurs et des relais d’opinion, et même des libéralités destinées à les convaincre, toutes choses prohibées par le code électoral.

A ces griefs, s’ajoute un certain nombre de faits qui ont porté atteinte à la sincérité du scrutin durant la campagne et le jour des opérations de vote.

Dès lors qu’ils concernent une candidate rompue au droit électoral, ces faits, récurrents du début à la fin de la campagne, doivent évidemment être qualifiés de manœuvres destinées à fausser le résultat du scrutin et entrainer l’annulation de l’élection, eu égard à la faiblesse du nombre de voix qui séparent Mme AUBRY de son concurrent le plus proche.

C’est dans ces conditions que Mme Violette SPILLEBOUT et M. Louis Dominique LAUGIER ont formé une protestation électorale contre ce scrutin, et en conséquence sollicité du tribunal administratif de Lille qu’il déclare la candidate élue inéligible.

Cependant, par jugement du 4 mars 2021, le tribunal a rejeté leur protestation, en même temps d’ailleurs que celle qui avait été formulée par les Verts.

C’est le jugement attaqué.

DISCUSSION

A) Sur l’annulation du jugement attaqué

1. Sur défaut de reconnaissance d’un moyen d’ordre public tiré de la violation de l’article L. 62-1 du code électoral

Il est important de rappeler tout d’abord les dispositions de l’article L. 62-1 du code électoral qui prévoient que :

« Pendant toute la durée des opérations électorales, la liste des électeurs par bureau de vote établi à partir de la liste électorale de la commune est déposée sur la table à laquelle siège le bureau. Cette liste comporte les mentions prévues au deuxième et troisième alinéa du 1 de l’article L. 16 ainsi qu’un numéro d’ordre attribué à chaque électeur. Cette liste constitue la liste d’émargement. Le vote de chaque électeur est constaté par sa signature apposée à l’encre en face de son nom sur la liste d’émargement ».

En l’espèce Les protestataires ont relevé l’existence de signatures radicalement différentes sur les listes d’émargement entre les premier et second tours.

Le tribunal administratif de Lille a toutefois considéré que :

« ces griefs, qui ne sont pas d’ordre public dès lors qu’il n’appartient au juge élection que de vérifier la régularité des seuls émargements précisément mis en cause dans le cadre du délai de protestation, ne sont pas recevables. Pour justifier de la recevabilité de leurs griefs, les protestataires invoquent les circonstances sanitaires prévalant lors de la première semaine du mois de juillet 2020. Toutefois, malgré celles-ci, Mme SPILLEBOUT et M. LAUGIER étaient en mesure de soulever un grief relatif à la régularité d’au moins un émargement dans chacun des 127 bureaux de vote dans le délai de cinq jours imparti par l’article R.119 du code électoral, sans qu’il leur soit nécessaire à ce stade de mentionner l’ensemble des émargements qu’ils estimaient réguliers dès lors qu’ils auraient ainsi disposés de la possibilité d’invoquer ultérieurement l’irrégularité d’autre émargement pour ces mêmes bureaux ».

À la lecture littérale de la justification apportée ici par le tribunal administratif en première instance, les protestataires comprennent qu’ils auraient dû tromper la religion du tribunal en invoquant une irrégularité de signature dans chacun des bureaux de votes alors même qu’il était matériellement impossible de consulter l’ensemble des registres de chacun des deux tours des 127 bureaux dans un délai de cinq jours.

En outre, et par ailleurs, il est intéressant de noter que le tribunal reconnaît expressément qu’il résulte des dispositions de l’article R. 119 du code électoral : « qu’un grief formulé après l’expiration du délai de recours fixé par cette disposition n’est pas recevable, hormis le cas où ce grief serait d’ordre public ».

C’est donc par une erreur de droit, renforcée par un défaut de prise en compte des circonstances exceptionnelles liées à la crise sanitaire, que le juge administratif de première instance a déclaré le moyen comme irrecevable.

On rappellera pourtant que le président Odent voyait dans le moyen d’ordre public « un moyen relatif à une question d’une importance telle que le juge méconnaîtrait lui-même la règle de droit qu’il a pour mission de faire respecter si la décision juridictionnelle rendue n’en tenait pas compte : c’est l’importance de cette question qui légitime l’examen d’office ».

Le juge n’a donc pas rempli son office en statuant de la sorte.

En effet, il est important de rappeler ici que le requérant peut toujours présenter, après l’expiration des délais de recours, des moyens de nature à étayer les griefs sur lesquels il s’est fondé pour formuler sa protestation, ce de jurisprudence constante (CE, 28 avril 1965, Élect. cant. Roquebillière, Lebon p. 946).

Seul un moyen tiré d’une cause juridique nouvelle sera déclaré irrecevable en application de la célèbre jurisprudence Intercopie (CE sect., 20 février 1953, Sté Intercopie, Lebon p. 88).

Or en plein contentieux, comme en contentieux des élections, la notion de cause juridique est délicate à déterminer : elle est, ainsi que l’a défini Marcel Waline, « le fondement juridique invoqué pour exiger la reconnaissance d’un droit qui constitue l’objet de la demande ».

Ce fondement juridique est nécessairement vaste et relève des grandes catégories de causes juridiques : le fondement de responsabilité pour faute constitue une cause juridique, comme celui de responsabilité pour risque (CE ass., 10 février 1961, Cts Chauche, Lebon p.108; CE, 24 mars 1989, Épx Delcoigne, n° 71264, Lebon T. p. 899), l’existence d’une faute de service, la responsabilité fondée sur la méconnaissance de dispositions contractuelles en sont (CE, 4 novembre 1970, Boyer, Lebon T. p. 1162).

En matière électorale, l’irrégularité de l’expression du vote, par la remise en cause du déroulement des opérations vote en est une.

Or, la protestation électorale initiale, enregistrée dans le délai réglementaire de cinq jours, comprend expressément ce moyen en son point n° 7 intitulé : « Moyen tiré de l’irrégularité du déroulement des opérations de vote ».

Toutefois, si le Conseil d’Etat confirmait le tribunal sur ce point, il ne pourrait, en tout état de cause, que qualifier le moyen développé comme présentant un caractère d’ordre public qu’il lui appartient de relever d’office, alors même qu’il aurait été soulevé tardivement par les protestataires.

En effet, la cristallisation du débat contentieux ne trouve pas à s’appliquer si le moyen invoqué est d’ordre public, moyen dont on rappellera qu’il appartient au juge de soulever d’office (CE, 20 mai 1955, Chabert, Lebon p. 270).

Cette règle s’applique en contentieux électoral où les griefs présentés hors délai ne sont pas irrecevables lorsqu’ils ont un caractère d’ordre public, à condition que la protestation initiale ait été présentée en temps utile (CE, 14 juin 1978, Élect. mun. Etauliers, Lebon p. 258 ; CE, 29 juillet 2002, Élect. mun. Chelles, n° 239844), ce qui est le cas en l’espèce.

Un moyen d’ordre public est celui qui présente « une telle importance que si le juge saisi n’en tenait pas compte, il ne remplirait pas sa mission qui est de statuer en conformité avec les règles fondamentales de droit ».

D’ailleurs, une jurisprudence très récente admet que, tant que l’instruction est en cours, un moyen d’ordre public litigieux n’est pas nouveau, donc pas irrecevable, si les parties en ont débattu (CAA Nantes 28 février 2020, Commune de Baron-sur-Odon, n° 19NT01037), ce qui est également le cas en l’espèce.

Tel est nécessairement le cas de la sincérité des signatures lors des opérations de vote puisque ces dernières prouvent l’identité de l’électeur : or, sur l’ensemble des 58 bureaux de votes examinés par les deux listes requérantes (sur 127 bureaux de vote que le tribunal administratif de Lille a autorisé l’exposant à examiner), plus de 300 signatures irrégulières sont produites aux débats.

En effet, le travail d’investigation opéré par les membres de la liste « Faire respirer Lille » sur 28 bureaux de vote révèle 151 signatures radicalement différentes entre le premier et le second tour (Pièce n°161).

Tandis que ce même travail, réalisé par le liste des Verts en a comptabilisé 160 (Pièce n°162) sur 30 bureaux différents.

Compte tenu de l’écart de voix (227 voix soit 0.6% des votants), cette sincérité des signatures est essentielle et directement de nature à annuler le scrutin.

D’ailleurs, le juge administratif de Lille a accepté de relever l’irrégularité entachant 59 signatures relevées dans le délai de protestation de cinq jours par les Verts, ce qui montre bien que le grief est constitué.

Ainsi, eu égard à l’importance de l’irrégularité, le juge aurait dû relever d’office ce moyen d’ordre public, aucune tardiveté ne pouvant être opposée.

Le tribunal a décidé d’écarter ce moyen à l’encontre des protestataires, même s’il lui a été démontré que le travail d’investigation était impossible à opérer dans un délai de cinq jours et que l’illégalité était tellement manifeste qu’elle devait constituer un moyen d’ordre public.

Le tribunal a cru pouvoir déceler une contradiction entre la disparition de cette liste d’émargement du bureau de vote 818 et une photo produite en cours d’instance faisant apparaître une discordance de signatures entre le 1er et le 2nd tours de scrutin (cf. infra, B, §. 1.10).

Il s’agit toutefois d’un cliché ponctuel, parmi quelques autres, pris en préfecture au lendemain du 1er tour du 15 mars, c’est-à-dire à l’époque où les représentants des listes demeurant en présence étaient légalement autorisés à prendre connaissance des listes de votants.

Cela ne fait que renforcer au contraire le grief tiré de l’impossibilité dans laquelle se sont trouvés les protestataires, du fait de la disparition de ce registre, de pouvoir comparer systématiquement, au greffe du tribunal, les différences d’émargements entre le 1er et le 2nd tours dans ce bureau de vote particulier.

L’absence de ce document ayant été signalée au tribunal par lettre du 9 octobre 2020, il appartenait aux premiers juges de diligenter l’une des mesures d’instruction prévues par le code de justice administrative, eu égard à la gravité de cette anomalie Cette information renforce le caractère d’ordre public du moyen.

L’office du juge de l’élection est de mettre l’ampleur et les répercussions potentielles des irrégularités constatées en regard avec l’écart des voix. Pour toutes ces raisons, le Conseil d’Etat devra annuler le jugement attaqué.

2. Sur l’erreur d’appréciation du grief tiré de la méconnaissance de l’article L. 131-2 du code de justice administrative

Le jugement attaqué reconnaît qu’une telle déclaration de Mme AUBRY en sa qualité de conseillère d’Etat à l’occasion d’une conférence de presse, méconnaît les dispositions précitées eu égard au contexte dans lequel elle a été prononcée mais estime qu’elle ne constitue cependant pas une manœuvre de nature à empêcher la sincérité du scrutin.

Le fait que cette infraction soit commise en début de campagne n’enlève rien à son impact en matière électorale. Au contraire puisque par cette remarque, les journalistes ont compris qu’ils ne devaient pas interroger à Mme AUBRY sur ce type de sujet et que cela a donc évidemment influencé leur couverture de toute la campagne. Cela d’ailleurs été publié et mis en exergue dans le quotidien local de référence et donc lu par tous les observateurs politiques, universitaires, fonctionnaires, et beaucoup de citoyens.

Une manœuvre est caractérisée par son caractère intentionnel et son objectif. Le tribunal opère un raisonnement sans logique en rejetant le caractère manœuvrier de l’infraction sous prétexte de son caractère incident et de sa date en début de période électorale.

L’infraction est bien intentionnelle, à moins d’imaginer que Mme AUBRY ignore tout de la déontologie du magistrat administratif, ce qu’elle ne soutient pas. L’infraction est destinée à mettre en valeur sa personne, son statut et à intimider son auditoire constitué de journalistes. L’infraction constitue donc bien une manœuvre.

En évoquant l’expression « de manière incidente », le tribunal va plus loin que le défendeur, qui ne mentionne pas le soi-disant caractère incident de l’affirmation de Mme AUBRY. Il minimise l’infraction. De fait, le journal local de référence l’a mentionné dans son article, et même mis en exergue.

Cette manœuvre illégale a nécessairement eu des conséquences directes et indirectes (grand public qui a lu le journal, ton de la presse, autorité de la candidate, etc.) sur le scrutin. Elle a au moins contribué à vicier la sincérité du scrutin, voire l’a viciée à elle seule au regard du faible écart de voix.

3. Sur les insuffisances de motivation du jugement attaqué

3.1. En ce qui concerne la violation de l’article L. 52-1, alinéa 1er du code électoral

S’agissant du documentaire intitulé « La Dame de Lille », le tribunal se contente, après avoir rappelé les dispositions de l’article L.52-1 du code électoral, d’indiquer que l’ensemble des agissements et fait soulevés par les protestataires entourant tant le contenu que la diffusion et la promotion de ce documentaire ne constituent pas des procédés de publicité commerciale et que par suite le grief doit être écarté.

Le tribunal administratif n’a cependant pas ici rempli son office n’apportant aucune motivation à la caractérisation ou non de l’existence de procédés de publication commerciale dans le cadre de l’appréciation de ce grief.

En sus de cette insuffisante motivation, le Tribunal commet plusieurs de faits, considérant que le documentaire a été diffusé sur France 3 national, alors qu’il l’a été en décrochage régional.

Il présente le film comme une succession d’interviews alors qu’il s’agit d’une œuvre de création sans rapport avec un journaliste ou le journalisme.

Il considère que l’organisation d’une « avant-première » à Sciences-Po s’inscrit dans «le cadre des débats et colloques habituellement organisés par cet établissement », alors que l’ensemble des pièces produites par l’ensemble des parties démontrent le contraire !

3.2. En ce qui concerne la gratuité des transports

De la même façon le tribunal administratif considère, sans aucune motivation que l’expédition d’un courrier adressé à la métropole européenne de Lille sur la gratuité des transports ne constitue pas une campagne de promotion publicitaire des réalisations de la gestion de la commune de Lille quand bien même l’existence de ce courrier a pu être évoquée dans la presse dans les réseaux sociaux.

Là encore, le tribunal administratif, en n’apportant aucune justification au rejet du grief soulevé par les protestataires, n’a pas rempli son office.

4. Sur les erreurs d’appréciation commises par le tribunal

Plusieurs moyens soumis à l’appréciation du juge de première instance ont été écartés, le tribunal administratif ayant considéré qu’ils n’étaient pas assortis d’éléments probants de nature à en faire la démonstration.

4.1. En ce qui concerne la violation de l’article L. 106 du code électoral par le recrutement de Mme BOUDERSA

L’office du juge de l’élection est de rechercher si les libéralités et pressions mentionnées aux articles L. 106 à L. 108 du code électoral ont été exercées, puis de déterminer si elles ont altéré la sincérité du scrutin.

Concernant le recrutement de Mme BOUDERSA, le juge estime que les requérants protestataires ne prouvent pas que ce recrutement en qualité d’éducatrice sportive ne répondait pas aux besoins de la commune et à la mise en œuvre des compétences communales.

S’agissant de l’emploi public attribué illégalement à Mme Licia BOUDERSA destiné à obtenir son soutien dans l’objectif d’influencer le vote de nombreux électeurs, le tribunal considère que :

« les prestataires n’établissent pas, par les seuls documents produits, que ce recrutement en qualité d’éducatrice sportive ne répondait pas aux besoins de la commune et la mise en œuvre des compétences communales alors que l’intéressée a bénéficié au cours des années précédentes, de plusieurs recrutements en qualité de vacataires et dans le cadre de contrats à durée indéterminée en qualité d’opératrice territoriale des activités physiques et sportives pour la période allant du 15 aout 2017 au 30 septembre 2018. La seule circonstance que Madame BOUDERSA a été momentanément retenue à l’étranger à la date du 16 mars 2020 ne permet pas d’établir que son recrutement ne répond pas aux besoins de la commune. En tout état de cause, à la supposer avérée, une telle pression exercée sur une seule électrice, pour regrettable qu’elle soit, n’a pu altérer le sens de la sincérité du scrutin. Par ailleurs, l’influence prêtée à Madame BOUDERSA au sein de certains quartiers lillois et le report de voix que son soutien Madame Aubry aurait pu entraîner ne sont pas établis par les seules pièces produites par les protestataires ».

Le tribunal a, ici, commis une erreur de fait, ne retenant pas les pièces produites par les protestataires et qui démontrent clairement l’illégalité du recrutement de Mme BOUDERSA, tant dans sa justification au regard des besoins de la commune, que de son défaut de publication nécessaire et préalable à la conclusion du contrat.

Par ailleurs, le tribunal administratif fait totalement fi de l’ensemble des pièces produites par les protestataires et qui démontrent clairement la qualité de relais d’opinion de Mme BOUDERSA.

En effet, un certain nombre de pièces produites en première instance démontre la popularité de cette championne de boxe avec qui, d’ailleurs, Mme AUBRY s’est affichée tout le long de sa campagne et qui a signé et publié plusieurs appels au vote en faveur de Mme AUBRY.

Le tribunal n’a pas pris en compte l’existence de ces pièces et également ignoré les différents documents qui attestent justifient la popularité de la boxeuse (cf. not. infra, B, §. 2.1).

Pourtant, les protestataires ont produit expressément au sein de leur protestation un courrier de la directrice générale des services de la commune qui ne justifie son recrutement que par « une collaboration de longue date » (Pièce n°149) et reconnait le défaut de publication de vacance du poste. Ces pièces suffisent à démontrer le défaut de besoins communaux justifiant ce recrutement.

En outre, ils ont montré sa qualité de relais d’opinion.

