Comment ?

Structurer, professionnaliser, répartir

Aujourd’hui, l’éducation aux médias connait donc une offre très abondante émanant d’acteurs divers. Nous ne plaidons pas pour son uniformisation, car cette diversité est aussi une richesse, qui permet d’atteindre le public par différents biais ; et quand bien même il y aurait des répétitions, elles peuvent être utiles. Il y a en revanche un enjeu d’harmonisation. Comme l’indique la ligue de l’enseignement : « il y a un intérêt, dans tous les leviers existants, à former les enseignants et les animateurs, et à professionnaliser ces acteurs du périscolaire à des modules spécifiques autour de l’EMI. Il y a un réel enjeu de culture partagée autour des acteurs afin de mettre en place une continuité éducative ». Cette offre, aujourd’hui éparse, gagnerait en outre à être mieux structurée.
Sur un autre plan, il convient surtout de rester particulièrement attentifs à ce que les enseignements dispensés répondent bien aux objectifs visés, et à ce que le champ de l’éducation aux médias ne soit pas investi par des acteurs y voyant là une opportunité de diffuser des thèses contraires à l’éducation à la citoyenneté et aux valeurs de la République promues par l’EMI. La BPI, bibliothèque publique d’information, évoque cette question sans détours : « il faut faire attention, mettre des garde-fous en cas d’évolution des propositions légales, pour que cela reste dans un cadre public en étant vigilants sur les associations pour que cela ne soit pas contreproductif. Car « ouvrir les vannes » de la formation EMI, cela peut dériver à contre sens : certaines associations ne doivent pas s’en servir pour effectuer justement de la propagande. Je pense par exemple à certaines associations extrémistes dans les quartiers ! »
Le bilan effectué jusque-là permet de relever des points-clés qui sont autant de propositions en forme de pistes de réflexion et d’action pour aider à structurer le paysage de l’EMI.

Consolider la recherche scientifique

Le ministère de la Culture a insisté sur le rôle essentiel joué par les acteurs scientifiques dans l’évolution de l’EMI. Les trois professeures des universités auditées, Divina Frau-Meigs, Sylvie Leleu-Merviel et Nathalie Sonnac, ont bien entendu relayé cette nécessité et l’ont martelé : en préalable à toute velléité de modernisation, une démarche scientifique est indispensable pour améliorer les enseignements, renouveler les approches pédagogiques, évaluer les modalités nouvelles mises en place, certifier les formations, apporter la preuve que les armes fournies aux citoyens sont efficaces et les aident à se protéger… La ligue de l’enseignement s’en est faite également le porte-voix. Dans une logique d’éducation populaire, ils luttent en permanence contre la désinformation et le complotisme, suite au tournant majeur lié à la multiplication de l’information sur les réseaux sociaux, qui change la donne par rapport au travail des années 90-2000. Cette éducation critique, en fait, a presque toujours un temps de retard sur la dérégulation des médias. L’enjeu n’est pas seulement de former les jeunes aux médias, mais surtout de développer leur esprit critique pour travailler notamment les questions scientifiques qui sont de plus en plus remises en cause (sondage Jean Jaurès). Cela s’articule avec un travail approfondi sur les biais cognitifs et les algorithmes. A leur sens, il est extrêmement important de développer aussi ces questions sur le temps scolaire car l’école a cet avantage de toucher l’ensemble des jeunes. Sylvie Leleu- Merviel a relevé et souligné ces trois points aveugles qu’aucun des audités sur le terrain n’a évoqué dans les dispositifs pourtant importants mis en place : l’algorithme ; les biais cognitifs – biais de confirmation, biais de conformité sociale, biais de représentativité, renforcement des croyances… – ; et les principes et outils d’indexation et de sémantisation qui régulent pourtant la réponse à une requête en recherche d’information. Interrogés sur ces sujets, les acteurs de terrain ont tous répondu qu’ils ne traitaient pas ces thématiques et préféraient les laisser à d’autres et pour plus tard. De toute évidence, les connaissances sur ces sujets ne sont pas encore transférées à l’éducation alors qu’elles sont produites en abondance dans les laboratoires de recherche.
La France a la grande chance de disposer d’une discipline universitaire pour ce faire : les sciences de l’information et de la communication, 71ème section disciplinaire du Conseil National des Universités. Cette section pilote l’EMI, les formations de master en Éducation et Formation parcours documentation, le CAPES documentation, ainsi que les écoles de journalisme. Pour avancer, il faut donner à la discipline les moyens d’une recherche de pointe, identifier ou créer un ou plusieurs laboratoires d’excellence spécifiquement dédiés à la recherche en EMI (l’association Reporter sans Frontières plaide pour la création d’un Institut d’éducation aux Médias), former un grand réseau de laboratoires et de chercheurs scientifiques qui travaillent peu ou prou toutes ces questions, fédérer les forces de recherche sur cette thématique aux plans national et international. Un socle scientifique est un préalable nécessaire à l’établissement d’une véritable discipline scolaire qui réfléchisse à ses contenus et à ses modalités pédagogiques, qui fasse de la recherche, qui innove et qui organise un recueil commun de ressources et de pratiques.
Cette proposition rejoint d’ailleurs la toute première recommandation de la Commission Bronner. Elle est argumentée ainsi : « Faire preuve d’un esprit analytique capable de résister à certaines de nos intuitions immédiates est une compétence centrale pour distinguer le vrai du faux, en particulier sur Internet et les réseaux sociaux. Nous recommandons d’investir dans la recherche scientifique et de pousser les plateformes numériques à ouvrir leurs données aux chercheurs, car les connaissances sur la prévalence de la désinformation en ligne (particulièrement en France), sur ses effets ainsi que sur les mécanismes par lesquels elle affecte les individus demeure lacunaire ». Cette recommandation est placée en premier rang dans le rapport Bronner, ce qui signe son importance, et nous la reprenons ici.

