Combien ?

La question des moyens

La question des moyens est évidemment centrale. L’ampleur des actions à mener n’est-elle pas rédhibitoire en contexte de budgets contraints ? Pourtant, certaines mesures ne nécessitent pas des plans financiers colossaux, mais plutôt de la réorganisation et davantage d’efficience des dispositifs existants.
La ligue de l’enseignement résume assez bien les divers pans à prendre en compte : « Concernant la disparité territoriale, on est dans la difficulté d’articulation entre les différentes administrations locales sur ce sujet. On voit bien que dans les territoires ruraux il y a en effet une priorisation de moyens à avoir. Sur le manque d’acteurs, il y a un enjeu de structuration, le problème maintenant c’est comment rééquilibrer les financements publics pour établir un maillage. Il faut que nous formions des pédagogues sur le long terme pour qu’ils soient en capacité d’adapter des contenus aux différentes thématiques et aux différents publics. Enfin pour finir, comment réintégrer l’EMI dans une approche plus globale ? Il faudrait peut-être articuler l’EMI avec une approche artistique et culturelle parce qu’on voit bien qu’il s’agit d’élargir l’horizon des jeunes pour qu’ils ne s’enferment pas dans un repli identitaire notamment sur les réseaux sociaux ».

Un projet pédagogique repensé

La place de l’EMI dans le parcours scolaire doit être reconsidérée en profondeur. En effet, ajouter une nouvelle obligation sans un travail transversal de préparation est contreproductif. A nouveau, la ligue de l’enseignement est très claire : « il faut renoncer à charger toujours plus l’école et l’éducation nationale. Il faut revoir de manière générale la place du parcours citoyen et la place des enseignants documentalistes. Car si on ne fait qu’ajouter, en effet on risque de passer après les fondamentaux dans un emploi du temps déjà très chargé ». Ce verbatim mentionne déjà une piste fructueuse : ne faut-il pas faire admettre que, dans la société du numérique qui advient, l’EMI doit être hissée au rang des fondamentaux ?

Il est nécessaire de définir un horaire spécifique à l’EMI tout en préservant la continuité avec tous les autres enseignements.

« Améliorer la continuité des enseignements d’EMI tout au long de la scolarité, c’est un problème. Il faut le faire, c’est obligatoire. Mais là on bidouille ».

Verbatim, audition n°1.

L’Association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale relaie une telle demande sans relâche : « nous demandons, sans discontinuer, un travail de fond sur les compétences et les connaissances à enseigner ainsi que des heures fléchées pour la Culture de l’information et des médias au collège et au lycée, dont l’acquisition, par tous les élèves, doit être garantie par les professeurs documentalistes en tant qu’enseignants et maîtres d’œuvre, dans le cadre d’un parcours de formation construit en concertation et évalué. En toute logique, nous demandons aussi un nombre suffisant de ces enseignants dans les établissements, à hauteur d’un professeur documentaliste certifié par établissement et un poste supplémentaire par tranche de 400 élèves. Sans cette ambition le pays ne sera pas à même, encore, de répondre aux enjeux liés à l’évolution des médias, de l’information, de la communication ».

Le travail sur les contenus est déjà largement entamé. En effet, en l’absence d’un programme dédié (celui du cycle 4 de 2015 se limitant à un référentiel de 27 compétences), la profession s’est très fortement investie dans l’identification des connaissances et compétences liées au champ de l’EMI et dans leur didactisation avec le souci de couvrir les différentes cultures concernées : culture informationnelle, culture médiatique, culture technique et numérique en lien avec les enjeux sociétaux et éthiques qui s’y rattachent. L’Association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale joue un rôle moteur dans ce processus depuis de nombreuses années et travaille actuellement à la mise à jour d’un curriculum en information-documentation du cycle 2 au cycle terminal, publié initialement en 2014, qui définit, pour chaque cycle et chaque niveau, des objectifs de formation et les notions qui y sont associées selon 4 champs :

  1. Environnements informationnels et numériques ;
  2. Processus d’information et de documentation ;
  3. Recul critique sur les médias, les TIC et l’information ;
  4. Responsabilité légale et éthique relative à l’information.

Ce curriculum est complété par le projet collaboratif Wikinotions Info-doc qui associe acteurs de terrain et chercheurs dans la définition des notions essentielles et la mutualisation de pistes pédagogiques en lien avec ces notions.