Elle a régulièrement les honneurs de la presse, est très présente sur Facebook (un compte à 3 900 abonnés – Pièce n°108, un autre à 1600 abonnés – Pièces n°110 et 159), Twitter, Instagram (3 700 abonnés), Dailymotion, dispose d’une page Wikipedia et d’une popularité manifeste sur Google (Pièce n°166).

Le Tribunal n’a pourtant pas jugé utile de discuter de l’influence de son recrutement en contrepartie de son soutien à Mme AUBRY, alors que Mme BOUDERSA admet (Pièce n°119) : « Moi je m’en fous complètement de la politique, mon intérêt est personnel », « J’ai toujours dit que je serais avec la personne qui me trouvera du travail ». Elle indique qu’on lui « a promis beaucoup plus ».

Les protestataires établissent que concomitamment, son nouvel emploi public en étant la contrepartie selon ses propres écrits, Mme BOUDERSA prenait une part active à la campagne de Mme AUBRY (Pièces no16 à 18 et 42 et 160).

Le tribunal n’a pas non plus pris en compte une vidéo toujours disponible (Pièce n°167) dans laquelle Mme BOUDERSA indique expressément « moi, aujourd’hui, je soutiens Martine AUBRY ».

Le jugement devra donc être réformé sur ce point.

4.2. En ce qui concerne les agissements de Mme AMOURY

Le tribunal estime sur ce point que :

« Toutefois les protestataires, par les seules pièces qu’ils produisent en l’absence notamment de précisions quant aux modalités d’organisation de cette structure et à la part que représente la subvention précitée dans le budget de l’association, n’établissent pas que cette association n’était pas indépendante et qu’elle n’aurait constitué qu’une association fictive, non distincte de la commune, quand bien même sa présidente est proche de la maire sortante. Aucune disposition législative ou réglementaire interdisant ou ne limitant les prises de position politique des associations lors des campagnes électorales, l’association en cause était par suite libre d’inciter à voter en faveur de l’une des listes candidates. Au demeurant, il résulte que l’instruction de ce mail a été diffusée le 22 juin 2020, soit six jours avant le deuxième tour, et que les adversaires de Madame Aubry disposaient d’un laps de temps suffisant pour s’expliquer sur les éléments mis en avant dans l’appel et qui portaient sur l’éventuel désintérêt des autres candidats pour les quartiers populaires. Il apparaît en outre que dès le lendemain de la diffusion de ce message, soit le 23 juin 2020, son auteur s’est rétracté et envoyé un second courrier électronique aux mêmes destinataires afin de leur demander de ne pas tenir compte de son premier envoi. Dans ces circonstances, la diffusion du courrier électronique du 22 juin 2020 ne caractérise pas l’exercice d’une pression sur les électeurs qui auraient été de nature à altérer la sincérité du scrutin ».

Le tribunal n’a pas, ici non plus, rempli son office en faisant fi d’un certain nombre de pièces produites par les protestataires et qui démontrent la situation de dépendance de l’association par rapport à la ville de Lille, et encore la proximité entre sa présidente et la future candidate (cf. not. infra, B, §. 2.2).

Le tribunal a également commis une erreur de droit en considérant que l’association était libre de prendre parti et d’inciter à voter en faveur de l’un des candidats, alors que le but de celle-ci réside dans la distribution de fonds notamment communaux au bénéfice d’associations lilloises.

Le tribunal a également commis une erreur de fait considérant que les adversaires de Mme AUBRY disposaient d’un laps de temps suffisant pour répliquer aux éléments mis en avant dans l’appel qui porterait sur l’éventuel désintérêt des autres candidats pour les quartiers populaires.

En effet, Mme SPILLEBOUT a répliqué à cette méthode en s’indignant sur les réseaux sociaux et par voie de communiqué de presse. Cependant, un communiqué de presse ne répond pas efficacement à la crainte pour 300 associations de perdre leurs subventions.

Or, il était interdit aux concurrents de Mme AUBRY de faire pression à leur tour, la CNCCFP tient les dépenses de justice en dehors des comptes de campagne, et, en tout état de cause, une plainte au procureur de la République n’aurait pas abouti dans le délai de l’élection. Les concurrents n’ont simplement pas la possibilité de répondre efficacement quand une pression ou libéralité mentionnées aux L. 106 à L. 108 est exercée.

En outre, le courriel de Mme AMOURY ne porte pas que sur ce point mais également indirectement sur les subventions communales distribuées à ses interlocuteurs.

Le tribunal considère enfin que le courrier de « rétractation » envoyé le lendemain suffit à annuler la pression exercée : il n’en est évidemment rien. Pourquoi les 300 destinataires accorderaient-ils plus de crédit au second courrier, rendu indispensable face au scandale, qu’au premier ?

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat ne pourra que réformer le jugement attaqué sur ce point.

4.3. En ce qui concerne la confusion des réseaux sociaux et l’utilisation des moyens institutionnels par Mme AUBRY

Le tribunal ne fait référence qu’au compte Twitter de la Maire alors que la protestation démontre également une confusion entre les comptes Facebook de Mme AURBY.

En outre, le Tribunal justifie sa position par le fait que la commune dispose d’un compte (38 000 abonnés), mais cette affirmation est totalement indifférente au fait que la maire en ait un autre.

Il s’agit de deux personnes différentes (une personne morale et une personne physique). Pour ne citer qu’un exemple : le ministre de la santé dispose d’un compte ès qualité @olivierveran, et le ministère de la santé également @Sante_Gouv.

Le jugement attaqué devra également être réformé sur ce point.

4.4. En ce qui concerne la pression exercée sur les commerçants de la ville

S’agissant du grief tiré de la pression exercée sur les commerçants de la ville, le tribunal a pu considérer que :

« La circonstance que le président de la fédération lilloise du commerce a appelé, à titre personnel, à voter en faveur de la liste conduite par Madame Aubry, ne constitue pas, par ailleurs, une pression, quand bien même cette structure professionnelle subventionnée par la commune de Lille ».

Le premier juge a, ici, dénaturé les faits qui lui étaient exposés par les protestataires dans la mesure où ce n’est pas à titre personnel que le président de la fédération des commerçants lillois s’est exprimé mais bien en sa qualité de président, d’une structure subventionnée par la commune de Lille ainsi que les protestataires l’ont démontré (cf. not. infra, B, §. 2.3).

4.5. En ce qui concerne le défaut de local de campagne

S’agissant de l’utilisation des locaux communaux comme local de campagne par Mme AUBRY, le tribunal administratif estime sur ce point que :

« L’organisation de réunions qui auraient porté sur la désignation de la personne à placer en tête de la liste présentée par le parti socialiste en vue des élections municipales de mars 2020, ne permet pas de tenir pour établie l’utilisation par le maire sortant des moyens de la commune de Lille dans le cadre de sa campagne électorale ».

Encore une fois ici, le juge de première instance n’a pas rempli son office en dénaturant les faits qui, établis et non contestés, démontrent bien que Mme AUBRY a utilisé ses bureaux en mairie a l’occasion de réunions d’organisation de sa campagne (cf. not. infra, B, §. 5.6).

Le premier juge a commis différentes erreurs de droit, de fait ou d’appréciation sur chacun des griefs en estimant qu’ils n’étaient pas de nature à altérer la sincérité du scrutin. Pris cumulativement, et eu égard au faible écart de voix, le tribunal aurait dû nécessairement prononcer l’annulation du scrutin.

Or, l’accumulation de plusieurs irrégularités qui, prises isolement n’aurait pu entrainer l’annulation de l’élection, est susceptible d’altérer la sincérité du scrutin lorsque ces griefs se cumulent et qu’ils attestent d’une démarche fraudulause, ce qui est précisément le cas en l’espèce.

Le jugement annulé, le Conseil d’Etat devra accueillir la protestation électorale, les griefs présentés par les protestataires étant fondés ainsi qu’il va l’être développé.

B) Sur le règlement de l’affaire

Différents moyens qui ont été développés par les contestataires en première instance, seront repris ici.

Le jugement devant être réformé pour les raisons évoquées ci-dessus, le Conseil d’Etat pourra, par l’effet dévolutif de l’appel, statuer sur chacun de ces moyens.

En effet, même si certains griefs revêtent une importance plus importante que d’autres et justifieraient à eux seuls l’annulation du scrutin (la violation de l’article L. 106 du code électoral par le recrutement illégal de Mme BOUDERSA en contrepartie de son soutien en qualité de relais d’opinion, la méconnaissance de l’article L. 62-1 du code électoral par l’existence de plus de 300 signatures radicalement différentes entre les deux tours ou encore la violation de l’article L.52-1, alinéa 1er du même code par la création et la diffusion d’un documentaire de propagande électorale pendant la période électorale), il n’en demeure pas mois que, le Conseil d’Etat n’hésite pas à procéder à l’annulation de scrutins électoraux lorsqu’il constate un cumul d’irrégularités dont aucune, à elle seule, n’a pu altérer la sincérité du scrutin, mais dont la conjonction a, compte tenu du faible écart des voix, été de nature à vicier la sincérité du suffrage (CE, 18 décembre 1996, Élect. mun. Vitrolles, n° 177011, Lebon p. 507).

1. Sur le moyen tiré des irrégularités affectant les opérations de vote

Il convient de relever en préalable, que, dès le 11 juin 2020, Mme SPILLEBOUT avait adressé une lettre au Préfet afin de l’alerter sur un certain nombre d’anomalies constatées lors du scrutin du 15 mars 2020 (Pièce n°139).

Lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à la validité de certains bulletins de vote, le juge de l’élection doit rechercher en premier lieu si, eu égard au nombre de bulletins concernés et à l’argumentation développée devant lui, cette contestation est de nature à remettre en cause l’élection d’un ou plusieurs candidats.

Dans l’affirmative, il lui appartient d’étendre, en second lieu, ses vérifications à tous les bulletins des mêmes bureaux annexés au procès-verbal des opérations électorales en vertu des articles L. 66, R. 66 et R. 68 du code électoral.

À l’issue de ces vérifications, le juge doit réviser le décompte des voix et modifier, le cas échéant, les résultats de l’élection (CE sect., 10 juillet 2002, n° 235736, Élect. mun. Piré-sur-Seiche, Lebon p. 274 ; CE sect., 25 janvier 1999, n° 195139, Élect. régionales Provence-Alpes-Côte d’Azur, Lebon p. 4).

C’est la raison pour laquelle, eu égard aux irrégularités soulevées par les requérants dans le cadre de leur protestation, reprises au sein des présentes le Conseil devra nécessairement procéder à la vérification de l’ensemble des procès verbaux, leurs annexes et listes d’émargements produits par la Préfecture.

1.1. Sur l’existence de signatures radicalement différentes relevées entre les premier et second tours sur les listes d’émargement

En ce qui concerne le caractère d’ordre public du moyen tiré des irrégularités de signature sur les registres de vote

Il est important de rappeler ici que le requérant peut toujours présenter, après l’expiration des délais de recours, des moyens de nature à étayer les griefs sur lesquels il s’est fondé pour formuler sa protestation, ce de jurisprudence constante (CE, 28 avril 1965, Élect. cant. Roquebillière, Lebon p. 946).

En matière électorale, l’irrégularité de l’expression du vote, constitue une cause juridique qui relève du grief tiré de l’irrégularité du déroulement des opérations de vote ; soulevé dans le délai de protestation électorale, ainsi que cela a été démontré infra.

Toutefois, si le Conseil d’Etat poursuivant le Tribunal sur ce point, il ne pourrait, en tout état de cause, que qualifier le moyen développé comme présentant un caractère d’ordre public qu’il lui appartient de relever d’office, alors même qu’il aurait été soulevé tardivement par les protestataires.

En effet, la cristallisation du débat contentieux ne trouve pas à s’appliquer si le moyen invoqué est d’ordre public, moyen dont on rappellera qu’il appartient au juge de soulever d’office (CE, 20 mai 1955, Chabert, Lebon p. 270).

Cette règle s’applique en contentieux électoral où les griefs présentés hors délai ne sont pas irrecevables lorsqu’ils ont un caractère d’ordre public, à condition que la protestation initiale ait été présentée en temps utile (CE, 14 juin 1978, Élect. mun. Etauliers, Lebon p. 258 ; CE, 29 juill. 2002, Élect. mun. Chelles, n° 239844).

Un moyen d’ordre public est celui qui présente « une telle importance que si le juge saisi n’en tenait pas compte, il ne remplirait pas sa mission qui est de statuer en conformité avec les règles fondamentales de droit ».

D’ailleurs, une jurisprudence très récente admet que, tant que l’instruction est en cours, un moyen d’ordre public litigieux n’est pas nouveau, donc pas irrecevable, si les parties en ont débattu (CAA Nantes, 28 février 2020, Commune de Baron-sur-Odon, n° 19NT01037).

Tel est nécessairement le cas de la sincérité des signatures lors des opérations de vote puisque ces dernières prouvent l’identité de l’électeur : or sur l’ensemble des 58 bureaux de votes examinés par les deux listes requérantes (sur 127 que le tribunal administratif de Lille a autorisé l’exposant à examiner) plus de 300 signatures irrégulières sont produites aux débats.

En effet, le travail d’investigation opéré par les membres de la liste « FAIRE RESPIRER LILLE» sur 27 bureaux de vote démontrent 151 signatures radicalement différentes entre le premier et le second tour (Pièce n°161).

Tandis que ce même travail, réalisé par le liste des Verts en a comptabilisé 160 (Pièce n°162) sur 30 bureaux différents.

Compte tenu de l’écart de voix (227 voix soit 0,6 % des votants) cette sincérité des signatures est essentielle et directement de nature à annuler le scrutin.

D’ailleurs, le juge administratif a accepté de relever l’irrégularité entachant 59 signatures relevées dans le délai de protestation de cinq jours par les Verts, ce qui montre bien que le grief est constitué.

Or, le juge pourra relever d’office ce moyen d’ordre public, aucune tardiveté ne peut lui être opposée.

L’office du juge de l’élection est de mettre l’ampleur et les répercussions potentielles des irrégularités constatées en regard avec l’écart des voix. Pour toutes ces raisons, le Conseil d’Etat devra annuler le jugement critiqué et par l’effet dévolutif de l’appel statuer sur les moyens soulevés par les requérants en première instance.

En ce qui concerne le fond du moyen développé

Les protestataires se contenteront d’apporter au juge de l’élection la preuve du manque de sincérité du scrutin démontré par le nombre de signatures différentes d’un même électeur entre les deux tours, relevées après un long travail d’investigation de la part des protestataires.

Le tribunal pourra constater que pas moins de 300 signatures dont la sincérité s’avère plus que douteuse ne semblent donc pas être représentatives d’un scrutin sincère.

La lecture des pièces produites suffira à convaincre le juge.

D’ailleurs, par jugement n° 2000508 rendu par le tribunal administratif de la Guadeloupe le 24 septembre 2020, celui-ci a annulé le scrutin sur le même raisonnement, en considérant que :

« Ainsi, la constatation d’un vote par l’apposition, d’une signature, qui présente des différences manifestes entre les deux tours de scrutin, sans qu’il soit fait mention d’un vote par procuration, ne peut être regardé comme garantissant l’authenticité de ce vote, sauf s’il est démontré, par exemple, par la production d’une carte d’identité comportant la même signature ainsi que d’une attestation signée de l’électeur certifiant que la signature apposée est bien la sienne ».

Lorsque, compte tenu d’un faible écart de voix, le juge estime que la manœuvre, l’irrégularité ou l’abus de propagande en cause a vicié la sincérité du scrutin, il est normalement conduit à annuler l’ensemble des résultats de l’élection.

1.2. Sur une présentation non conforme des bulletins de vote de la liste « Faire Respirer Lille » et/ ou de la liste « Lille Verte »

Dans différents bureaux, les bulletins des listes « Faire respirer Lille » et « Lille Verte » ont été positionnés sur l’envers, ayant pour conséquence d’occulter le nom de la liste et le visage de la tête de liste.

Cette irrégularité a été constatée dans différents bureaux de vote n° 805, 820, 821 et 412 (Pièces n°102, 121, 122 et 123).

Cette irrégularité a parfois perduré une bonne partie de la journée, et il est probable qu’elle n’ait pas été relevée dans tous les bureaux où elle est survenue. Il est manifeste que cette irrégularité a altéré la sincérité du scrutin.

1.3. Sur un défaut dans le contrôle d’identité

Plusieurs électeurs ont pu voter dans les bureaux de vote alors qu’ils ne figuraient pas sur les listes d’émargement du bureau de vote. Cette irrégularité a pu être constatée au sein des bureaux de vote n° 804, 805 et 810 (Pièces n°124, 125, et 126).

Ces faits sont de nature à caractériser une défaillance dans le contrôle d’identité et donc de nature à altérer la sincérité du scrutin.

1.4. Sur des irrégularités liées au vote par procuration

S’agissant des votes par procuration, il convient d’observer différentes irrégularités.

Dans certains cas, des mandataires ont voté alors qu’ils n’étaient pas inscrits sur les listes es qualité (bureaux de vote n° 806, 602 et 402 ; Pièces n°127, 128, et 129).

Dans d’autres cas, des mandataires ont voté sans avoir correctement émargé les listes. Cette irrégularité concernerait au moins 20 votes au sein des bureaux n° 623, 208, 209 et 504 (Pièces n°130, 131, 132 et 133).

1.5. Sur des écarts entre le nombre d’enveloppes et le nombre d’émargements

Dans certains bureaux, le nombre total d’enveloppes était supérieur au nombre d’émargements (bureaux de votes n° 810, 208, 303 ; Pièces n°135, 136, et 137).