Proposition 30 : Soutenir et financer la recherche publique sur les processus de désinformation et l’EMI.

Ce tissu scientifique crée aussi les conditions du transfert des savoirs, de la capitalisation des connaissances, de leur diffusion, de leur valorisation et de l’enrichissement réciproque. Son rôle est d’expertiser chaque ressource et renforcer la structuration éditoriale des multiples contenus dédiés, de manière à accroître leur visibilité et à faciliter leur emploi. C’est aussi de constituer un collectif autour de cet objet, une cause commune, de la capitalisation d’expériences et de connaissances, que chacun se sente impliqué et concerné, que les bonnes idées circulent, que les personnes directement impliquées ne se sentent pas seules face à l’importance de l’enjeu. D’où encore une fois la nécessité d’une véritable discipline scientifique mobilisée sur ce thème.

« Ce qui serait intéressant, c’est une ressource collective et du partage d’expérience (…) ».

Verbatim, audition n°1.

Renforcer le CLEMI

Pour mener à bien cet enrichissement collectif, il est essentiel de structurer plus fortement le champ de l’éducation aux médias derrière un acteur bien identifié, avec des procédures d’homologation garantissant la qualité et la pertinence des propositions faites au public.

Le CLEMI constitue l’opérateur le plus indiqué pour voir son rôle de chef de file renforcé. Opérateur public du ministère de l’Éducation nationale, il dispose déjà d’une longue expérience, car il a été créé en 1983 par le ministre Alain Savary pour « promouvoir, notamment par des actions de formation, l’utilisation pluraliste des moyens d’information dans l’enseignement afin de favoriser une meilleure compréhension par les élèves du monde qui les entoure tout en développant leur sens critique ». La France peut se féliciter du caractère précurseur de son initiative sur le sujet, et se réjouir de disposer déjà d’un organisme public chargé de l’éducation aux médias pour l’ensemble du système éducatif. C’est un acquis majeur du dispositif.

Le CLEMI fournit de nombreuses ressources pédagogiques aux professeurs des différentes disciplines souhaitant mener des actions d’EMI dans les classes. Il permet de conduire des actions de formation à leur profit et aussi à destination des professeurs documentalistes. Il organise chaque année La Semaine de la presse et des médias dans l’École, ce qui conforte sa visibilité auprès des acteurs du monde éducatif. Il est enfin reconnu selon l’Arcom comme « le partenaire privilégié des acteurs de l’audiovisuel pour l’éducation aux médias et à l’information ». Il vaut mieux capitaliser sur cette notoriété. En effet, beaucoup de participants connaissent déjà le CLEMI. Il pourrait être le lieu d’une mise en fédération des bonnes pratiques.

EMI-Livre

Le CLEMI a vocation à :

  • être mieux connu des centres sociaux et des maisons de la jeunesse, des bibliothèques, dont les personnels pourraient bénéficier de certaines actions de formation ;
  • être le principal pourvoyeur de ces formations, en partenariat avec les écoles de journalisme et les universités ;
  • voir son rôle de portail d’accès s’accroitre, en centralisant et répertoriant les ressources disponibles, ce qui permettrait également d’aller vers une homologation des multiples outils et actions existants, pour un meilleur contrôle.

Afin de faire du CLEMI le pilier de cette politique restructurée, on peut envisager de s’appuyer sur son conseil d’orientation et de perfectionnement (COP), présidé par le Professeur Nathalie Sonnac. Le COP est une instance qui comprend 3 collèges :
– 1) un collège de 20 membres représentant des pouvoirs publics (de la DGMIC58 à la direction de la mission laïque, en passant par l’enseignement à distance et évidement la direction du CLEMI et le réseau Canopé) ;

– 2) un collège de 20 membres représentant du système éducatif ;
– 3) un collège de 20 membres représentant des professionnels de l’information et de la communication (groupes de l’audiovisuel public, régulateur Arcom, groupe Bayard Presse…).
De nouveaux membres ont été intégrés, tels que : le Ministère des Solidarités et de la Santé (au travers de la direction générale de la cohésion sociale), l’association e-Enfance pour renforcer les actions de prévention en direction des enfants, des adolescents, des jeunes et de leurs familles.
Les missions du COP sont :
– 1) Accompagner le CLEMI dans ses orientations stratégiques ;
– 2) Fédérer les acteurs de l’EMI au service de l’EMI, en phase avec les priorités ministérielles et gouvernementales ;
– 3) Favoriser la remontée d’informations sur les actualités de l’EMI entre tous ses membres ;
– 4) Garantir au CLEMI une forme d’autonomie dans la conduite de son projet.
Dans ce contexte, le COP a la responsabilité de collectivement renforcer l’éducation aux médias et à l’information et le traduire dans les faits par une mobilisation de l’ensemble de ses acteurs.

Trois nouveaux groupes de travail ont été mis en place : 1) ressources de travail, 2) modalités d’intervention des professionnels de l’information (il y a sur ce point beaucoup de choses à faire, car il s’agit d’industrialiser les choses), 3) développer l’offre du CLEMI en direction de l’enseignement supérieur. Ainsi, des efforts restent sans doute à faire en faveur d’une meilleure connaissance du CLEMI par les centres sociaux et les maisons de la jeunesse, les bibliothèques, dont les personnels pourraient utilement bénéficier de certaines actions de formation proposées et, pour l’heure, réservées aux professeurs. De par son antériorité et son expérience, le CLEMI est légitime pour être le principal pourvoyeur de ces formations, en partenariat avec les écoles de journalisme et universités disposant déjà de formations certifiées.