Les idées égrenées au fil des échanges peuvent être répertoriées :

  • Co-construire avec les acteurs concernés un socle d’enseignement labellisé avec niveaux (1,2,3) sur le modèle du PIX, afin de pouvoir s’assurer des acquis quel que soit le public ;
  • Intégrer l’EMI dans les enseignements socles dès le cycle 3 et début de collège, et les évaluer au-delà des projets EPI, à travers notamment l’outil du Livret Scolaire Unique ;
  • Instaurer un module EMI dans les carnets de correspondance des enfants dès le cycle 3 et au collège ;
  • Définir les thèmes obligatoires et les options à maîtriser selon les publics ;
  • Organiser la formation dans des filières identifiées, créer des labels / agréments / niveaux accessibles à tous les intervenants.

Un cadre clair et précis de mise en œuvre

Le cadre actuel proposé aux professeurs documentalistes est très flou, ce qui permet des « aménagements » qui ne bénéficient pas toujours à l’EMI. La documentaliste de terrain auditée s’est fait le témoin.

Concrètement, l’EMI fait partie du programme. Mais ça dépend du bon vouloir des équipes. Il n’y a aucune obligation dans les faits. En réalité, on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a.
Le ou la documentaliste cumule 3 missions :

  1. L’accès aux ressources documentaires
  2. L’ouverture culturelle sur le local, l’international et l’orientation, le contexte professionnel (organisation d’expositions, culture scientifique, travail coordonné avec les médiathèques, les centres culturels, …)
  3. L’EMI

Dans cette multiplicité de tâches et responsabilités, chaque collègue donne un peu la priorité à ce qu’il veut. Seuls les génies arrivent à gérer complètement les trois. Auprès des élèves, il y a 3 types d’intervention :

  1. En permanence, lorsque les élèves sont en autonomie au CDI pendant une heure
  2. Dans son établissement, les sixièmes ont un créneau dans leur emploi du temps une fois tous les 15 jours, en alternance avec un cours de français par demi-groupe (accord avec la prof correspondante)
  3. Enfin, actions ou activités avec les collègues de discipline, selon le bon vouloir (ou pas) de chacun. Elle n’a pas les cinquièmes, quatrièmes et troisièmes en cours, il faut s’arranger avec les profs. Du coup, tous les élèves n’ont pas la même chose, cela dépend de leur classe. Verbatim, audition n°1.

L’association des Professeurs Documentalistes de l’Enseignement Privé exprime aussi le manque d’un cadre précis : « Il manque aujourd’hui un cadre de travail concret, formalisé dans le projet d’établissement : volume horaire, projets identifiés inscrits dans les parcours éducatifs, équipe pédagogique impliquée dans ces projets, partenaires extérieurs… ». Ils sollicitent eux aussi des clarifications institutionnelles.

Dans la même lignée, l’association des professeurs documentalistes de l’Éducation nationale a fait remonter à la Commission Bronner une liste de propositions qui résultent de 30 années d’expérience, de réflexion et de travail. Parmi celles-ci, citons :

  1. Créer un curriculum des compétences et connaissances en éducation aux médias et à l’information de l’école au lycée ;
  2. Définir sur chaque niveau, au collège et au lycée, des modules horaires EMI dans les emplois du temps des classes pour une moyenne hebdomadaire a minima de 0,5 heure, confiés à des équipes interdisciplinaires incluant le professeur documentaliste ;
  3. Garantir, dans le temps de service des professeurs documentalistes, un cadre horaire consacré à l’enseignement, entre 1/4 et 1/3 du temps de service, afin d’éviter que le cadre horaire élève, proposé ci-dessus, ne soit utilisé pour « boucler » les services des collègues d’autres disciplines, phénomène déjà connu pour l’EMC et qui, s’il était reproduit pour l’EMI, pourrait évincer les professeurs documentalistes de cet enseignement (voir rapport de la Cour des comptes64 à ce sujet, qui recommande de « s’appuyer davantage sur le professeur documentaliste, seul enseignant qui a reçu une formation initiale spécialisée ») ;
  4. Rectifier, en conséquence, dans la circulaire de missions des professeurs documentalistes de 2017, les formulations ambiguës qui octroient à leur mission enseignante un caractère facultatif, la met en tension avec l’ouverture du CDI et soumet sa réalisation à l’arbitrage du chef d’établissement ;
  5. Faire appliquer sans ambiguïté le décompte des heures d’enseignement prévu dans la circulaire de missions de 2017 et le décret sur les Obligations Réglementaires de Service de 2014, pour toutes les heures d’enseignement effectuées par les professeurs documentalistes, seuls ou en co-intervention, dont les heures d’EMI ;
  6. Augmenter le nombre de postes au CAPES avec un nombre de postes par établissement tenant compte du nombre d’élèves avec un minimum d’un poste par établissement ;
  7. 8) Affecter dans les CDI des personnels de catégorie B pour des missions de gestion et d’accueil afin de mettre fin à la tension qui existe actuellement entre la mission d’accueil et la mission d’enseignement.