Ces faits sont donc également directement constitutifs d’une altération de la sincérité du scrutin.

1.6. Sur un affichage le jour du scrutin

L’article R. 26 du code électoral dispose que :

« La campagne électorale est ouverte à partir du deuxième lundi qui précède la date du scrutin et prend fin la veille du scrutin à minuit. En cas de second tour, la campagne électorale est ouverte le lendemain du premier tour et prend fin la veille du scrutin à minuit ».

Or, une adjointe au maire, par ailleurs colistière de Mme AUBRY en 35ème position sur sa liste, a procédé à de l’affichage sur des panneaux de libre expression le jour du scrutin du 2nd tour (Pièces n°62 et 112).

Ceci est interdit par les dispositions précitées du code électoral, comme le confirme la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, 23 décembre 2010, n° 338265) et est donc de nature à faire annuler le scrutin.

Il est d’ailleurs intéressant de s’interroger sur le fait de savoir si ce ne serait pas par craint de cette sanction que cette personne n’a pas été reconduite dans son mandat d’adjointe lors de l’élection du nouveau conseil municipal ? (Pièce n°65).

Le tribunal administratif a relevé cette illégalité, en admettant le collage d’une seule affiche. Les pièces produites montrent pourtant l’adjointe recouvrant un panneau entier des affiches de Mme SPILLEBOUT, avec un équipement qui montre qu’elle était en tournée d’affichage.

Il appartiendra au Conseil d’Etat d’en faire de même, mais contrairement au tribunal, d’en tirer toutes les conséquences, eu égard au faible égard de voix et au strict respect des règles de propagande en matière électorale.

1.7. Sur des irrégularités ont été constatées sur les procès verbaux

L’article R. 52 du code électoral dispose que :

« Le bureau se prononce provisoirement sur les difficultés qui s’élèvent touchant les opérations électorales.

Ses décisions sont motivées. Toutes les réclamations et décisions sont inscrites au procès-verbal, les pièces qui s’y rapportent y sont annexées après avoir été paraphées par les membres du bureau.

Pendant toute la durée des opérations de vote, le procès-verbal est tenu à la disposition des membres du bureau, candidats, remplaçants et délégués des candidats, électeurs du bureau et personnes chargées du contrôle des opérations, qui peuvent y porter leurs observations ou réclamations ».

Et l’article R. 67 du même code dispose que :

« Immédiatement après la fin du dépouillement, le procès-verbal des opérations électorales est rédigé par le secrétaire dans la salle de vote, en présence des électeurs.

Il est établi en deux exemplaires, signés de tous les membres du bureau.

Les délégués des candidats, des binômes de candidats ou des listes en présence sont obligatoirement invités à contresigner ces deux exemplaires.

Dès l’établissement du procès-verbal, le résultat est proclamé en public par le président du bureau de vote et affiché en toutes lettres par ses soins dans la salle de vote ».

Pour ne citer que quelques exemples qui ont pu être relevés et constatés dans certains bureaux de vote :

– Le procès-verbal du bureau de vote 812 ne fait pas apparaitre le nombre d’enveloppes décomptées (Pièce n°134).

– Les procès-verbaux des bureaux 208 (Pièce n°131), 703 (Pièce n°141), 805 (Pièce n°120), 106 (Pièce n°143) et 301 (Pièce n°142) font apparaitre des traces de blanc correcteur.

Ces manœuvres ont donc été de nature à entacher le scrutin d’irrégularité par violation des dispositions combinées des articles R. 52 et R. 67 du code électoral.

1.8. Sur des atteintes à la liberté de suffrage par tentatives d’influences sur le vote

Il est évident que les membres des bureaux de vote ne peuvent bien évidemment opérer une quelconque influence sur le vote des électeurs, ni même les influencer à se déplacer aux urnes.

Or, au sein de plusieurs bureaux, le président a appelé nominativement des électeurs à inviter leurs familles, jusque-là abstentionnistes, à venir voter.

Au sein du bureau 305, le président a invité les électeurs à faire venir voter toute la famille.

M. Goulois a fait le même constat dans le bureau 206 (Pièce n°140).
De la même façon, Jérôme Francin, colistier de la liste « Faire Respirer Lomme », 19

451268 – reçu le 31 mars 2021 à 13:58 (date et heure de métropole)

et Jean Maire Lambrechts, colistier de la liste « Faire respirer Lille », ont signalé la présence de personnes positionnées à l’extérieur du bureau, parfois agents municipaux, en mesure d’exercer une influence sur les suffrages.

1.9. Sur l’éviction d’une assesseure et de membres de la Commission de contrôle

L’article R. 50 du code électoral dispose que :

« Une réquisition effectuée par le président du bureau de vote ne peut avoir pour objet d’empêcher les candidats ou leurs délégués d’exercer le contrôle des opérations électorales ou toute prérogative prévue par les lois et règlements.

En cas de désordre provoqué par un délégué ou de flagrant délit justifiant son arrestation, un délégué suppléant pourra le remplacer. En aucun cas les opérations de vote ne seront de ce fait interrompues ».

L’article R. 51 du même code poursuit :

« Lorsqu’une réquisition a eu pour résultat l’expulsion soit d’un ou de plusieurs assesseurs, soit d’un ou plusieurs délégués, soit d’un ou plusieurs scrutateurs, le président est tenu, avant que la réquisition soit levée et que l’autorité requise ait quitté le bureau de vote, de procéder, sans délai et conformément aux textes législatifs et réglementaires en vigueur, au remplacement du ou des expulsés.

L’autorité qui a procédé, sur réquisition du président du bureau de vote, à l’expulsion soit d’un ou de plusieurs assesseurs, soit d’un ou de plusieurs délégués, soit d’un ou de plusieurs scrutateurs, doit immédiatement après l’expulsion, adresser au procureur de la République et au préfet un procès-verbal rendant compte de sa mission ».

En outre, l’article L. 117 du code électoral dispose, quant à lui, que :

« Toute personne qui aura fait expulser sans motif légitime de la salle de vote un assesseur ou un délégué ou qui l’aura empêché d’exercer ses prérogatives est punissable d’une amende et/ou d’un emprisonnement d’un an. La peine est doublée si le coupable est fonctionnaire, agent d’une administration, chargé d’un ministère de service public ou président du bureau de vote. Le coupable encourt l’interdiction des droits civiques ».

Or, la surveillance de la salle et des opérations électorales relève à la fois des commissions de contrôle, des candidats, de leurs délégués et de leurs représentants au sein du bureau de vote.

Ainsi, il a pu être jugé que :

« Parce que le président d’un bureau de vote s’est opposé au remplacement de l’assesseur titulaire par son suppléant désigné par le candidat, le bureau, pendant cinq heures, n’a compris aucun assesseur choisi par le candidat en cause, qui a ainsi été privé du droit qu’il avait de contrôler, par la présence d’un représentant, les opérations de vote : compte tenu de l’écart des voix, cette irrégularité entache de nullité les opérations électorales contestées » (CE, 7 juillet 1971, Élect. cant. Alès-Est, Lebon T. p. 1056 ; ou encore CE, 22 avril 1966, Élect. Mun. Vauclin, Lebon p. 281).

Au cas particulier du scrutin lillois, plusieurs événements ont été relevés comme constitutifs d’une violation à ces différentes dispositions :

– Au sein du bureau 257 du pour le conseil consultatif, en raison d’un retard insignifiant à son arrivée, alors qu’elle avait prévenu de son retard, l’assesseur représentant la liste « Faire Respirer Hellemmes » (Sadia Goudaha) a été évincée de son rôle d’assesseur.

La discussion s’en étant suivi a conduit à ce que cette personne quitte le bureau de vote. Mention en a été faite sur le PV.

– Tandis qu’au sein du bureau 305 pour le conseil consultatif, les membres de la commission de contrôle qui se sont présentés au bureau de vote ont été empêchés illégitimement d’accéder au bureau par une personne composant le bureau. Sur ce point, il est notable que M. OUDIN, composant le bureau ayant « expulsé » les membres de la commission de contrôle, ne figure pas sur le PV du bureau comme membre du bureau.

Le procès verbal du bureau 305 indique expressément que M. OUDIN a fait obstacle à la présence de trois membres de la commission de contrôle (Pièce n°158).

-Les protestataires produisent aux débats une attestation de Mme Sadia GOUDAHA relatant son éviction du bureau de vote 257 (Pièce n°155), alors qu’elle était bien désignée sur la tenue de ce bureau.

La limitation de la présence d’électeurs à trois personnes ne concernait que les électeurs inclus dans le processus de vote, et, dans ces conditions, ne s’appliquait pas aux autres personnes ayant droit d’être présentes au titre de leur rôle de contrôle des opérations.

Ces agissements étaient donc contraires aux dispositions des articles L. 117, R. 50 et R.51 du code électoral et sont donc de nature à entacher le scrutin d’irrégularité.

En conséquence, il s’agit ici d’une parfaite illustration du manque de représentativité des listes au sein de certains bureaux.

En effet, et en outre, il est important de signaler que l’adjointe à la ville de Lille, Mme Staniec WAVRANT a refusé de faire droit à la demande formulée par la liste exposante de déplacer l’assesseur qu’elle avait initialement positionné au bureau de vote 803.

Ce refus a eu pour conséquence d’évincer toute représentation des listes concurrentes à celle conduite par Mme AUBRY au bureau de vote 804 (Bureau présidé par M. Akim Oural, colistier de Martine Aubry), tandis que le bureau de vote 803 s’est trouvé complété d’une double représentation «Lille Verte» (présidence) et « Faire Respirer Lille » (assesseur) ! (cf. Pièces n°146 et 156).

D’ailleurs, la commune a même été jusqu’à refuser de fournir aux différentes 21 listes candidates, la liste des membres de chaque bureau de vote que M. COUZINET avait demandée (Pièce n°156) !

Il est notable que le délai ouvert aux listes pour notifier les désignations d’assesseurs en bureau de vote n’était pas encore expiré au moment où elle a formulé cette demande et que ce refus était totalement illégitime.

Elle ne s’est aucunement assurée d’une représentativité des différentes listes dans chaque bureau de vote et s’y est même opposée.

1.10. Sur la tenue du bureau de vote 818

Lors du 1er tour le 15 mars, et en raison d’une défection inattendue d’un assesseur le matin même, le bureau de vote n’a pu être tenu que par des représentants de la liste PS et des agents de la ville.

Quoiqu’il en soit, la tenue du bureau s’est avérée particulièrement irrégulière. Alors qu’en vertu de l’article R. 42 du code électoral, deux membres du bureau au moins doivent être présents pendant tout le cours des opérations électorales, le bureau s’est trouvé totalement vacant (sans président, ni assesseur, ni secrétaire) pendant un temps certain.

L’assesseure de la liste « Faire respirer Lille », Mme Prune Richmond, membre du bureau de vote adjacent, a d’ailleurs photographié le bureau de vote ainsi laissé vide :

Il est évident qu’elle n’a pas pu réellement en assurer la surveillance, tenant elle même une place dans le bureau voisin.

En tout état de cause, il est important de relever qu’il s’agit d’un bureau dont les requérants, après trois consultations des pièces au Tribunal, n’ont jamais retrouvé les listes d’émargement et en ont d’ailleurs informé le tribunal.

La vérification des listes d’émargement n’a donc pu être opérée complètement dans ce bureau de vote, alors qu’il n’était tenu que par une seule personne, manifestement d’ailleurs pas toujours à son poste, et surtout faisant partie de la liste de Mme AUBRY.

Dès lors, l’ensemble des moyens soulevés, leur variété et leur gravité est à comparer avec l’écart infime entre la liste gagnante et la liste arrivée deuxième soit 227 / 39 481 votants, c’est-à-dire soit 0,6 % des votants et 0,2 % des inscrits.

L’office du juge de l’élection est de mettre l’ampleur et les répercussions potentielles des irrégularités constatées en regard avec l’écart des voix.

Lorsque, compte tenu d’un faible écart de voix, le juge estime que la manœuvre, l’irrégularité ou l’abus de propagande en cause a vicié la sincérité du scrutin, il est normalement conduit à annuler l’ensemble des résultats de l’élection.

2. Sur la violation des articles L. 106 à L. 109 du code électoral

Un certain nombre de faits révèlent la violation de ces interdictions et n’ont pourtant pas été retenus par les premiers juges.

2.1. Sur le recrutement de Mme Licia BOUDERSA

L’article L. 106 du code électoral dispose que :

« Quiconque, par des dons ou libéralités en argent ou en nature, par des promesses de libéralités, de faveurs, d’emplois publics ou privés ou d’autres avantages particuliers, faits en vue d’influencer le vote d’un ou de plusieurs électeurs aura obtenu ou tenté d’obtenir leur suffrage, soit directement, soit par l’entremise d’un tiers, quiconque, par les mêmes moyens, aura déterminé ou tenté de déterminer un ou plusieurs d’entre eux à s’abstenir, sera puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 15 000 euros ».

L’article L. 109 du même code prévoit que :
« Dans les cas prévus aux articles L. 106 à L. 108, si le coupable est fonctionnaire public, la peine sera double ».

Mme Licia Boudersa, championne de boxe populaire et relais d’opinion très active sur les réseaux sociaux avait tout d’abord posé plutôt en faveur de la liste « Faire respirer Lille » (Pièce n°15), sensible aux propositions reçues par certains colistiers de Mme SPILLEBOUT. Elle a finalement pris position en faveur de Mme AUBRY (Pièces n°16.0 et 16.1) début mars 2020.

Elle a également fait partie du comité de soutien à Mme AUBRY (Pièces n°17 et 69). Elle est signataire d’un tract appelant les habitants des quartiers populaires à voter pour Mme AUBRY (Pièce n°18) et la soutenant (Pièce n°109).

Cela n’aurait rien de choquant en soit, si elle n’avait pas été embauchée par la commune à compter du 16 mars 2020 en tant qu’éducatrice sportive (Pièces n°19.0 à 19.2).

Ainsi, les deux critères exposés par les dispositions de l’article L. 106 du code électoral sont remplis en l’espèce.

En ce qui concerne l’existence « d’une promesse d’emploi public »

Répondant à une demande de la requérante visant à obtenir la publicité du poste en cause, la Ville de Lille indique, par un courrier de sa Directrice générale des services en date du 8 octobre 2020 (Pièce n°149) que :

« Vous trouverez ainsi les 8 contrats de vacation de Mme BOUDERSA conclus à partir de 2011, puis les 3 CDD en précisant que pour ces derniers il n’existe pas de déclaration de vacance de l’emploi. En effet, des lors que Mme BOUDERSA n’a pas été recrutée sur un poste permanent vacant, mais sur un CDD, cette formalité n’est pas nécessaire ».

Or, le contrat de Mme BOUDERSA est totalement en inadéquation avec les dires de la DGS puisqu’il vise expressément l’article 3-1 de la loi n° 84-53 qui dispose que :

«Pour répondre à des besoins temporaires, les emplois permanents des collectivités et établissements mentionnés à l’article 2 de la présente loi peuvent être occupés par des agents contractuels pour assurer le remplacement temporaire de fonctionnaires ou d’agents contractuels autorisés à exercer leurs fonctions à temps partiel ou indisponibles en raison d’un détachement de courte durée, d’une disponibilité de courte durée prononcée d’office, de droit ou sur demande pour raisons familiales, d’un détachement pour l’accomplissement d’un stage ou d’une période de scolarité préalable à la titularisation dans un corps ou un cadre d’emplois de fonctionnaires ou pour suivre un cycle de préparation à un concours donnant accès à un corps ou un cadre d’emplois, d’un congé régulièrement octroyé en application du I de l’article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée, des articles 57, 60 sexies et 75 de la présente loi ou de tout autre congé régulièrement octroyé en application des dispositions réglementaires applicables aux agents contractuels de la fonction publique territoriale ».

Le contrat est en l’espèce justifié par le motif suivant : « remplacer un agent titulaire momentanément indisponible », motif entrant donc dans le champ d’application des dispositions précitées.

Dès lors, s’applique le décret n° 88-145, qui prévoit, en son article 2-2 que :

« Les recrutements pour pourvoir les emplois permanents de la fonction publique territoriale relevant des cas de recours aux agents contractuels prévus aux articles 3-1, 3-2 et 3-3 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée sont régis par les dispositions du chapitre Ier du décret n° 2019- 1414 du 19 décembre 2019 relatif à la procédure de recrutement pour pourvoir les emplois permanents de la fonction publique ouverts aux agents contractuels et par celles des articles 2-3 à 2- 10 du présent décret ».

Ainsi que l’article 2-3 qui prévoit que :

«I.- Pour pourvoir les emplois permanents mentionnés à l’article 2-2, la possibilité, pour une personne n’ayant la qualité de fonctionnaire, de se porter candidate est ouverte dès la publication de l’avis de création ou de vacance de l’emploi à pourvoir ».

En l’espèce, ce recrutement est donc totalement illégal.

En ce qui concerne le défaut de publication du poste

Le décret n° 2019-1414 énonce expressément, en son article 1er, que :

« L’accès aux emplois permanents de la fonction publique susceptibles d’être occupés par des agents contractuels est organisé, dans le respect du principe d’égal accès aux emplois publics et des garanties prévues aux articles 6, 6 bis, 6 ter A, 6 ter, 6 quinquies et 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, selon une procédure de recrutement dont les modalités sont fixées par le présent décret ».

L’article 2 poursuit :

« I.- L’autorité compétente procède à la publication, par tout moyen approprié, des modalités de la procédure de recrutement applicable aux emplois permanents susceptibles d’être occupés par des agents contractuels qu’elle décide de pourvoir.