Le CLEMI pourrait également voir s’amplifier son rôle de portail d’accès, en centralisant et en répertoriant les ressources disponibles sur son site internet, ce qui permettrait également d’aller vers une homologation des multiples outils et actions existants, pour un meilleur contrôle. Pour cela, le CLEMI pourrait s’appuyer sur le réseau de ses référents locaux mis en place en janvier 2022. Il doit également, en lien avec les DRAC, pouvoir être le facilitateur de la constitution de réseaux locaux d’acteurs engagés sur ce sujet. De tels réseaux, à l’image de l’association EMI’cycle dans les Hauts-de-France, favorisent en effet une meilleure cartographie et améliorent le maillage territorial de l’éducation aux médias.

L’élargissement de ses actions nécessite évidemment des moyens renforcés pour le CLEMI : les quarante ans de cet organisme – qui seront fêtés à la Maison de la radio et de la musique – semblent constituer une opportunité à saisir pour une montée en puissance indispensable. Celle-ci pourrait aller de pair avec la consécration de l’éducation aux médias comme grande cause nationale, comme le préconisait notamment l’Association pour l’éducation aux médias (APEM), auditionnée par les rapporteurs, dans une lettre ouverte au Président de la République l’an dernier.

Proposition 16 : Faire du CLEMI le point d’entrée principal en matière de ressources pédagogiques, référencées et évaluées.

Délégation interministérielle

Pour asseoir cette politique publique transversale, qui passe par des actions du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, du ministère de la Culture mais également des ministères de l’Agriculture (très actif dans l’enseignement agricole), ou de la Justice, il est souhaitable qu’un délégué interministériel soit nommé. Il pourra notamment s’assurer de la cohérence et de la continuité des projets menés, et veiller au renouvellement des conventions interministérielles, interrompu depuis 2018, alors même que ces conventions garantissent la bonne articulation entre les différents volets de l’action publique en matière d’EMI.

Cette proposition n’est pas nouvelle car elle rejoint la recommandation R24 du rapport Bronnner.

Proposition 11 : Nommer un délégué interministériel à l’EMI pour mieux en coordonner les différents volets ministériels et veiller au renouvellement et au suivi des conventions.

Reconnaître l’EMI comme discipline à part entière dans le parcours scolaire

Selon la circulaire du ministère de l’Éducation nationale du 24 janvier 2022 pour la généralisation de l’EMI, celle- ci est au cœur du projet éducatif de l’école. Elle vise à « former des citoyens éclairés et responsables, capables de s’informer de manière autonome en exerçant leur esprit critique ». Saluons l’impulsion donnée par ce texte, ainsi que les outils destinés à favoriser une dynamique nouvelle pour l’EMI : la promotion de l’utilisation des webradios avec un guide à destination des professeurs, un vadémécum mis à leur disposition pour la pratique de l’EMI, l’affirmation du caractère transversal de l’EMI, autant de mesures qui apparaissent bienvenues.

Toutefois, ce qui est ici présenté comme une force de l’EMI, à savoir son utilisation possible et souhaitable dans tous les enseignements disciplinaires, et son caractère transversal, peut aussi devenir une faiblesse. Intégrée comme composante des différents parcours de l’élève (parcours citoyen, socle de connaissances et parcours d’éducation artistique et culturelle), l’EMI finit par être partout… ou nulle part !

Pourtant, comme l’affirme le rapport du comité d’experts présidé par le Professeur Nathalie Sonnac rendu au ministre de l’Éducation nationale en 2021, « l’absence d’un curriculum dédié à l’EMI ou encore d’une évaluation explicite et systématique des compétences participe de façon évidente de ce manque de visibilité et de cohérence des formations mises en œuvre ». Pour y pallier, il faut faire de l’EMI une véritable discipline, disposant d’horaires obligatoires dédiés, du cycle 3 de l’école élémentaire (CM1-CM2) au lycée. C’est ce que souhaitent les documentalistes en tous cas, qui en ont la charge actuellement.

Proposition 23 : Faire de l’EMI une discipline scolaire à part entière, avec des horaires dédiés tout au long de la scolarité, du cycle 3 de l’école élémentaire au lycée et des référentiels de compétences et connaissances.

Des professeurs d’EMI

L’Association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale rappelle qu’elle représente 11 000 professeurs documentalistes qui ont pour mission l’enseignement de la culture de l’information et des médias. Ce sont des enseignants certifiés, spécialistes dans les Sciences de l’information et de la communication. Ils sont présents dans tous les collèges et lycées. Mais, faute d’heures auprès des élèves, faute aussi de personnels, de temps de concertation et de travail en équipe, cet enseignement ne peut pas être correctement dispensé. Alors que les phénomènes complexes liés aux nouveaux médias supposent des apprentissages réguliers, progressifs, en matière de recherche d’information, de consultation de sources, de production et de publication, de maîtrise du droit et de l’économie de l’information, ces apprentissages sont actuellement impossibles à une échelle nationale.

Pour y remédier, cet enseignement sera dévolu aux professeurs documentalistes, dont la formation initiale aux sciences de l’information les prépare à ces enjeux. Ils seraient amenés à collaborer avec un autre membre du corps enseignant au gré des sujets abordés. Cette ambition renouvelée pourra aller de pair avec la revalorisation du métier de professeur documentaliste. Celle-ci passera notamment par la création d’une agrégation, dans le prolongement du CAPES récemment créé.

Proposition 24 : Placer les professeurs documentalistes au cœur des dispositifs d’enseignement renforcés et créer une agrégation spécifique.