Un plan de formation des personnels déjà en place

Sans même envisager de recrutements supplémentaires, le plan de formation des enseignants déjà en place est très insuffisant et mal adapté. Tout est à revoir sur ce plan, et ce doit être le premier chantier. Il faut d’abord instaurer auprès de tous l’idée que l’EMI est une priorité absolue. Une fois ce premier combat remporté et tout le monde motivé, il faut remettre en place un plan de formation complet. Les verbatims sont très explicites et unanimes sur ce point, comme celui du chef d’établissement ci-dessous.

« Question formation, tous les collègues n’ont pas le niveau, par exemple, en recherche d’information. Les formations existent, mais les collègues ne pensent pas : « pour moi, c’est un incontournable ». C’est pas leur priorité. Pour eux, ce n’est pas le cœur des apprentissages, c’est du niveau d’un club de fans. Pour les former, on a les FE, les formations établissements, prises en charge par l’autorité académique. Mais c’est très compliqué. Les plans de formation ne répondent pas à leurs besoins de formation. J’ai par exemple une formation LGBT. C’est bien, mais moi ce qu’ils veulent c’est « comment gérer les conflits » ou « le harcèlement ». Et ça y a pas. En plus, les cours c’est tout en visio, on doit regarder pendant des heures des vidéos venues d’en haut, c’est pas possible. Il faut du présentiel, du participatif. La formation continue a longtemps été sur catalogue, et c’est la personne qui choisissait. Maintenant, c’est imposé depuis le ministère. Donc ils sont tous démotivés, il n’y a plus de formations demandées. Pour un chef d’établissement qui n’a pas de perspective nouvelle de carrière ou de statut par exemple, il n’existe aucune formation. Il n’y a pas de CPF, trusté par le ministère pour la préparation aux concours. Tout ça est trop téléguidé. En plus, on leur demande de récupérer les cours. Donc c’est sur leur temps et leurs deniers personnels. Il y a 20 ans, il y avait des formations de 4 à 5 jours qui se passaient ailleurs, ça faisait une respiration. Maintenant c’est une journée et demie max. Ca va pas. Il faudrait des stages de communication, de la formation en psychologie de l’enfant. Et que tout ça ne se ramène pas toujours à des questions budgétaires ».

Verbatim LDM, audition n°2.

Le CLEMI offre pourtant des solutions. L’écart entre l’offre et la demande est donc immense. Avant toute décision précipitée, il convient d’écouter les enseignants, pour entendre la nature de leurs résistances et pourquoi ils n’engagent pas la démarche – ce que nous avons commencé à faire à toute petite échelle. Pour mémoire, quelques éléments de ce qui est fourni par le CLEMI en termes de formations.

CLEMI-FORMATION

Le CLEMI assure la formation de formateurs et d’enseignants du 1er et du 2nd degré, dans l’ensemble des disciplines. Les actions de formation se voient renforcées à l’école primaire, où lire et écrire l’info, publier en sachant respecter autrui, sont des compétences fondamentales que doivent acquérir les élèves.

Il ouvre son offre de formation à une communauté éducative élargie, intégrant des publics diversifiés d’éducateurs, des travailleurs sociaux, et se mobilise par des actions de sensibilisation des familles. Le numérique est désormais au cœur des stratégies de formation du CLEMI : intégration de l’éducation aux données, évolution des modalités de formation, hybridation des ressources.

Le référentiel enseignants et formateurs ainsi proposé par le CLEMI distribue les compétences en EMI en cinq axes thématiques qui s’ancrent dans :