II.- L’autorité compétente assure la publication de l’avis de vacance ou de création de l’emploi permanent à pourvoir sur l’espace numérique commun aux trois fonctions publiques dans les conditions prévues par le décret du 28 décembre 2018 mentionné ci-dessus. Lorsqu’il n’est pas prévu d’obligation de publication sur cet espace numérique commun, elle assure la publication de l’avis de vacance ou de création sur son site internet ou, à défaut, par tout moyen assurant une publicité suffisante ».

Les décrets et lois mentionnés ci-dessus ne disposent pas d’exemption de publicité de vacance de poste dans la fonction publique territoriale pour les sportifs de haut niveau, pas plus que la loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015

visant à protéger les sportifs de haut niveau et professionnels et à sécuriser leur situation juridique.

La commune n’a apporté, en amont du présent contentieux, mais également devant les juges de première instance, aucun élément à l’appui de l’affirmation selon laquelle la « formalité » de publication n’était pas nécessaire. Au contraire de ce qu’indique la directrice générale des services de la commune, l’article 3-1 de la loi n° 84-53 vise « notamment », le décret n° 88-145 visé, ainsi que le décret n°2019-1414 auquel renvoie le précédent, disposent explicitement qu’une publication de vacance s’impose.

Le Conseil d’Etat pourra pourtant constater que la commune de Lille publie en permanence ses postes à pourvoir en CDD en suivant le lien « accéder à la liste des offres » : https://www.lille.fr/Votre-Mairie/La-municipalite-recrute/Acceder- aux-offres. Il est ainsi établi que la méconnaissance de l’obligation de publicité du poste ne relève pas d’une erreur involontaire dans la procédure de recrutement des CDD appliquée par la commune, mais d’une manœuvre.

Or, le recrutement de Mme BOUDERSA a été fait sans publicité préalable selon les écrits de la DGS de la commune elle-même.

En ce qui concerne le défaut de justification du poste

Il est ainsi établi que ce recrutement, fait sans publicité, est irrégulier.

En outre, la commune évoque dans la justification du recrutement « l’accompagnement des sportifs de haut niveau » sans donner aucune précision ni référence en droit.

Le contrat de travail ne vise ou ne mentionne aucunement l’accompagnement des sportifs de haut niveau.

La Commune a simplement évoqué une « collaboration de longue date », notion étrangère au droit de la fonction publique territoriale.

La justification de la vacance du poste n’a pas été apportée par la défenderesse.

Au vu des dérobades pratiquées par la partie adverse, on en vient à se demander si le recrutement de Mme BOUDERSA ne constituerait pas tout simplement une nomination pour ordre dans la mesure où rien ne permet en l’état de savoir (puisque aucun avis de vacance ou de tableau des effectifs n’a été produit en première instance malgré l’argument soulevé dans la protestation) s’il existait un poste créé ou vacant qui fût conforme au grade qui est visé dans le contrat.

En ce qui concerne l’existence de « faits en vue d’influencer le vote d’un ou de plusieurs électeurs aura obtenu ou tenté d’obtenir leur suffrage, soit directement, soit par l’entremise d’un tiers »

Le recrutement illégal de Mme Licia Boudersa ne fait aucun doute ici, et nous démontrerons qu’il a été fait directement en vue d’influencer son vote et ceux d’un certain nombre d’autres électeurs.

Le Conseil d’Etat ne pourra, au vu des conditions de cette embauche, discrète, le jour du confinement, sur un poste qui n’avait pas donné lieu à publicité, que considérer qu’il s’agit là d’une d’embauche destinée à s’assurer du soutien d’un relais d’opinion.

L’emploi de Mme BOUDERSA a donné lieu à une réaction syndicale forte, la CFDT estimant (Pièce n°20) que l’embauche avait été faite dans des conditions plus avantageuses que la normale pour ce qui concerne le grade de Mme BOUDERSA.

Par ailleurs, à la date de sa prise de poste, le 16 mars 2020, Mme BOUDERSA était en villégiature à l’étranger (Pièce n°57) depuis le 12 mars, ce qui signifie qu’elle n’avait pas l’intention de prendre son poste de manière effective. De fait, dès le 13 mars 2020, la commune annonçait par communiqué la fermeture de tous les équipements sportifs, et cette embauche ne présentait aucun intérêt pour le service, après que le Président avait annoncé la veille, sans surprise, la fermeture de ce type d’équipements.

Enfin et surtout, Mme BOUDERSA a admis dans un échange privé avec Mme Halima MATOUG au sujet de son « retournement » politique (Pièce n°119) : « J’ai toujours dit que ma priorité était mon boulot. […] à l’heure actuelle, personne ne m’a proposé mieux. » ; « Moi je m’en fous complètement de la politique, mon intérêt est personnel. […] j’ai toujours dit que je serai avec la personne qui me trouvera du travail » ; « Et le contrat, c’est en attendant, on m’a promis beaucoup plus. ».

Cette contrepartie attendue de Mme BOUDERSA est d’ailleurs confirmée par un échange antérieur de SMS avec M. DOUFI (même pièce), où, en réponse à une invitation à participer à une réunion publique, elle indique « Ma priorité c’est mon boulot. Tant qu’il n’y a rien, je ne ferai rien pour personne ».

Il s’agit bien, dès lors, et comme le confirment ces échanges s’il en était besoin, d’une promesse d’emploi public à un relai d’opinion très populaire (Pièces n°159 et 160) faite en vue d’influencer le scrutin, et réprimée par les dispositions de l’article L. 106 du code électoral.

A cet égard, le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion d’annuler un scrutin électoral pour les mêmes raisons :

« il résulte de l’instruction, qu’un protocole d’accord a été conclu entre les deux tours entre d’une part M. B et d’autre part MM. C et D, responsables d’une troisième liste ayant obtenu au premier tour 779 voix, soit 2,81 % des suffrages, afin que ces derniers appellent à voter en faveur de la liste conduite par M. B ; qu’en échange de ce soutien, le protocole prévoyait que M. C proposera, le moment venu, à l’embauche définitive dans les services communaux une dizaine de ses plus proches camarades ; qu’il stipulait également qu’au lendemain de la victoire, le camarade Yannick D mettra fin à sa disponibilité, afin d’assumer une tâche de direction, au plus près du maire, dans l’organigramme de ses services ; que ces promesses écrites, de recrutement par la commune, en cas de victoire de la liste conduite par M. B, sur des emplois publics, des proches de M. C ainsi que de ce dernier moyennant l’engagement, au nom de leurs colistiers, de soutenir M. B au second tour, constitue une promesse en vue d’obtenir des suffrages, prohibée par les dispositions précitées de l’article L. 106 du code électoral ; que compte tenu du nombre de suffrages obtenu au premier tour par la liste conduite par M. C, plus de deux fois supérieur à l’écart de voix séparant la liste conduite par M. B et celle conduite par M. A, seules présentes au second tour, ces promesses illégales ont été de nature à fausser le résultat du scrutin » (CE, 5 août 2009, n° 322832).

Cette manœuvre, dont l’illégalité et la gravité ne font aucun doute, entraînera à elle seule l’inéligibilité de Mme AUBRY et l’annulation de l’élection, au regard du faible écart de voix.

S’il est vrai que le juge électoral ne constate une violation des dispositions de l’article L. 106 du code électoral que lorsqu’un pacte a été conclu, aux termes duquel l’emploi de l’agent serait assuré en contrepartie d’un soutien électoral à l’élu. C’est précisément le cas en l’espèce, ce que confirment sans ambiguïté les écrits de Mme BOUDERSA !

En première instance, Mme BOUDERSA n’a jamais contredit ces faits, se bornant à indiquer qu’elle a écrit ces textos pour arrêter d’être harcelée ! Le Conseil d’Etat constatera cependant au vu des échanges en cause (Pièce n°119), qu’aucun élément n’y suggère un harcèlement, Mme BOUDERSA relançant même spontanément une discussion avec M. DOUFFI postérieurement à son refus de participer à la campagne de Mme SPILLEBOUT.

En aucun cas, elle ne vient contredire le fait qu’elle a apporté son soutien à Mme AUBRY en contrepartie de son embauche par la commune de Lille.

Notons par ailleurs, que Mme BOUDERSA, employée à ce jour par la commune de Lille, et directement dans un rapport hiérarchique avec la maire, n’a certainement pas vraiment d’autre choix que de rédiger cette attestation.

En tout état de cause, elle n’y dément en rien ces agissements prohibés par le code électoral.

Le tribunal a considéré qu’en tout état de cause, une telle manœuvre n’aurait concerné qu’une seule électrice, en la personne de Mme BOUDERSA.

On rappellera à cet égard qu’un relais d’opinion est généralement défini comme « une personne qui exerce une influence sur son entourage et (ou) qui échange des informations orales sur les produits et marques » (King et Summers, 1970 ; Ben Miled et Le Louarn, 1994 ; Mowen, 1995 ; Gilly et al. 1998 ; Flynn et al. 1996 ; Goldsmith et de Witt, 2003). Un relais d’opinion est un individu qui, par sa notoriété, son expertise, son charisme ou de son activité sociale intensive, détient un avis qui guide un grand nombre d’autres individus. Un relais d’opinion opère aujourd’hui principalement par l’intermédiaire des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, Dailymotion, Youtube, Snapchat, etc.).

Il est établi que Mme BOUDERSA, célébrité sportive, est un relai d’opinion. Elle a régulièrement les honneurs de la presse, est très présente sur Facebook (un compte à 3900 abonnés – Pièce n°108 ; un autre à 1600 abonnés – Pièces n°110, Twitter, Instagram (3700 abonnés), Dailymotion, etc.). Il suffit de taper « Licia Boudersa » sur un moteur de recherche pour s’en convaincre (Pièce n°166). Le tribunal, en supposant que le soutien de Mme BOUDERSA n’influence, au sens de l’article L. 106 du code électoral, qu’un seul électeur, opère une appréciation très éloignée de la réalité. Le poids d’un tel soutien en campagne électoral se mesure au fait que Mme BOUDERSA a été sollicitée par deux listes différentes.

A partir de mars 2020, c’est-à-dire concomitamment à son embauche, Mme BOUDERSA, qui ne s’intéresse pas à la politique selon ses propres écrits, s’est comportée en tout comme un soutien actif de la campagne de Mme AUBRY (Pièces n°16 à 18, 42, 160, 167). Son embauche, faite à l’issue d’une procédure de recrutement illégale, relève, selon ses propres écrits, d’une promesse d’emploi public en échange d’un soutien politique.

Cette manœuvre illégale a assurément altéré le scrutin.

2.2. Sur les agissements de Mme Meriem AMOURI

Mme Meriem AMOURI est présidente de l’association lilloise pour favoriser la participation des habitants (ALFPH) (Pièces n°48 et 107). Cette association est subventionnée par la commune de Lille (Pièce n°50).

Mme AMOURI est par ailleurs directrice des Francas du Nord (Pièce n°49), association également subventionnée par la commune, membre de l’association Lille 2030 de soutien à la candidature de Mme AUBRY et enfin membre du comité de soutien de Mme AUBRY (Pièce n°51).

Or, Mme AMOURI a adressé un mail en date du 22 juin 2020 à 11h06 (Pièces n°66a à 66c), soit une semaine avant le scrutin, à presque 300 personnes physiques, collectifs ou associations qui avaient, à travers l’ALFPH qu’elle préside, bénéficié de subventions pour leur permettre de mettre en œuvre leurs projets d’initiative citoyenne.

Le contenu du courriel est le suivant :

« Objet : Non à l’abandon des quartiers Lillois, la participation citoyenne des Lillois doit se mobiliser!!!

Bonjour à tous,

Suite à l appel de Martine Aubry, adressé à l’ensemble des habitants des quartiers de Lille , je viens vers vous afin de prendre position clairement , le maire a toujours soutenu la participation des habitants des habitants à Lille et donc votre vote compte plus que jamais le 28 juin 2020 pour la liste Lille en commun , portée par Martine Aubry sur l’appel à la mobilisation pour les quartiers , je vous demande de prendre position clairement car le soutient sera aussi celui en direction des habitants et celui en direction de la vie associative et de la Participation citoyenne.

Sans réponse de votre part je considère que vous souhaitez vous inscrire clairement sur le soutien à cet appel pour les quartiers populaires et donc pour la participation des habitants en soutenant la liste Lille en Commun et donc Madame Aubry.

N’hésitez pas à me faire un retour rapide, Restant disponible pour échanger par téléphone au : XX XX XX XX XX si vous le souhaitez…

Je compte sur votre engagement citoyen à faire vivre la ville de Lille avec ces quartiers et la participation des habitants. Bien cordialement.

Meriem AMOURI ».


En pièce jointe à ce courriel, figure un appel à voter en faveur de Mme AUBRY

(Pièces n°13.0 à 13.1).

Mme AMOURI sera d’ailleurs signataire de cet appel à voter (Pièce n°18).

S’agissant du mail envoyé par Mme AMOURI, l’influence qu’il a pu exercer sur le vote des électeurs est évidente dans la mesure où elle ne s’est quasiment pas cachée, au sein de cet e-mail, d’un chantage d’octroi de subventions contre le soutien de ses interlocuteurs, en totale violation des dispositions de l’article L. 107 du code électoral qui dispose que :

« Ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un électeur, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé ou auront tenté de le déterminer à s’abstenir de voter, ou auront influencé ou tenté d’influencer son vote, seront punis d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 15 000 euros ».

En adressant ce courriel aux bénéficiaires de subventions versées par l’ALFPH au titre du dispositif du PIC (Projet d’initiatives citoyennes), il ne fait aucun doute que Mme AMOURI a tenté d’obtenir leur soutien et leur suffrage en contrepartie des subventions d’ores et déjà versées et à venir.

Pèse en tout cas la menace diffuse que les destinataires de ce courriel ont intérêt à ne pas s’opposer à ce que leur nom soit mentionné parmi les soutiens, puisque le dispositif du PIC est largement abondé par la ville de Lille, l’association étant financée à plus de 181 000 euros par la commune au titre de l’année 2020 (Pièce n°168).

En inscrivant les destinataires dans un fichier sans leur consentement exprès, ce procédé enfreint en outre la réglementation générale sur la protection des données personnelles (RGPD).

L’association doit être qualifiée de para-municipale, en ce que l’essentiel de son financement provient de la commune, en ce qu’elle contribue à la réalisation de politiques publiques de la commune, et enfin en ce qu’elle est présentée comme telle sur le site web de la commune. La rupture d’égalité entre les candidats par l’utilisation illégale d’un fichier auquel seule l’équipe de la maire sortante avait accès est manifeste.

Mme AMOURY entretient des relations privilégiées et de confiance avec Mme AUBRY, qui n’hésite pas par exemple dans un tweet daté du 7 mars 2020, à mettre en avant Mme AMOURY (Pièce n°52). Patrick KANNER, sénateur socialiste, se fait lui-même l’écho de cette relation dans un tweet daté du même jour (Pièces n°67.0 et 67.1).

Inversement, Mme AMOURI retweete des messages de Madame AUBRY maire (Pièce n°53) ou de Mme AUBRY candidate (Pièce n°54).

La veille du jour de l’envoi du mail aux associations, on peut observer Mme AMOURI en pleine campagne de porte à porte en faveur de Mme AUBRY (Pièce n°106).

Les protestataires ont établi que Mme AMOURI, présidente de l’ALFPH, est une militante active proche de Mme AUBRY. M. Ludovic Tissegouine, trésorier actuel de l’association, faisait partie du comité de soutien de Mme AUBRY (https://www.martineaubry2020.fr/ils-elles-nous-soutiennent/).

Le Conseil d’Etat pourra, au vu de la convention annuelle reconduite chaque année (Pièce n°168), constater que l’ALFPH est dépendante de et contrôlée par la commune.

Les protestataires ont produit la montant de la subvention qui lui a été accordée en 2018 (Pièce n°50) et en fait donc de même pour les années 2019 et 2020 (Pièce n°168).

Les protestataires ont également produit les statuts de l’association. (Pièce n°169). L’association ne déposant pas ses comptes, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 612-4 du code de commerce, les protestataires étaient et demeurent dans l’incapacité de les produire (Pièce n°170 : extrait du Journal Officiel).

Cette proximité entre la Ville et l’Association l’est tout autant entre les deux structures, puisqu’il apparaît acquis que la présidente de l’association, quelle qu’elle soit, ne peut prendre d’initiative sans l’aval préalable de la Ville (Pièce n°154).

En effet, la nouvelle présidente de l’association, Mme Liliane GOVART reconnait, elle-même dans cet article très récent de la Voix du Nord que :

« Je dois avoir l’accord d’Arnaud avant de vous parler ». Le journaliste précise : « Arnaud, c’est Arnaud DESLANDES, le nouvel adjoint à la politique de la ville, membre du premier cercle du Maire ».

Mme AMOURI s’était d’ailleurs présentée assise à la gauche du Maire à l’occasion de la conférence de presse de lancement de son association pour les municipales (Pièce n°151) reprise dans un article de la Voix du Nord qui relève que :

« À la tête de ces groupes, Alain Destée, professeur de neurologie à la fac de médecine et chef de service au CHRU, Meriem AMOURI, directrice des Francas du Nord, association d’éducation populaire, Hervé Brisse, directeur de l’harmonie de Fives, Mongi Zidi, président de la Métropole French Tech, des étudiants de Sciences Po… »

L’influence de Mme Aubry sur Mme Amoury est donc manifeste, de même que celle de la commune sur l’association.