De l’EMI pour tous les professeurs

Le nouveau dispositif nécessitera de renforcer la formation initiale et continue de l’ensemble des professeurs des autres disciplines, notamment par le biais de l’extension de la certification Pix +. Il faut également rendre plus visibles les possibilités de formation, trop souvent ignorées des enseignants.

L’Association des Professeurs Documentalistes de l’Enseignement Privé demande ainsi : « Une formation initiale de tous les enseignants, qui insiste davantage sur l’interdisciplinarité, la transdisciplinarité et la co-animation, afin de permettre une véritable construction et mise en œuvre des parcours éducatifs au sein des projets d’établissement et notamment l’éducation aux médias et à l’information, dont les professeurs documentalistes, spécialistes de la discipline, demeurent les garants ».

Pour ce qui est de la formation continue, Divina Frau-Meigs suggère : « En formation continue, il faut que les INSPE adoptent toutes un contingent horaire de formation à l’EMI, au sein des enseignements disciplinaires. Mais il faudrait aussi créer une discipline EMI à l’université, pour donner une logique à un enseignement EMI dans le secondaire ».

Proposition 25 : Former à l’EMI – en formation initiale et continue – les professeurs de toutes disciplines.

Faire figurer l’EMI dans le projet d’établissement

Nous avons pu constater lors de nos déplacements, à Tourcoing et Nogent-sur-Oise, que lorsque des professeurs bien formés s’engagent sur ces sujets, toute la communauté éducative de l’établissement bénéficie du sens conféré par les projets de classes médias : les professeurs impliqués disent trouver un sens nouveau à leur mission, et l’image du collège change progressivement pour devenir plus attractive auprès des parents de futurs élèves. Ces projets valorisent les élèves et les professeurs participants, mais permettent aussi de renouer les liens avec le voisinage de l’établissement, sollicité pour prendre part à certains projets (comme dans le cas d’interviews menées par les jeunes sur les opérations de rénovation urbaine à Tourcoing, sous la direction d’une journaliste de France Bleu Nord). À cet effet, il apparait souhaitable que les projets d’établissement puissent faire figurer les projets d’EMI, afin de favoriser leur élaboration concertée et de leur donner la visibilité qu’ils méritent. Cela concrétisera également l’importance de la nouvelle discipline parmi le puzzle de toutes les disciplines enseignées.

Proposition 28 : Faire mentionner dans les projets d’établissement les actions d’EMI menées par les équipes éducatives.

Concrétiser le soutien aux professeurs

Si la dimension transversale de l’EMI doit être maintenue car elle concerne toutes les disciplines, il faut rapidement apporter une réponse aux réticences légitimes de certains professeurs à aborder des sujets jugés sensibles, au regard des réactions parfois très vives des élèves ou de leurs parents. Pour cela, on peut proposer que des chartes académiques soient conclues ou renforcées quand elles existent, assurant les professeurs du soutien de leurs autorités hiérarchiques et mettant en lumière les mécanismes d’alerte existant en cas, par exemple, d’atteinte à la laïcité.

Proposition 29 : Proposer des chartes académiques réaffirmant les modalités de soutien des professeurs par leur hiérarchie et informant des mécanismes d’alerte en cas d’atteinte aux valeurs de la République.

Rétablir l’équité territoriale

Force est de constater aujourd’hui que l’abondance des ressources existantes et la multiplicité des organismes s’emparant du sujet de l’EMI ne permettent pas d’éviter de grandes disparités territoriales, qui créent de véritables « déserts d’EMI ». Des pans cruciaux du public sont ainsi laissés sur le bas-côté.

Face à ce double constat, la structuration de l’offre, derrière un acteur chef de file déjà bien identifié – le CLEMI –, doit accompagner son renforcement dans l’Éducation nationale. Ce renforcement doit aller de pair avec une meilleure intégration des différents acteurs impliqués, afin de toucher le public dans sa variété, lors de tous les temps de la vie.

Par ailleurs, des actions d’identification et de mise en réseau des ressources sont nécessaires, et la puissance publique apparait la plus à même de les prendre en charge, sans doute aux niveaux départemental et régional. Cela implique de renforcer les équipes dédiées dans les DRAC ou dans les cellules académiques. En bout de chaîne, ces personnels seront également indispensables à un travail d’évaluation des dispositifs et des actions, en lien avec les laboratoires de recherche. L’évaluation est en effet un préalable inévitable à la promotion des initiatives les plus efficaces. Le déploiement de référents locaux de l’éducation aux médias dans les académies, décidé par la circulaire de janvier 2022 et encore en cours, est un début de dissémination territoriale. Il devra lui- même faire l’objet d’une évaluation en temps voulu. Il devra surtout être relayé par une dissémination plus fine dans des territoires plus isolés, moins métropolitains, moins urbanisés.

Une politique territoriale priorisée doit permettre de rétablir l’équité territoriale. Le ministère de la Culture soutient depuis 2015 le développement de l’éducation aux médias et à l’information (EMI) à destination de tous les publics, jeunes et adultes, sur tous les territoires. Il a notamment mis en place, à partir de 2016, un programme de résidences de journalistes et a intensifié son action à partir de 2018 avec la mobilisation de moyens financiers accrus et la mise en œuvre d’un plan d’éducation aux médias. Cet exemple doit être suivi par toutes les instances publiques. Décentraliser les moyens consiste aussi, par exemple, à pousser les grands établissements nationaux (BNF, BPI, Cité des Sciences, CNC, ARCOM, CNL…) à déployer des moyens sur les territoires prioritaires.

Proposition 9 : Formaliser la politique territoriale priorisée en EMI en appuyant sur les zones blanches.