  • Une culture médiatique, constituée par la connaissance des médias, de leur fonctionnement, de leurs formats et de leurs langages ;
  • Une culture informationnelle, permettant de comprendre ce que sont les acteurs, les processus de production, de diffusion et de réception de l’information ;
  • Une culture sociale et citoyenne, construite à partir d’une connaissance partagée des droits et devoirs liés à l’usage des médias et de l’information, et d’une capacité à mettre en œuvre des pratiques informationnelles et communicationnelles éthiques et responsables en termes de vivre ensemble et de citoyenneté ;
  • Une culture technique et numérique, autorisant un accès égalitaire à une connaissance et à une maîtrise des outils permettant un usage raisonné, responsable et créatif de l’information et des médias ;
  • Une culture didactique et pédagogique, rendant compte des concepts, méthodes et courants en éducation les plus favorables à l’apprentissage-enseignement des fondamentaux de l’EMI. Les compétences identifiées dans ce référentiel CLEMI peuvent s’évaluer selon trois niveaux d’acquisition progressive, correspondants à la découverte, au renforcement et enfin à l’expertise.
  • Je connais : La compétence et les notions associées ont été décryptées, expliquées par la formatrice ou le formateur ;
  • Je maîtrise : La compétence et les notions associées ont été mises en œuvre par les apprenants ;
  • J’enseigne : La compétence et les notions associées ont été enseignées par les apprenants.

Une politique publique ambitieuse

Il n’est pas admissible, au nom de l’égalité entre nos concitoyens, qu’une politique publique soit soumise à « la bonne volonté » de ceux dont elle dépend alors même qu’il existe une filière professionnelle structurée de formation en sciences de l’information. Les professionnels des médias sont quant à eux aussi mobilisés par passion et cela n’est pas sans poser problème au titre de leur activité principale (remplacement à l’antenne, remboursement de leurs frais de déplacement, etc.). Enfin, mobiliser l’ensemble du système d’acteurs locaux et tout ce tissu d’éducation populaire qui est sous employé est crucial. Il y a des ressources en France, mais il faut travailler encore à bien les utiliser. Un niveau structurant territorial, qui pourrait être le département, peut envisager une approche intégrée et globale qui traite l’EMI en termes de parcours citoyen dans un sens large, mais avec une forte préoccupation autour du numérique.

Il est urgent de passer la vitesse supérieure : une politique publique budgétée, ambitieuse, massive, organisée, efficace s’impose. La menace des extrémismes dans nos démocraties nous révèle l’importance de former de véritables citoyens, fantassins de l’information, exercés à l’usage de l’information sur Internet, du discernement et de l’esprit critique. Elle nous pousse à stimuler l’engagement et la citoyenneté. L’EMI doit participer à la baisse de l’abstention qui menace nos démocraties.

Proposition 10 : Mettre en place une politique publique budgétée, ambitieuse, transversale, massive, organisée, efficace.

Face au foisonnement des ressources illustré au chapitre 2, le rôle de la délégation interministérielle serait aussi de piloter la rationalisation des contenus accessibles et leur valorisation au sein d’un serveur fédéré unique. En effet, Divina Frau-Meigs fait le constat suivant pour les ressources vidéo : « la politique de Lumni à l’égard des contenus d’accompagnement est peu claire, surtout quand ils proviennent de l’éducation populaire. C’est l’éducation nationale qui semble avoir le contrôle alors que le partenariat est avec toute la sphère de l’audiovisuel public (Arte, Ina, France Télévisions…) ». Elle conclut donc : « Une plateforme dédiée intersectorielle, avec une gouvernance incluant tous les partenaires (y inclus les médias), s’impose, qui fasse la curation des ressources et s’assure de leur découvrabilité ». On peut élargir sa proposition et la généraliser. Les quelques items ci-dessous commencent à répertorier le travail de fond à produire :

  • référencer tous les outils existants en France aujourd’hui, les évaluer, les classifier selon les publics, l’objectif recherché et l’impact souhaité, valoriser la plateforme Media Éducation et la renforcer ;
  • pousser à la modernisation des outils / canaux EMI (supports numériques, réseaux sociaux, jeux en ligne) dans l’ensemble des interventions ;
  • favoriser les outils inclusifs (handicap, illettrisme, illectronisme) ;
  • créer un lieu / une structure ressource dans chaque département (coordination type Emi’cycle) associant tous les acteurs pour décupler les moyens et les projets, afin de partager les bonnes pratiques et faire connaître les acteurs référencés sur le territoire ;
  • soutenir (par des contributions volontaires de plateformes et par des financements start-up) les start-up d’influenceurs reconnus et certifiés, qui déploient une information et un décryptage écoutés par les jeunes, attribuer la carte de presse aux influenceurs certifiés…

Nous le disions dès l’introduction : affirmer une politique publique ambitieuse d’EMI requiert a minima une meilleure coordination des nombreux acteurs privés et publics impliqués, un renforcement de leur formation, une complémentarité coordonnée, un consensus sur le socle de compétences et de connaissances, un partage des bonnes pratiques, une mise en commun et une validation des ressources… Ce travail conséquent d’identification, de mise en cohérence et en visibilité est la première mission de la délégation, qui se doit de le piloter.