Il n’est donc pas surprenant qu’une fois cette manœuvre dénoncée par certains destinataires (Pièces n°14.2 et 14.3) et relayée par la presse (Pièces n°14.0 et 14.1), Mme AMOURY ait prétendu avoir envoyé ce courrier de sa propre initiative : l’irrégularité d’une telle manœuvre est tellement évidente que cette membre éminente de l’équipe de campagne de Mme AUBRY ne pouvait qu’invoquer sa maladresse personnelle pour éviter que l’affaire n’entache l’ensemble de la campagne de sa candidate et n’entraîne en cas de recours, l’annulation de l’élection ainsi que l’inéligibilité de sa candidate.

On notera la production d’un courrier de Mme AUBRY à Mme AMOURI qui lui demande de mettre un terme à une initiative prétendument personnelle car elle estime que cela s’apparenterait à un financement de sa campagne par une personne morale.

Cependant, outre le fait essentiel de la reconnaissance de l’illégalité de la manœuvre, l’impact de cette dernière sur les 300 destinataires de cette correspondance, responsables d’associations subventionnées par la Ville est notable, et la sincérité du scrutin nécessairement altérée.

Ainsi, à la seule lecture du courriel en cause (Pièce n°66), le Conseil d’Etat ne pourra que constater la réalité de la promesse de libéralité en vue d’influencer le vote (art. L. 106) et de la menace faisant craindre pour [leur] fortune pour tenter d’influencer le vote (art. L. 107) à l’attention des 300 destinataires, eux-mêmes relais d’opinions, puisque responsables associatifs.

Par ailleurs, ces pressions illégales, appliquées sur 300 relais d’opinion dans l’objectif d’influencer leurs votes et ceux de leurs associés, ont nécessairement vicié la sincérité du scrutin, très peu de ces relais d’opinion ayant osé les dénoncer publiquement. La majorité d’entre eux a naturellement bien compris le message lourd de menace : pouvaient-ils raisonnablement accorder plus de crédit aux excuses qu’au courriel initial ? Le message a également été compris par tous les acteurs en relation avec la commune : prendre politiquement position contre Mme AUBRY, c’est prendre un risque. Ces pressions, quiconque en soit l’auteur, ont assurément altéré le scrutin dans une proportion que le Conseil d’Etat appréciera.

Le Conseil d’Etat considérera en conséquence que la faute revient à l’équipe de campagne de Madame AUBRY, sous la responsabilité de celle-ci, et, dans tous les cas, qu’une telle irrégularité, auprès de 300 personnes physiques ou morales donc potentiellement davantage d’électeurs que les seuls destinataires et dont des relais d’opinion reconnus, constitue une manœuvre destinée à fausser la sincérité du scrutin.

Cette seule manœuvre doit entraîner l’inéligibilité de Mme AUBRY, et eu égard au faible écart de voix constaté au second tour (227 voix), l’annulation de l’élection.

2.3. Sur les libéralités auprès des commerçants

Durant la période de confinement, de nombreux commerçants ont dû fermer leurs portes. A l’occasion du déconfinement, la commune a décidé une vaste campagne de promotion du commerce local, sous la forme de publicités dans les rues de la ville mettant en scène des commerçants réels.

Enfin, la Fédération lilloise du commerce est généreusement subventionnée par la commune (Pièce n°55). Le Conseil d’Etat pourra constater que son président, M. Romuald Catoire, a participé à l’appel des commerçants en soutien de Madame AUBRY.

Ce seul fait ne poserait pas de difficulté si M. Catoire avait participé en son nom propre. Mais c’est en tête de l’appel, ès qualité de président de la Fédération lilloise du commerce, qu’il l’a fait.

Les exemples de pressions et libéralités sur les commerçants sont légion, et il faut bien ici évoquer un système où la maire a abusé de son autorité et de ses prérogatives sur les financements municipaux pour acquérir à toute fin, des soutiens visibles pour sa campagne électorale.

3. Sur la violation de l’article L. 131-2 du code de justice administrative

L’article L. 131-2 du code de justice administrative dispose que :

« Les membres du Conseil d’État exercent leurs fonctions en toute indépendance, dignité, impartialité, intégrité et probité et se comportent de façon à prévenir tout doute légitime à cet égard. Ils s’abstiennent de tout acte ou comportement à caractère public incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions. Ils ne peuvent se prévaloir, à l’appui d’une activité politique, de leur appartenance au Conseil d’État ».

Lors d’une conférence de presse le 16 septembre 2019 (Pièces n°6.0 à 6.12), à une question relative à la période électorale qui commençait, Mme AUBRY a répondu « Conseillère d’État, je connais la jurisprudence », contrevenant ainsi très clairement à l’article L. 131-3 du code administratif.

Cette manœuvre a constitué une pression sur les relais d’opinion et les électeurs, en ce qu’elle sous-entend que Mme AUBRY, conseillère d’Etat, soit le grade le plus élevé de la justice administrative, ne pourrait avoir tort sur une question de droit, voire que toute contestation à son encontre serait vouée à l’échec.

Cette manœuvre constitue également une mise en valeur vis-à-vis des relais d’opinion que sont les journalistes et des électeurs qui étaient interdite à la candidate.

Cette manœuvre, destinée à fausser le résultat du scrutin, emportera l’annulation du scrutin au regard du faible écart de voix.

Sur ce point, le tribunal administratif a effectivement relevé l’existence d’une infraction mais a estimé que cette manœuvre, intervenue selon lui de manière incidente, n’avait pas entaché la sincérité du scrutin étant intervenue six mois avant la tenue du premier tour.

Cependant, il est important de relever que Mme AUBRY a évoqué cette qualité en vue de faire comprendre à tous les journalistes et lecteurs de cette interview que sa compétence et sa hauteur étaient irréfragables.

En outre, il est important également de revenir sur la date de début de période électorale qui a été fixée au 1er septembre, donc antérieurement à cette déclaration.

Or, les règles strictes applicables en période de campagne électorale le sont depuis le 1er septembre et si une telle date est fixée par le législateur, c‘est qu’il considère que tout fait relatif aux agissements des candidats pendant cette période est de nature à avoir une influence sur la sincérité du scrutin, peu importe qu’ils interviennent 2 mois ou 6 mois avant le scrutin.

A l’égard des journalistes, l’impact a également été important dans la mesure où ces derniers se sont fait reprendre sur la nature des questions qu’ils étaient en droit de soulever, selon Mme AUBRY, qu’ils ont d’ailleurs ensuite craint de développer pendant toute la durée de la campagne !

En outre, le fait pour une candidate de se prévaloir de sa qualité de conseillère d’Etat pour rejeter une question sur le droit électoral en période électorale constitue à l’endroit des journalistes présents et des lecteurs avertis du journal une pression relevant de l’article L. 107 du code électoral qui prévoit que :

« Ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un électeur, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé ou auront tenté de le déterminer à s’abstenir de voter, ou auront influencé ou tenté d’influencer son vote, seront punis d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 15 000 euros »

Il s’agit en effet d’un argument d’autorité tiré d’une situation professionnelle particulière, qui suggère, y compris, que toute action au tribunal administratif concernant Mme AUBRY serait vouée à l’échec (Pièces n°6a à 6b).

Il est regrettable que le tribunal, qui relève l’existence de cette infraction, n’y voit aucune manœuvre de nature à avoir un impact sur la sincérité du scrutin, ce qu’il plaira au Conseil d’Etat de bien vouloir relever.

4. Sur la violation des dispositions du 1er alinéa de l’article L. 52-1 du code électoral

L’article L. 52-1 du code électoral dispose à son 1er alinéa :

« Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d’une élection et jusqu’à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l’utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite ».

Le Conseil d’Etat, dans sa décision n° 135815 du 7 mai 1993, a ainsi considéré que la mise à disposition d’un candidat aux élections par une radio locale pour la diffusion des émissions destinées à favoriser l’élection de la liste qu’il animait, a constitué, eu égard au contenu desdites émissions, l’utilisation d’un moyen de publicité commerciale à des fins de propagande électorale, en violation de l’interdiction édictée par l’article L. 52-1 du code électoral.

De la même façon, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de se prononcer sur l’irrégularité de ce type de pratiques par exemple, à la suite d’un abus de propagande d’une radio privée disposant d’une large audience ayant apporté un soutien exclusif et massif à une liste (CE sect., 7 mai 1993, n° 135815, Lallemand et a., Comm. nat. comptes de campagne, Lebon p. 146, concl. S. Dael ; RFDA 1993, p. 490), en considérant que :

« il résulte de l’instruction que le coût des émissions intitulées « radio doléances », diffusées quotidiennement depuis novembre 1991 par la radio locale privée dénommée Radio Free Dom, qui, comme il a été dit ci-dessus, avaient le caractère d’émissions de propagande politique en faveur de la liste de M. Sudre, constitue une dépense exposée directement au profit de M. Sudre, avec son accord et en vue de son élection ; que, par suite, les sommes correspondantes devaient être regardées comme des dépenses électorales et être intégrées dans son compte de campagne, comme l’a fait la commission nationale des comptes de campagne »

En outre, aux termes de l’article L. 52-12 du code électoral :

« Sont réputées faites pour son compte les dépenses exposées directement au profit du candidat et avec l’accord de celui-ci, par les personnes physiques qui lui apportent leur soutien, ainsi que par les partis et groupements politiques qui ont été créés en vue de lui apporter leur soutien ou qui lui apportent leur soutien. Le candidat estime et inclut, en recettes et en dépenses, les avantages directs ou indirects, les prestations de services et dons en nature dont il a bénéficié. Le compte de campagne doit être en équilibre ou excédentaire et ne peut présenter un déficit ».

La défenderesse a soutenu en première instance que le documentaire n’a pas été commandé par Mme AUBRY, ni par un de ses soutiens, mais relève d’une démarche spontanée de France 3. Cependant, à supposer même que la démarche de France 3 soit totalement spontanée, le contenu du film livré par la

réalisatrice en fait un documentaire de propagande électorale dont il est peu probable que Mme AUBRY n’en ai découvert le contenu qu’en même temps que le grand public !

Le Conseil constitutionnel considère que l’accord du candidat correspond aux cas dans lesquels « soit le candidat a décidé ou approuvé l’engagement de telles dépenses, soit il apparaît comme ayant manifesté la volonté de tirer parti, dans le cadre d’une campagne en vue de l’élection, d’activités ayant donné lieu à des dépenses engagées en vue de l’élection » (11 octobre 1995, Balladur).

Le Conseil d’Etat considère que les dépenses relatives aux irrégularités commises par autrui sont intégrées au compte de campagne dès lors qu’elles n’ont pas été faites à l’insu du candidat qui n’aurait pas été en mesure de s’y opposer ou de les prévenir (CE, 8 janvier 1997, n° 178393).

Ainsi, il est de la responsabilité de la candidate, en période électorale, de refuser des avantages en nature venant de personnes morales.

En l’espèce, Mme AUBRY ne soutient pas s’être opposée d’une quelconque manière à la diffusion pourtant annoncée partout, ni à l’avant-première, ni que cet événement aurait été organisé à son insu.

Elle soutient simplement, et de façon erronée, qu’il n’y a eu aucune publicité par Mme AUBRY, ses soutiens et les autres supports de communication placés sous son autorité.

D’ailleurs, elle ne s’est effectivement pas opposée à la diffusion car elle en tirait un avantage électoral certain (démontré par Google Trends, Pièce n°11).

C’est au juge électoral qu’il appartient d’apprécier souverainement s’il y a eu ou non communication ou financement réglementé ou prohibé et mise en valeur injustifiée des actions des candidats élus ou de la municipalité.

Néanmoins, il convient ici également de faire référence directe aux règles issues du droit de la presse.

En effet, nous rappellerons que la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication impose à France 3 : le respect d’un caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion et des exigences de service public (art. 1) ; l’impartialité du secteur public (art. 3.1) ; l’interdiction des émissions publicitaires à caractère politique (art. 14); la poursuite de l’intérêt général, le respect des principes démocratique et du principe d’égalité de traitement (art. 43-11).

La loi renvoie au CSA, et à sa délibération n° 2011-1 du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale et au Cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions (décret n° 2009-796), qui fixe la ligne éditoriale de la chaîne en distinguant notamment le documentaire (art. 12) de l’information et du débat (art. 14).

Ainsi, malgré sa liberté de principe, France 3 ne peut sans méconnaître ces dispositions engager ses services, ses moyens financiers et son antenne à la présentation flatteuse d’un candidat en période électorale. Il est intéressant de rappeler qu’un documentaire est l’œuvre d’un auteur, il est subjectif et intemporel. La question d’un « contradictoire » ne se pose pas au réalisateur (à l’inverse d’un reportage qui est le travail d’un journaliste et est plus contraignant du point de vue de l’éthique).

Dans ces conditions, l’interdiction faite par le droit de la presse à l’encontre de France 3 est justifiée, l’impartialité que doit conserver le service public n’étant pas respectée ici.

En l’espèce, le Conseil d’Etat pourra relever une violation des dispositions de l’article L. 52-1 du code électoral, eu égard aux différents événements suivants :

4.1. Sur le contenu du film documentaire « La Dame de Lille »

Le documentaire est ici accessible : https://youtu.be/o8TW9r1aqzA

Eu égard tant à son contenu qu’aux modalités de sa diffusion, ce documentaire constitue assurément une publicité commerciale à fin de propagande électorale. Les militants de Mme AUBRY l’ont reconnu comme tel. Le seul tweet du Parti Socialiste (222 000 abonnés) reproduit ci-dessous a été retwitté par le Parti Socialiste de Lille, par M. Van Massenhove (colistier de Mme Aubry), Mme Menet (colistière, désormais membre du cabinet de Mme Aubry) ou M. Ravard (membre du cabinet de Mme Aubry).

En l’espèce, et au cas particulier du scrutin lillois, la diffusion par l’antenne régionale de France 3, dont le siège est situé à Lille, de l’émission « La Dame de Lille » le 18 novembre 2019, après une campagne massive de promotion aussi bien dans la presse (Pièces n°8.0, 104, 105, 117), que sur les réseaux sociaux (Pièce n°9.1 à 9.4), au Journal télévisé de France 3, ou encore par l’organisation d’une avant-première organisée par Sciences-Po Lille le 14 novembre 2019 (Pièces n°9.1 à 9.3, 10.1 à 10.3), dans des locaux appartenant à la commune, sont révélateurs de l’intensité de l’influence de ce film sur le scrutin.

Ce film documentaire retrace le parcours politique de Mme AUBRY depuis son arrivée à Lille en 1995 pour y devenir première adjointe de Pierre Mauroy, jusqu’à cette période électorale où elle doit bientôt annoncer sa candidature.

Le documentaire présente Mme AUBRY sous un jour flatteur, ce qui constitue en soi, en période électorale, un avantage en nature

Ainsi, dès le synopsis, Mme AUBRY est qualifiée de « brillante », d’« étoile », et son caractère de «légendaire». Dès l’introduction, on annonce entre Mme AUBRY et Lille «la rencontre de deux destins, le récit d’une double métamorphose ».

Dans ce film, même les opposants à Mme AUBRY ne disent, selon les extraits de leurs interviews laissés au montage, que du bien d’elle. Ainsi, Mme AUBRY « aime l’ordre, les choses bien préparées », elle est « exigeante ». Elle est « très travailleuse ». Même M. Daubresse, concurrent à l’élection municipale, indique « elle va au bout de ses dossiers, elle connaît ses dossiers » (minute 2). Un ancien opposant la trouve « pleine de sensibilité », après que Madame AUBRY a eu l’occasion de se vanter d’exécrer «la communication, la démagogie, le clientélisme » (minute 3).

Entre deux rencontres impromptues avec des collégiens avec lesquels elle discute volontiers, le film nous rappelle que Mme AUBRY a du mérite de s’être adaptée aux « courées de briques rouges », elle, « l’étoile montante du parti », qui suivait une « trajectoire fulgurante » (minute 8).

Son passage au ministère du travail et des affaires sociales dans le gouvernement Jospin est qualifié d’« impressionnant », et la réduction du temps de travail « fait partie des grandes étapes de l’histoire de notre pays ». Pour Mme AUBRY, qui a travaillé « tout un été » en vue de rétablir les comptes de la sécurité sociale et instaurer la CMU, « la réforme, c’est le progrès » (minute 12). Mme AUBRY a cependant indiqué au Premier ministre « moi, je veux être maire de Lille, c’est le mandat qui me plaît ».

Avec sa victoire à l’élection municipale de 2001, « le socialisme municipal semble avoir trouvé son héritière », et c’est « un mariage entre Martine Aubry et les Lillois » qui est célébré (minute 14).

La « poigne » de Mme AUBRY lui a permis d’imposer aux services une « culture de la compétence » (minute 15). Mme AUBRY indique avoir toujours « une vision économique des choses, avec en même temps une très forte appétence pour le social » (minute 18). Ce sont ainsi même les patrons qui l’écoutent : « elle les impressionne encore, c’est un mystère pour moi », déclare cet ancien opposant (minute 19).

Mme AUBRY a dû « garder la tête haute devant les barons socialistes locaux », quand ceux-ci lui ont fait perdre l’élection législative de 2002 (minutes 21 à 24). Mais « elle va se mobiliser pour sa ville, et elle fera finalement ce dont on avait

besoin », selon l’ancien opposant, selon lequel « elle nous a fait découvrir l’art contemporain ; c’est à mettre à son bénéfice, à son crédit » (minute 28).