Au niveau départemental, on peut créer des pôles d’excellence Médias avec des contrats de filières EMI dans chaque département : coordination territoriale animée régulièrement, avec un budget dédié, des moyens humains, incluant les collectivités territoriales, les rédactions, les Clubs de la Presse, les établissements scolaires, les établissements culturels et médico-sociaux, les collectivités territoriales. Objectif : créer une filière métier reconnue, avec des débouchés locaux, et un impact territorial fort.

Véritable politique de justice sociale, il est urgent de déployer une politique publique coordonnée sur les territoires, dans un objectif d’équité, de citoyenneté et de santé publique.

Généraliser une méthode « par le faire » ?

Reporters sans Frontières souligne qu’il faut sortir de la logique d’une éducation aux médias qui serait uniquement descendante. En termes de méthode, les meilleurs intervenants partent de l’usage que font les jeunes des médias (réseaux sociaux), de leurs centres d’intérêt (le sport est un bon point d’entrée) sans adopter une position verticale consistant à dire le vrai et le faux. Ils laissent la place au débat et favorisent le contradictoire lorsque des points de vues opposés se défendent.

La question des sources des informations est centrale, mais la tentation du « pas de vagues » au sein de l’Éducation nationale est encore trop prégnante. Dès lors, l’intervention d’un tiers étranger à l’administration (journalistes, influenceurs, etc.) est un bon moyen pour remédier à l’autocensure de certains enseignants qui, après le drame de l’assassinat de Samuel Paty, ont trop souvent renoncé à leur liberté pédagogique par crainte.

La plupart ont conscience qu’un discours surplombant rebute les jeunes et qu’un travail qui associe la main et l’esprit est approprié à la discipline. Les web-radios en sont l’exemple le plus courant, mais nous avons vu de nombreuses autres pratiques : jeu sérieux de Signe de sens, escape games, podcasts, reportages, création de journaux télévisés supervisés par des professionnels…

Il faut constamment s’adapter au langage de ces jeunes et veiller à utiliser aussi les canaux qui leur parlent le plus. À quoi bon leur demander de créer une « Une » de journal quand ils ne lisent plus de journaux papier ou quand celui-ci n’est pas chez eux ?

Mieux relier les acteurs entre eux

Le champ de l’EMI doit mieux tirer profit de la complémentarité de ses acteurs : les déplacements sur le terrain ont montré l’importance du travail commun réalisé entre, d’une part, les professeurs et les acteurs associatifs et, d’autre part, les professionnels des médias. Pour ces derniers, l’enjeu est d’abord d’éclairer les mécanismes de production de l’information pour mettre en lumière le caractère capital de l’accès à une information fiable et vérifiée. Il y a là un enjeu démocratique fort sur lequel il est important d’insister. Les institutions évoquent aussi la nécessité d’un décloisonnement. Ainsi Universcience, la cité des sciences, déclare: «Bien souvent, énormément de communautés professionnelles touchent à l’EMI sans se connaître entre eux et sans communiquer. Les médias eux même doivent en parler sur leurs canaux ». France Télévisions est de son côté convaincue que le besoin de la communauté éducative réside moins dans la production de ressources que dans l’échange et l’interaction pour répondre aux interrogations et demandes de la communauté éducative. Mettre en lien, instaurer des synergies s’impose aux yeux de tous.

Il est également crucial pour les journalistes de faire connaître leur métier afin de renouer le lien de confiance avec le public qui bien souvent ne va plus chercher l’information auprès des médias d’information traditionnels. L’initiative du bus de Reporters sans frontières, parti en itinérance dans la France entière pour initier des débats citoyens au gré de ses arrêts, est emblématique de cet effort « d’aller vers » le public, dans un esprit d’échange et de dialogue. On rejoint là l’idée, souvent entendue lors des auditions, et que nous évoquions plus haut, d’éviter les discours surplombants et moralisateurs consistant à expliquer aux jeunes qu’ils s’informent mal et sont victimes des réseaux sociaux. Nous plaidons au contraire pour embarquer les acteurs des nouveaux médias dans une démarche positive de réflexion critique avec et pour les jeunes. Les influenceurs doivent être parties prenantes de cet effort, et sont d’ailleurs souvent tout à fait volontaires pour cela, comme en a témoigné Gaspard G, reçu lors d’une des tables-rondes. Bien entendu, cela ne signifie pas que les journalistes et médias traditionnels doivent être mis de côté, bien au contraire : nous avons pu constater la mobilisation de nombreuses associations de journalistes sur ce sujet, ainsi qu’un ensemble d’actions très intéressantes menées par l’audiovisuel public comme privé, tant sur leurs antennes que dans les classes. Il faut plutôt viser d’amener les influenceurs et nouveaux éditeurs de contenus au même niveau d’engagement que les acteurs des médias plus classiques.

Proposition 12 : Instaurer de la coordination et de la transversalité – intersectorielles, interministérielles, institutionnelles, etc.

Homologuer les actions

Une structuration de l’offre sur la base d’un cadre de référence partagé semble manquer encore, comme le note Reporters sans Frontières. La mise en œuvre de mécanismes d’agrément ou d’homologation permettrait à la fois de professionnaliser des initiatives souvent disparates et spontanées et de garantir leur conformité à certaines exigences essentielles quant aux valeurs et principes véhiculés. Une telle homologation pourrait être obtenue exclusivement auprès du CLEMI et conduirait à mettre en lumière certaines initiatives tout en certifiant leur conformité aux buts recherchés. Ces procédures pourraient conditionner l’accès à des subventions publiques dans le cadre des appels à projets lancés par les structures recherchant des intervenants en EMI.

Formaliser un agrément des formations pour enseigner l’EMI, permettra en effet de sécuriser l’enseignement et valoriser les compétences pédagogiques (pour les intervenants extérieurs, comme pour les professeurs).