Modèles économiques

Concernant l’évolution des moyens dévolus à l’EMI ces dernières années, le CLEMI lui-même, dont c’est la mission, semble souffrir d’un manque cruel de moyens, aux dires des personnes directement concernées telles que Divina Frau-Meigs qui l’a dirigé.

Proposition 33 : Renforcer le budget EMI.

La restructuration de l’EMI est un chantier qui a été entrepris par le CLEMI. Mais le manque de moyens humains ne permet pas d’avancer suffisamment. Des moyens nouveaux permettraient de mieux accompagner les acteurs de terrain. Au plan des moyens ministériels alloués, Le Professeur Frau-Meigs constate en outre une certaine déperdition : « Le budget de l’EMI pour l’Éducation nationale n’est pas clairement dédié à l’EMI ; il s’éparpille dans des soutiens à la production de ressources ou des subventions à des associations (fonds de partenariats), à l’exception de l’opérateur Canopé, bien doté. Le Ministère de la culture est plus transparent, notamment sur des publics plus larges, avec des financements de la DGMIC et un soutien aux journalistes et associations de la culture populaire. Ces dernières années, les fonds ont progressé, surtout en lien avec la lutte contre la désinformation. Quant au caractère interministériel, il reste embryonnaire, y compris dans l’optique de la convention-cadre signée entre le ministère de l’Éducation et le ministère de la Culture. Le véritable angle-mort est l’enseignement supérieur et la formation des maîtres et des professeurs du primaire et secondaire ».

Le constat est qu’il existe des budgets et des actions dans de nombreux ministères actuellement :

  • Éducation nationale : référent EMI dans les académies, temps de travail et implication variable, collèges médias, actions dans le domaine des sciences ;
  • Enseignement Supérieur et Recherche : convention cadre Éducation aux médias ;
  • Culture : appels à projet des DRAC, très variables selon les régions ;
  • Numérique : appels à projets, déploiement des conseillers numériques, PIX ;
  • Citoyenneté : appels à projets sur la lutte contre l’embrigadement, la laïcité, la lutte contre les sectes ;
  • Ville : contrats de ville avec des volets éducation artistique et culturelle ou médias, variables ;
  • Agriculture : dans les lycées agricoles, et dans les contrats culture-ruralité ;
  • Famille : avec un axe du contrat d’objectif de la CAF qui comprend parfois de l’EMI ;
  • Santé : lutte contre la dépendance aux réseaux sociaux, lutte contre l’anxiété et la dépression liée à l’avenir ;
  • Justice : dans le cadre du protocole culture-justice, pour toucher tous les publics.

Il est donc impossible pour le moment de formaliser un budget dédié et son évolution, et il existe très peu de recherches sur l’efficacité des actions et leur impact sur les populations. Tous les acteurs convergent vers la nécessité de mieux se connaître et de travailler ensemble. Un focus important est à faire au demeurant sur la mobilisation autant du public que du privé. Par ailleurs, au-delà de la réponse à des appels à projets de DRAC pour obtenir un financement pour les ateliers, les acteurs utilisent parfois le pass Culture collectif dans les collèges et lycées. Mais un des freins pour les enseignements EMI est que le transport vers les rédactions ou dans les lieux culturels n’est pas pris en charge dans le pass Culture et que dans certains départements, l’EMI n’est pas validée dans le pass. Certains acteurs (associations de journalistes) ne sont pas reconnus par les DRAC qui valident les acteurs du pass. Enfin, les rédactions, plateformes qui dédient des budgets à l’EMI et au déploiement des actions, ne sont pas valorisées spécifiquement. Proposer que les actions dans les associations ou les établissements, prenant du temps de travail puissent être reconnues, stimulerait la participation.

On le voit, au plan budgétaire aussi, une certaine clarification s’impose. On peut imaginer que celle-ci soit traitée au niveau d’une coordination départementale de l’EMI, pilotée par le Préfet à l’égalité des chances ou le Préfet. Son rôle serait d’identifier et de gérer le budget EMI dans chaque département, en lien avec la délégation interministérielle, la mission transversale ou la cellule d’appui nationale. Elle coordonnerait également les budgets au sein des politique familiales (CAF) et des contrats de ville.

Proposition 13 : Mettre en place une coordination départementale de l’EMI pour identifier le budget EMI et gérer les moyens ciblés.