Mme AUBRY est passionnée par Lille : « Bâtir une nouvelle cité, inventer le Lille du XXIe siècle, le défi passionne Martine Aubry plus que les grandes joutes nationales. Les Lillois lui en sont reconnaissants » (minute 30). « Elle va façonner la ville. Elle va théoriser une forme de ville, une ville mixte, attractive » (minute 31).

Mais Mme AUBRY reste proche du peuple : « Elle aime le football, et ça se voit ». « Oui, je peux être dure avec les puissants, car ils peuvent se défendre » (minute 37). Elle se présente économe des deniers publics, et l’ancien opposant affirme « Jamais on n’a pu prendre et on ne prendra jamais Martine Aubry en défaut sur ces questions d’intégrité. Ce n’est pas rien quand même. Pouvoir avoir un maire en face de soi dont vous êtes sûr qu’elle est fondamentalement intègre, c’est rassurant. » (minute 38).

Si Mme AUBRY gagne le congrès de Reims du PS en 2008, c’est « malgré elle », « comme si elle parvenait aux plus hautes fonctions sans le vouloir ». « J’avais besoin de rester à Lille ; je m’alimentais à Lille », indique-t-elle (minute 40). Le film documentaire n’évoque pas la contestation des résultats de ce congrès, les soupçons de fraude, ni l’ouvrage1 entier que deux journalistes ont consacré à cette période2.

Mme AUBRY était, au moment de la primaire du PS pour la présidentielle de 2012, si préoccupée par sa ville que « Elle ne voulait pas être candidate à la primaire. Elle va y aller à contrecœur » (minute 42). Elle refuse d’être candidate aux législatives de 2012 « alors qu’elle aurait été élue » (minute 44). Elle indique préférer « la vie » à être présidente de la République.

Les trois dernières minutes du film marquent l’apothéose de ce panégyrique, les mandats de Mme AUBRY étant présentés comme un règne, sur fond d’images de Mme AUBRY parlant avec son peuple : « Loin des Madame la ministre, elle préfère qu’on l’appelle Martine. Loin de l’ENA, de Paris et du pouvoir central, elle poursuit son chemin, sur les pavés de Lille, qui les ramènent aux valeurs de l’enfance ». Et Mme AUBRY d’évoquer sa mère : « Elle est dure avec les puissants et douce avec les faibles : ça, c’est quelque chose que ma mère m’a appris ».

Les seuls éléments critiques du film sont relatifs au caractère de Mme AUBRY (mais elle y répond longuement avec un grand sourire, puis en posant au milieu des enfants à de nombreuses reprises), aux doutes d’une colistière d’opposition quant à sa conversion à l’écologie et à l’affirmation d’une concurrente selon lesquelles des « décisions d’infrastructures de transport structurantes qui n’ont pas été prises au moment où elles devaient être prises ».

L’ensemble du film est orienté de manière à donner de Mme AUBRY une image positive et rassurante, à la fois compétente, déterminée, travailleuse, juste, désintéressée, motivée uniquement par l’intérêt général, amoureuse de la ville au point de se sacrifier pour elle, et ayant contribué à sa métamorphose pour son bien.

Il en va de même pour le parti et les idées politiques du parti de Mme AUBRY. Le film s’ouvre ainsi avec l’Internationale (hymne traditionnel du Parti Socialiste) comme générique. Cette musique reviendra à la 14e minute, pour célébrer l’élection de Mme AUBRY en 2001, puis à la 44e minute, après que M. Delors a fait allusion à cette chanson. Durant le générique, Lille est présentée comme la ville qui « a inventé le socialisme » ; « Lille la rouge, Lille l’ouvrière » ; « Lille entre dans le XXIe siècle mais demeure fidèle à son histoire, fondamentalement socialiste ». A la 4ème minute, il est affirmé que « le symbole du socialisme ouvrier dans le Nord, c’est le beffroi de Lille », et qu’ici, « le socialisme façonne le territoire ».

A la 14ème minute, la voix off affirme qu’avec Mme AUBRY en 2001, «le socialisme municipal a trouvé son héritière ».

Le tambour de cette interprétation de l’Internationale reviendra enfin contribuer à faire monter la tension dramatique à propos de la candidature de Mme AUBRY à la 49ème minute.

Le documentaire fait référence aux élections de manière plus ou moins grossière du début à la fin

Dès le synopsis, Mme AUBRY est présentée comme étant « à l’aube d’un probable quatrième mandat ».

Durant le générique, il est dit que Lille a connu depuis un siècle « une chaîne ininterrompue » de maires socialistes (ce qui est d’ailleurs faux). Il est précisé à cette occasion à propos de Mme AUBRY « La fonction la passionne toujours : elle s’y consacre toute entière ».

A l’occasion d’images de Mme AUBRY en situation de proximité populaire lors de la Braderie 2019, il est indiqué « Tous les prétendants sont là ; le fauteuil de maire est à portée de main ; ils en rêvent. Martine Aubry n’entend pas lâcher le moindre mètre carré de cette ville qu’elle a été cherché à la force du poignet, qu’elle a façonnée quartier par quartier ».

Le film revient sur les élections municipales de 2001 (7ème et 8ème minutes), de 1995 (10ème minute), sur les élections législatives de 2020 (23ème minute), sur les municipales de 2008 (30ème minute), sur les législatives de 2012 (44ème minute), les municipales de 2014 (45ème minute).

Les dernières minutes du film évoquent la thématique de l’environnement, thème essentiel de la campagne de 2019-2020 – Mme AUBRY ayant, au moment de la diffusion, fait sa conférence de presse de rentrée sur ce thème précis, pris un arrêté anti-pesticides illégal pour faire de la communication et annoncé que la commune s’engageait en faveur de la gratuité des transports en communs. Elle annonce (48ème minute) « Il ne faut plus se poser de questions : il faut foncer et aller encore plus loin ».

Vient finalement, lors des trois dernières minutes du film, le sommet de la tension dramatique autour de la candidature de Mme AUBRY. Celle-ci commence par des considérations de la candidate sur sa propre autorité, sur sa vision sur la ville, sur sa capacité à diriger une équipe, à accompagner les gens et à être maire. Puis M. Matiot, directeur de Sciences Po et soutien de Mme AUBRY indique : « Martine Aubry incarne une manière ancienne de la politique, avec le sentiment de se dévouer […]. Ce qui l’anime, c’est de continuer à y aller, pour que la ville reste à gauche, reste socialiste […] avec la question, cette fois-ci, beaucoup plus lancinante encore, de sa succession potentielle si elle était réélue maire ». S’ensuit un plan sur une affiche électorale de 2014 « Pour Lille, Pour vous, avec Martine Aubry ».

Mme AUBRY conclut enfin le film : « Est-ce que la ville va rester socialiste ? Vous imaginez bien que je vois bien les personnes qui sont aujourd’hui dans l’équipe municipale ou qui pourraient y rentrer et qui demain pourraient être maires… autrement je n’aurais pas fait mon boulot jusqu’au bout… et vous savez que je suis exigeante… [Rires] Voilà ».

Ces quelques phrases sans ambiguïté quant à la volonté de Mme AUBRY d’être candidate suffisent à montrer que le film s’inscrit dans la campagne électorale, Mme AUBRY ayant attendu sa diffusion avant d’annoncer sa candidature.

Le suspense entretenu autour de la candidature de Mme AUBRY a contribué au succès du film. Après l’avoir vu, tous les spectateurs auront compris que leur si brillante et dévouée maire se présentait à nouveau, tel M. Crapet, principal journaliste politique lillois de la Voix du Nord :

Le documentaire constitue une présentation flatteuse du bilan de la municipalité et de la maire

Le synopsis évoque une « belle reconnaissance via la culture ».
A la 4ème minute, il est fait référence à une ville « qu’elle a façonnée quartier par quartier ». Une minute plus tard, Mme AUBRY indique avoir toujours travaillé à la mixité sociale, en faveur des quartiers populaires. S’ensuit un long discours sur sa manière humaine de traiter les sujets de politique de la ville.

A la 19ème minute, Euratechnologie est présenté comme « un succès absolument total ». S’ensuit une présentation in situ de l’intérêt de la municipalité pour le souci environnemental en cas d’aménagement, et de la présentation du projet de la cité des Aviateurs.

« En 2004, la haut-fonctionnaire touche avec la culture le cœur des Lillois » (24ème minute). Elle a « projeté la ville dans un nouveau récit », et « Les grands rassemblements culturels thématiques populaires deviennent en quinze ans la marque de fabrique de la capitale des Flandres », au point que les tour- opérateurs chinois et japonais prévoient désormais deux jours à Lille !

A la 32ème minute, on nous raconte comment «Son équipe transforme d’anciennes usines en lieux culturels, réhabilite certaines friches industrielles, invente des équipements publics et sportifs. D’autres quartiers sortent littéralement de terre ».

Aucun maire sortant n’a bénéficié d’une telle campagne de promotion de ses réalisations.

Le documentaire est tout entier tourné vers la valorisation de la personne de Mme AUBRY et la valorisation de ses actions dans une perspective électorale. Son titre même fait référence à la Déesse de Lille qui trône au centre de la Grand’ Place et personnifie la ville.

Le synopsis du film, tel que présenté dans tous les programmes de télévision, indique « La fille de Jacques Delors, brillante énarque et étoile montante du parti socialiste, parachutée à Lille en 1995, a été désignée dauphine par Pierre Mauroy. D’une arrivée sur fond de trahison à des débuts difficiles, jusqu’à une belle reconnaissance via la culture, la trajectoire de l’élue lilloise est pleine de rebondissements. A l’aube d’un probable quatrième mandat, les relations entre Lille et son édile sont aussi passionnelles que son légendaire caractère » (Pièce n°24)

Le contenu du documentaire, sans équivoque, ne laisse aucune place à la critique, et ne constitue, ni ne prétend être un travail journalistique.

Diffusé en pleine période électorale, il constitue au bénéfice de cette candidate une longue prestation de propagande électorale, mettant en scène la nécessité pour la ville que Mme AUBRY présente à nouveau sa candidature.

Le fait que Mme AUBRY n’avait pas encore, au moment de la diffusion, annoncé sa candidature à la presse, ce qu’elle a fait dix jours seulement après, démontre que le suspense organisé autour de l’annonce de sa candidature n’était en fait destiné qu’à bénéficier du tremplin de lancement que constituait cette émission, qui la plaçait en position de maire «naturelle» de la ville et même en personnification de celle-ci.

La comparaison faite avec les autres documentaires diffusés par France 3 dans les autres régions ne saurait convaincre le juge : certains portaient sur le mandat de maires sortants qui ne se représentaient pas! Quant aux autres, ils semblaient emprunts de beaucoup plus d’objectivité que celui diffusé sur la candidate à la ville de Lille.

Plus particulièrement, il est important de souligner que MM. Juppé et Gaudin n’étaient pas candidats, et que M. Collomb n’était pas candidat tête de liste à l’élection municipale, et a en l’occurrence refusé de participer au tournage.

Mme AUBRY a nécessairement participé au projet dès son origine, son accord étant un préalable à son lancement, alors qu’elle organisait sa campagne électorale dès février 2019ce que confirme la date de la pièce n°172.

Elle soutient dans la presse que c’est le manque de temps qui l’a empêchée d’annoncer sa candidature plus tôt, et, devant le tribunal, qu’elle s’est désintéressée du montage et du devenir de ce film. Il lui revenait pourtant de prévenir et s’opposer à la commission des irrégularités en cause. Les autres candidats y sont parvenus.

4.2. Sur la promotion du documentaire

La diffusion a été précédée d’une intense campagne de promotion, avec une soirée de projection en avant-première dans le grand amphithéâtre de Sciences- Po (Pièces n°9.1 à 9.3, 10.0 à 10.3), de nombreux articles de presse, une longue interview de la réalisatrice dans le journal télévisé de France 3 Nord, une forte activité sur les réseaux sociaux (Pièces n°11a à 11d) ainsi qu’une publicité commerciale dans le quotidien de référence La Voix du Nord (Pièce n°8).

La soirée d’avant-première, le 14 novembre 2019, eu égard au contenu sans équivoque du documentaire qu’il s’agissait de célébrer, constitue une publicité commerciale à fin de propagande électorale au même titre que la diffusion sur France 3. Cette soirée a elle-même donné lieu à des retombées médiatiques importantes, que ce soit dans la presse ou sur les réseaux sociaux.

Cette soirée s’est tenue dans les locaux d’un établissement public d’Etat relativement dépendant de la commune, puisque c’est la commune qui est propriétaire de ses prestigieux locaux, mis à sa disposition.

Cette soirée a concerné des invités prestigieux : il s’agissait bien, dans un premier temps, de toucher d’abord tous les relais d’opinion de la ville et de l’agglomération (Pièce n°10d).

La soirée a été animée par M. Pierre Mathiot, directeur de Sciences-Po Lille lui- même.

La longue interview de la réalisatrice dans le journal télévisé de FR3 du 18 novembre 2019 a permis de confirmer que l’ensemble du documentaire tourne

autour de la candidature de Mme AUBRY à l’élection municipale. L’interview se termine d’ailleurs sur l’avis de la réalisatrice sur ce sujet, qui, après avoir passé six mois de tournage avec Mme AUBRY, estime que celle-ci se présentera bien pour un quatrième mandat.

La perspective de la diffusion du documentaire a donné lieu à d’abondantes publications sur les réseaux sociaux de partisans et colistiers de Mme AUBRY.

Le jour de la diffusion, France 3 a fait paraître (Pièce n°8) un encart publicitaire dans la Voix du Nord. Cet encart constitue, par sa nature et par son contenu, en période électorale, une publicité commerciale là des fins de propagande électorale aux termes du premier alinéa de l’article L. 52-1 du code électoral. Le Conseil d’Etat ne pourra, au vu de la pièce, que constater qu’il s’agit bien d’une publicité payante dans la presse, présentant le visage souriant d’une candidate, mentionnant son nom en grandes lettres, ainsi qu’un titre/slogan relatif à la circonscription électorale et constater que cette dépense a été effectuée par une personne morale.

Concernant l’avant-première, si par ailleurs d’autres colloques ont été organisés avec la participation de personnalités qui ne sont pas du même parti que Mme AUBRY, le sujet de ces colloques n’était pas la promotion d’un film publicitaire, mais des sujets précis de société, comme le syndicalisme, la libération de la parole des victimes d’abus sexuels dans l’Eglise… comme le précise la candidate elle-même dans son mémoire en défense de première instance.

Alors même que certains sujets de colloques étaient susceptibles d’engendrer des débats politiques, aucun d’entre eux n’avait pour objet la promotion d’une candidate en campagne, dont d’ailleurs le seul « titre » de la conférence se résumait à « diffusion de la dame de Lille » tel que cela est clairement indiqué dans les pièces produites par la défenderesse. Jamais Sciences-po n’organise autrement d’avant-premières.

Le seul autre événement relatif à la campagne en cours qui s’est tenu à Sciences- Po était le débat relatif aux élections municipales en présence de tous les candidats.

Les archives des conférences tenues à Sciences-po produite par la requérante elle-même intitule expressément cette conférence «projection, en avant- première du documentaire : Martine Aubry la dame de Lille ».

Or, s’agissant du film promotionnel litigieux, la définition extraite du Larousse de l’avant-première est la suivante : « Présentation d’un spectacle, d’un film aux critiques, aux amateurs, avant la première représentation ou première projection publique ; article publié à cette occasion. »

Le Directeur de Sciences Politiques, M. Mathiot, interrogé sur ce point, l’a d’ailleurs confirmé (pièce 150):

Or, M. Mathiot doit être considéré comme un soutien incontestable de Mme Aubry depuis qu’il a signé en 2011 en sa faveur dans le cadre de la primaire de 20113.

L’ensemble de ces éléments est de nature à caractériser une violation de l’article L. 52-1 du code électoral, ainsi que de son article L. 52-8.

4.3. Sur la rediffusion et disponibilité en streaming

Le documentaire a ensuite mis à disposition de tous les internautes sur le site de replay en streaming de France Télévision (Pièce n°24). Cette diffusion en streaming a duré jusqu’après le scrutin, y compris les périodes de campagne officielle et les jours du scrutin.

Il a été rediffusé par la chaîne LCP en janvier 2020.

Ces rediffusions ont, de la même manière que la diffusion en avant-première et la diffusion sur France 3, constitué « l’utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle » aux termes du premier alinéa de l’article L. 52-1 du code électoral ainsi qu’à l’article L. 52-8 du même code.

4.4. Sur son impact sur la sincérité du scrutin

De fait, l’émission a eu un impact promotionnel considérable : elle a entraîné un pic de popularité de Mme AUBRY sur le web, comme le montrent les relevés Google Trends (Pièces n°11 à 11d). On y observe que la popularité de la requête « Martine Aubry » entre le 1er septembre 2019 et le 27 juin 2020 a connu son pic (base 100) dans la semaine du 17 au 23 novembre 2019, semaine de la diffusion. Même l’annonce de candidature de Mme AUBRY la semaine suivante a eu largement moins d’effet. Il ne pourra être nié non plus que la réalisation de ce documentaire et sa diffusion aura bénéficié de l’accord de Mme AUBRY et qu’à ce titre, les sanctions prévues par l’article L. 113-1 du Code Electoral ont vocation à s’appliquer.

Cette émission a eu une influence considérable sur l’ensemble du déroulement de la campagne. Elle a naturellement influencé les premiers sondages qui ont suivi début décembre, et placé Mme AUBRY en position de force. Sa diffusion, effectuée en méconnaissance des dispositions de l’article L.52-1 a eu une influence déterminante sur bon nombre d’électeurs (CE, 20 juillet 1990, Commune de Valbonne, n° 109020).