Proposition 19 : Créer une homologation des actions d’EMI réalisées par les intervenants du champ éducatif, social et associatif, valorisant leur qualité et conditionnant le financement public de ces actions. Faire du CLEMI le centre de référence pour l’homologation de ces actions.

À l’heure actuelle, certaines formations en EMI, sont déjà reconnues et certifiantes : c’est le cas de la formation dispensée par l’École de journalisme de Lille par exemple, ou encore de la Bibliothèque publique d’information, de l’association pour l’éducation aux médias et bien d’autres. Ces formations doivent faire la part belle à l’image, car nous savons que c’est par ce média que s’informent majoritairement les jeunes sur les réseaux.

Certifier les acteurs

L’APEM (Association Pour l’Éducation aux Médias) s’intéresse à la certification des professionnels de l’audiovisuel et de la presse écrite pour favoriser la montée en compétence de l’EMI. Car de leur point de vue, l’EMI est plus efficace quand les professionnels sont impliqués. Les pédagogues prennent alors la pleine mesure des impératifs de déontologie du secteur. Car les enseignants ne sont pas assez formés. L’APEM éprouve auprès d’eux des difficultés à expliquer à quoi servent les acteurs de l’EMI. L’association de journalistes Lumières sur l’info est d’accord avec ce principe : « les acteurs intervenant dans les milieux scolaires pourraient être labellisés – grâce à une sorte de Passe – et il serait plus facile d’identifier l’offre EMI ».

A la demande du CPNEF audiovisuel et du CPNEF presse, l’APEM a participé à la préparation du cahier des charges et à la sélection de lauréats de l’appel à projets de certification de formation des professionnels en EMI. Il y a à ce jour 8 écoles qui peuvent remettre des certifications pour les formateurs EMI, avec 7 blocs de compétences. Ces certifications sont conçues pour être ouvertes à tous les publics. Parmi les acteurs qui les délivrent, il y a 2 écoles de journalisme, une radio associative, l’INA… C’est le cas de l’École Supérieure de Journalisme de Lille (ESJ) qui se dit très investie dans l’EMI depuis 2018, au niveau régional des Hauts-de-France, en bénéficiant pour ce faire de financements européens. Ils ont ouvert un DU59 en EMI, et créent des outils pédagogiques pour que les journalistes puissent dialoguer avec les publics et défendre leur profession. Ils ont remarqué en effet que des journalistes ne savent pas quoi répondre quand ils sont brutalement pris à parti pour l’ensemble de la profession. Ces problématiques sont intégrées au cursus des masters, afin que les futurs journalistes puissent être acteurs de l’EMI. En cohérence avec l’offre de formation originale qu’elle a développée, l’ESJ prône la reconnaissance professionnelle de la qualité d’enseignant en EMI, qui donnerait lieu à une rémunération à la hauteur du travail fait et de la formation des enseignants. La philosophie de ces certifications est que l’EMI soit faite par ceux qui pratiquent les médias, donc d’abord les journalistes, mais d’autres professions doivent pouvoir être certifiées. Parmi les associations de journalistes, tout le monde ne semble pas être au courant de l’existence de ces certifications.

Évidemment, favoriser le développement de l’EMI dans les formations initiales des professeurs coule de source, mais il ne faut pas oublier les animateurs (BAFA et BPJEPS).

Proposition 20 : Certifier les acteurs de l’EMI.

Plus modérée, la fédération des centres sociaux, si elle ne conteste pas la nécessité de bien former les acteurs, met toutefois en garde contre une sur-standardisation de l’EMI qui imposerait des critères normés de qualification. Car on fait face, parfois, à des structures légères avec des acteurs qui ne peuvent pas être labélisés. Donc il faut autoriser une souplesse, même si cette exigence de certification est louable. Pensons notamment aux espaces de vie sociale en ruralité où ils ne sont pas plus qu’une ou deux personnes bien souvent, et où il faudra bien avoir des actions malgré une absence de formation qualifiante. La ligue de l’enseignement va dans le même sens, en relevant que l’agrément pourrait entraver l’accès à l’EMI. De fait, il faudra veiller à ce qu’une exigence trop forte ne conduise pas à appauvrir les capacités d’action sur le terrain.

Labelliser les organismes

Au-delà de l’agrément ou de l’homologation des formations elles-mêmes, les associations sont également demandeuses d’une labellisation des organismes. Ainsi, La Chance est assez critique sur le peu d’exigence du financeur public sur les interventions : « Par rapport à la question de l’efficacité de nos initiatives : dans nos échanges avec les DRAC, nous sommes frappés par la manière dont les acteurs publics n’ont aucune idée de comment se passent les interventions qu’ils financent, ils ne savent pas où va l’argent. L’action publique ne sait pas s’évaluer, même si les associations, elles, savent ce qu’elles font. D’où l’idée d’une labellisation des associations ».

Proposition 21 : Labelliser les organismes investis dans l’EMI.

Structurer les réseaux d’intervenants

Les associations sont également demandeuses de structuration. Ainsi, Entre les lignes se montre assez critique sur la mise en lien et la structuration : « Aujourd’hui, les réseaux sont assez artisanaux. Il faudrait qu’existe une plateforme, liée à un pass média, pour permettre la mise en relation des acteurs homologués. Pourtant, le ministère de l’Éducation est « timoré » là-dessus et les enseignants ne sont pas du tout poussés vers les intervenants. Il y a des déclarations d’intentions mais peu d’actions réelles, ce qui ne permet pas de systématiser les partenariats. La puissance publique est encore amateure ».
A rebours des autres association de journalistes auditées, Lumières sur l’info dit ne pas être assez connue car elle n’est pas affiliée à un média. De ce fait, ils n’ont pas assez de demandes. Leur principal sujet aujourd’hui est de pouvoir entrer dans le réseau de l’Éducation nationale, car ils sont en mesure d’accompagner, de former, ils disposent de ressources pour ce faire. Au regard des forts besoins dans le milieu scolaire et associatif, il est aujourd’hui primordial de disposer d’un outil de référencement des offres d’intervention par les professionnels des médias. Nous le constatons en effet au regard des témoignages rapportés précédemment : certaines associations de journalistes ne peuvent répondre à toutes les demandes, alors que d’autres peinent à trouver leur public.