Pour ce qui est de la distribution du soutien financier, la logique d’appels à projets des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) est louable mais restreint les budgets à une poignée de structures désignées, parfois de manière discontinue dans le temps. Surtout, certains publics ou acteurs demandeurs n’en ont tout simplement pas connaissance. Le montage des dossiers est par ailleurs complexe et favorise les initiés. Ceux qui ne disposent pas en interne des compétences pour le montage de tels dossiers passent alors à côté des opportunités, dont profitent toujours les mêmes réseaux. À l’inverse, des associations peuvent recevoir des financements de plusieurs ministères pour les mêmes actions d’EMI. Le ministère de la Culture mentionne d’ailleurs qu’il devient nécessaire de lutter contre les disparités territoriales et les spécialistes des appels à projets, pour lesquels il y a des décrochages régionaux. Les appels à projets sont utiles à l’identification de certains acteurs mais filtrent et éliminent les acteurs initiaux. Cela tient aux associations présentes mais également à leur budget. Les DRAC pointent la nécessité d’identifier de nouveaux acteurs.

L’APEM (Association Pour l’Éducation aux Médias) par exemple trouve des financements européens, qui sont gigantesques mais complexes. C’est une possibilité qui pourrait être plus exploitée par l’ensemble des parties- prenantes, mais qui requiert un haut niveau de technicité pour le montage des dossiers et le suivi des projets jusqu’à leur clôture administrative et financière. Des demandes collectives fédérées par un interlocuteur central qui disposerait de cette technicité pourrait constituer une solution.

Mieux valoriser l’engagement

Nous l’avons vu, les professeurs documentalistes, sur le terrain, s’investissent diversement dans leur mission d’EMI, certains allant jusqu’à la laisser entièrement de côté. Il faudrait à tout le moins permettre aux chefs d’établissement de récompenser l’engagement des personnels remarquablement investis. Ce n’est pas possible actuellement. De fait s’exprime au contraire le malaise des professeurs documentalistes très impliqués dans leur mission d’EMI. Ainsi l’Association des professeurs documentalistes de l’Éducation Nationale rappelle, dans sa lettre ouverte du 2 février 2022 au Ministre Jean-Michel Blanquer, les inégalités de traitement dont ils font l’objet : « Enfin, pour notre profession c’est toujours, au-delà de la reconnaissance de notre compétence et de notre engagement, l’attente de mesures concrètes à même de mettre fin aux tensions qui s’exercent entre les différentes missions qui lui sont confiées et qui entravent très fortement l’engagement possible sur la mission enseignante ainsi que l’a parfaitement identifié le rapport récent de la Cour des Comptes. Rappeler, comme cela est fait dans le vademecum, que les professeurs documentalistes ont un rôle central dans la mise en œuvre de l’EMI, s’accorde mal avec les coupes drastiques dans le nombre de postes au concours ainsi qu’avec, à ce jour, l’absence complète d’avancées sur la réduction des inégalités de traitement qui nous sont infligées au sein du corps des certifiés auquel nous appartenons depuis trente-deux ans, inégalités dont nous nous sommes déjà entretenus avec vos services: refus du décompte de nos heures d’enseignement, régime indemnitaire discriminatoire, absence d’agrégation, de corps d’inspection dédié et, plus récemment, exclusion du bénéfice de la prime informatique ».

Le rétablissement d’un traitement équitable et la possibilité de valoriser l’engagement des personnels semble légitime.

Avec les influenceurs

Une démarche positive de réflexion critique avec et pour les jeunes doit embarquer les acteurs des nouveaux médias, qui sont très écoutés par cette catégorie de population. Les influenceurs doivent être parties prenantes de l’effort EMI, et sont d’ailleurs souvent tout à fait volontaires pour cela. Bien entendu, cela ne doit pas se faire au détriment des journalistes et médias traditionnels qui sont très mobilisés sur ce sujet, et mènent un ensemble d’actions très intéressantes comme nous l’avons vu au chapitre 2. Il faut plutôt viser d’amener les influenceurs et nouveaux éditeurs de contenus au même niveau d’engagement que les acteurs des médias plus classiques.