Il est exact qu’on aperçoit dans le film des concurrents de Mme Aubry, mais le choix de leurs interventions opéré au montage, indépendant de leur volonté, fait d’eux des faire-valoir de Mme Aubry, qui ne peuvent en aucun cas mettre en avant leurs propres idées, personnalité, ambitions pour la ville, etc.

Il est important de préciser que Mme SPILLEBOUT s’exprime pendant une durée de 51 secondes sur un film de 52 minutes, alors même que son interview avait duré plus de 2 heures !

Cependant, s’il est aisé de solliciter un droit de réponse à la presse, il en est autrement lorsqu’il convient de répondre à une présentation flatteuse d’un candidat diffusée par une chaine télévisée gratuite dans un film de 52 minutes !

En effet, la seule réponse possible à un tel film devait bien évidemment être opérée par le même moyen de communication.

Or, il semble évident que les candidats concurrents n’avaient ni le temps, ni les moyens financiers d’y répondre pendant la période de campagne, le seul tournage du film ayant duré six mois, auxquels se sont ajoutés le montage, la postproduction, l’enregistrement, la voix-off…

Le document a donc pu être qualifié de procédé de publicité commerciale, il a bien évidemment altéré le sens du scrutin compte tenu de sa date de diffusion !

5. Sur la violation des dispositions du 2nd alinéa de l’article L. 52-1 du code électoral

L’article L. 52-1 du code électoral dispose à son 2nd alinéa :

« A compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d’une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin. Sans préjudice des dispositions du présent chapitre, cette interdiction ne s’applique pas à la présentation, par un candidat ou pour son compte, dans le cadre de l’organisation de sa campagne, du bilan de la gestion des mandats qu’il détient ou qu’il a détenus. Les dépenses afférentes sont soumises aux dispositions relatives au financement et au plafonnement des dépenses électorales contenues au chapitre V bis du présent titre ».

Cette disposition interdit donc à une commune de financer la campagne électorale de candidats qui seraient par ailleurs élus sortants en promouvant leurs réalisations au cours de leur mandat.

Or, la jurisprudence a défini quatre grands principes dont le respect permet de poursuivre, en toute légalité, la communication habituelle, en période préélectorale.

Ces critères cumulatifs sont les suivants :

– la neutralité qui constitue le critère le plus important à respecter. Chaque moyen de communication de la collectivité doit évoquer la vie locale, sans mentionner l’élection à venir ou encore mettre en avant les actions du candidat sortant. Il convient de garder un ton neutre et informatif, dépourvu de toute propagande ou polémique électorale (CE, 3 décembre 2014, El. Mun. de La Croix Saint-Leufroy, n° 382217);

– l’antériorité : la commune peut continuer à communiquer via ses outils (bulletins municipaux, site internet…), à organiser des manifestations, des cérémonies à partir du moment où ces dernières ont un caractère traditionnel et ne sont pas assorties d’actions destinées à influencer les électeurs (Conseil constitutionnel, 13 décembre 2007, Bouches du Rhône, 1ère circ.).

-la régularité: le juge électoral s’attache par exemple à vérifier que la publication du bulletin municipal est régulière, qu’à l’approche des élections, l’écart entre chaque numéro ne se réduit pas et que le format et le contenu demeurent similaires aux précédentes diffusions. Pour le site internet de la collectivité, le juge vérifie qu’il n’y a pas eu de mise à jour inhabituelle, particulièrement répétitive ou injustifiée du site;

– l’identité : à l’approche des élections, les différents moyens de communication ne doivent pas connaître de modifications avantageuses de l’aspect, de la

présentation ou des rubriques présentées (Conseil constitutionnel, 20 janvier 2003, AN Hauts de Seine, 5ème circ.).

Pourtant, de nombreux éléments montrent que de telles actions interdites ont été menées et ont été de nature à entrainer une confusion entre la fonction de Maire de la Ville et la position de candidate au scrutin.

5.1. Sur les réseaux sociaux

Durant toute la période électorale, Mme AUBRY et son entourage (colistiers, soutiens, parti…) ont entretenu une ambiguïté entre l’expression publique de la candidate et celle de la maire, voire de la mairie.

Mme AUBRY dispose en effet d’un compte Twitter officiel en tant que maire de la ville (Pièce n°25). Ce compte est d’ailleurs suivi par plus de 165 000 abonnés. A titre comparatif, celui de ses concurrents est suivie par 4 400 personnes en ce qui concerne Violette SPILLEBOUT et par 3 000 personnes pour Stéphane BALY.

Mme AUBRY a ouvert, à l’occasion de l’élection municipale, un compte en tant que candidate (Pièce n°27). On aurait ainsi pu s’attendre à une stricte séparation entre sa communication en tant que maire et sa communication en tant que candidate.

Pourtant, de nombreux exemples de confusion existent, où la candidate, ses colistiers ou le parti qui les a investis ont repris à leur compte des communications officielles de la commune ou de la maire, et, à l’inverse également (Pièces n°27, 28, 29, 100, 101, 102 et 103).

Ainsi par exemple, les tweets de Mme AUBRY, maire, sont retweetés par Martine AUBRY candidate (compte Martine AUBRY 2020) (Pièces n°28, 68) ou par le Parti socialiste (Pièce n°27).

Le point d’orgue de cette confusion a été atteint quand Madame AUBRY, à partir de son compte de maire, a fait très directement la promotion de son compte Twitter de candidate (Pièce n°26).

La défenderesse ne saurait convaincre le Conseil d’Etat que c’est à titre personnel et en tant que simple citoyenne lilloise qu’elle annonce les mesures qu’elle a prises en concertation avec le Préfet pour la braderie, la distribution de masques anti COVID ou encore qu’elle fait état d’une réunion publique pour l’aménagement de la rue Solférino!!!

Il aurait pu être admis qu’il s’agisse d’incidents isolés et sans importance s’ils avaient été en nombre limité, ou s’ils avaient donné lieu à rectification matérielle ou à la suppression des tweets en cause. Mais tel n’a pas été le cas.

Les colistiers de Mme AUBRY eux-mêmes, par ailleurs adjoints en place, ont également utilisé leur compte twitter pour diffuser des messages reprenant des communications de Martine AUBRY, maire et/ou de Martine AUBRY candidate (Pièces n°69 à 94).

La confusion des genres a été la plus totale !

Alors même que la candidate est conseillère d’Etat et qu’elle dispose dans son équipe de nombre de professionnels aguerris, il ne fait aucun doute ici qu’il s’agit d’une volonté délibérée de mettre en place une méthode de campagne visant à entretenir la confusion, ce que confirment toutes les autres branches de ce moyen: décision a été prise de ne pas tracer de limite claire entre la communication de la maire, voire de la commune, et celle de la candidate, de ses colistiers et de ses soutiens.

En première instance, le seul élément contesté par Mme AUBRY réside dans la nature de ses deux comptes : elle prétend que le premier constitue bien un compte de campagne mais que l’autre constitue un compte personnel comme retraçant ses positions ou réactions par rapport à l’actualité nationale, bien au- delà du seul territoire lillois.

Elle prétend donc que ce n’est pas en sa qualité de maire de Lille qu’elle intervient sur ce compte mais finalement en temps que citoyenne, comme tout à chacun peut le faire.

Il est pourtant aisé de constater qu’elle se présente sur Twitter et Facebook en sa qualité de maire de Lille :

À l’appui de son argumentation, elle cite en première instance différents exemples de tweets dans lesquelles elle a réagi à des problématiques nationales qui dépassent le territoire lillois.

Cependant, ce qu’il convient de retenir de son argumentation, c’est bien qu’elle ne conteste pas la confusion qui puisse exister entre son compte de candidate et son compte prétendument personnel qui est en réalité son compte de maire de Lille… sauf à admettre que ce n’est pas en qualité de Maire de la ville et bien à titre personnel que Mme AUBRY participe à des cérémonies patriotiques ou encore des réunions avec l’autorité préfectorale… !

Il appartiendra au juge administratif d’en tirer toutes les conséquences, et notamment, bien évidemment celle d’en conclure que le compte Twitter personnel de Mme Aubry constitue bien un compte alimenté par la ville de Lille.

Or, les réseaux sociaux de la maire comprennent le compte Twitter @martineaubry (166000 abonnés) et la page Facebook @martineaubry.fr (73 000 abonnés), largement fournis en contenus produits par la commune : images, communiqués, courriers, informations, etc.

Le réseau Facebook de la maire a été tout autant détourné à des fins de campagne électorale, comme le montrent les captures d’écran de son compte.

D’ailleurs, en réponse à un courrier de Mme SPILLEBOUT (Pièce n°171), si la commune indique (Pièce n°149) que « Madame le Maire » opère elle-même ses réseaux sociaux, elle reconnaît, en contradiction avec les écritures de la défenderesse, l’existence des « réseaux sociaux du Maire ».

Elle reconnaît également que les clips vidéo, méthode de communication inaugurée durant la campagne, sont réalisés à destination de ces réseaux sociaux.

Enfin, en réponse à la demande concernant «l’autorisation permettant à Madame AUBRY d’utiliser une photographie appartenant à la ville de Lille pour une utilisation politique personnelle » (Pièce n°171), la commune produit deux factures au mandataire financier de Mme AUBRY, candidate (Pièce n°172) : «l’utilisation de photographies et même de clips vidéo par les comptes mentionnés ci-dessus ne donne pas lieu à facturation car ce sont les « réseaux sociaux du Maire » ».

Si Mme AUBRY avait pensé elle-même que son compte @martineaubry (166 000 abonnés) était un compte personnel, pourquoi aurait-elle ouvert ex-nihilo un nouveau compte @MAubry2020 au lieu de profiter de ses 166 000 abonnés ? C’est également le cas sur Facebook.

De fait, même les conseillers municipaux élus sur la liste de Mme AUBRY font très bien la différence entre les le compte de la maire (@martineaubry) et celui de la candidate (@MAubry2020) :

Les comptes se présentent eux-mêmes sur leur page de garde comme ceux de la « maire de Lille » et renvoient au site web de la commune : il n’existe absolument aucun doute à ce sujet et le grief devra être retenu par le Conseil.

En ce sens, il pourra être renvoyé aux conclusions du rapporteur public sur la décision du Conseil d’Etat (CE, 6 mai 2015, n° 382518), qui rappellent que :

« D’autre part, s’il était certes loisible aux autres candidats de créer des pages facebook se présentant comme des pages de la mairie, ils n’auraient pu bénéficier comme M. A…, en sa qualité de candidat et de maire sortant, de la symbiose avec le site institutionnel officiel de la commune ni utiliser comme il l’a fait les informations ou documents qu’il détenait en sa qualité de maire, à l’instar de lettres qu’il avait adressées en tant que maire à certains administrés ou qu’il avait reçues et dont il reproduisait le contenu, d’un extrait du bulletin de service interne de la police municipale, ou encore en rendant compte de réunions de chantiers sur divers projets. A cet égard, l’utilisation de cette page nous semble avoir porté atteinte à l’égalité des moyens de propagande entre les candidats ».

5.2. Sur l’édiction de l’arrêté anti-pesticides (Pièce n°7)

A peine la période électorale ouverte, Mme AUBRY a, par un communiqué commun du 12 septembre avec les maires de Paris, Grenoble, Clermont-Ferrand et Nantes (Pièces n°7.0 à 7.5), tous candidats à leur réélection, annoncé que ces cinq villes allaient prendre un arrêté « conjointement » interdisant l’usage des pesticides sur l’ensemble du territoire de leurs communes.

Le communiqué ajoute « nous connaissons le statut juridique de tels arrêtés, mais il s’agit pour nous d’une démarche concertée pour faire changer la loi ». Dans certains journaux, l’arrêté « pris conjointement » a été qualifié de « symbolique » : il s’agit en effet, de l’aveu même de la maire de Lille, d’une opération de communication destinée à aider les petites communes rurales et à

faire pression sur l’Etat. L’arrêté en question n’a pas vocation à contribuer à la bonne gestion de la commune, mais à appuyer une communication politique en période électorale (Pièce n°111).

C’est donc à une manœuvre délibérée que s’est livrée la candidate, en abusant des prérogatives de sa fonction de maire qui lui permettent d’engager la commune, et en utilisant à cette fin les moyens de la commune afin de se faire une publicité considérable en période électorale, reprise dans l’ensemble de la presse locale et nationale.

Si Mme Aubry a soutenu en première instance que cet arrêté est légal, le Conseil d’Etat a confirmé son illégalité dans sa décision n° 439253 du 31 décembre 2020.

5.3. Sur la conférence de presse présentant un bilan municipal en matière d’écologie

Le 16 septembre 2019, Mme AUBRY a organisé en tant que maire et avec les moyens de la commune une conférence de presse présentant son bilan en matière d’écologie comme le révèlent les nombreux articles relatant cet évènement (Pièces n°6.0 à 6.12).

Elle y annonçait également la création de nombreux espaces verts (Pièces n°6.0 à 6.4)

Si la candidate a cru bon de préciser qu’« il n’y a pas de confusion » et que cet évènement « n’entrait pas dans le cadre de la prochaine campagne municipale », il ne suffit pas de le proclamer pour en faire une vérité, même en se prévalant à l’appui de cette affirmation de son statut de conseillère d’Etat.

En effet, la période électorale a bien commencé le 1er septembre, et ce pour l’ensemble des candidats qui souhaiteront se déclarer comme tels auprès de la préfecture en février 2020.

Le Conseil d’Etat constatera, eu égard au contenu des journaux quant à cette conférence de presse (Pièce n°30), qu’elle constitue bien une promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d’une collectivité au sens du deuxième alinéa de l’article L. 52-1 susmentionné.

Le journaliste de la Voix du Nord, présent sur place évoque même « Pendant plus d’une heure, la maire a présenté les grands engagements qui ont valu à Lille sa place de finaliste du prix « Capitale verte européenne » et ainsi défendu son bilan « vert » ».

5.4. Sur les engagements de la commune à des fins de campagne électorale

A de multiples reprises au cours de la période électorale, la maire sortante de Lille a pris des engagements correspondant à des promesses de campagne électorale, car ne pouvant être réalisés avant l’élection.

Tel est le cas, par exemple, de l’annonce, lors de la conférence de presse du 16 septembre 2019, de la création d’un nouveau jardin municipal : la réalisation de ce type d’équipement ne pouvant être achevée avant l’élection, son annonce constitue en réalité une promesse électorale faite par une candidate dans le cadre de la campagne. Faite en usant des prérogatives de maire et en utilisant les moyens de la commune, une telle promesse contrevient ainsi aux dispositions du second alinéa de l’article L. 52-1 du code électoral (Pièce °30).

Il en va de même pour l’annonce du lancement de « trois grands projets d’espaces de nature » dans la ville. Ces projets, qui ne peuvent être tous engagés avant l’élection souffrent ainsi de la même irrégularité (Pièce n°31).

Il y a également l’article de la Voix du Nord du 2 septembre 2019 (Pièce n°64) relatant la remise d’une écharpe « cantine verte » à Mme AUBRY.

Le 5 septembre 2019, la maire avait annoncé via son compte Twitter officiel (Pièce n°113), avoir demandé la gratuité progressive des transports en commun dans la Métropole. Elle répondait ainsi à la proposition de plusieurs concurrents qui avaient fait la même proposition. Mais au lieu de se situer en candidate à sa réélection qui proposerait aux électeurs une mesure nouvelle, la candidate, une fois de plus, utilise ses prérogatives de maire pour écrire ès qualité au président de la Métropole (Pièce n°115). Elle rompt dès lors l’égalité entre candidats pour donner plus de poids à cette proposition électorale. Cette manœuvre fonctionne à merveille, puisque l’annonce d’une action officielle de la commune à ce sujet aura des retombées considérables dans la presse nationale et locale (Pièces n°32, 114, 116).

Cette annonce donnera même lieu à la diffusion d’une publication sponsorisée sur Facebook du média « Détours », que tous les abonnés de Facebook identifiés comme Lillois verront plusieurs fois par la suite (Pièce n°33 : Mme AUBRY prend les transports en commun).

Cette manœuvre a donc réussi. En se positionnant comme maire, au lieu de présenter sa proposition en tant que candidate, Mme AUBRY est parvenue à obtenir une publicité commerciale massive indiquant que c’est grâce à elle que les transports publics « devraient bientôt être gratuits », alors qu’il ne s’agit au fond que d’une promesse électorale habilement déguisée en action de la maire.

Par ailleurs, la commune a organisé en cours de campagne plusieurs réunions publiques au sujet de « l’aménagement futur » de divers quartiers.

Les pièces produites permettent de constater la tenue, le 7 novembre, d’une réunion sur « les futurs aménagements de la rue de Condé », et une autre le 19 novembre sur « les futurs aménagements sur les parvis Ludovic Boumbas et angle Arras/Wazemmes » (Pièces n°34 et 35).

Concernant des opérations d’investissement, qui ne peuvent donc être réalisées avant la fin de la campagne électorale, ces réunions sont en fait, en substance, des réunions électorales destinées à promouvoir ce que la commune pourrait faire après les élections si la maire sortante était réélue.

Observons que la question de l’aménagement de l’angle des rues d’Arras et de Wazemmes figurait au programme de la candidate, ce qui ajoute à la confusion.

Dès lors, ces réunions, qui avaient pour objet de permettre à des colistiers de Mme AUBRY de présenter leur programme électoral, contreviennent aux dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 52-1.