L’APEM (Association Pour l’Éducation aux Médias) s’emploie déjà à structurer en cristallisant toutes les initiatives disparates des divers organes de presse. Elle standardise et professionnalise l’ensemble des interventions. Elle partage aussi les compétences et ne s’arrête pas à la jeunesse.

Pourtant, tous notent qu’il est important que les interventions aient lieu avec des acteurs divers. La complémentarité des formateurs est très valorisante. Dans l’éducation populaire, il y a des acteurs très investis, notamment les éducateurs spécialisés. Ils apportent beaucoup, par exemple sur la laïcité. Les influenceurs doivent aussi être parties prenantes de cet effort de réflexion critique avec et pour les jeunes.

A propos des coordinations locales, la ligue de l’enseignement met en garde contre la création « d’usines à gaz », réserve qu’ils modèrent aussitôt : « mais si c’est léger au niveau local, oui, il faut encourager dans les territoires ruraux la prise en compte de la question de l’EMI […] Et territorialement, pourquoi pas des formations partagées entre les acteurs communs du territoire dans une logique de parcours local ».


Avec l’appui des réseaux sociaux ?

L’association de journalistes Lumières sur l’info souligne que tous les intervenants ont besoin de soutien de la part des réseaux sociaux pour empêcher la diffusion des fake news. Certains réseaux semblent en effet jouer le jeu.

YouTube a ainsi édité en 2021 un livret intitulé « Le Vrai du Fake », qui a été distribué avec des grands quotidiens et hebdomadaires nationaux à plusieurs centaines de milliers de personnes. Celui-ci met en valeur vingt chaînes YouTube permettant d’aiguiser son esprit critique et de s’informer sur l’actualité (par exemple HugoDécrypte, Le Crayon ou L’instant détox du journaliste de France Info Julien Pain, Le Monde, BFMTV). Vincent Simonet, directeur de l’ingénierie de Google France, s’est exprimé dans une interview avec le média Brut dans une vidéo mise en ligne le 20 octobre 2021 où il répond aux questions du créateur DebunKer des Etoiles. Dans l’espace How YouTube Works, YouTube a mis en ligne en 2021 cinq conseils de l’association Génération Numérique pour lutter contre la désinformation. YouTube soutient également des créateurs qui se mobilisent contre la désinformation et a soutenu la collaboration entre Hugo Décrypte (HugoDécrypte – Actus du jour, qui compte 1,3 millions d’abonnés) et Génération Numérique afin de permettre la création de 2 vidéos de conseils : « Fake news : notre cerveau nous manipule sur les différents biais cognitifs » (166 000 vues à ce jour) et « 6 techniques de manipulation à connaître absolument pour s’en défendre » (420 000 vues à ce jour). Google et YouTube apportent leur soutien à plusieurs initiatives en termes d’éducation aux médias, et notamment les projets suivants qui ont chacun bénéficié d’une bourse d’un million d’euros octroyée en 2019 pour 3 ans par la branche philanthropique de Google, Google.org : l’initiative Les complots rigolos développée par l’association Génération Numérique (plus de 23 000 jeunes ont suivi cette formation en 2021) ; l’initiative Il paraît que menée par l’association Les petits débrouillards (près de 90 000 jeunes en 2021) ; l’initiative Les Super Héros du Net développée par l’association e-Enfance (plus de 22 000 jeunes en 2021). YouTube soutient78 par ailleurs l’éditeur jeunesse Milan Presse: dans la gestion de sa chaîne lancée en 2021 à destination des ados intitulée “Info ou Mytho” qui compte 450 000 abonnés et a pour objectif de développer l’esprit critique des ados grâce à des programmes exclusifs conçus pour démêler le vrai du faux et identifier les bugs de notre cerveau. YouTube a également soutenu ainsi l’étude récente réalisée par Milan et l’Institut CSA sur les ados et l’info dont les enseignements sont particulièrement éclairants. Google a aussi lancé des actions à destination des seniors, notamment pour les dernières élections présidentielles et législatives en partenariat avec l’AFP.

Wikimédia déclare contribuer à l’EMI à travers le soutien aux éducateurs qui souhaitent utiliser les encyclopédies collaboratives comme supports pédagogiques, qu’ils soient dans le domaine scolaire ou périscolaire, ainsi que des partenariats avec des acteurs institutionnels et associatifs spécialisés dans l’EMI. Y contribuent la création et la diffusion de ressources pédagogiques qui facilitent l’utilisation des encyclopédies collaboratives. D’une part, des ateliers et des formations de formateurs sont proposés pour mieux expliquer le fonctionnement des plateformes libres et collaboratives et ainsi essayer au mieux leurs potentiels en termes d’EMI. D’autre part, l’objectif poursuivi est d’autonomiser et encapaciter le public cible, à savoir les enseignants du secondaire, et plus particulièrement les professeurs documentalistes, mais aussi les animateurs en périscolaire, en leur proposant des ressources consultables en ligne, à travers le site web de l’association ou directement sur Wikipédia et Vikidia. Par ailleurs, un partenariat a été tissé avec Canopé afin d’assurer la légitimité et la bonne diffusion de nos ressources pédagogiques.