Gaspard Guermonprez, connu en tant que youtuber sous le nom de Gaspard G, reçu lors d’une des tables-rondes, constate que ni Radio France, ni France Télévisions, ni les autres n’ont fait beaucoup de pas vers les créateurs de contenus, alors que ces derniers souhaiteraient que le service public les accompagne. Dans son entreprise, 1/3 des 10 salariés sont des journalistes. Malgré cela, ils souffrent toujours d’un manque de légitimité de la part de certains médias. Les influenceurs dont les contenus seraient homologués (voir proposition n°19) devraient pouvoir bénéficier d’une double casquette de journalistes et de néo-communicants. Ces créateurs réclament une labellisation qui leur permettrait d’accéder à des sources de financement. En plus d’être soutenus par le service public, ils ne devraient plus subir de blocages de la part de certaines plateformes. Il faut noter cependant que les créateurs de contenus ne sont pas soumis au contrôle de l’Arcom, ce qui pose question compte-tenu de leur nombre d’abonnés.

Proposition 22 : Reconnaître les influenceurs « certifiés » de l’information comme de véritables acteurs du journalisme (attribution de la carte de presse) et intervenants EMI.

Couverture territoriale

Aux dires de la ligue de l’enseignement : « sur la question des moyens et de la couverture territoriale, on voit bien qu’il y a un enjeu sur les inégalités de moyens. On ne peut pas propulser des journalistes partout sur le territoire ».

Il y a des disparités énormes. Les recteurs sont en partie responsables de cette disparité. Certains inspecteurs disent que l’EMI n’est pas au programme, des professeurs cachent qu’ils traitent cette matière. Les relations sont compliquées aussi avec les parents d’élèves. En 2015, seulement 5 personnes sont référents EMI sur le territoire à temps plein. Quelques améliorations sont à noter mais le CLEMI n’a pas de budget supplémentaire, spécifiquement dédié aux liens avec les territoires. Pourtant, impliquer les territoires est toujours bénéfique. On peut imaginer une forme de contractualisation.

Proposition 14 : Contractualiser avec les communes ou EPCI sur l’EMI pour dédier des moyens d’animation du territoire : médiateurs dédiés, et renforcement des compétences des conseillers numériques.

La ligue de l’enseignement relève cependant le risque de sur-couche administrative, plus contraignante que facilitatrice au final : « Il faut faire attention à ne pas rajouter aux espaces de coordination existants de nouveaux espaces par-dessus. Nous avons les Caisses d’Allocations Familiales par exemple qui travaillent souvent au niveau départemental. Sur les zones rurales, il faudra passer par les intercommunalités. Mais il faut bien penser les espaces d’articulations. Sur la question de l’accessibilité des structures, pouvons-nous penser par exemple à de l’itinérance avec des bus numériques pour lutter contre la fracture numérique dans une logique d’inclusion ».

Pass Culture et Médias

Comme le propose la ligue de l’enseignement, articuler l’EMI avec une approche artistique et culturelle est une bonne idée. Elle a été reprise par de multiples interlocuteurs (journalistes, professeurs des universités…).
On l’a vu, il est primordial de disposer d’un outil de référencement des offres d’intervention par les professionnels des médias et les autres acteurs. Le pass Culture a fait la démonstration de son succès comme répertoire des offres culturelles à destination du public jeune. Son élargissement à un pass Culture et Médias permettrait aux acteurs homologués de s’inscrire sur un répertoire consultable sur l’application, et d’entrer dans les circuits de financement public, les prestations d’EMI pouvant alors être tarifées comme le sont les manifestations culturelles. Certains acteurs de l’EMI ont déjà fait l’objet d’un accompagnement par le ministère de la Culture, et sont aujourd’hui intégrés dans le pass Culture grâce à la base ADAGE, mais d’autres se sont vu refuser cet agrément. Lumières sur l’info par exemple s’est vu refuser la labellisation du pass Culture sous prétexte que leur offre n’était pas assez créative. Ils revoient leur offre, mais ils perdent du temps et sont en attendant obligés de trouver des financements ailleurs (fondations, entreprises…). Là encore, les progrès se font de façon trop disparate.
Affirmer clairement l’extension du pass Culture permettrait de lancer un signal clair pour encourager les intervenants à obtenir d’abord la certification qui serait instaurée, et demander ensuite leur référencement. Au- delà de l’opportunité donnée ainsi aux classes de réserver sur la plateforme des visites de locaux de médias (notamment régionaux) par exemple, ou d’autres actions d’EMI, cet élargissement de l’intitulé mettrait mieux en lumière les possibilités déjà existantes d’abonnement à la presse grâce à la part individuelle du pass. En outre, la prise en charge des transports est un frein qui a été maintes fois relevé. Rappelons les propos de la Bibliothèque Nationale de France : « pour que ça marche complètement, il est nécessaire d’intégrer le développement d’une offre de transports, notamment dans le cas des formations faites aux scolaires. Le vrai sujet est la systématisation et l’automaticité de cette prise en charge des coûts de transports, plutôt qu’un fonctionnement au coup par coup ». Inclure les frais de transport scolaire dans le pass constitue une solution.