Sur la communication à des fins purement électorales, citons également l’utilisation du statut de maire par Mme AUBRY, dans le cadre d’une communication relative au ramassage des ordures ménagères, alors que ni le maire, ni la commune ne sont titulaires de la compétence de gestion des déchets qui appartient à la Métropole européenne de Lille (MEL).

En effet, le 28 mai, Mme AUBRY, maire de Lille, annonce via ses comptes Twitter et Facebook (Pièce n°118) qu’elle a « interpellé » par courrier M. Frérot, président-directeur-général du groupe Veolia-monde au sujet du ramassage des poubelles de déchets recyclables dans la ville.

Le 4 juin, également via un communiqué sur Twitter et Facebook, la maire de Lille s’est prévalue du résultat de cette interpellation : « Suite à mon courrier au Président de Veolia, M. Frérot, pour réclamer la reprise immédiate des collectes de déchets recyclables chaque semaine à Lille, Esterra me confirme que dès ce lundi 8 juin, les cycles de passage reprendront normalement […] ».

Or, et ainsi qu’il l’a été rappelé, la commune a délégué la compétence « collecte et traitement des déchets des ménages et assimilés » à la MEL, ce que Mme AUBRY, ne peut ignorer, puisqu’elle en est elle-même vice-présidente.

Les métropoles exercent de plein droit la compétence « Gestion des déchets ménagers et assimilés » (art. L. 5217-2, CGCT). De fait, la commune a délégué sa compétence à la Métropole. Or, L.5211-9-2, 2e alinéa : « Sans préjudice de

l’article L. 2212-2 et par dérogation à l’article L. 2224-16, lorsqu’un groupement de collectivités est compétent en matière de gestion des déchets ménagers, les maires des communes membres de celui-ci ou membres d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre membre du groupement de collectivités transfèrent au président de ce groupement les attributions lui permettant de réglementer cette activité. ».

Dès lors, Mme AUBRY n’a pas d’autorité de police administrative pour ce qui concerne la collecte des déchets ménagers.

Dès lors, il revient à la MEL d’exercer cette compétence, qui donne lieu à l’exécution d’un contrat entre la MEL et la société Esterra, filiale de Veolia Propreté, elle-même filiale de Veolia Environnement et de s’assurer de la correcte execution de ce contrat.

Encore une fois, Mme AUBRY, étant maire de Lille et présidente ou vice- présidente de la MEL depuis 1995 a une nouvelle fois délibérément abusé de ses prérogatives et son statut de maire pour utiliser les moyens de la commune (courrier à entête portant le logo de la ville et la mention en bas de page « République Française ») et ses prérogatives de maire à fin de communication à visée électorale, et indiqué, qu’elle était parvenue à rétablir un rythme normal de ramassage.

La maire n’évoque pas dans son courrier son autorité de police administrative, se bornant à évoquer son insatisfaction quant à la dégradation du service public. Elle n’évoque pas de sujet de salubrité publique (s’agissant des déchets recyclables – papiers et emballages vides – il n’ay a pas d’enjeu de salubrité – odeurs, nuisibles…).

En aucun cas il n’est ainsi de la prérogative du maire de faire pression publiquement sur le président de la holding de la holding de la société attributaire d’un marché de la métropole, concernant lequel le maire n’a au demeurant pas de pouvoir de police.

Il s’agit donc bien d’une manœuvre de communication politique menée avec l’autorité du maire et les moyens de la commune :

Ce, alors même que c’est bien évidemment la métropole qui a géré l’organisation du ramassage des déchets durant la crise sanitaire avec la société attributaire du marché, Esterra, comme le confirme la Voix du Nord (https://www.lavoixdunord.fr/767458/article/2020-06-21/metropole-lilloise-la- mel-bruno-cassette-l-homme-de-l-ombre-qui-agace-des-elus).

Encore une fois ici, ces manœuvres sont prohibées dans le cadre de la campagne électorale.

5.5. Sur les engagements de projets en cours de campagne à fin de propagande électorale

La maire de Lille n’a pas hésité à lancer en pleine campagne électorale des projets plus ou moins coûteux afin de faire la promotion de son action. Ces projets vont tous dans le sens des attentes exprimées par les Lillois pour ces municipales. Ils constituent donc des réponses opportunistes de la candidate à l’ère du temps politique. Ces réponses, de par leur nature, constituent cependant une utilisation des prérogatives de maire et des moyens de la commune à des fins de publicité électorale.

C’est le cas de l’annonce par le compte Twitter de la maire (Pièce n°43), le 21 octobre 2019, de la plantation durant la fin de la campagne électorale de 2 000 arbres dans la ville, alors même que seuls 3 000 avaient été plantés au cours de l’ensemble du mandat. Ainsi, la candidate a cherché à bénéficier, dans les derniers mois de la campagne électorale, des retombées médiatiques de cette modification opportune du rythme de mise en œuvre d’une politique publique déjà engagée.

Comme si cela ne suffisait pas, une communication officielle de la commune a été faite à l’endroit où des arbres allaient être plantés (Photographie sur la pièce n°43) sous forme de la plantation provisoire de panneaux en fer indiquant la plantation prochaine d’un arbre.

Installer des panneaux en pleine campagne, engendrant une dépense publique non négligeable et totalement inutile, pour simplement indiquer l’emplacement de futurs arbres qui seront plantés au sein de la ville, ne présente aucune justification à cette période, et ce alors même que la défenderesse prétend qu’il s’agissait d’un projet de longue date.

En réalité, la liste défenderesse a voulu mettre en avant un aspect écologique de son programme en faisant la campagne publicitaire d’agissements, à peine initiés et en tous cas non achevés sur ce point, car elle s’est heurtée à des concurrents présentant un programme écologique sérieux.

Il en va de même avec l’installation, au cours de la campagne, de nouvelles bornes publiques de réparation de vélos.

A de multiples reprises, au cours de la période électorale, il a été démontré que la maire de Lille avait pris des engagements correspondant à des promesses de campagne électorale, car ne pouvant être réalisés avant la date du scrutin.

A cet égard, dans un jugement n° 2000508 rendu par le Tribunal administratif de la Guadeloupe le 24 septembre 2020, celui-ci a annulé le scrutin sur le même raisonnement, considérant que :

«M.MAES s’est livré à des opérations de communication, notamment en réalisant le 10 juin 2020, une longue interview sur la chaine de radio la plus écoutée de GUADELOUPE et réalisé une intervention publique le 23 juin 2020 sur le journal Facebook de sa liste « Réussir Capesterre Ensemble. » Contrairement à ce que soutient M.MAES, il ressort des termes mêmes employés par le Maire sortant que les actions de communication portant, d’une part, sur la distribution des 5000 repas, qu’il a distribués avec l’aide du département, des masques pour les personnes âgées et, d’autre part, sur les réfections des routes et de l’église et le traitement par les services de la commune de l’invasion du littoral par les algues sargasses ont présenté le caractère de campagnes de promotion publicitaires des réalisations de l’équipe municipale sortante, sinon du maire. Les thèmes développés par ces opérations de communication étaient en rapport avec sa campagne électorale. Sa liste doit être regardée comme ayant tiré bénéfice indu de ses opérations pour sa campagne de nature à altérer la sincérité du scrutin compte tenu du faible écart enregistré entre les deux listes arrivées en tête du second tour ».

C’est précisément ce type d’agissements de la part de la liste menée par Mme AUBRY qu’ont dénoncés les exposants dans le cadre de leur protestation électorale.

De la même façon, le tribunal administratif de Lille a pu relever des faits similaires aux agissements de la liste menée par Mme AUBRY, annulant les élections de la ville de Grand-Fort Philippe en date du 23 septembre 2020 dans lequel il relève que :

« En premier lieu, il résulte de l’instruction qu’au cours du mois de février 2020, la livraison d’une vingtaine de maisons d’un nouveau quartier en construction a donné lieu à une cérémonie d’inauguration organisée par l’investisseur privé de ce projet immobilier. A cette occasion, Monsieur CLINQUART, invité par l’organisateur en sa qualité de Maire de la commune, s’est exprimé publiquement dans les termes suivants : « en 2014, les autorités refusent que soient construits des logements dans une zone pourtant entourée de maisons. La pugnacité de la ville et de ses partenaires a payé. » Alors qu’il n’est pas contesté que le quartier était encore en travaux sur plus de 70% de sa superficie, cette manifestation publique , qui n’était pas justifiée par l’achèvement d‘une étape significative de l’opération immobilière en cause a ainsi été l’occasion d’une expression politique en lien directe avec la campagne électorale qui témoigne de la volonté particulière d’influencer les électeurs a une date proche du scrutin.(…) dès lors, l’inauguration en litige, relayée par voie de presse, doit être assimilée à une opération de campagne de promotion publicitaire relevant de l’interdiction prévue par les dispositions précitées de l’article L.52-1 du code électoral. »

Dans le même sens, le Conseil d’Etat a décidé, dans une décision du 4 juillet 2011 (Elections régionales Ile-de-France, n° 338033 et 338199) que :

« ces campagnes se sont normalement traduites par l’apposition, dans les stations et gares de métro et de RER de la région, d’affiches de quatre mètres sur trois portant le nom et le logo de la seule région d’Ile de France avec des slogans comme « la Région fait grandir vos transports » et, « la Région se mobilise pour attirer l’emploi ».

La presse écrite et sur internet ont eu pour effet de valoriser, par des messages à caractère promotionnel, l’action du conseil régional.

Par suite, elles doivent être regardées comme des campagnes de promotion publicitaire interdites alors même que leur contenu est dépourvu de toute référence aux élections des 14 et 21 mars 2010 ».

La caractérisation du grief ne fait donc aucun doute ici.

5.6. Sur l’utilisation de nouvelles méthodes de communication de la maire en fin de campagne

A la fin de la campagne, la maire de Lille a inauguré une forme de communication inédite, avec de petits clips vidéo, tournés avec les moyens de la

commune et siglés du logo de celle-ci (Pièces n°46 et 47).

– La première de ces petites vidéos siglées « Ville de Lille » (et réalisées par les services de la commune) et diffusées exclusivement sur les réseaux sociaux de la maire, est publiée sur le compte Facebook (https://www.facebook.com/242951857205/videos/547079286080547) de la maire le 20 novembre 2019. On y voit Mme AUBRY inaugurer le parvis des droits de l’enfant, entourée d’enfants qui dansent.

– Le deuxième date du 5 juin 202 et a été publiée sur le compte Twitter de la maire (https://twitter.com/MartineAubry/status/1269241688150720512). Elle est relative à la production de masques par des bénévoles à l’hôtel de ville.

-La troisième vidéo date du 6 juin 2020. Publiée sur le compte Twitter (https://twitter.com/MartineAubry/status/1269241688150720512) et le compte Facebook (https://www.facebook.com/242951857205/videos/905460676638562) de la maire. Elle consiste en un message de sympathie envers la communauté LGBT et un salut aux associations, la seule citée étant le Refuge (dont le président est membre du comité de soutien à Mme AUBRY ès qualité), qui a repris cette vidéo sur Facebook et sur Twitter deux heures après leur publication initiale.

S’agissant d’un moyen de communication inédit (dans son aspect massif comme ici dans sa forme), le juge de l’élection considère qu’il s’agit d’une manœuvre destinée à altérer la sincérité du scrutin.

5.7. Sur l’absence de local de campagne

Sur ce point, Mme AUBRY a déclaré dans la presse ne pas avoir loué de local de campagne (Pièce n°145).

Or, l’organisation et la direction d’une telle campagne nécessitent un travail de préparation, de concertation et d’organisation intenses, sous forme de rendez- vous, appels téléphoniques, échanges de courriers électroniques, réunions, etc., afin de mettre au point une stratégie de communication, un programme politique, de coordonner les actions militantes, de préparer et mettre en œuvre les actions de communication, de négocier la composition de la liste en ménageant les susceptibilités, de concevoir et faire produire puis diffuser les documents de propagande, etc.

Dans les faits, Mme AUBRY (ainsi que tous les adjoints par ailleurs colistiers) a organisé et dirigé toute sa campagne depuis l’hôtel de ville.

Il n’existe nulle part (presse, réseaux sociaux, etc.) la trace d’une réunion d’organisation en sa présence dans une salle municipale publique ou dans un café, restaurant, site de coworking ou autre. Au contraire, toute la presse s’est fait l’écho de deux réunions de travail de préfiguration de la liste de Mme AUBRY à l’hôtel de ville les 3 et 17 septembre 2019 (Pièces n°152 et 153).

Il est acquis que Mme AUBRY, son directeur de cabinet par ailleurs colistier et directeur de campagne ainsi que ses adjoints par ailleurs colistiers, ne disposant pas ailleurs d’un bureau ou d’un local de réunion, n’ont pas manqué un seul jour ouvré du 1er septembre 2019 au 27 juin 2020 de diriger sa campagne depuis l’hôtel de ville, en utilisant à cette fin les moyens de la commune.

Il s’agit d’une parfaite illustration de l’utilisation des moyens matériels de la commune.

Mais, elle a également usé des ressources humaines de la ville. En effet, son directeur de campagne, M. Deslandes, n’a démissionné de ses fonctions de directeur de cabinet que quelques jours avant le dépôt des listes en préfecture !

Cette irrégularité manifeste ne pourra qu’être sanctionnée.

6. Sur la violation de l’article L. 52-8 du code électoral

Cet article dispose dans son 2ème alinéa que :

« Les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ».

Toutes les irrégularités constatées ci-dessus qui sont relatives à l’utilisation des moyens de la commune, des établissements publics (Science Po), d’associations, de sociétés ou autres relèvent également de l’interdiction de financement, directement ou indirectement, en monnaie ou en nature, d’une campagne électorale par une personne morale, et seront considérés comme constitutifs d’une violation des dispositions de l’article L. 52-8 du code électoral.

En outre, il convient de relever que le Conseil d’Etat n’hésite pas à procéder à l’annulation de scrutins électoraux lorsqu’il constate un cumul d’irrégularités dont aucune, à elle seule, n’a pu altérer la sincérité du scrutin, mais dont la conjonction a, compte tenu du faible écart des voix, été de nature à vicier la sincérité du suffrage :

« si aucune des irrégularités ou manœuvres ci-dessus évoquées ne peut être regardée comme ayant pu à elle seule altérer la sincérité du scrutin, leur conjonction ajoutée à la sollicitation illicite des abstentionnistes dans au moins deux bureaux de vote, a été de nature compte tenu de l’écart réduit des voix obtenues par les listes arrivées en tête à en vicier les résultats » (CE, 18 décembre 1996, Élect. mun. Vitrolles, n° 177011, Lebon, p. 507) ;

Ou encore :

« si aucune des irrégularités ainsi commises ne revêt à elle seule une tentative de fraude, leur accumulation ne permet pas de tenir pour certains les résultats proclamés à l’issue de l’unique tour de scrutin, alors que le dernier candidat élu dépasse de 10 voix seulement la majorité absolue des suffrages exprimés, qu’il suit de là que Monsieur Mandon est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa protestation contre ces opérations électorales » (CE, 13 janvier 1984, Élect. mun. Fontenet, n° 50890, Lebon p. 633).

Des lors, l’ensemble des moyens soulevés, leur variété et leur gravité est à comparer avec l’écart infime entre la liste gagnante et la liste arrivée deuxième soit 227 / 39 481 votants, soit 0,6 % des votants et 0,2 % des inscrits.

Dans ces conditions, le scrutin municipal lillois ne pourra qu’être annulé.

7. Sur la déclaration d’inéligibilité de la candidate élue

Lorsqu’il est saisi d’une protestation contre une élection, le juge de l’élection peut désormais, en application de l’article L. 118-4 du Code électoral créé par l’article 17 de la loi n° 2011-412 du 14 avril 2011, déclarer inéligible le candidat « qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin ».

Cette inéligibilité est prononcée par le juge, le cas échéant d’office, pour une durée fixée par lui et qui ne peut excéder 3 ans.

Par ailleurs, et en tout état de cause, en cas d’annulation d’une élection pour manœuvres dans l’établissement de la liste électorale ou irrégularité dans le déroulement du scrutin, le juge administratif peut prononcer la suspension du mandat des candidats dont l’élection a été annulée (art. L. 250-1 du code électoral).

De même, la suspension du candidat élu pourra être prononcée lorsque des irrégularités dans les opérations électorales sont de nature à affecter la sincérité du vote (CE, 14 septembre 1983, Elections municipales d’Anthony, Lebon p. 365).

Le caractère frauduleux des manœuvres contestées est apprécié en fonction de leur nature et de leur ampleur sur le résultat du scrutin.

En l’espèce, l’ensemble des manquements soulevés justifiera que le Conseil d’Etat prononce une telle mesure.

PAR CES MOTIFS, et sous réserve de tous autres à déduire, produire ou suppléer,

M. LAUGIER et Mme SPILLEBOUT concluent qu’il plaise au Conseil d’Etat :

– ANNULER le jugement attaqué ;

– Partant, ANNULER les élections municipales et communautaires de LILLE et ses communes associées qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 ; REINTEGRER les dépenses susvisées dans le compte de la liste « Lille en commun, Lille en confiance»; PRONONCER l’ensemble des mesures en résultant, en particulier en termes d’inéligibilité ;

– METTRE A LA CHARGE des défendeurs le versement d’une somme globale de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L.761-1 du Code de justice administrative ;

Avec toutes conséquences de droit.

Productions :

1°) jugement attaqué TA Lille, 4 mars 2021, n° 2004513 2°) protestation électorale du 3 juillet 2020

SCP Manuel GROS, Héloïse HICTER, Audrey D’HALLUIN et associés

SCP MARLANGE-DE LA BURGADE