De son côté, Meta assure retirer tout contenu qui viole leurs règles, et en particulier les types de fausses informations les plus dangereux, notamment les contenus qui font peser un risque d’atteinte physique et de violences imminentes. Sont concernés par exemple les contenus comportant des allégations trompeuses sur les
vaccins et les traitements dans le monde. Ainsi, depuis le début de la pandémie de COVID, ce sont plus de 25 millions de contenus de ce type qui ont été retirés. Sont retirés également certains contenus manipulés hautement trompeurs (« deep fakes »). Cela s’applique également aux contenus qui visent, par exemple, à limiter la participation électorale. Pour les contenus qui ne sont pas contraires à leurs règles, ils disent avoir développé un partenariat innovant avec le plus grand réseau de vérificateurs externes de l’information, 90 membres validés par l’International Fact Checking Network, l’organisme mondial de référence en la matière. Lorsqu’ils identifient une fausse information, la distribution de ce contenu est réduite significativement afin que moins d’utilisateurs ne le voient. Les utilisateurs qui essaient de le partager ou qui l’ont préalablement partagé sont également informés et la lecture d’un article contradictoire ou complémentaire écrit par
l’un des journalistes membres du réseau de vérification de l’information leur est proposée. Enfin, un message d’avertissement très visible est placé directement sur le contenu concerné et renvoie vers des informations supplémentaires, à destination des utilisateurs qui y seraient malgré tout exposés. Enfin, un fonds pour le civisme en Ligne permet de financer des initiatives : programme de lutte contre la désinformation et la haine en ligne pour les 9-13 ans « Chasseurs d’infox » créé par Génération Numérique, ou lancement de la première chaire de recherche en EMI conjointement lancée par l’ESJ Lille et Meta en 2020.

Snapchat défend une posture originale en affirmant que le parlement français a adopté un arsenal législatif complet permettant d’appréhender la problématique : réunion de différents acteurs numériques et associatifs au sein d’un observatoire60, renforcement des obligations des opérateurs de plateforme et des pouvoirs de l’Arcom61, insertion dans le code de l’Éducation nationale de l’obligation de former les enseignants et les élèves aux bons usages du numérique62. Si cet arsenal est précurseur et cible chaque maillon de la chaîne, sa mise en œuvre reste aujourd’hui partielle. Il n’est donc pas nécessaire, à leur sens, d’adopter une énième loi sur le sujet, mais de s’assurer de la bonne application des dispositions déjà votées. À cet effet, Snapchat s’attache à développer trois mesures nécessaires : 1. La promotion de partenariats avec des médias reconnus, traditionnels et représentatifs du paysage médiatique français, 2. La sensibilisation à l’importance du signalement en ligne, La mise en œuvre du ‘Permis Internet’ dans les collèges.
Twitter a établi un partenariat solide et de longue date avec l’UNESCO en matière d’éducation aux médias, concept défini comme : « un moyen d’identification, de compréhension, d’interprétation, de création et de communication dans un monde de plus en plus numérique, médiatisé par des textes, riche en informations et en évolution rapide63 ». Mais Twitter met en avant une mission très particulière, qui est de promouvoir et de protéger la conversation publique – d’être en quelque sorte la place publique de l’internet. Pour atteindre cet objectif, doit être donné à chacun le pouvoir de créer et de partager des idées et des informations, instantanément et sans barrières. La vision qu’ils défendent est celle d’un Internet ouvert – accessible à tous et qui repose sur des normes ouvertes et la protection des droits de l’homme. Dans ce cadre, les produits sont construits de manière à offrir un plus grand choix et un plus grand contrôle aux utilisateurs : 1) Choix et contrôle. Il faut donner aux utilisateurs plus de contrôle sur leur expérience en ligne ; 2) Sécurité et liberté d’expression. Le but est que les gens aient des conversations riches, pertinentes et sûres sur Twitter. Il ne s’agit pas seulement de faire respecter des comportements et normes positifs ; 3) Confidentialité et transparence. L’engagement est pris d’assurer la sécurité des données et de respecter la vie privée. Les pratiques sont constamment mises à jour pour répondre à l’évolution des besoins des utilisateurs. Il est évident que cette philosophie de la liberté se marie mal avec un contrôle et une régulation des contenus, d’où un investissement sur l’EMI assez limité dans son déploiement.
D’ailleurs, Lumières sur l’info émet globalement des réserves sur le soi-disant investissement des réseaux et plateformes sur l’EMI. Selon eux, les crédits publicitaires donnés par les réseaux sociaux ne fonctionnent jamais. Les réseaux tiennent un double langage, ils s’achètent une image mais en réalité ils n’aident pas du tout les acteurs de l’EMI sur leurs propres réseaux. L’association pointe la responsabilité des grandes plateformes, qui doivent mobiliser des fonds et mettre en place des modules de formation. Ils pourraient diffuser du contenu à grande échelle s’ils le voulaient mais la volonté leur manque. Il est difficile d’atteindre une véritable responsabilisation dans ces entreprises. Les interlocuteurs de Lumières sur l’info redoutent que seule l’obligation puisse fonctionner.
De fait, force est de constater que les réseaux et les plateformes sont les seuls parmi nos interlocuteurs à prôner un discours libertaire ou à contester le besoin de régulation – pour certains d’entre eux –, alors que leur aide et leur soutien seraient tellement profitables à la cause de l’EMI !


36 Propositions EMI SommaireLettre d’engagement de Violette SpilleboutAvant-propos de Sylvie MervielIntroductionPourquoi ?Quoi ?Qui ?Où et Quand ?Comment ?Combien ?ConclusionSynthèse des 36 propositionsGlossaireLa Mission Flash

10 avril 2023