Proposition 35 : Élargir le pass Culture à l’éducation aux médias, avec transports inclus.

Bénévolat or not bénévolat ?

Parmi les plus belles initiatives figurent celles promues par des professionnels passionnés. Or une politique publique ne doit pas être soumise à « la bonne volonté » de ceux dont elle dépend. Aussi, les professionnels des médias doivent rendre compatibles leurs interventions en la matière avec l’organisation de leur activité au sein de leurs entreprises.
Les intervenants journalistes sont pour la plupart bénévoles, qu’ils soient dans une association ou qu’ils fassent de l’EMI à titre personnel, tant pour leur propre formation en EMI réalisée sur le temps privé (un bon journaliste n’étant pas automatiquement un bon enseignant, les besoins de formation sont réels), ou des actions devant le public, pour lesquelles ils prennent parfois des jours de congés. Mais ils sont salariés par ailleurs. Ils interviennent aussi bien sur leur temps de travail que sur leur temps libre. En réalité, tous les modèles coexistent : parfois rémunérés (réponse aux appels à projet DRAC et résidences), parfois subventionnés via les associations de presse, parfois et souvent bénévoles hors temps de travail, parfois rémunérés par les rédactions sur leur temps de travail. L’association Entre les lignes a par exemple obtenu la mise à disposition par Le Monde d’une journée du temps de travail pour faire des interventions. Certaines entreprises participent économiquement à l’EMI et financent la participation des journalistes aux interventions. Ces initiatives devraient être systématisées et faire l’objet d’incitations. L’association La Chance reconnait également que : « La rémunération des intervenants favoriserait la prise de conscience de leur légitimité ». En outre, les interventions d’EMI ne sont pas prises en compte dans l’attribution de la carte de presse. Il s’agirait d’intégrer les prestations EMI d’une manière ou d’une autre dans les revenus des journalistes.

Proposition 36 : Créer des mécanismes de compensation et de valorisation pour les journalistes engagés dans les actions d’EMI afin de favoriser les interventions des professionnels de l’info.

Il est indispensable de mettre en place des mécanismes de valorisation, pour les entreprises comme pour les salariés, de nature à permettre la tenue de ces actions sans que cela affecte l’activité des médias concernés (un journaliste, à moins d’être en congé, ne pouvant se trouver à la fois à l’antenne ou en rédaction et devant une classe ou dans une bibliothèque). Ces actions doivent pouvoir être soutenues et valorisées au titre de la politique de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) dans le secteur privé, ou faire l’objet de dispositifs d’incitation fiscale quant aux heures consacrées à l’EMI par les salariés. En outre, leur rémunération devrait être systématique. Pour les médias de service public, il serait opportun de réserver des crédits au recrutement de personnels plus particulièrement mobilisés sur ces questions, en allant plus loin dans les objectifs figurant dans les contrats d’objectifs et de moyens.

On peut ainsi avancer les trois pistes suivantes :
– 1) Valider un tarif horaire, aligné par exemple sur celui des intervenants en Éducation Artistique et Culturelle à 55 euros / h pour toute intervention ;
– 2) Développer le mécénat de compétence pour les rédactions et les plateformes, en contraignant plateformes et acteurs de la presse à un temps de mécénat autorisé pour les salariés, dans le cadre de la RSE et défiscaliser le mécénat de compétence EMI ;
– 3) Budgéter des CDD de remplacement dans les rédactions pour libérer les journalistes diplômés pour les interventions EMI.

Sur le point spécifique du financement des ressources humaines pour les associations, l’association Dessinez Créez Liberté par exemple compte trois salariés et des bénévoles. L’association de journalistes Lumières sur l’info affirme que certaines grandes entreprises facilitent la participation de leurs salariés à l’EMI. Mais c’est plus compliqué pour les petites structures de presse. Là encore, des disparités fortes se manifestent.


36 Propositions EMI SommaireLettre d’engagement de Violette SpilleboutAvant-propos de Sylvie MervielIntroductionPourquoi ?Quoi ?Qui ?Où et Quand ?Comment ?Combien ?ConclusionSynthèse des 36 propositionsGlossaireLa Mission Flash

10 avril 2023